mardi 27 décembre 2011
Le Pôle Solidarité de l’association des élèves avocats (AEA) de l’EFB, a organisé une table ronde sur le thème de : L’AVOCAT EN PRISON le mercredi 30 novembre 2011, de 19h à 21h Intervenaient : Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privations de liberté. Etienne Noel, avocat au barreau de Rouen. Nicolas Ferran, responsable juridique de l’Observatoire international des prisons Virginie Bianchi, avocat au barreau de Paris Gwenaëlle Koskas, juge d’application des peines au Tribunal de Bobigny Grâce aux jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’Homme et du Conseil d’Etat, le droit a fait son entrée dans les prisons ces dernières années. Quel rôle peut désormais jouer l’avocat dans la défense des droits des personnes détenues ?
samedi 24 décembre 2011
Les détenus handicapés de Fresnes font condamner l'Etat
Le mur d'enceinte de la maison d'arrêt de Fresnes, mai 2009 (
(Audrey Cerdan/Rue 89)
http://www.rue89.com/2011/12/24/les-detenus-handicapes-de-fresnes-font-condamner-letat-227810
Sept détenus handicapés de la prison de Fresnes (Val-de-Marne), circulant en fauteuil roulant, ont obtenu la condamnation de l'Etat à des dommages et intérêts – de 1 000 à 5 000 euros – pour manquement au respect de la personne humaine.
Contacté par Rue89, Etienne Noël, administrateur de la section française de l'Observatoire international des prisons (OIP), se félicite de cette condamnation mais souligne que la majorité des établissements pénitenciers ne disposent pas des aménagements nécessaires au handicap :
« L'un de ces sept détenus avait été transféré aux Baumettes. Nous avions fait condamner l'Etat pour les même raisons, ce qui signifie que quelque soit l'endroit où ils vont les conditions ne sont pas adaptées. Etablissements anciens ou neufs, il n'y a pas de différence. »
Ces condamnations aboutissent à l'indemnisation des détenus mais aucune astreinte ne contraint les prisons à faire les travaux nécessaires pour adapter les établissements à l'accueil de handicapés. Etienne Noël :
« On peut demander aux juges de condamner à l'astreinte. Peut-être qu'on le fera pour d'autres. »
Des « cellules à humanité réduite »
Il y a un an, Laure Heinich-Luijer, qui défend plusieurs de ces détenus, racontait sur Rue89 sa visite de Fresnes suite à la désignation par le tribunal administratif d'un expert-architecte pour rendre compte des conditions de détention des handicapés.
L'avocate en était ressortie profondément émue et choquée par le quotidien de ces détenus :
« En visitant la prison, on se rend vite compte, devant ces cellules à humanité réduite, qu'on ne traite pas les gens comme on les appelle.Aucun de ces détenus n'aurait dû pouvoir entrer dans cette maison d'arrêt puisque “la rampe d'accès ne présente pas les caractéristiques règlementaires requises”. »
Un poste de surveillance, maison d'arrêt de Fresnes, mai 2009 (Audrey Cerdan/Rue89)
Ils étaient huit détenus en fauteuil à Fresnes et rien n'était prévu, ni pour leur confort, ni pour leur sécurité. Aucune ventilation mécanique dans les cellules, des salles d'eau accessibles certes mais à l'installation électrique défaillante. Surtout, ils n'avaient aucun moyen de circuler dans la prison puisque tout leur était inaccessible. Le constat de l'expert :
- bureaux d'encadrement : inaccessibles ;
- locaux de soins psychiatriques et médico-psychologiques : inaccessibles ;
- salle de spectacle : inaccessible ;
- lieux de culte : inaccessibles ;
- bibliothèque : inaccessible ;
- cabine de fouille : inaccessible.
Laure Heinich écrivait alors :
« Heureusement, la salle de sport est accessible, des fois qu'ils veuillent courir sur le tapis roulant. »
Aller plus loin
journal du pays basque 24 12 2011 Entretien Janine Beyrie
"Ce processus, je souhaite qu’il aille jusqu’au bout. Qu’il nous amène jusqu’à une paix juste»
Entretien avec Janine BEYRIE / Mère de Lorentxa Beyrie, prisonnière à Fresnes
Une mère comblée. C’est ainsi qu’elle se définit. Janine Beyrie, mère de trois enfants : Amaia, Xan et Lorentxa. Lorentxa, 36 ans, militante d’ETA assumée qui, une année de plus, ne passera pas Noël en Pays Basque, parmi les siens. Janine, sa mère, fera une fois de plus le trajet de 800 kilomètres pour aller voir sa fille Lorentxa, en prison depuis dix années, actuellement à Fresnes. Condamnée à 32 ans de prison, ramenés à 27 années. Sept années de préventive, des années d’instruction, une condamnation sur la base de témoignages arrachés dans l’Etat espagnol sous la torture, dira son avocate. Des témoignages réfutés ensuite devant le juge d’instruction. Pas de confusion de peines mais le maximum pour Lorentxa, originaire de Cambo où vit sa famille, dans sa maison natale. Elle fait partie des 150 prisonniers basques détenus dans l’Etat français. Des prisonniers au cœur de la résolution du conflit basque. Ils sont 686 au total, dans les Etats espagnol et français, et le 7 janvier prochain, une grande manifestation aura lieu à Bilbo afin de revendiquer comme première mesure la fin de leur dispersion et le respect de leurs droits. Janine Beyrie nous parle de sa fille. Elle parle clair. Quelques perles de larmes s’échappent furtivement de ses yeux bleu-vert. Dix années ponctuées par les visites à sa fille. Une mère comblée et fière de ses enfants. A qui elle a toujours dit de faire ce qu’ils leur semblaient juste, au moment où ils devaient le faire. “Ce qui est insupportable, c’est la souffrance de nos enfants, pas la nôtre”. Paroles de mère.
Pouvez-vous nous parler de votre fille Lorentxa et de son parcours ?
Ma fille Lorentxa est née à Cambo, nous sommes une famille euskaldun. Lorentxa, après son bac, a obtenu une licence d’ethnologie, puis était en maîtrise. Arrêtée en 2001, elle est en prison à Fresnes. Avant, elle était détenue à Fleury-Mérogis, puis au centre pénitentiaire de Joux-la-Ville. Elle s’est mariée en 2004 en prison à Poissy avec Aitzol Gogorza, militant basque emprisonné originaire d’Errenteria que l’on a extradé vers l’Etat espagnol en juin 2011 et qui purge actuellement une peine de prison à Séville. Lorentxa est très forte par rapport à la prison, elle a toujours mis une distance. Elle ne s’est jamais laissée enfermer, elle m’épate. Elle peint beaucoup. Cette année, elle a été exposée plusieurs fois dans différentes galeries du Pays Basque et également à Paris. Elle écrit aussi des contes philosophiques pour enfants qu’elle illustre. Lorsque je vais voir Lorentxa, nous sommes face à face. Il y a une table avec un mur de séparation. Je peux lui toucher ses mains. La prendre dans mes bras, par contre, est impossible. Nous parlons de tout, très peu de politique en fait !
Cela suppose beaucoup de déplacements…
Nous allons avec son père voir notre fille une vingtaine de fois par an. Vingt heures de parloir par an, cela semble peu, mais à cause de l’éloignement, une visite nécessite plus de 24 heures de trajet. Nous avons tout fait : voiture, train, bus. Lorentxa a chaque semaine un parloir avec d’autres membres de sa famille ou avec des amis. Cette semaine, son frère lui rend visite ; la semaine prochaine, ce sera notre tour. Nous allons aussi à Séville voir notre gendre Aitzol que nous considérons comme notre enfant. Tout comme les parents d’Aitzol rendent visite à Lorentxa à Fresnes. Ainsi, c’est la famille qui fait le lien entre les deux.
