« Mais que font nos fous en prison ? » C’est la question posée par le réalisateur Serge Moati, qui signe un documentaire en forme de plongée au cœur de la maladie mentale en milieu carcéral.
Il a volé une valise diplomatique, fait capoter un attentat contre l’arsenal de Toulon et déjoué la surveillance des services secrets de la reine d’Angleterre… L’homme qui déroule ce scénario à la James Bond est assis face au Dr Daban, psychiatre au centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne. Atteint de psychose de type schizophrénique paranoïde, ce détenu refuse tout traitement. Depuis qu’il est incarcéré pour vol à l’étalage, il est « le fou », celui qui promène ses délires de promenades en ateliers, prisonnier à la fois de quatre murs et de sa maladie mentale. Dans le service médico-psychologique régional (SMPR) de Poitiers-Vivonne, il a pourtant, s’il le souhaite, la possibilité d’être soigné. C’est là, dans cet hôpital psychiatrique installé au cœur de la prison, que le réalisateur Serge Moati a choisi de poser sa caméra. Il a rencontré détenus, psychiatres, infirmières et surveillants. Et a glané, hors les murs, la parole d’autres acteurs du monde carcéral sur la place de la folie en prison.
Au SMPR de Poitiers, M. V., condamné à cinq ans de réclusion, exhibe ses bras lardés de cicatrices, traces de ses nombreuses « TS » (tentatives de suicide). Diagnostiqué schizophrène, le jeune homme est hospitalisé. Plus loin, M. T., suicidaire lui aussi, confie sa peur de sortir de prison, de « quitter une jungle pour une autre jungle ». Si ces hommes, à leur demande, sont soignés, d’autres détenus malades, en fait la majorité d’entre eux, sont laissés à leur propre souffrance. Sur 191 prisons en France, vingt-six abritent un SMPR dévolu à la maladie psychiatrique. Faute de place, c’est donc un très petit nombre de détenus qui y passent. Les autres, abandonnés à leur sort ou abrutis de médicaments, sont considérés comme des détenus ordinaires. Entre les murs, on les appelle « les orphelins », confie un ex détenu, les renvoyant ainsi à leur isolement. Interrogée par Serge Moati, la psychiatre Christiane de Beaurepaire, ancienne chef du service du SMPR de Fresnes, rappelle qu’à leur création en 1986, les services médico-psychologiques devaient « prendre en charge les détenus qui pétaient les plombs ». Avant d’asséner : on a assisté à un « dévoiement de l’objectif, en profitant de ce qu’il y avait désormais en prison des psychiatres pour y envoyer de plus en plus de personnes qui emmerdent le monde à l’extérieur ». La fermeture de lits en psychiatrie, la réalité économique – une journée en détention coûte 80 euros, une journée en hôpital psychiatrique, 800 – ont fait le reste. Comme le résume le Dr de Beaurepaire : de plus en plus, les malades mentaux sont jetés à la rue, et la rue mène à la prison… Le code civil prévoit pourtant le cas d’irresponsabilité en cas d’ « abolition du discernement ». Mais, indique l’avocat Serge Portelli, « l’expertise psychiatrique, non obligatoire, est rarement demandée ». Si bien, regrette-t-il, que « la prison est devenue un lieu d’enfermement des fous comme un autre ».
« Le Monde en face : Mes questions sur la folie en prison », mardi 20 mars à 20 h 35 sur France 5