samedi 26 mai 2012

La Norvège vous accueille dans "la plus belle prison du monde‏"!



http://www.gentside.com/insolite/la-norvege-vous-accueille-dans-la-plus-belle-prison-du-monde_art40873.html


Créée en août 2007, cette prison se situe en Norvège sur une petite île parsemée de pins et de chalets en bois. Malgré les apparences, ce n’est pas une destination pour vacanciers ou amoureux de la nature, mais bien un centre pénitencier.
La prison de Bastoy est surnommée "la plus belle prison du monde" et ce n’est sûrement pas loin d’être vrai. Si les détenus n’ont pas à leur disposition des suites royales ou le petit déjeuner au lit, ils jouissent néanmoins d’une grande autonomie dans un cadre idyllique. Objectif : favoriser la réinsertion dans la société en leur inculquant des valeurs écologistes et humanistes.
L’éducation plutôt que la punition
Les gardiens ne portent pas souvent leurs uniformes et ressemblent plus à des chefs d’équipes de travailleurs extérieurs qu’à des surveillants. Les prisonniers quand à eux passent le plus clair de leur temps en dehors de leurs cellules pour travailler en plein air à l’élevage, l’agriculture biologique ou àprendre des cours en vue de leur réinsertion. Les cellules n’en sont d’ailleurs pas puisqu'il s'agit de chambres et de bungalows dont les détenus ont la clé.
Dans cette prison, les détenus sont avant tout considérés comme des humains qui se sont écartés du droit de chemin et à qui il faut réapprendre certaines valeurs. On leur enseigne ainsi à s’entraider les uns les autres, à établir et conserver un climat de confiance et à prendre conscience de la valeur du travail. Prônant l’agriculture biologique, sans engrais ni pesticide, la prison donne un réel savoir-faire à ses pensionnaires et ceux-ci pourront plus aisément trouver du travail et mettre à profit leurs connaissances une fois libérés.
Les 115 détenus de l’île peuvent également profiter du beau temps pendant les mois d’été et s’adonner à des loisirs inhabituels pour une prison : se balader sur le bord de mer, jouer au tennis, pêcher… Mais ce qui ressemble à une escapade romantique reste un lieu de sanction. Aussi, les prisonniers ne sont pas des petits voyous, certains étant là pour avoir commis des crimes graves comme un meurtre ou un viol.
Une expérience qui semble probante
La Norvège possède l’un des taux d’incarcération les plus faibles d’Europe. La moyenne européenne est d’environ 130 prisonniers pour 100 000 habitants, tandis que le pays affiche n’est qu’à environ 70 prisonniers pour 100 000 habitants. Cela permet au pays de se livrer régulièrement à des expériences pour améliorer toujours plus les conditions de détention.
Ce système pénitencier particulier est sujet à polémique, même en Norvège : comment se fait-il que ces dangereux individus bénéficient d’un tel traitement, d’autant plus que certains bons citoyens n’ont pas l’opportunité de partir en vacances ou de s’adonner à de tels loisirs ? "Oui, nous avons créé un camp de vacances pour les criminels ici, et alors?", a déclaré le gouverneur Arne Kvernvik Nilsen. "Nous devons réduire le risque de récidive au maximum, car si nous ne le faisons pas, quel est le but de la peine : exacerber le côté primitif de l'humanité ?"
"Ici, on a la chance de se voir offrir un second départ" 
Aussi incongru que cela paraisse, le taux de récidive de la prison de Bastoy n’est que de 16%, ce qui est bien inférieur à certaines autres prisons du pays, plus classiques, qui avoisinent les 30%. En comparaison avec les prisons américaines, dont l’univers carcéral est emblématique pour nombreux d’entre nous au travers de la télévision et du cinéma, ce taux de 16% est dérisoire.
"C’est toujours une prison dans votre esprit, vous ne pouvez pas l’oublier", a déclaré un détenu. Pourtant, presqu'aucun n’a essayé de s’évader, alors même que cela est assez facile à accomplir. "On a fait des erreurs et on en est conscient. Ici, on a la chance de se voir offrir un second départ. Et puis, pour rien au monde je ne voudrais aller dans un quartier de haute sécurité, enfermé à longueur de journée".

mercredi 23 mai 2012

Le CGLPL constate « une grande misère des institutions qui gèrent la privation de liberté » (Virginie Bianchi)‏



Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté constate « une grande misère des institutions qui gèrent la privation de liberté », indique Virginie Bianchi, avocate et membre duCGLPL. Elle s'exprimait lors du séminaire de recherche « Enfermements, justice et libertés dans les sociétés contemporaines » organisé par le centre d'histoire sociale du XXe siècle, mardi 15 mai 2012 à Paris. Paul Louchouarn, inspecteur des services pénitentiaires, estime pour sa part que « le changement de gouvernement et la future politique pénale aura certainement une influence sur la situation des établissements pénitentiaires, sur le programme immobilier. Il y a un vrai regard à porter sur ce que devient la prison, sur l'approche du métier de surveillant, le respect porté à la personne détenue et 'l'extension du domaine de la violence' ». 