Tous ces voyages ont un coût. Pouvez-vous nous donner des détails…
Un voyage en voiture à Paris coûte 140 euros (gasoil) plus 120 euros de péage, sans compter l’hébergement et la nourriture (150 euros). Lorsque nous partons à Séville, nous prenons le bus des familles de prisonniers. Cela coûte 140 euros par personne. Nous partons le vendredi à 17 heures de Donostia, puis nous arrivons à Séville vers 5h30 du matin, le samedi, où l’on nous laisse devant un arrêt de bus. Dans ce bus de ligne régulière, nous traversons Séville, puis nous montons dans un autre bus durant une heure qui nous dépose dans le dernier village avant la prison. Et là, nous prenons un taxi à quatre, pendant un quart d’heure. Taxi qui nous mène devant la prison. Il est à peu près 9 heures du matin, nous avons la visite à 11 heures. Visite qui dure 40 minutes. Puis nous retournons dans le bus initial qui a amené entre-temps des familles dans d’autres prisons comme Puerto. Ce bus nous prend à 22h15 à Séville et nous arrivons à Donostia le dimanche matin entre 9 et 10 heures. Et ce type de voyages, des familles le font depuis plus de 20 ans.
Comment se concrétise la solidarité entre les familles ?
Personnellement, je suis une privilégiée, mais je pense aux femmes seules avec des enfants. D’ailleurs, quand nous recevons des dons, nous mutualisons pour que cela serve à tout le monde. Je suis membre d’Etxerat qui organise ces bus, et c’est vrai que la question financière est très importante. En dix ans, on mange ce que l’on a et ce que l’on n’a pas ! Et l’on ne remerciera jamais assez les gens qui régulièrement nous aident financièrement. Les gens qui donnent ne mesurent pas l’importance de leur geste.
Que ressentez-vous face à la nouvelle donne politique avec l’annonce de l’arrêt définitif des activités armées d’ETA ?
Nous prenons les nouvelles, comme nous avons pris les coups et continuons à essayer de nous protéger. Le “lâcher-prise”, ce n’est pas encore pour nous. Comme tout le monde, nous espérons que les choses évolueront dans le bon sens. Cela va être long. Il y a des prises de positions et des déclarations qui sont douloureuses pour nous. Ce processus, je souhaite qu’il aille jusqu’au bout. Qu’il nous amène jusqu’à une paix juste. J’entends par paix juste, le droit du peuple basque à exister en tant que tel. Ce qui se passe aujourd’hui et toutes les mobilisations qu’il y a nous parlent de la lutte du peuple basque depuis des décennies. ETA est la partie la plus visible, parce que la plus violente. Mais les militants d’ETA sans soutien politique et le travail accompli ne pourraient pas exister. Les résultats électoraux de Bildu et d’Amaiur qui ont dans leur programme le droit du peuple basque à exister en tant que tel prouvent que cette idée et ce combat ne sont pas minoritaires. Je crois beaucoup à l’implication de la communauté internationale et à la mobilisation de tous.
Qu’évoquent pour vous les mots réconciliation et la reconnaissance des victimes des deux camps ?
La réconciliation se fera lorsque l’on aura obtenu une paix juste. Il y a quand même l’oppresseur et l’opprimé. Nous, nous ne sommes pas partis conquérir l’Andalousie ou l’Estrémadoure, Il doit y avoir la reconnaissance du conflit. Est-elle effective ? Mes enfants ne sont pas des malfaiteurs, ce sont des militants qui ont fait le choix de la lutte armée pour défendre le pays. Ce sont des résistants. Et pour moi, une chose est inacceptable et inconcevable : que l’on demande aux militants de se repentir d’avoir été, et d’être des résistants.
Manifestation à Bilbo le 7 janvier
“Pour le retour de nos 686 otages et des exilés”. C’est l’appel lancé par Etxerat, appel soutenu par de nombreuses organisations. La manifestation aura lieu à 17 heures à Bilbo le 7 janvier. Dans un premier temps, Etxerat demande le rapprochement et le regroupement des prisonniers en Pays Basque, la libération de celles et ceux gravement malades, la possibilité de bénéficier de libérations conditionnelles et l’abrogation des lois d’exception comme la doctrine Parot. Des bus partiront du Pays Basque Nord. Inscriptions au 06 11 36 21 53 ou par courriel à l’adresse iehpreso7@gmail.com.
Béatrice MOLLE
Petit moment philosophique...
Apprenez donc, Messieurs, combien vos lois sont odieuses par l’horreur invincible qu’inspirent ceux qui les font exécuter; honorez au contraire votre Code d’une loi analogue à votre Constitution, propre à fortifier les sentiments qu’elle a voulu inspirer aux Français, d’une loi qui a fait la gloire et la sûreté des peuples anciens, d’une loi que le despotisme a bien osé promulguer avant vous, et maintenir avec succès dans les pays voisins; d’une loi que les peuples esclaves adopteront, si, comme vous, ils sont appelés un jour à fonder leur Constitution; d’une loi enfin sollicitée par cette opinion saine de tous les hommes éclairés, qui ont su dérober leur raison à l’influence des préjugés anciens et à celle des circonstances du moment » . Adrien DUPORT, Discours sur la peine de mort, Assemblée nationale, 31 mai 1791.
vendredi 23 décembre 2011
Détenus handicapés à Fresnes : "On les range...et on les sort quand on en a besoin"
Sept détenus handicapés de la maison d'arrêt de Fresnes viennent de faire condamner l'Etat. Le tribunal administratif de Melun a estimé que les conditions de détention imposées à ces personnes handicapées portaient "atteintes à leur dignité". La justice s'est basée sur les conclusions rendues par les experts qui ont visité les cellules censées être spécialement aménagées comme le raconte l'avocat des plaignants, Me Etienne Noël.
http://www.franceinfo.fr/justice-handicapes/detenus-handicapes-a-fresnes%C2%A0-on-les-range-et-on-les-sort-quand-on-en-a-besoin-480081-2011-12-23
jeudi 22 décembre 2011
Communiqué OIP: une expertise épingle la surpopulation et des problèmes d'hygiène au centre pénitentiaire de Baie-Mahault (Guadeloupe)
Paris, le 22 décembre 2011
Communiqué
Centre pénitentiaire de Baie Mahault (Guadeloupe): une expertise épingle la surpopulation et des problèmes d'hygiène
Depuis plusieurs années, la Coordination Outre-mer de l'OIP est destinataire de nombreux courriers de plaintes de détenus, concernant leurs conditions de détention au centre pénitentiaire de Baie-Mahault. L'un d'entre eux, M.F., assisté d'un avocat a engagé une procédure de référé-constat auprès du Tribunal administratif de Basse-Terre. Un expert a été désigné par ordonnance du 26 juillet 2011 aux fins de dresser un état des lieux de ses conditions de vie dans le quartier maison d'arrêt. L'expert, qui s'est rendu à Baie-Mahault le 28 septembre dernier, vient de rendre son rapport.
L'expert relève « l'exigüité des lieux, leur occupation permanente par les détenus », ainsi que la présence de « salpêtre dans les salles humides »en raison de « l'absence de murs carrelés ». Il note également que les sanitaires dans les cours de promenade ne permettent aucune intimité : les douches et les WC à la turque ne disposant d'aucune porte. Et estime que cette situation n'est « pas admissible »
Concernant plus particulièrement les conditions de détention de M.F., détenu dans trois cellules différentes entre le 24 février et le30 septembre 2010, l'expert observe dans chacune d'entre elles que les « murs sont maculés », que les WC sont « mal isolés par rapport à la zone de couchage » et distants d'un mètre à peine de l'endroit où sont préparés et pris les repas. Les rebords des fenêtres sont quant à eux jonchés de déchets jetés par les détenus, les poubelles étant soit « cassées », selon M.F., soit « en général sans couvercle », selon l'expert.
