jeudi 23 août 2012

Récidive : comment mettre fin au système «un drame, une loi» ?




La ministre de la Justice, Christiane Taubira, lancera en septembre une «conférence de consensus» sur la récidive. Mais entre politique sécuritaire et refonte profonde du système judiciaire, l’exécutif hésite. Au grand dam du monde pénitentiaire.


Une «conférence de consensus», voilà ce que le ministère de la Justice prévoit d’organiser en septembre pour tenter de régler l'épineuse question de la récidive. Une annonce prévue depuis «plusieurs semaines», explique Pierre Rancé, porte-parole du ministère de la Justice, mais qui intervient quelques jours après l’intervention très ferme de François Hollande à propos de la récidive. Le président de la République avait alors interrompu ses vacances pour rendre hommage à deux gendarmes tuées par balles par un récidiviste venant d'être libéré.
Egalement prononcé après l’arrestation d’un récidiviste soupçonné d’avoir violé des fillettes dans plusieurs campings de l’Ardèche ainsi que peu de temps après les émeutes d’Amiens, le discours du Président a pris un ton sécuritaire. François Hollande a ainsi annoncé «un dispositif de suivi […] des individus les plus dangereux»«Comment comprendre qu’un condamné, qui vient de purger sa peine, puisse ne pas avoir de suivi, de contrôle alors même que le caractère dangereux est encore évident?», s'était-il alors interrogé.
Entre ces propos et l’annonce d’une conférence par le ministère de la justice, le grand écart désoriente les acteurs de la justice et du monde pénitentiaire. «J’espère que les politiques ne vont pas céder au tout sécuritaire et être dans le réactionnel face aux faits divers mais plutôt qu’ils prendront le temps de faire le point», confie Sarah Dindo, co-directrice de la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), qui place de nombreux espoirs dans cette conférence de consensus.
Mardi dernier, l’annonce du président avait provoqué la colère de l’Union syndicale des magistrats (USM). Interrogée sur France info, sa vice-présidente, Virginie Valton, s'était dite déçue du discours du Président. «On a l’impression de se retrouver à nouveau dans le système "un drame, une loi"», avait-elle déploré.
Le point sur ce dossier, en trois questions.

Une conférence de consensus, ça sert à quoi ?

La conférence de consensus sera mise en place à partir du 18 septembre et se déroulera jusqu'à la fin de l’année. Présidé par Nicole Maestracci, présidente de la Cour d’appel de Rouen, le comité d’organisation sera chargé de rassembler des experts, des institutionnels et des intervenants de terrain comme des associations d’aide aux victimes et des associations d’insertion. Un comité qui se veut impartial et qui réunira des organismes issus de différents bords politiques. «Il s’agit de recueillir des données scientifiques qui constitueront un socle commun», explique Pierre Rancé, le porte-parole du ministère de la Justice.
Le concept de «conférence de consensus» est issu des pays nordiques. «L’intérêt est de laisser la parole aux différents experts et de chercher ce qui pourrait faire consensus», explique la co-directrice de l’OIP. Si les politiques ont du mal à accorder leurs violons, «parmi les milieux professionnels, les connaissances plus pointues permettront de déterminer des points communs», poursuit Sarah Dindo.
En 2008, un groupe de travail avait déjà été constitué (le COR, Comité d’orientation restreint pour la loi pénitentiaire), «mais il s’agissait plus d’une consultation» selon Sarah Dindo.«Là, on espère que la réforme ne se fera pas à côté, mais que le consensus des professionnels sera un préalable à la réforme», explique-t-elle.

Quelle est la situation actuelle ?

«Sur le fond, le problème de la récidive est double», estime Christophe Regnard, président de l’Union syndicale des magistrats (USM). «L’accumulation des réformes sur le suivi des condamnés et l’application des peines est impressionnante», constate-t-il. «De 2007 à 2008, une réforme était proposée tous les trois mois : il faut rendre sa cohérence à la justice», prône Christophe Regnard. Pour le président du syndicat, il est donc indispensable de dresser le bilan des lois existantes et d’abolir les textes contre-productifs. «La situation est devenue totalement ingérable pour les magistrats et les textes sont incompréhensibles», déplore-t-il.
Le président de l’USM demande également que soit accordé davantage de moyens au suivi des condamnés : «Contrairement au Canada ou aux Pays-Bas, en France, beaucoup trop de personnes sortent sans être suivies. L’affaire de Pornic a mis en lumière cette réalité». Le fait divers, survenu en janvier 2011, avait en effet mis à jour les failles du système pénal. Au cours de l’enquête sur la mort de Laëtitia Perrais, on apprend que le principal suspect, Tony Meilhon, n'était plus suivi par la justice depuis sa sortie de prison.
«Ceux qui prônent le tout répressif se trompent, tout comme ceux qui valorisent à outrance le milieu ouvert», estime Christophe Regnard pour qui il faut un juste milieu. «Dans le années quatre-vingt-dix, il y a eu une tendance à privilégier les alternatives à la prison : ce furent des échecs à répétition. Aujourd’hui, nous sommes dans une période du tout répressif et cela n’est pas non plus la solution», détaille-t-il.

Comment font les autres pays ?

