mardi 17 juillet 2012

"On étouffe", écrivent notamment ceux qui sont détenus en Guyane et ont saisi l'Observatoire international des prisons pour dénoncer leur situation.



51 détenus du centre pénitentiaire guyanais de Rémire-Montjoly ont saisi l'OIP (Observatoire international des prisons) pour dénoncer leurs conditions de détention. L'OIP reçoit des plaintes depuis plusieurs années, mais "ça s'est précipité" en mai, selon le coordinateur Outre-Mer pour l'OIP François Bès, qui l'explique par une "dégradation des conditions de détention", un "ras-le-bol général" et "l'espoir de voir l'Etat condamné, comme les 15 détenus de l'établissement qui ont fait condamner l'Etat en octobre 2011 pour conditions de détention indignes."
Tous dénoncent de "déplorables" conditions de détention. "On prépare les recours auprès du tribunal administratif" poursuit François Bès, "ils seront tous déposés pendant l'été."

"Le Nouvel Observateur" a questionné le coordinateur Outre-Mer pour l'OIP François Bès, qui nous a communiqué des extraits de témoignages de détenus.

Quelle est la situation de la prison guyanaise de Rémire-Montjoly ?
- En mai 2012, elle comptait 632 détenus pour 536 places. L'établissement accueille des hommes et des femmes adultes, et des mineurs, en quartier maison d'arrêt et en centre de détention. La situation est bien plus problématique en quartier maison d'arrêt, où le taux d'occupation est de 135,5% (370 détenus pour 273 places), qu'en centre de détention (262 détenus pour 263 places). La plupart des détenus ont déjà écrit au directeur, à l'administration pénitentiaire, à la justice,... Le plus souvent en vain. Beaucoup disent que "rien ne bouge" et dénoncent le peu d'écoute et de réponse.
Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les détenus ?

La surpopulation

En quartier maison d'arrêt, la surpopulation est particulièrement problématique. Notamment à cause de l'obligation d'avoir un matelas supplémentaire au sol. 
Un détenu : "La cellule doit faire 28 m². Pour six détenus, cela est limite. Il n'y a aucune aération et les toilettes sont à proximité du lieu de repas... On étouffe !" 
Un détenu : "Les odeurs des autres détenus parfois sont pénibles et lorsqu'on est à 3 dans une cellule, cela pose des soucis avec ceux qui ne se lavent pas, font du bruit et le problème lorsqu'on se fâche avec l'un d'entre eux, c'est qu'on a peur de se faire tuer pendant notre sommeil."

La violence

- Dans toute la prison, la violence, très liée à la promiscuité, est particulièrement décriée. Certains détenus n'osent pas sortir de leur cellule. On a eu un ou deux cas d'homicides dans l'année. Des armes blanches artisanales circulent. Les agressions sont fréquentes. Certains détenus se mettent à fabriquer des armes pour se défendre... Sans compter les violences contre le personnel.
Un détenu : "Les détenus en promenade n'ont aucune sécurité. Si une bagarre éclate, ou que quelqu'un se fait piquer, il n'y a plus qu'à prier pour que le Samu arrive vite !" 
Un détenu : "Un détenu a été tué lors de la promenade, et les surveillants n'ont rien fait pour l'aider, il a succombé à ses blessures dans la cour de promenade..."

L'hygiène

-La prison de Rémire-Montjoly date de 1998 et n'est pas spécialement vieille. Mais le manque d'entretien a très rapidement accentué sa dégradation. Les particularités de la Guyane n'aident pas : l'humidité permanente et les milliers d'oiseaux dont les fientes recouvrent l'établissement. Les parasites comme les rats, cafards, fourmis ou autres sont nombreux. Les détenus se plaignent de la proximité des WC avec le lieu où ils mangent. Seul un petit muret les séparent. Les douches sont très dégradées par les fientes. Et il n'y pas de WC accessibles pendant les promenades de deux heures.
Un détenu : "Dans notre cellule, les cafards et fourmis sont nos amis. Les toilettes étaient séparées par une cloison en métal, mais celle-ci a été détruite à cause de la saleté. Maintenant, il n'y a plus de porte, du coup on récupère nos tissus, draps pour en faire un rideau. (...) Cela pose problème et crée des disputes lorsque l'un d'entre nous souhaite utiliser les toilettes."