Dans sa requête, M.F. se plaint par ailleurs de n'avoir pu dormir que quelques heures par nuit tout au long de sa détention, en raison du bruit dans les étages. Nuisances sonores que confirme l'expertise qui souligne que l'établissement est « effectivement très bruyant (musique, vociférations...) ».
Après une première nuit passée seul dans une cellule de 24,30m², dotée de sanitaires, M.F est placé dans une cellule de 11,10m², qu'il partagera durant 52 jours avec quatre, voire cinq codétenus. La cellule ne disposant que de « 4 lits, 2 tables, 4 chaises et un placard », le cinquième et le sixième détenus dormaient sur un matelas sur une table ou à même le sol. Durant toute cette période, hormis les promenades et les parloirs, les occupants de la cellule restaient constamment enfermés en cellule, l'établissement étant « en manque crucial d'activités pour les détenus ». Le 13 avril 2010, il intègre une cellule de 8,70m² ne comportant que deux lits qui sera occupée en permanence, jusqu'à sa libération le 30 septembre 2010, par trois détenus.
La situation imposée à M.F n'a rien d'exceptionnel. D'autres détenus ont contacté l'OIP afin d'engager des recours en responsabilité pour leurs conditions d'hébergement indignes. « Nous sommes trois en cellule dans 10m², une cellule de deux, on dort par terre à tour de rôle ». Quant aux locaux, ils sont « infestés de cafards, de mille-pattes et toutes sortes d'insectes et parasites » et les abords des cellules « une vraie déchetterie » ont témoigné trois détenus dans un courrier adressé à l'OIP le 17 août 2010. La promiscuité liée à la surpopulation génère « une insécurité indéniable du fait que tout le monde se ballade avec des armes blanches, et les boutons d'appel d'urgence sont tous inactifs », « En cas de problème de violence ce sont les détenus qui séparent les gens, cela se termine souvent à l'hôpital avec de multiples coups de couteau, notre stress est permanent, un détenu est resté plusieurs heures avec une fourchette plantée entre les deux yeux ».
Le système d'interphonie a depuis « été rénové » selon la mission des services pénitentiaires de l'Outre-mer, interrogée par l'OIP. Dans leur réponse du 5 octobre 2010, les autorités pénitentiaires précisent que « pour prévenir et lutter contre les violences, la direction locale conduit une action volontariste conjuguant travaux d'aménagement et de sécurisation, amélioration des procédures et formation des agents, amélioration des conditions de détention et développement des activités ». Toutefois, l'indignité des conditions de détention à Baie-Mahault semble demeurer d'actualité. « J'ai reçu un coup de couteau au niveau de la bouche, on m'a emmené à l'hôpital pour recoudre la plaie, nous sommes cinq dans une cellule de quatre et je dors par terre sur un matelas », témoigne un homme le 26 septembre 2011, tandis qu'un autre signale, le 14 décembre 2011: « je dors par terre, je mange très mal et je n'ai pas de parloirs ».
Au 1er novembre 2011, le quartier maison d'arrêt du centre pénitentiaire de Baie-Mahault comptait 322 détenus pour 266 places, soit un taux d'occupation de 121,1%.
L'OIP rappelle:
- l'article 46 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 qui prévoit que l'administration pénitentiaire « assure un hébergement, un accès à l'hygiène, une alimentation et une cohabitation propices à la prévention des affections physiologiques ou psychologiques».
- L'article D.349 du Code de procédure pénale: « l’incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d’hygiène et de salubrité, tant en ce qui concerne l’aménagement et l’entretien des bâtiments (…) que (...) la pratique des exercices physiques ».
- que, pour la Cour européenne des droits de l'homme, « l'article 3 de la Convention impose à l'état de s'assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités de l'exécution de la mesure ne soumettent pas l'intéressé à une détresse ou à une épreuve d'une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrances inhérent à la détention » (CEDH, Kudla c/ Pologne, 26 oct. 2000).
Pour confirmation:
François Bès (OIP) tel: 06 64 94 47 05
Etienne Noël (Avocat) tel: 06 80 02 50 56
mardi 20 décembre 2011
France-Antilles Martinique 19.12.2011 Suicide en prison : l'Etat condamné
En 2006, Olivier Tranquille, un Gros-mornais de 32 ans, était retrouvé pendu dans sa cellule à la prison de Liancourt (Oise). Sa mère et sa soeur viennent d'obtenir gain de cause. La cour administrative d'appel de Douai a reconnu la responsabilité de l'Etat dans ce décès.
Cinq ans après la mort de son fils, Olivier Tranquille dit « Popè » , Rosange Prajet va pouvoir commencer son deuil. Vendredi dernier, elle a appris que le 8 décembre la cour administrative d'appel de Douai avait reconnu « une faute de l'administration pénitentiaire de nature à engager la responsabilité de l'État » et condamné ce dernier à les indemniser, sa fille et elle. L'année dernière cette mère exprimait sa douleur dans notre journal : « Depuis ce jour-là, je ne suis pas bien du tout, je vis dans l'angoisse, je ne dors plus, je sors parce qu'il faut sortir mais ce n'est pas facile... » Elle exprimait aussi sa détermination : « J'aimerais que justice soit faite. Je suis seule avec cette affaire, je voudrais enfin entrevoir la lumière... » .
DES APPELS AU SECOURS SANS RÉPONSE
Le 24 mars 2006, Olivier Tranquille avait été retrouvé pendu dans sa cellule. L'administration pénitentiaire avait alors conclu au suicide, mais pour Rosange Prajet, la mort de son fils est suspecte. Incarcéré pour des faits de violence avec arme, il purgeait une peine de 12 mois ferme. Père de trois enfants, il était libérable trois semaines plus tard.
La veille de sa mort, il avait eu une altercation avec un surveillant. Il s'était plaint d'avoir payé sa cantine et de n'avoir rien reçu. Après avoir été « maîtrisé » par une équipe de surveillants, il avait été transféré au CHU pour soigner ses blessures. Dès son retour de l'hôpital, Olivier Tranquille était conduit au « mitard » et refusait de s'alimenter. Se plaignant de douleurs au bras, il sollicitait un médecin à plusieurs reprises. En vain. Sur les murs de la cellule où il est retrouvé pendu, il a inscrit « J'ai assez subi des magouilles de la justice. J'ai appelé plein de fois en vain » .
Dans son arrêt, la cour administrative d'appel de Douai estime que l'administration pénitentiaire a commis des fautes, essentiellement en ignorant « les appels répétés à l'aide de M. Tranquille, d'autant que ce dernier avait entamé une grève de la faim, la veille au soir... Des dysfonctionnements qui n'ont pas permis d'éviter le suicide » .
- Une prison neuve aux pratiques d'un autre temps...
Ouverte en 2004, la prison de Liancourt était loin d'être l'établissement modèle présenté par le ministère de la justice. Les nombreuses dérives commises par une poignée de sur veillants ont été révélées en 2007 par la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), suite à cinq plaintes dont celle de Rosange Prajet et sa fille. La CNDS dressait un portrait accablant de la prison de Liancourt. Entre mai 2005 et novembre 2006, une poignée de sur veillants auraient organisé, avec la complicité du directeur adjoint, une série de tabassages, d'humiliations, de sévices envers les détenus. L'issue la plus grave de ces dérives aura été la mort d'Olivier Tranquille. La CNDS considère « fort probable que c'est délibérément que les professionnels de santé et la direction, à même d'évaluer la situation et de sortir ce détenu en détresse du quartier disciplinaire, ont été tenus à l'écart » .
samedi 17 décembre 2011
surpopulation dans les établissements pénitentiaires d'Ile-de-France au 1er décembre 2011
Au 1er décembre 2011, les établissements pénitentiaires d'Ile-de-France présentent une "capacité opérationnelle" de 9468 places. 12034 personnes y sont incarcérées. Le taux moyen de surpopulation est de 127%.
