vendredi 9 décembre 2011

L’alarmant réquisitoire des procureurs de la République


«Dans la longue histoire du parquet, c’est sans précédent», commente un procureur, soufflé. Hier, la Conférence nationale des procureurs de la République a rendu publique une résolution signée par 126 des 163 procureurs. Le texte clame «l’urgence de leur donner les conditions d’exercer dignement leurs nombreuses missions». Et demande «la restauration de l’image de leur fonction, gravement altérée auprès de nos concitoyens par le soupçon de leur dépendance à l’égard du pouvoir exécutif».Il n’est pas courant que des magistrats de ce niveau, qui mènent les poursuites et représentent les intérêts de la société, prennent la parole si fermement. Surtout quand ils sont, hiérarchiquement, soumis à la chancellerie.
Soupçons de dépendance
L’alarme émane des procureurs de terrain. Avec leur équipe (vice-proc et jeunes substituts), ils organisent la lutte contre la délinquance, touchent au plus près la souffrance et parfois la misère. Mais les récentes nominations de magistrats réputés proches du pouvoir aux postes les plus sensibles, comme le climat de scandales politico-financiers, jettent un «soupçon permanent» sur leurs décisions. «A l’audience, des prévenus m’interpellent sur mon indépendance à l’égard du pouvoir !» témoigne une procureure de l’Est. Le texte appelle à renforcer le contrôle du Conseil supérieur de la magistrature sur les nominations (il n’a aujourd’hui qu’un avis consultatif sur les choix du garde des Sceaux).
Manque de moyens
Il y a aussi «l’angoisse», qu’a confiée Robert Gelli, président de la Conférence et procureur de Nîmes. Celle «de découvrir qu’un homme, dont les violences étaient signalées dans un dossier sous une de nos piles, en attente de traitement faute de temps, a finalement tué quelqu’un». Or, l’accumulation de réformes«au nom de logiques parfois contradictoires» a multiplié les missions des procureurs sans leur donner les moyens d’y répondre (il y a en France 3 parquetiers pour 100 000 habitants, contre 10 en moyenne européenne). «Nos magistrats sont au bord de la rupture, conclut Gelli. Les jeunes quittent le parquet, où ils se disent sans arrêt qu’ils n’arrivent pas à faire face.»