L'alimentation

- Les problèmes concernant l'alimentation sont importants et réguliers. Les détenus disent que la situation est de moins en moins supportable. Quasiment 70% d'entre eux sont sans ressources et dans l'impossibilité d'acheter des produits en cantine. 
Un détenu : "Les repas sont mal faits et immangeables, je suis quand même obligé de manger, mais cela ne suffit pas à mes besoins nutritionnels."
Un détenu : "Maintenant au parloir, ils vous interdisent l'entrée de produits divers de la part de la famille, qui étaient autorisés auparavant. Le problème, c'est qu'à la cantine c'est plus cher qu'à l'extérieur."

Parloirs/fouilles

- Les détenus se plaignent beaucoup des parloirs, de l'absence d'intimité et des fouilles systématiques après les parloirs.
Un détenu : "Je n'ai aucune intimité avec ma famille. Et les parloirs ne sont pas propres."

Le peu d'activité/l'absence de réinsertion

- Il y a très peu d'activité, quasiment pas de travail, et les perspectives de réinsertion sont quasiment nulles. Le manque des moyens est criant pour développer l'alternative à la prison et l'aménagement de peine. La plupart des détenus sont condamnés à des courtes peines qui pourraient être purgées autrement grâce à des aménagements de peines ou des mesures alternatives comme les mesures de probation, le sursis avec mise à l'épreuve, les travaux d'intérêt général (TIG), le bracelet électronique... Mais encore faudrait-il que les collectivités aient les moyens pour débloquer des places de TIG. A Rémire-Montjoly, le taux d'aménagement des peines est beaucoup plus faible que sur le reste du territoire : quand le taux moyen au niveau national est de 19,56%, ce qui est déjà peu, celui de la mission Outre-Mer est de 12,70%.
Un détenu : "Il n'y a aucune activité, aucune structure pour nous aider à repartir sur de bons pieds et éviter de récidiver"
Comment expliquez-vous cette situation ?
- Les prisons d'Outre-Mer ont toujours été délaissées. C'est loin, on en parle moins, et il n'y pas forcément de relais au niveau de l'administration centrale. Ce qui ne veut pas dire que les acteurs locaux ne se battent pas et ne font pas leur maximum, mais ils se heurtent au manque de moyens.
Quelle est, selon vous, la priorité ?
- Faire sortir tous ceux qui peuvent l'être en débloquant les moyens nécessaires à la mise en place de mesures d'alternatives à la prison ou d'aménagements de peine avec accompagnement. Cela désengorgerait déjà considérablement l'établissement. Surtout qu'une journée de peine aménagée coûte beaucoup moins cher qu'une journée en prison. Mais encore faut-il en avoir la volonté.
La situation de cette prison est-elle représentative de celles d'Outre-Mer ?
- Les témoignages recueillis décrivent la situation spécifique de Rémire-Montjoly, mais on peut relever une situation équivalente dans les prisons de Guadeloupe, Martinique, Polynésie, Nouvelle-Calédonie et Mayotte. La situation est un peu différente à la Réunion où une prison neuve, pas encore tout à fait surpeuplée, a ouvert en 2008, et à Saint-Pierre et Miquelon où il y a très peu de détenus.
Des détenus de Toulouse ont également dénoncé dimanche leurs conditions de détention...
La prison du Camp Est de Nouméa vient aussi de rencontrer un refus des détenus de réintégrer leurs cellules. Le ras-le-bol est atteint, et revient régulièrement. 
Qu'en pense le ministère de la Justice ?
"Ces dernières années, la vétusté de certains sites s'est ajoutée aux taux d'occupation en croissance continue" écrit le ministère de la Justice dans un communiqué publié mardi 17 juillet. "Cette situation –particulièrement alarmante dans les outre-mer – est le fruit d'une politique excessivement carcérale avec laquelle la ministre de la Justice entend rompre. (...) Nous proposons d'autres formes de sanctions qui devraient rapidement soulager les conditions d'exercice de notre politique pénitentiaire au quotidien".