Le taux moyen de surpopulation des maisons d'arrêt est de 142,4% (7464 places, 10633 détenus)
Maison d'arrêt de Fresnes (Seine-et-Marne) 1373 places, 2196 détenus, 159% (+9% par rapport au 1er novembre 2011, +16% par rapport au 1er décembre 2010)
Maison d'arrêt de Bois d'Arcy (Yvelines) 501 places, 784 détenus, 156% (-3% par rapport au 1er novembre 2011, +5% par rapport au 1er décembre 2010)
Quartier maison d'arrêt de Meaux-Chauconin (Seine-et-Marne) 386 places, 583 détenus, 151% (-2% par rapport au 1er novembre 2011, +0% par rapport au 1er décembre 2010)
Maison d'arrêt de Nanterre (Hauts-de-Seine) 593 places, 878 détenus, 148% (+2% par rapport au 1er novembre 2011, +4% par rapport au 1er décembre 2010)
Maison d'arrêt de Villepinte (Seine-Saint-Denis) 588 places, 869 détenus, 148% (-1% par rapport au 1er novembre 2011, +8% par rapport au 1er décembre 2010)
Maison d'arrêt de Paris-la Santé 483 places, 668 détenus, 138% (-2% par rapport au 1er novembre 2011, +5% par rapport au 1er décembre 2010)
Maison d'arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne) 2822 places, 3771 détenus, 134% (-2% par rapport au 1er novembre 2011, +10% par rapport au 1er décembre 2010)
Maison d'arrêt d'Osny (Val d'Oise) 580 places, 766 détenus, 132% (-3% par rapport au 1er novembre 2011, +0% par rapport au 1er décembre 2010)
Etablissements pour peine surpeuplés:Centre de semi-liberté de Gagny (Seine-Saint-Denis) 48 places, 110 détenus, taux de suroccupation 229% (+2% par rapport au 1er novembre 2011, +14% par rapport au 1er décembre 2010)
Quartier de semi-liberté de Villejuif (Seine-et-Marne) 76 places, 119 détenus, 157% (+0% par rapport au 1er novembre 2011, NC par rapport au 1er décembre 2010)Quartier de semi-liberté de Meaux-Chauconin (Seine-et-Marne) 30 places, 37 détenus, 123% (NC)
Centre de semin liberté de Corbeil (Essonne) 77 places, 81 détenus, 105% (+0% par rapport au 1er novembre 2011, -10% par rapport au 1er décembre 2010)
"Les détentions n’ont jamais été aussi longues»
Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, sur le record d’incarcérations :
Jamais un tel chiffre n’avait été atteint : au 1er décembre, 65 262 personnes étaient incarcérées dans les prisons françaises. Pour 57 255 places. Le nombre de détenus avait pourtant baissé de 2008 à la fin 2010, preuve qu’un gouvernement de droite, peut, s’il le veut, sortir du tout carcéral (1). Pourquoi un tel sommet aujourd’hui ? Explications de Jean-Marie Delarue, contrôleur des lieux de privation de liberté.
Que dire de ce nouveau record historique ?
Revenons quarante ans en arrière : il y avait alors moins de 35 000 détenus dans les prisons françaises pour 500 000 poursuites pénales. Aujourd’hui, on compte 65 000 détenus pour environ 640 000 poursuites. Alors que les poursuites ont cru de moins d’un tiers, le nombre de détenus a augmenté de près de 100%. Si on condamnait aujourd’hui comme on le faisait dans les années 70, 45 000 personnes seraient incarcérées.
Comment l’expliquer ?
Le gonflement de la population pénale n’est pas dû à l’augmentation des faits de délinquance, mais à la manière dont on perçoit la délinquance. Des faits divers médiatisés peuvent avoir un impact, comme si les juges devenaient pendant quelque temps plus stricts. Mais il est des causes plus profondes. Les lois d’abord : plus répressives, elles amènent des condamnations plus lourdes. C’est le cas des peines plancher instaurées en 2007 [qui fixent un quantum de peines minimum en cas de récidive, ndlr] : elles majoreraient le nombre de personnes incarcérées de 10 000.
L’alourdissement des peines prononcées est d’ailleurs un phénomène relevé à l’échelle européenne, notamment après les attentats de 2001. Au final, en France, le nombre d’entrées annuelles en prison varie peu (autour de 85 000), mais la durée de l’emprisonnement augmente, que ce soit pour les condamnés ou pour les personnes en détention provisoire. Celle-ci n’a jamais été aussi longue : 25,5 mois pour les crimes.
La hausse actuelle est aussi conjoncturelle…
Depuis deux ans, un coup de projecteur a été mis sur les «peines non exécutées». Dans un rapport, l’inspection générale des services judiciaires a noté le fait qu’à un instant T, 80 000 peines (toujours courtes) sont en attente d’être exécutées [mais deux ans après avoir été prononcées, plus de 90% des peines sont exécutées]. Le président de la République a parlé de scandale et la chancellerie a demandé aux magistrats d’accélérer l’exécution : on exhume des dossiers pour aller chercher des condamnés et les enfermer. Mécaniquement, cela participe à la surpopulation.
Quels en sont les impacts ?
Entasser, dans 9 m², deux lits et un matelas génère une tension incroyable. Les détenus sont de plus en plus nombreux alors que l’activité n’augmente pas : il n’y a pas assez de cours, de travail, de salles de sport, de parloirs… La surpopulation remet en cause le fonctionnement de la prison : le dialogue entre surveillants et détenus, la qualité des repas… Et le nombre d’agressions de surveillants ne cesse d’augmenter.
Recueilli par
(1) Lire «"La prison doit changer, la prison va changer", avait-il dit…», Véronique Vasseur et Gabriel Mouesca, Flammarion.
vendredi 16 décembre 2011
Observations du Syndicat de la magistrature sur le « projet de loi de programmation relatif à l'exécution des peines »
Déposé à l'Assemblée nationale le 23 novembre 2011, ce texte s'annonce comme le dernier de la législature en matière pénale – du moins peut-on le souhaiter. Présenté en conseil des ministres quelques jours après le drame ultra-médiatisé dit « du Chambon-sur-Lignon » et mis explicitement en relation avec ce dernier, il fait l'objet d'une « procédure accélérée ».
Premier constat : une nouvelle fois, le gouvernement demande au Parlement de légiférer dans l'urgence et dans un contexte propice à la surenchère répressive. La recette est éprouvée ; elle n'en demeure pas moins indigne.
Autre constante consternante : l'absence de concertation entreprise au stade de l'élaboration de ce texte. Ainsi, à aucun moment le Syndicat de la magistrature n'a été consulté par la Chancellerie sur ses orientations et dispositions, pourtant présentées comme cruciales pour notre justice et qui, de fait, visent notamment à fixer « les objectifs de l'action de l'Etat » en matière d'exécution des peines, de prévention de la récidive et de prise en charge des mineurs délinquants « pour les années 2013 à 2017 ».
Cette manière de passer en force, à l'égard tant des professionnels concernés que des assemblées parlementaires – sommées d'enregistrer précipitamment les annonces du pouvoir exécutif et singulièrement de son chef en campagne –, est le signe d'un affaissement démocratique.
L'exposé des motifs du projet de loi en porte la trace, s'agissant pour l'essentiel – au-delà de quelques poncifs sur l'efficacité de la « chaîne pénale »ou les vertus d'une sanction « certaine et rapide » – d'un pathétique exercice d'auto-satisfaction.
Ainsi le gouvernement ne craint-il pas d'affirmer – en dépit de l'échec patent et largement documenté de sa politique de sécurité – que « depuis plusieurs années, des efforts considérables ont été consentis pour assurer aux Français une protection efficace contre la délinquance », comme en témoignerait son œuvre réformatrice et notamment, dans le champ de la prévention de la récidive, les lois du 10 août 2007, du 25 février 2008 et du 10 mars 2010, dont RIEN ne permet pourtant d'affirmer qu'elles aient eu le moindre effet sur le niveau de la délinquance en général et sur celui de la récidive en particulier.
