vendredi 16 décembre 2011

La prison, zone de non-droit du travail




La prison, zone de non-droit du travail

Société – Ni salaire minimum ni contrat : les conditions de travail en prison font polémique. Une action en cours aux prud'hommes fera-t-elle changer les choses ? Bastien Bonnefous
Les détenus français n'ont pas attendu la crise économique pour connaître le régime au pain sec. Dans son rapport annuel sur " Les conditions de détention en France " rendu public le 7 décembre, l'Observatoire international des prisons (OIP) assure que le travail en prison " s'exerce dans des conditions dignes du xixe siècle ". Actuellement, les prisonniers exerçant une activité rémunérée derrière les barreaux ne bénéficient d'aucun contrat de travail. Ils signent un simple " contrat d'engagement " avec l'administration pénitentiaire qui leur assure un revenu minimum de 4,03 € de l'heure. Le smic n'existe pas, pas plus que les congés payés. Quant au droit de grève... D'ailleurs, en prison, on n'embauche pas, on ne licencie pas, on " classe " ou on " déclasse ", selon le jargon pénitentiaire. Des décisions qui relèvent de la seule compétence - " du bon vouloir ", dixit l'OIP - des chefs d'établissement.
Ce régime dérogatoire fait de plus en plus polémique, alors que le travail et la formation sont officiellement présentés comme des facteurs de réinsertion. En 2009, durant le débat sur la loi pénitentiaire, la majorité s'était opposée à la reconnaissance d'un contrat de travail, considérant que des " charges financières fortement dissuasives pour les entreprises " leur enlèveraient " tout intérêt à contracter avec l'administration pénitentiaire ". Faux, répond le très libéral Institut Montaigne, lui aussi favorable au contrat de travail, qui préconise la mise en place de crédits d'impôt pour les sociétés implantées en milieu carcéral. En 2010, un détenu sur quatre bénéficie d'un emploi en prison, ce qui constitue un taux d'emploi parmi les plus faibles depuis dix ans. Au total, 7 461 prisonniers travaillent au service général des établissements (cuisine, distribution des repas, nettoyage...), 1 047 au sein d'ateliers de l'administration pénitentiaire et 6 428 pour des sociétés privées. Le travail se limite souvent à du conditionnement à la chaîne (étiquetage de bouteilles, empaquetage de prospectus, mise en boîte de produits...). En 1994, la maison d'arrêt de Strasbourg avait tenté d'attirer les entreprises locales en vantant dans un film publicitaire une "main-d'oeuvre payée au rendement, travaillant douze mois sur douze ", sans "absentéisme " ni " conflits sociaux "...
L'une des clés du débat se trouve peut-être aux prud'hommes de Paris. Le 7 février 2012, le conseil doit examiner la plainte d'une détenue de la maison d'arrêt de Versailles, " déclassée " par l'entreprise pour laquelle elle travaille après avoir passé un appel personnel durant son temps de travail. Estimant qu'il s'agit d'un licenciement abusif, elle veut obtenir le versement d'indemnités. L'enjeu est de taille pour les partisans de -l'application du droit du travail en détention, même si, jusqu'à présent, les prud'hommes se sont toujours déclarés incompétents en pareil cas.