Situation carcérale en France : actions prioritaires


Communiqué de presse de Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice

Madame Christiane Taubira, Garde des Sceaux, ministre de la Justice est particulièrement consciente de l’état actuel des établissements pénitentiaires français : ces dernières années la vétusté de certains sites s’est ajoutée aux taux d’occupation en croissance continue.
Cette situation - particulièrement alarmante dans les outre-mer - est le fruit d’une politique excessivement carcérale avec laquelle la ministre de la Justice entend rompre.
La peine d’emprisonnement, souvent nécessaire, n’est pas la seule réponse pénale possible. Nous proposons d’autres formes de sanctions qui devraient rapidement  soulager les conditions d’exercice de notre politique pénitentiaire au quotidien.
Par ailleurs, afin de rendre supportables les délais de mise en œuvre de cette orientation nouvelle, la ministre a demandé que les programmes les plus urgents soient maintenus sur l’ensemble du territoire. Pour les outre-mer cela concerne la Polynésie, Mayotte, la Nouvelle-Calédonie, la Guyane et la Martinique, mais aussi la Guadeloupe pour laquelle des études sont en cours. 
Ces actions prioritaires seront conduites en liaison avec les personnels pénitentiaires dans les établissements concernés, dont la Garde des Sceaux salue la mobilisation constante. 

lundi 16 juillet 2012

Le film " Le Déménagement ", le visage et la voix des détenus


Les prisonniers peuvent-ils apparaître à visage découvert dans un documentaire à la télévision ou faut-il les protéger contre eux-mêmes ? La question est désormais tranchée. Le tribunal administratif de Paris a jugé, vendredi 13 juillet, que les prisonniers avaient le droit de figurer à l'écran sans aucun couvert d'anonymat, annulant l'interdiction de diffusion du documentaire Le Déménagement décidée par l'administration pénitentiaire. Une décision qui constitue une avancée dans le droit d'expression des personnes détenues.
Le film, réalisé par Catherine Rechard et produit par Candela productions, montre le transfèrement en mars 2010 des détenus de la vieille maison d'arrêt Jacques-Cartier de Rennes vers le nouveau centre de détention de Vezin-le-Coquet, situé en périphérie de la ville. Les prisonniers ayant donné leur accord écrit, ils y témoignent à visage découvert.
Entre les deux établissements, le contraste est saisissant. A Jacques-Cartier, les locaux s'effritaient mais les prisonniers pouvaient passer du temps à la fenêtre, voir un peu la vie dehors et échanger dans les couloirs. A Vezin, prototype des prisons modernes, les cellules sont propres mais les couloirs quadrillés de grillages empêchant toute communication. " Dans les anciennes prisons, celui qui avait un mal-être avait toujours quelqu'un à qui parler ", reconnaît un surveillant. " Ici, il y a un joli petit confort, dit un détenu. Mais le confort, on peut s'en passer. On ne peut pas se passer de contact. "
En montrant Vezin, ce beau reportage, sobre et sans commentaire, a dérangé. La projection du film avait été autorisée dans le cadre de festivals et de projections privées mais interdite à la télévision, l'administration pénitentiaire invoquant le " droit à l'oubli " des personnes condamnées. Elle s'appuyait sur l'article 41 de la loi pénitentiaire de 2009 qui dispose que l'administration peut refuser la diffusion " de l'image ou de la voix " d'un condamné dès lors que " cette restriction s'avère nécessaire à la sauvegarde de l'ordre public, à la prévention des infractions, à la protection des droits des victimes ou de ceux des tiers ainsi qu'à la réinsertion des personnes concernées ". Saisi d'un recours hiérarchique, l'ex-garde des sceaux Michel Mercier avait confirmé en 2011 cette décision.
Absence de motivation
Cela faisait des mois que la réalisatrice Catherine Rechard et le producteur rennais Franck Delaunay contestaient cette interdiction et criaient à la censure. Lors de l'audience devant le tribunal administratif, le 5 juillet, le rapporteur public leur avait donné raison en critiquant l'absence de motivation du refus de diffusion : il soulignait que le ministère n'avait pas indiqué " pour quelle raison précise " la diffusion du documentaire contrevenait aux exigences de la loi. " Les décisions attaquées doivent être annulées ", concluait-il. Le tribunal a suivi ses conclusions.
Pour Me Etienne Noël, avocat des requérants, cette décision rend aux détenus " un visage et une volonté "" Il faut que l'administration pénitentiaire se mette dans la tête qu'elle vit dans un monde de droit et motive ses décisions ", conclut-il.