De même se félicite-t-il d'avoir mis en œuvre depuis le début de l'année 2011 – en réalité, après l'affaire dite « de Pornic »... – un « plan national de réduction des délais d'exécution des peines », dont le seul effet tangible est d'avoir conduit à l'explosion de la (sur)population carcérale.
Comment ne pas rappeler, à cet égard, la duplicité dont le garde des Sceaux a fait preuve cet été, en invitant les parquets à différer la mise à exécution de certaines peines d'emprisonnement afin de ne pas aggraver une situation pénitentiaire devenue intenable avant, quelques jours plus tard, de désavouer publiquement le procureur de Dunkerque qui s'était – sans doute un peu trop ouvertement – conformé à ses instructions ?
On touche ici au coeur du présent projet de loi : plutôt que d'amorcer une sortie de cette impasse qu’est le tout-carcéral, le gouvernement invite le Parlement à s'y fourvoyer durablement. Car, s'il fallait bien y traiter à nouveau de « la récidive » et de « la délinquance des mineurs », thèmes porteurs s'il en est, ce texte vise principalement à traduire dans la loi en le justifiant « techniquement » le discours électoraliste prononcé le 13 septembre dernier par le chef de l'Etat/candidat au centre pénitentiaire de Réau : construire, encore et toujours, des prisons, pour enfermer toujours plus de personnes, quel qu’en soit le coût pour la société et quand bien même cela ne ferait aucunement reculer « l’insécurité », tel est son objet principal.
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En la forme, ce projet de loi compte neuf articles, le premier validant un rapport annexé qui définit et précise ses « objectifs ». Pour une meilleure appréhension des logiques qui sous-tendent cette « programmation », la structure des présentes observations est calquée sur celle dudit rapport.
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I. « Garantir la célérité et l’effectivité de l’exécution des peines prononcées, notamment des peines d’emprisonnement ferme »
1) « Accroître et diversifier le parc carcéral pour assurer une exécution effective des peines »
Le gouvernement l’affirme : « le nombre de personnes écrouées détenues s’élèvera à 80 000 à horizon 2017 ». Il s’agit, explique-t-il tranquillement, du « scénario le plus probable », au regard notamment de la croissance des peines d’emprisonnement constatée entre 2003 et 2011 (2 % par an). Par conséquent, il convient de « porter la capacité du parc carcéral à 80 000 places à cette échéance » et ainsi de créer 30 000 places de prison (page 12). CQFD.
Ce « raisonnement » mécaniste ne saurait surprendre : le gouvernement se satisfait par principe de l’augmentation du nombre de peines d’emprisonnement et souhaite qu’elle se prolonge, coûte que coûte. Qu’importe, au fond, l’évolution de la délinquance et l’appréciation des juges : la France doit atteindre son quota de détenus – dont on sait déjà qu’il a vocation à être sans cesse revu à la hausse, car nul n’ignore qu’il n’existe pas, dans une société donnée, de taux « naturel » d’incarcération au-delà duquel les tensions inflationnistes n’existeraient plus.
Le Syndicat de la magistrature s’oppose fermement à cette conception de la justice pénale dont l’horizon obligatoire serait l’incarcération de masse. L’emprisonnement d’un nombre croissant de personnes n’a rien d’une fatalité. Il peut d’ailleurs sembler surprenant de voir les tenants d’un certain« volontarisme » anticiper ainsi l’échec de leur politique de lutte contre la délinquance... Il s’agit en réalité d’un choix de société, dangereux pour la société. Paradoxalement, le gouvernement évoque lui-même à deux reprises (cf. pages 13 et 17) « le risque de désocialisation et de récidive »induit par l’incarcération ! Plutôt que d’envisager une décroissance carcérale, qui passerait notamment par l’instauration d’un véritable numerus clausus pénitentiaire, il choisit donc la fuite en avant, au risque d’aggraver ce qu’il prétend combattre[1].
A cet égard, la diversification envisagée du « parc carcéral » apparaît davantage comme une mesure d’accompagnement gestionnaire de cette inflation programmée que comme la traduction d’une nouvelle conception de la privation de liberté. Le gouvernement souhaite ainsi créer des établissements « spécialement conçus pour accueillir des personnes condamnées à de courtes peines », certes moins sécuritaires mais surtout moins chers, car la société carcérale a un prix, même si le gouvernement s’abstient prudemment de chiffrer globalement le coût de ce projet (sans doute plus de 3 milliards d’euros)... Pour le dire avec les mots du pouvoir, « le maintien d’un parc uniforme est sous-optimal sur le plan économique » (page 13).
Le Syndicat de la magistrature pense quant à lui qu’il est urgent de repenser profondément les conditions de détention de l’ensemble des personnes privées de liberté, afin que la mission de « garde » de l’administration pénitentiaire ne prévale plus comme aujourd’hui sur celle de « réinsertion ». Dans cette perspective, de nouveaux établissements devraient donc être conçus, où la sécurité passerait effectivement au second plan et dont – les expériences menées en Suède ou en Espagne le démontrent – on ne chercherait pas à s’évader, mais qui remplaceraient ceux qui existent aujourd’hui dans une logique déflationniste. Toutes les « règles pénitentiaires européennes » (RPE) y seraient respectées et les droits à la santé, à l’expression collective, à l’exercice de la citoyenneté, au maintien des liens familiaux, à la sexualité, à la formation professionnelle, entre autres, y seraient effectifs, ce qui est très loin d’être le cas aujourd’hui. L’objectif de réinsertion vaut pour tous les détenus, et non seulement pour ceux qui ont été condamnés à de courtes peines comme le voudrait le gouvernement, qui manie à l’envi la notion aussi floue qu’essentialiste de « dangerosité » (page 13) pour tenter de justifier l’étroitesse de son approche essentiellement économique.
Pour preuve de la logique gestionnaire qui est à l’oeuvre, le gouvernement souhaite que la capacité moyenne des établissements intégrés dans le« nouveau programme immobilier (NPI) » – annoncé par le garde des Sceaux en mai 2011 – passe de 532 à 650 places (page 14), faisant fi de toutes les observations sur les effets pervers du gigantisme en matière pénitentiaire. Ces établissements pourront atteindre jusqu’à 850 places, et même au-delà en région parisienne (pages 14 et 15), alors que le seuil critique est généralement évalué à 500 places. Le Syndicat de la magistrature s’oppose frontalement à la construction de ces grandes entités déshumanisées, véritables machines à produire de la désocialisation... et de la récidive. De même est-il hostile à la réduction du taux d’encadrement dans les établissements pour courtes peines (page 16) : alléger la sécurité ne saurait conduire à raréfier la présence humaine dans des prisons déjà largement coupées du monde.
Le gouvernement, on l’aura compris, ne se préoccupe que de flux et de stocks. Et pour stocker vite, il n’hésite pas à recourir à des procédures dérogatoires : celle dite de « dialogue compétitif » pour la conception-réalisation des établissements (article 2) et celle de l’expropriation accélérée préve par l’article L. 15-9 du Code de l’expropriation (article 3). L’Etat sait donc se donner les moyens de trouver des « logements »...
Evidemment, une part importante de ces nouvelles structures fera l’objet de « partenariats public-privé », qui incluront « l’exploitation » et la« maintenance » (article 2). Il faudra, un jour, examiner de près ces cadeaux au secteur privé dont l’administration a désormais le secret... Souhaitons, en tout cas, que ces établissements « PPP » ne connaissent pas les mêmes difficultés que certains de leurs prédécesseurs, tel le centre pénitentiaire de Mont-de-Marsan construit par le groupe Bouygues pour 64 millions d’euros et dont le système électrique s’est révélé gravement défectueux peu après son ouverture en 2008...