Parmi les principaux défauts de la politique pénale française, le manque de recherche sur la récidive est également pointé du doigt. En décembre 2011, un rapport de l’OIP sur les conditions de détention en France dénonçait l’inefficacité voire la contre-productivité de la politique carcérale française.
«Les professionnels naviguent à vue», déplore la co-directrice de l’OIP qui explique que d’autres pays ont réussi à évaluer les facteurs de risque chez les récidivistes. «Certains outils sont intéressants, d’autres contestés», mais la recherche avance. Au Canada, au Pays-Bas ou encore en Grande-Bretagne, le système «What works ?» (Qu’est-ce qui fonctionne ?) permet d'établir des données à partir d’un groupe témoin et de déterminer les meilleures mesures à adopter auprès des récidivistes.
Au préalable, une circulaire de politique pénale sera présentée en conseil des ministres le 29 août. Cette circulaire comportera des instructions aux magistrats pour «utiliser au mieux les dispositifs existants», explique Pierre Rancé.

Récidive criminelle : François Hollande va-t-il durcir le ton ?





Alors que Christiane Taubira est taxée de "laxisme", le président de la République veut suivre "les individus les plus dangereux".



En matière de récidive, François Hollande est-il sur la même longueur d'onde que sa ministre de la Justice ? Le dossier n'est pas encore ouvert par la garde des Sceaux que déjà le président de la République promettait mardi à Pierrefeu-du-Var un "dispositif de suivi et de contrôle des individus les plus dangereux". Pourtant, certaines mesures prises par le précédent gouvernement et visant à empêcher la récidive ont été critiquées par Christiane Taubira à plusieurs reprises. Devant la commission des Lois en juillet, la ministre avait manifesté son souhait de mettre fin aux peines-plancher qui, selon elle, ne résolvent rien et "saturent nos prisons". De même, la ministre de la Justice s'était opposée aux rétentions de sûreté dans un entretien au quotidien Libération
Guillaume Larrivé, député UMP de l'Yonne, dénonce sur le site de son parti ce qu'il considère comme des incohérences : "Le discours présidentiel sur la lutte contre la récidive est totalement contredit dans les faits par les choix de politique pénale d'ores et déjà mis en oeuvre par la ministre de la Justice." Jacques Mézard, sénateur (PRG) du Cantal et coauteur, fin juillet, de deux propositions de loi visant à supprimer la rétention de sûreté et les peines-plancher, ne décèle, lui, "aucune incompatibilité" entre le président et sa ministre : "La justice doit avoir les moyens nécessaires pour que les gens aient un véritable suivi judiciaire. Mais on n'est pas obligé de passer par la rétention de sûreté", remarque-t-il.

"Un fait divers, une loi"

"L'accumulation des lois sécuritaires n'est pas un remède à l'insécurité", martèle Jacques Mézard. Et pourtant. Nelly Cremel, Marie-Christine Hodeau, Laëtitia... Ces victimes ont bouleversé l'opinion publique pendant des mois, chacune de ces affaires donnant lieu à une nouvelle loi contre la récidive. En décembre 2005, le placement sous surveillance électronique mobile fait son apparition. À la fin de sa peine, un criminel est ainsi obligé de porter un bracelet électronique qui lui interdit de se rendre dans certains endroits. Avant 2005, le bracelet électronique était utilisé comme aménagement de peine et ne servait qu'à s'assurer de la présence de la personne à son domicile.
En 2007, la loi Dati institue les peines-plancher, une peine minimale prononcée quasi automatiquement en cas de récidive. En février 2008, c'est la rétention de sûreté qui entre dans l'arsenal des juges. Fortement décriée, elle n'est cependant pas encore appliquée. Elle consiste à renfermer un individu à l'issue de sa peine de prison initiale. Le juge argue de troubles de la personnalité ou de sa dangerosité présumée pour l'envoyer dans un centre spécialisé. Le criminel, qui a déjà purgé une peine, en écope donc d'une seconde. Selon les spécialistes, aucune réinsertion n'est envisageable.
À la suite des agissements du "violeur des campings", François Hollande pourrait être tenté de suivre la même ligne que son prédécesseur, Nicolas Sarkozy. Céline Parisot, juge d'application des peines (JAP) à Albertville et secrétaire nationale de l'Union syndicale des magistrats (USM), est fortement opposée à la frénésie législative. "François Hollande est resté assez évasif, nous ne savons pas quelles mesures il compte prendre. Quoi qu'il en soit, nous disposons déjà d'un important arsenal. On ne peut pas surveiller des gens à vie", s'exclame-t-elle.

Changement de méthode ?

Tout comme Christiane Taubira, François Hollande s'était déjà prononcé lors de sa campagne contre les peines-plancher très décriées par de nombreux juristes, au nom du principe - bafoué - de l'individualisation des peines. "Je n'ai pas l'impression d'être un juge laxiste. Pourtant, je remarque qu'un certain nombre de délinquants se retrouvent avec des peines inadaptées par rapport à leur personnalité ou au méfait qu'ils ont commis", témoigne Céline Parisot.
La suppression de la rétention de sûreté pose plus de problèmes. Christiane Taubira a déjà averti qu'elle voulait la supprimer. François Hollande, lui, ne s'est pas encore prononcé.André Vallini, sénateur PS, avait avancé un début de réponse au milieu de la campagne présidentielle. Dans un entretien au Monde.fr, il déclarait : "Il faudrait substituer [à la rétention de sûreté] le renforcement du suivi socio-judiciaire et de la surveillance judiciaire." C'est peut-être à cela que François Hollande pensait lorsqu'il évoquait mardi ces personnes "qui ont achevé leur peine, mais qui doivent encore être surveillées compte tenu de leur caractère dangereux"... La réponse nous sera peut-être apportée à la fin du mois d'août dans une circulaire d'action publique, en cours d'élaboration au ministère de la Justice.
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