vendredi 13 juillet 2012

http://www.europe1.fr/France/Suicide-d-un-detenu-l-Etat-condamne-1155281/

samedi 7 juillet 2012

Encore à propos du "Déménagement"

Je publie à nouveau un article daté du mois de juillet 2011 à propos de l'interprétation de l'article 41 de la loi pénitentiaire par l'administration  éponyme :




DIMANCHE 24 JUILLET 2011

Faut il placer les personnes détenues sous tutelle ?


Il a souvent été dit que la prison était infantilisante, que les personnes détenues étaient prises en charge par l’administration pénitentiaire à tel point qu’elles en perdaient toute initiative et que, lorsque, par extraordinaire, elles en prenaient, elles risquaient de se trouver confrontées à une éventuelle violation du règlement intérieur, différent d’un établissement pénitentiaire à l’autre dont le corollaire est la mesure d’ordre intérieur, « émanation du pouvoir souverain d’appréciation du chef d’établissement », c’est-à-dire les mesures pouvant être instaurées par le chef d’établissement, insusceptibles de recours puisque sensées ne pas porter grief aux personnes détenues qui y sont soumises (confer le pouvoir disciplinaire antérieurement à l’arrêt MARIE du 17 février 1995 !).

Le Conseil d’Etat a posé une première pierre d’une réflexion sur la question de cette soumission des personnes détenues à l’administration pénitentiaire.

Par deux arrêts en date du 17 décembre 2008, la Juridiction suprême de l’Ordre Administratif a estimé qu’une personne détenue pouvait être considérée comme vulnérable puisque totalement soumise à  l’administration pénitentiaire.

Il est en effet constant qu’une personne détenue (ce n’est pas qu’un « détenu ») est privée de parole, tout d’abord, individuelle puis, collective.

Plusieurs indices récents viennent confirmer cet état de fait, ce, nonobstant la volonté affichée par le Législateur, au travers de la Loi Pénitentiaire du 24 novembre 2009.


En premier lieu, l’affaire dite du « Déménagement ».

Une cinéaste a réalisé un documentaire retraçant le déménagement des personnes détenues et du personnel d’un établissement pénitentiaire Rennais vers un nouvel établissement tout neuf, nouvellement inauguré.

A cette occasion, la réalisatrice, conformément aux dispositions de l’article 41 de la Loi Pénitentiaire du 24 novembre 2009, a pris la précaution de recueillir l’accord exprès des personnes filmées, détenues ou agents de l’administration pénitentiaire, d’apparaître non floutées à l’écran.

Article 41 : « Les personnes détenues doivent consentir par écrit à la diffusion ou à l'utilisation de leur image ou de leur voix lorsque cette diffusion ou cette utilisation est de nature à permettre leur identification.
L'administration pénitentiaire peut s'opposer à la diffusion ou à l'utilisation de l'image ou de la voix d'une personne condamnée, dès lors que cette diffusion ou cette utilisation est de nature à permettre son identification et que cette restriction s'avère nécessaire à la sauvegarde de l'ordre public, à la prévention des infractions, à la protection des droits des victimes ou de ceux des tiers ainsi qu'à la réinsertion de la personne concernée. Pour les prévenus, la diffusion et l'utilisation de leur image ou de leur voix sont autorisées par l'autorité judiciaire ».

Ainsi un certain nombre de personnes détenues et de fonctionnaires de l’administration pénitentiaire ont donné leur accord.

Malgré cela, le Garde des Sceaux refuse obstinément de donner son feu vert à toute diffusion du documentaire au nom du respect de l’anonymat des personnes détenues.