En bref, le Syndicat de la magistrature est totalement opposé à ce vaste programme de construction de places de prison qui va peser très lourdement sur les finances publiques, et en particulier sur celles (pourtant objectivement très faibles) du ministère de la justice, pour un coût social plus élevé encore. Il appelle de ses voeux une politique visant à développer fortement les aménagements de peine et à réformer radicalement le système pénitentiaire dans l’intérêt de la société.
En revanche, il approuve la création de quatre centres de semi-liberté supplémentaires dans le cadre du programme dit « 13 200 », même s’il conviendrait d’en créer davantage.
2) « Garantir une mise à exécution plus rapide des peines »
Le projet de loi acte – et se contente d’acter – la nécessité de créer 209 emplois dans les services d’exécution et d’application des peines, 120 emplois de magistrats et 89 emplois de greffiers (page 19). Encore faudra-t-il qu’il s’agisse de créations nettes, et non de redéploiements – comme de coutume – qui affecteraient nécessairement d’autres services considérés par le gouvernement comme moins « prioritaires » . Rappelons par ailleurs que des centaines d’emplois de magistrats et de fonctionnaires ont été supprimées ces dernières années en application de la « RGPP » et que les « normes » de charge de travail retenues par l’un des « groupes de travail » créés par le garde des Sceaux après l’affaire dite « de Pornic »sont légitimement contestées par de nombreux juges de l’application des peines (un seul exemple : un dossier JAP = un dossier TAP selon ces normes, ce qui ne correspond absolument pas à la réalité).
Surtout, le projet ne prévoit aucunement d’augmenter les effectifs fixes des services d’insertion et de probation (SPIP), qui sont pourtant en première ligne pour veiller au respect des mesures de mise à l’épreuve, de suivi socio-judiciaire et de surveillance judiciaire. Le Syndicat de la magistrature s’associe aux syndicats des personnels pénitentiaires pour demander un renforcement substantiel et pérenne de ces services.
Le texte prévoit par ailleurs d’appliquer la « méthologie Lean » aux services de l’exécution et de l’application des peines dans une logique de recherche d’efficacité (page 19). Le programme « Lean services judiciaires » initié en 2010 dans trois cours d’appel pilotes (Poitiers, Rouen et Montpellier) s’est pourtant révélé totalement inadapté à la spécificité du travail juridictionnel, comme le Syndicat de la magistrature l’a indiqué au garde des Sceaux par courrier du 3 novembre 2011. Une nouvelle fois, la Chancellerie prétend donc faire du neuf avec du (déjà) vieux, de l’efficace avec de l’effarant. Les mauvaises recettes ont la vie dure...
Le projet prévoit enfin de généraliser les bureaux d’exécution des peines (BEX) et d’aide aux victimes (BAV) dans les juridictions. Une telle généralisation est évidemment souhaitable, mais elle doit, pour être effective, s’accompagner de créations de postes. Or, à ce sujet, le texte reste opportunément évasif. S’agissant des BEX, le gouvernement se contente d’indiquer que « les besoins des juridictions sont évalués à 207 emplois de greffiers et d’agents de catégories C » sans évoquer de créations, ni a fortiori de créations nettes (page 20). S’agissant des BAV, les besoins en effectifs ne sont même pas précisés (page 21). Ici encore, des logiques de redéploiement sont à craindre, au détriment d’autres services et notamment, en ce qui concerne les BEX, des circuits « longs » qui risquent d’être encore plus longs...
II. « Renforcer les capacités de prévention de la récidive »
1) « Mieux évaluer le profil des personnes condamnées »
* « Généraliser le diagnostic à visée criminologique et le suivi différencié du SPIP »
L'évaluation de la « dangerosité » est devenue l’orientation majeure des lois votées ces dernières années en matière d’exécution des peines. En réalité, il faudrait substituer à ce concept de « dangerosité », contesté par les psychiatres et dont les contours doivent nécessairement être précisés, celui de « risque de récidive ».
A titre liminaire, le Syndicat de la magistrature rappelle qu'aucune évaluation, qu'elle soit clinique, « criminologique », statistique, ne permettra jamais de prévoir avec certitude le devenir d'une personne et sa propension au passage à l'acte délictueux. Il est de la responsabilité politique de ne pas entretenir auprès de nos concitoyens l'illusion d'une science prédictive en la matière.
Ceci étant, l'identification des facteurs de risque devrait permettre d'adapter au cas par cas le suivi des personnes condamnées. A ce titre, le Syndicat de la magistrature est favorable à l'évaluation du risque de récidive qui doit se faire dans le cadre d'approches pluridisciplinaires et de réflexions collectives entre les professionnels.
Pour autant, la manière dont a été conçu l'outil principal d'évaluation des profils des personnes condamnées, à savoir le « diagnostic à visée criminologique » (DAVC) nous semble critiquable. Le DAVC risque en conséquence de n'être qu'un « gadget » d'affichage aboutissant dans les faits à des suivis standardisés et inadaptés aux problématiques des personnes condamnées.
Le DAVC a été élaboré par la Direction de l'administration pénitentiaire et expérimenté dans quelques services. Il est écrit à la page 23 que ce dispositif d'évaluation a été « expérimenté avec succès dans trois sites ». Or, le SNEPAP-FSU déplore que cet outil n’ait fait l’objet d’aucune évaluation opérationnelle tandis qu’à plusieurs reprises, la CGT-pénitentiaire a fait valoir que l'administration s'était bien gardée de rendre publics les conclusions et les comptes rendus des réunions du comité de suivi du DAVC. Alors que la généralisation de cet outil est envisagée, il nous semble que le Parlement devrait pouvoir a minima être informé de manière complète des résultats de son expérimentation dans les trois sites pilotes.
S'ajoute à cela le problème de l'intégration du DAVC dans l'application informatique « APPI » utilisée par les juges de l’application des peines et les services pénitentiaires. Cette application n'a fait l'objet d'aucun visa de la CNIL, d'aucune présentation au Conseil d'Etat et n'est pas mentionnée dans le Code de procédure pénale. Le ministère de la justice a donc été contraint, plusieurs années après la mise en ligne de ce programme, de consulter les instances compétentes pour valider « APPI » et devrait en outre prendre les dispositions réglementaires qui s’imposent.
Surtout, le contenu même du DAVC pose problème. Alors qu'il est présenté comme un outil d'évaluation criminologique, la lecture des items retenus n'a que peu de rapport avec son objet. Les inspections générales des finances et des services judiciaires ont d’ailleurs souligné dans un récent rapport que la grille d’évaluation du DAVC était « excessivement complexe et prescriptive ».
En réalité, le DAVC se présente comme un outil lourd et peu exploitable. Ainsi, la simple saisie des éléments prend a minima trois quart d'heures. Le risque est grand que les entretiens de prise en charge des personnes condamnées, en milieu fermé comme en milieu ouvert, par les personnels des SPIP ne se réduisent au recueil de ces éléments codifiés, d'autant que la pression hiérarchique sera forte, au nom de l'uniformisation des pratiques, pour que les agents se consacrent prioritairement à cette tâche. Il est d'ailleurs question de leur imposer un délai pour réaliser ce diagnostic, ce qui est inacceptable. Lorsque l'on sait l'état de pénurie des services d'insertion et de probation – cruellement mis en lumière par l'affaire de Pornic et déjà souligné par un rapport de la Cour des comptes en juillet 2010 –, on mesure les difficultés considérables auxquelles vont être confrontés les personnels pour répondre à cette nouvelle exigence. Ce travail se fera au détriment d'autres types d'entretiens plus personnalisés, de réunions de synthèse entre collègues, de visites à domicile ou d'activités de partenariat.