Sauf à établir que la diffusion de l’image d’une personne détenue constitue, soit, un facteur de trouble à l’ordre public, soit, un risque de renouvellement de l’infraction commise par tel ou tel, soit, encore, nuit à la protection des droits des victimes ou des tiers, ce refus, outre qu’il s’oppose à la volonté expresse des personnes concernées en la considérant comme négligeable, démontre que dans l’esprit des responsables de l’administration pénitentiaire, le libre arbitre des personnes détenues, s’agissant de leur vie privée, incluant leur droit à l’image et l’usage qu’ils entendent en faire, principe pourtant rappelé depuis l’origine par l’article 9 du Code Civil, n’existe pas.

A croire, pour employer un langage usuel, que le Garde des Sceaux sait mieux que les personnes détenues ce qui est bon pour eux !

Pourtant, la loi pénitentiaire avait marqué une avancée en restaurant les détenus en tant que personnes dotées de droits ; avancée limitée mais avancée tout de même !

Sauf à supposer qu’à l’instar des personnes placées sous protection, dénuées de libre arbitre, incapables juridiquement de décider par elles-mêmes, car placées sous tutelle, les personnes détenues ne sauraient disposer de leur image, rien ne semble s’opposer à ce qu’elles puissent souhaiter apparaître dans un documentaire qui leur permet de témoigner de leurs conditions de vie.

Ainsi, la Cour Européenne des Droits de l’Homme, par un arrêt en date du 15 janvier 2009, REKLOS et DAVOURLIS c/ GRECE, a estimé, sur le fondement de l’article 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme,  que « L’image d’un individu est l’un des attributs principaux de sa personnalité du fait qu’elle dégage son originalité et lui permet de se différencier de ses congénères. Le droit de la personne à la protection de son image constitue ainsi l’une des composantes essentielles de son épanouissement personnel et présuppose principalement la maîtrise par l’individu de son image. Si pareille maîtrise implique dans la plupart des cas la possibilité pour l’individu de refuser la diffusion de son image, elle comprend en même temps le droit pour lui de s’opposer à la captation, la conservation et la reproduction de celle-ci par autrui ».

A contrario, toute personne, même placée sous main de justice, peut expressément accepter que son image soit diffusée.

En second lieu, le Ministère de la Justice, a pondu une circulaire, en date du 9 juin 2011, destinée à mettre en application l’article 42 de la Loi du 24 novembre 2009, rappelé ci-dessous :

« Toute personne détenue a droit à la confidentialité de ses documents personnels. Ces documents peuvent être confiés au greffe de l'établissement qui les met à la disposition de la personne concernée. Les documents mentionnant le motif d'écrou de la personne détenue sont, dès son arrivée, obligatoirement confiés au greffe ».

Cette circulaire (type de texte que Mathias GUYOMAR, rapporteur public auprès du Conseil d’Etat, qualifie « d’infra-droit »), prévoit dorénavant qu’une personne détenue qui sollicitera la délivrance d’une fiche pénale, c’est-à-dire le document retraçant son parcours carcéral, la nature, la date, le quantum de sa (ou ses) condamnation (s), se la verra refuser au motif que ce document, présent en cellule, permettrait de porter à la connaissance de ses co détenus les raisons de son incarcération, permettant à ces derniers, dans certains cas, par exemple, s’agissant des personnes condamnées pour des infractions à caractère sexuel, d’exercer des pressions ou des représailles tellement est forte l’opprobre frappant ces condamnés.

La fiche pénale  doit maintenant être consultée au greffe judiciaire sans possibilité de communication.

Même s’il est exact, d’une part, que les greffes judiciaires se montrent dorénavant plus souples pour délivrer directement aux avocats les fiches pénales et que, d’autre part, les personnes condamnées pour infractions à caractère sexuel doivent être protégées du reste de la population pénale, il n’en demeure pas moins que le caractère par trop systématique de cette mesure pose, là encore, la question du respect du libre arbitre des personnes détenues par le législateur.

En effet, une personne détenue, avertie des risques qu’elle prend à détenir un tel document en cellule, dès lors qu’elle persiste dans son intention, fait un choix libre et éclairé auquel rien ne justifie que l’on s’oppose, sauf à imaginer qu’il faille le placer sous tutelle, c’est à dire lui enlever tout capacité juridique.

Non, décidemment, les personnes détenues sont bel et bien considérées comme dépourvues de capacité juridique ; il faut d’urgence diligenter autant de mesures de mise sous protection !



Du nouveau à propos du "Déménagement"...

Jeudi  5 juillet, j'ai plaidé devant le Tribunal Administratif de PARIS le recours pour excès de pouvoir que j'avais déposé afin d'obtenir l'annulation des refus de diffusion en l'état du film opposés par l'administration pénitentiaire motif tiré de l'article 41 de la loi pénitentiaire.

J'ai critiqué l'absence totale de motivation des refus; à l'audience, j'ai souhaité que la pénitentiaire ouvre les yeux et constate qu'elle vit désormais dans un monde de Droit qui va même jusqu'à protéger les personnes placées "sous main de justice" si si !! c'est bien vrai puisqu'on vous le dit !

Le rapporteur public a conclu dans le même sens ; c'est vous dire si cette audience s'est bien déroulée !!

Au delà de la question du film, déjà fondamentale en soi, c'est toute la question de l'expression de la volonté des personnes détenues qui est en cause et qui se voit validée par ce jugement (à supposer qu'il soit favorable, mais j'ai de bonnes raisons d'y croire !).

En cas de victoire, les personnes détenues retrouveront un visage mais aussi une volonté (je me permets de vous renvoyer à un article publié dans ce blog intitulé "faut il placer les personnes détenues sous tutelle?") qui doit être prise en compte dès lors qu'elle répond aux critères de l'article 41 par exemple; ils existeront et ne seront plus des ectoplasmes, flous, cachés, extraits du monde; c'est tellement plus facile de rejeter quelqu'un qu'on ne voit pas !

A l'audience, j'ai aussi établi un parallèle entre le film et cette émission, nocive entre toutes, diffusée le dimanche soir sans aucun égard, ni pour les condamnés bien sûr, ni pour les victimes dont le refus éventuel n'est pas pris en compte....personne ne s'est donc demandé si leur traumatisme n'était pas ravivé au sens de l'article 41 de la Loi ?

Et pourquoi ne pas imaginer une procédure fondée sur cette disposition?

En effet, à mon sens, le texte n'exige pas que l'image de la personne détenue ait été prise en  détention et soit actuelle; ce qui est important, c'est qu'il s'agisse de l'image d'une personne qui a été condamnée et qui se trouve détenue au moment où la dite image est diffusée.


Sur le fond, outre que cette émission qui fait entrer un accusé sur le devant de la scène peut nuire aux intérêts des victimes, elle nuit gravement aux chances de réinsertion des personnes concernées directement (j'ai quelques exemples parmi les personnes que j'ai défendues, qui se sont vues supprimer un emploi promis juste après la diffusion de l'émission qui les concernait!).

Par ailleurs, les mêmes, détenus, n'ont pas intérêt à sortir en promenade dans les semaines qui suivent la diffusion...

Non, il n'y aucune proportionnalité entre le but visé par "le Déménagement" et cette émission racoleuse, destinée à exciter les instincts les plus morbides des spectateurs sous prétexte d'information judiciaire.

Puisse ce jugement susciter une telle réflexion...

vendredi 6 juillet 2012

5 juillet 2012 :Adoption du rapport sur la loi pénitentaire du 24 novembre 2009


Je ne résiste pas au plaisir de publier le lien vers la synthèse du rapport d'évaluation de la Loi Pénitentiaire!

En effet, les membres de la commission m'ont fait l'honneur de me convoquer; j'ai ainsi pu leur soumettre plusieurs suggestions de propositions dont certaines ont été retenues:

Proposition n° 16 : rendre possible la libération conditionnelle des personnes âgées de plus de 70 ans même en présence d'une peine de sûreté article 729 du CPP, modifié par la Loi pénitentiaire mais rendu inefficace par le maintien de l'article 720-2 du CPP dont il sera précisé qu'il ne trouve pas à s'appliquer dans les hypothèses visées par l'article 729.