Par ailleurs, les agents des SPIP redoutent un appauvrissement de leurs pratiques professionnelles au travers de cet outil pour lequel aucune formation ne leur a été dispensée. Si certains items permettent de faire des développements écrits et donc de nuancer le diagnostic, en revanche les conclusions sont systématiquement conçues pour recevoir une réponse réductrice consistant à choisir entre trois possibilités (« acquis », « non acquis », « en voie d'acquisition »). Compte tenu de l'importance que cet outil a vocation à prendre et des champs couverts par les items (situation pénale, familiale, sociale, professionnelle, financière, évaluation de la capacité au changement...), il est à craindre qu'à terme, ce DAVC ne finisse par se substituer aux rapports écrits que les travailleurs sociaux transmettent aux juges de l'application des peines pour leur rendre compte du déroulement du suivi et de l'évolution de la personne.
En définitive, il apparaît que le DAVC poursuit un autre objectif que celui de l'évaluation proprement dite du risque de récidive dans la mesure où il est lié à l'objectif dit de « segmentation » des suivis. Ainsi, le DAVC doit permettre d'orienter la personne vers un type de suivi et donc aboutir à la prescription d'une prise en charge pré-définie dans ses modalités et son contenu, non pas en fonction des besoins identifiés au cas par cas, mais en fonction des ressources de chaque service.
Le Syndicat de la magistrature estime en conséquence qu'en l'état actuel, l'outil d'évaluation du risque de récidive doit être profondément repensé tant dans la méthodologie déployée, dans son contenu que dans sa finalité.
* « Créer trois nouveaux centres nationaux d'évaluation »
Le travail d'évaluation du risque de récidive s'avère particulièrement important pour les personnes condamnées à de lourdes peines d'emprisonnement. Actuellement, seul le centre national d'orientation de Fresnes est dédié à cette mission. Aussi, la création de trois nouveaux centres nationaux d'évaluation permettra de mieux répondre aux besoins. Cinquante emplois sont programmés au titre de cette mission : il conviendrait néanmoins d'en préciser la nature (personnels pénitentiaires, psychiatres ou psychologues ?).
* « Renforcer la pluridisciplinarité des expertises »
Jusqu'à présent, les dispositions relatives à la libération conditionnelle des personnes condamnées à dix ans au moins pour crime aggravé ou commis sur un mineur mentionnaient la nécessité d'une expertise médicale réalisée par deux experts. Cela excluait de fait la possibilité de recourir à l'expertise d'un psychologue. L'article 6 du présent projet de loi propose d'élargir les possibilités de choix par le juge de l'application des peines de la spécialité de l'expert. Dans certains cas, il peut en effet s'avérer utile de faire appel à un psychologue pour évaluer par exemple les capacités cognitives du sujet ou certains aspects de sa personnalité.
* « Augmenter le nombre d'experts psychiatres judiciaires »
Le Syndicat de la magistrature ne peut qu'approuver cet objectif. En effet, ces dernières années, le législateur n'a cessé de multiplier les hypothèses dans lesquelles une expertise psychiatrique est rendue obligatoire. Dans le même temps, le nombre de médecins psychiatres inscrits sur les listes d'experts s'est révélé nettement insuffisant et la faible rémunération de cette mission conjuguée aux délais très longs de paiement des frais de justice a découragé nombre d'entre eux.
La première solution envisagée par le texte présente un intérêt certain mais reste très limitée dans ses effets. Seuls les médecins du secteur libéral sont concernés par le versement d'une indemnité de 300 euros en supplément du tarif de l'expertise. Or, il faudrait parallèlement revaloriser ce tarif au bénéfice de l'ensemble des médecins et notamment des psychiatres hospitaliers dont les compétences et l'expérience particulières sont indispensables à l'institution judiciaire.
Quant à la mise en place d'un système de bourses en faveur des internes en psychiatrie en échange de leur engagement, d'une part, à prendre en charge des obligations de soins judiciaires et, d'autre part, à s'inscrire sur les listes d'experts et de médecins coordonnateurs, elle apparaît également comme une initiative intéressante pour combler le déficit actuel. Toutefois, si ce projet apporte une réponse en terme de recrutement, il ne règle pas la question de la « fidélisation » de ces nouveaux médecins experts qui pourront quitter ces fonctions au bout de deux années. Un important « turn over » risque de se produire du fait de la faible rémunération de ces missions. Ce phénomène serait préjudiciable à la professionnalisation de ces jeunes médecins à l'égard de publics spécifiques et pourrait créer des ruptures dans le suivi des obligations de soins ou des suivis socio-judiciaires dont les durées sont parfois très longues. En revanche, l'idée du « tutorat » exercé par les anciens experts à l'égard des débutants en vue de leur formation semble pertinente.
2) « Renforcer le suivi des condamnés présentant un risque de récidive, notamment des délinquants sexuels »
Les dispositions relatives aux programmes de prévention de la récidive n'appellent pas d'observations particulières.
Quant à la création d'un établissement spécialisé dans la prise en charge des détenus souffrant de troubles graves de la personnalité, il est nécessaire d'en clarifier la nature : s'il s'agit de détenus ayant besoin de soins psychiatriques que les établissements pénitentiaires « classiques » ne peuvent pas offrir, il est peut-être préférable d'envisager une orientation vers un Service médico-psychiatrique régional (SMPR), une Unité pour malades difficiles (UMD) et, par conséquent, de renforcer les capacités d'accueil de ces structures.
* « S'assurer de l'effectivité des soins »
L'article 5 du projet de loi prévoit que le médecin traitant du condamné incarcéré devra délivrer directement au juge de l'application des peines des attestations relatives au suivi effectif du traitement prescrit dans le cadre des obligations de soins ou au contraire à l'arrêt de ce traitement.
Le Syndicat de la magistrature rappelle qu'une relation thérapeutique entre un patient, fût-il condamné pour une infraction pénale, et son médecin suppose une confiance mutuelle qui passe par le respect du secret médical. L'efficacité des soins dépend aussi de cette règle fondamentale.
C'est la raison pour laquelle la loi du 17 juin 1998 avait conçu un dispositif particulier organisé autour du médecin coordonnateur, intermédiaire entre le médecin traitant et le juge. Ce médecin doit être le garant du respect du secret professionnel.
Or, le projet de loi s'écarte définitivement de ce schéma en instaurant une relation directe entre le juge et le médecin traitant qui intervient en prison. Il place le médecin dans une position intenable, entre le soignant et le « contrôleur judiciaire » qui rend des comptes directement à l'autorité judiciaire. Il n'est ici plus question de l'interface du médecin coordonnateur qui avait déjà été mise à mal par la loi du 10 mars 2010 sur la récidive criminelle, loi qui avait posé les premiers jalons de cette dérive inacceptable qui fait du respect du secret médical une pure fiction.
Cette information donnée par le médecin traitant – lequel s'impose de fait au détenu qui ne dispose pas de la liberté de choix du praticien, un seul médecin intervenant en général en prison – conditionnera l'octroi ou le retrait par le juge de l'application des peines du crédit de réduction de peines, des réductions supplémentaires de peine et d'une éventuelle libération conditionnelle.
Le Syndicat de la magistrature estime que cette disposition scandaleuse instaure une disproportion manifeste entre l'objectif de prévention de la récidive et les droits des patients au respect du secret médical. Il réclame le retrait pur et simple de cet article.
Quant aux mesures destinées à recruter des médecins coordonnateurs et à augmenter le montant des indemnités forfaitaires qui leur sont versées, elles ne peuvent que recevoir l'approbation tant il est vrai que leurs missions se sont considérablement développées et ce, toutes ces dernières années, à moyens constants. L’arrivée de nouveaux médecins coordonnateurs devrait permettre de faire baisser le nombre de dossiers pris en charge par chacun et assurer ainsi une meilleure qualité des suivis.