Proposition n° 17 : création du dispositif de suspension de détention provisoire pour raison médicale que je soutiens avec Anne SIMON et Chirine HEYDARI depuis le début de l'année 2011!

http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/commission/capl/documents/synthese_penitentiaire.pdf

Décision du TA Orléans du 14 juin 2012 condamnant l'Etat à raison des conditions de détention au sein de la maison d'arrêt de TOURS, reprise par Lexbase‏





mercredi 4 juillet 2012

surpopulation des prisons d'Ile-de-France au 1er juillet 2012 - données complètes‏

Au 1er juillet 2012, les établissements pénitentiaires d'Ile-de-France présentent une "capacité opérationnelle" de 9377 places. 12746 personnes (11957 au 1er janvier) y sont incarcérées (dont 449 femmes et 192 mineurs). Le taux moyen de surpopulation est de 136%. 

Paris (75)
- Maison d'arrêt de Paris la Santé690 détenus, 483 places, taux d'occupation 143%

Seine-et-Marne (77)
- Centre pénitentiaire de Meaux-ChauconinQuartier maison d'arrêt: 617 détenus, 386 places, taux d'occupation 160%
Quartier centre de détention: 175 détenus, 192 places, taux d'occupation 91%
Quartier nouveau concept (semi-liberté): 56 détenus, 30 places, taux d'occupation 187%
Quartier nouveau concept (peines aménagées): 21 détenus, 30 places, taux d'occupation 70%

- Centre pénitentiaire de Réau (ouvert en octobre 2011)Quartier centre de détention: 408 détenus, 448 places, taux d'occupation 91%
Quartier maison centrale: 21 détenus, 28 places, taux d'occupation 75%
CNE + UAT: 174 détenus, 
231 places, taux d'occupation 75%

- Centre de détention de Melun282 détenus, 308 places, taux d'occupation 92%

- Centre de semi-liberté de Melun47 détenus, 40 places, taux d'occupation 118%


Yvelines (78)
- Maison d'arrêt de Bois d'Arcy777 détenus, 501 places, taux d'occupation 155%
- Maison d'arrêt de VersaillesQuartier maison d'arrêt des femmes: 54 détenues, 58 places, taux d'occupation 93%
Quartier semi-liberté hommes: 61 détenus, 76 places, taux d'occupation 80%
Quartier semi-liberté femmes: 2 détenues, 4 places, taux d'occupation 50%

- Maison centrale de Poissy223 détenus, 235 places, taux d'occupation 95%

- Établissement pour mineurs (EPM) de Porcheville
54 détenus, 60 places, taux d'occupation 90%


Essonne (91)
- Maison d'arrêt de Fleury-MérogisMaison d'arrêt des hommes: 3515 détenus, 2563 places, taux d'occupation 137%
Maison d'arrêt des femmes: 301 détenues, 259 places, taux d'occupation 116%

dont 75 mineurs et 15 mineures

- Centre de semi-liberté de CorbeilQuartier hommes: 96 détenus, 65 places, taux d'occupation 148%
Quartier femmes: 7 détenues, 12 places, taux d'occupation 58%


Hauts-de-Seine (92)
- Maison d'arrêt de Nanterre901 détenus, 593 places, taux d'occupation 152%
dont 17 mineurs


Seine-Saint-Denis (93)
- Maison d'arrêt de Villepinte930 détenus, 587 places, taux d'occupation 158%dont 31 mineurs
- Centre de semi-liberté de Gagny
108 détenus, 48 places, taux d'occupation 225%


Val-de-Marne (94)

- Centre pénitentiaire de Fresnes

Maison d'arrêt des hommes: 2158 détenus, 1348 places, taux d'occupation 160%dont 68 hommes hospitalisés à l'hôpital pénitentiaire et 16 à l'UHSI de la Pitié-SalpêtriêreMaison d'arrêt des femmes: 85 détenues, 96 places, taux d'occupation 89%
dont 1 femme hospitalisée à l'hôpital pénitentiaire et 2 à l'UHSI de la Pitié-Salpêtriêre
Quartier semi-liberté de Villejuif: 117 détenus, 76 places, taux d'occupation 154%
Quartier pour peines aménagées de Villejuif: 31 détenus, 40 places, taux d'occupation 78%


Val d'Oise (95)
- Maison d'arrêt d'Osny835 détenus, 580 places, taux d'occupation 144%

Sortir de prison avec 30 euros en poche : vous avez dit réinsertion ?

http://www.rue89.com/2012/07/03/sortir-de-prison-avec-30-euros-en-poche-vous-avez-dit-reinsertion-233549