3) « Renforcer et réorganiser les services d'insertion et de probation pour assurer un meilleur suivi des personnes placées sous main de justice »
* « Mettre en place des équipes mobiles »
La question de la pénurie d'effectifs dans les SPIP a déjà été abordée dans nos observations (cf. supra). Il est pour le moins curieux qu'après avoir nié ce problème pendant des mois après l'affaire « de Pornic », le ministère de la justice reconnaisse aujourd'hui, à travers ce projet de loi, une augmentation substantielle de l'activité des SPIP. Plutôt que d'entreprendre des recrutements d'agents titulaires qui sont indispensables – surtout si l'on suit le scénario imaginé par la Chancellerie d'une augmentation continue du nombre de personnes placées sous main de justice, tant en milieu ouvert qu'en milieu fermé –, le gouvernement fait une nouvelle fois le choix de la mutualisation de la pénurie. Ainsi, des « équipes mobiles » de conseillers d’insertion et de probation (CIP) devront ponctuellement venir renforcer les services surchargés. Ce dispositif signe la consécration dans le service public de la justice du principe de « flexibilité » de la main d'oeuvre, cher aux tenants du néo-libéralisme. En l'état, le projet est bien évidemment taisant sur les conditions de travail de ces « agents mobiles » ou encore l'indemnisation de leurs frais de déplacements...
* « Recentrer les conseillers d'insertion et de probation sur le suivi des personnes condamnées »
L'autre solution imaginée par la Chancellerie pour « économiser » des postes de CIP consiste à externaliser certaines missions. Ainsi, le projet de loi entend confier prioritairement les enquêtes pré-sentencielles ordonnées par le juge d'instruction au « secteur associatif habilité », le SPIP n'intervenant qu'à titre subsidiaire, en l'absence d'un tel secteur. Cette disposition est aberrante : non seulement, elle revient une nouvelle fois à abandonner une mission qui relève directement du service public, mais surtout, elle risque d'aboutir de fait à la disparition de ces « enquêtes sociales » compte tenu des crédits contraints affectés au paiement des frais de justice censés rémunérer ces acteurs privés. Ces enquêtes sont pourtant primordiales puisqu'elles permettent d'envisager les alternatives à une détention provisoire en donnant au juge une vision globale de la situation familiale et professionnelle de la personne mise en examen.
L’article 4 du projet de loi appelle des observations particulières concernant le sort réservé aux éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). En effet, le texte prévoit de modifier les articles 41 et 81 du Code de procédure pénale en supprimant toute référence aux services de la PJJ. Certes, l’ordonnance de 1945 contient des dispositions particulières pour des enquêtes pré-sentencielles concernant des mineurs. Pour autant, il ne faudrait pas que cette rédaction nouvelle implique un glissement dans les faits vers la réalisation des enquêtes pré-sentencielles quasi-exclusivement par le secteur associatif ou, à défaut, le SPIP. A titre d’exemple, au TGI de Paris, les enquêtes sociales concernant les mineurs sont déjà effectuées par une association.
III. « Améliorer la prise en charge des mineurs délinquants »
1) « Réduire les délais de prise en charge par les services de la protection judiciaire de la jeunesse des mesures éducatives prononcées par le juge »
L'article 9 du projet de loi impose une prise en charge par le service éducatif dans un délai de cinq jours à compter de la date de jugement.
Cette disposition traduit un véritable renversement du problème : au lieu de donner à la PJJ les moyens d'assurer une prise en charge rapide et efficace des mesures décidées par le juge, on légifère sur les délais impératifs qui sont imposés aux services.
Certes, le texte envisage « un renforcement ciblé des effectifs dans 29 départements retenus comme prioritaires ». Outre le caractère très imprécis et partiel de cet engagement, il faut rappeler que la PJJ a payé un lourd tribut à la Révision générale des politiques publiques depuis cinq ans. Depuis 2008, 632 emplois ont été supprimés, soit 7% des postes de la PJJ et le budget a été diminué de 6% les quatre dernières années.
La fixation d'un délai de cinq jours risque de n'être en définitive qu'une mesure d'affichage qui n'emportera pas nécessairement l'amorce d'un travail de fond avec le mineur. En effet, il suffira aux chefs de service de convoquer le mineur et ses parents dans le délai imparti pour leur signifier la teneur de la décision du juge et respecter ainsi l'objectif défini par la loi. Cela n'implique pas que le dossier du mineur sera affecté rapidement à un éducateur et que le suivi proprement dit débutera dans un délai proche du jugement.
2) « Accroître la capacité d'accueil dans les centres éducatifs fermés »
Les motifs invoqués par le gouvernement pour justifier la création de nouveaux CEF reposent sur des présupposés qui ne font l'objet d'aucune démonstration : « Depuis leur création, les CEF ont montré qu'ils étaient des outils efficaces contre la réitération et qu'ils offraient une réponse pertinente aux mineurs les plus ancrés dans la délinquance ou qui commettent les actes les plus graves ». Le Syndicat de la magistrature ne saurait se contenter d'une affirmation aussi péremptoire. Dresser un bilan du fonctionnement des CEF nécessite de réaliser des études sérieuses confiées à des instances indépendantes.
Le Syndicat de la magistrature rappelle à cet égard l'avis que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a émis le 1er décembre 2010 à la suite de la visite de quatre CEF. Cet avis publié au Journal officiel offre un condensé des problématiques de fonctionnement des CEF : éducateurs insuffisamment formés affectés dans ces structures, absence de projets de service, « recours abusif, voire usuel, aux moyens de contrainte physique (...) parfois érigée au rang de pratique éducative », carences dans la prise en charge sanitaire notamment psychiatrique et psychologique du fait d'une mauvaise articulation avec le système de soins extérieur à la structure. Cet avis n'est pas exhaustif sur la question du bilan des CEF, mais il a le mérite de mettre en lumière des insuffisances graves qui compromettent la qualité de la prise en charge des mineurs qui y sont placés.
Plus largement, la création de CEF ne saurait épuiser la question de la prise en charge des mineurs délinquants. Or, depuis quelques années, cette structure est l'unique réponse brandie par le gouvernement dans le débat public sur la délinquance juvénile, laquelle fait d'ailleurs l'objet d'une instrumentalisation politique éhontée. Pourtant, tous les professionnels s'accordent à dire qu'il est indispensable de disposer de structures diversifiées qui permettent d'adapter la réponse judiciaire à la situation personnelle du mineur. Or, entre fin 2009 et fin 2011, plus de 130 unités éducatives de la PJJ ont fermé (foyers, unités d'accueil de jour...) et tous les moyens ont été concentrés sur les CEF. Cette tendance risque de s'accentuer puisque le projet de loi programme la création de 25 CEF, 20 d'entre eux étant d'ailleurs créés par transformations de foyers d'hébergement existants afin de réaliser des économies en terme d'investissement.
3) « Développer un suivi pédopsychiatrique dans les CEF »
Nous l'avons rappelé en citant les recommandations du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, les carences dans la prise en charge en CEF des problématiques sanitaires des mineurs nécessitent largement de renforcer l'articulation entre ces centres et les dispositifs psychiatriques de proximité. Plus généralement, les professionnels de l'enfance et de l'adolescence déplorent que le secteur public de la pédopsychiatrie ait été depuis si longtemps oublié des politiques publiques de santé. Faute de moyens et d'une politique ambitieuse en la matière, ce secteur est aujourd'hui largement dévasté et dans l'incapacité de répondre aux besoins dans un pays où le mal être des adolescents est important (cf. Rapport de la Défenseure des enfants en 2007 intitulé « Adolescents en souffrance, plaidoyer pour une véritable prise en charge »).
[1] Lire à cet égard l’étude menée pour la Direction de l’administration pénitentiaire par les chercheurs Annie Kensey et Abdelmalik Benaouda ,« Les risques de récidive des sortants de prison. Une nouvelle évaluation », Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques, mai 2011, n°36.
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