Le Monde: L’Etat condamné après la mort d’un détenu à Rouen - blog de F.Johannes

http://libertes.blog.lemonde.fr/2012/07/04/letat-condamne-apres-la-mort-dun-detenu-a-rouen/


Il a appelé à l'aide, un surveillant est arrivé très vite devant la porte de la cellule et a essayé de le raisonner. Après tout, c'était la nuit du réveillon. Mais David G. a soigneusement attaché la housse de son matelas à un barreau de la fenêtre, en a éprouvé la solidité, il a fait un noeud coulant qu'il s'est passé autour du cou. Le gardien a vu les préparatifs par l'oeilleton, et l'a supplié d'arrêter.
David, 22 ans, est mort pendu, dans la nuit du 31 décembre 2009, à la maison d'arrêt de Rouen, sous les yeux horrifiés du surveillant. Le gardien n'a pas pu entrer : il n'avait pas les clés. L'Etat a été condamné le 21 juin par le tribunal administratif de Rouen à verser 8 000 euros à la mère du détenu, 4 000 à son frère. Et à rembourser les frais d'obsèques.
David G. a passé la plus grande partie de son enfance en famille d'accueil ou en foyer, il a été condamné à de courtes peines pour violences, et souffrait de troubles psychiatriques - comme un bon quart des détenus en France. Il a été hospitalisé d'office à deux reprises avant son suicide, et a ensuite été placé au service médico-psychologique régional (SMPR) de la maison d'arrêt de Rouen, avec un suivi et une surveillance renforcée : on s'inquiétait de ses comportements agressifs ou suicidaires. En quinze jours de détention, il n'a pas reçu une visite ou un courrier de sa famille.
Ce soir-là, il a appelé à l'interphone le surveillant de garde, qui lui a parlé jusqu'à ce que le gardien qui faisait l'une des douze rondes de nuit puisse passer. Le détenu a dit à l'homme de ronde qu'il « n'allait pas bien et voulait se pendre ». Le gardien a aussitôt prévenu le gradé de service, qui lui a dit de continuer sa ronde, mais il est resté, et il a parlé, parlé, avec le jeune homme. Comme les secours n'apparaissaient pas, il a rappelé le gradé de service à 1 h 30, qui est enfin arrivé avec les clés et l'équipe du piquet d'intervention cinq à sept minutes plus tard. Trop tard.
Le tribunal administratif de Rouen a estimé qu'« aucun défaut de vigilance, aucune lenteur particulière, aucune erreur de jugement ne pouvaient être imputés aux surveillants », même au gradé qu'il a fallu joindre à deux reprises.
« Obligation de sécurité »
L'homme de ronde n'avait pas les clés des cellules, « pour des raisons de sécurité », et le gradé, un major, était à l'autre bout du bâtiment, dans la salle de repos. Il lui a fallu récupérer dans son bureau la clé de la cellule, la clé de circulation et celle de l'infirmerie, soigneusement enfermées dans un coffre. Le piquet d'intervention a ensuite dû franchir les sept grilles de sécurité avant d'arriver jusqu'à la cellule.
« Cette situation, s'agissant d'un détenu signalé comme instable et atteint de troubles psychiatriques, indique le tribunal, révèle un défaut dans l'organisation et le fonctionnement du service, à l'origine du retard dans l'intervention du personnel pénitentiaire porteur des clés », et ce défaut d'organisation « est susceptible d'engager la responsabilité » de l'administration.
Le ministère de la justice avait au contraire soutenu qu'« aucun dysfonctionnement structurel n'était à noter, dans la mesure où le code de procédure pénale interdit que l'on pénètre dans les cellules la nuit, sauf péril imminent, et nécessite alors l'intervention de deux surveillants ». D'ailleurs pour la chancellerie, les agents n'ont commis aucune erreur. Me Etienne Noël, l'avocat de la famille de David G., a fermement souligné de son côté que « l'administration pénitentiaire était tenue à une obligation de sécurité à l'égard des détenus, sans qu'il soit besoin de prouver une succession de fautes ».
L'Etat a dû rembourser les 2 672 euros de frais d'obsèques. Sur justificatif.