Cet ancien directeur du centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis (Essonne) constate que « dans les établissements pénitentiaires, depuis un certain nombre d'années, il y a moins de place pour la parole. Les pratiques professionnelles laissent moins de temps aux échanges et conduisent les personnels à intervenir physiquement et à utiliser des moyens de contrainte beaucoup plus rapidement que ce [qu'il a] connu en début de carrière ». 

Il affirme que « le débat autour de la prison s'est trop concentré sur le parc immobilier, sur la surpopulation, qui sont des problèmes qu'il faudrait arriver à régler, mais qui sont artificiels ». Pour lui, « bien souvent le débat est parasité par des questions que ne devraient pas se poser ». Il donne ainsi l'exemple du centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis, qui a été en partie rénové. « On a mis des personnes détenues, hébergées dans des conditions épouvantables dans des lieux insalubres, dans les locaux neufs avec des douches en cellule… Cela ne change rien sur le fonctionnement global, le niveau de violence, d'incidents… Le problème est ailleurs. »

LEVIER D'ACTION POUR LES CHEFS D'ÉTABLISSEMENT
Interrogé sur les conséquences des rapports du CGLPL, Virginie Bianchi assure que « quel que soit le type d'établissement, ce qui est du domaine du chef d'établissement est assez rapidement suivi d'effets ». Elle remarque que « certaines revendications portées par des chefs d'établissement en matière matérielle qui sont relayées par le biais des observations du contrôleur permettent parfois de débloquer des situations ». Paul Louchouarn confirme que « la visite du contrôleur constitue un levier potentiel pour un chef d'établissement pénitentiaire ». Il pointe « les difficultés et les résistances qu'un chef d'établissement rencontre lorsqu'il souhaite faire évoluer des fonctionnements » et précise que « les constats du CGLPL peuvent aider à l'élaboration d'une feuille de route et à faire tomber un certain nombre de facteurs de résistance ». 

Jean-Michel Dejenne, secrétaire national du Syndicat national des directeurs pénitentiaires, souligne également que la visite des contrôleurs du CGLPL « permet un état des lieux externalisé qui ne coûte rien » à l'administration pénitentiaire. « Cela donne une radiographie des établissements intéressante et qui va relativement loin. C'est une opportunité nouvelle de repartir à la bataille sur des pratiques professionnelles, des instructions, des modes de fonctionnement qui ne nous satisfont pas », explique-t-il.

Virginie Bianchi pointe cependant les aspects pour lesquels « les moyens d'action [du CGLPL] sont plus limités ». Il s'agit des « problèmes de structures, parce que ce ne sont pas des problèmes matériels mais politiques : la taille des établissements, la manière dont on les organise, l'évolution du parc pénitentiaire… » Elle souligne également que « la position de la direction de l'administration pénitentiaire est très différente de celle des chefs d'établissement. Ces derniers nous accueillent sans souci, mais les relations d'institution à institution sont beaucoup plus problématiques ».

UNE INSTITUTION QUI « REPOSE SUR UN HOMME »
S'il affirme que les rapports du CGLPL « ne sont pas perçus comme une menace », Jean-Michel Dejenne regrette cependant « que la communication de l'institution soit concentrée par Jean-Marie Delarue ». Il estime en effet qu'il a « pu avoir des mots malheureux », notamment sur les fouilles, « entendus comme une mise en accusation sur une institution toute entière ». Il indique que « les déclarations de Jean-Marie Delarue ont une tonalité militante qui peut braquer une partie de l'institution qui, pourtant, a priori lui est favorable ». Un avis partagé par l'organisateur du séminaire, le directeur de recherche au CNRS Pierre-Victor Tournier pour qui Jean-Marie Delarue a fait « des déclarations foncièrement militantes qui dépassent sa fonction ».

Le contrôleur général avait notamment indiqué, lors d'une audition par la commission des Lois du Sénat en mars 2012 (AEF Sécurité globale n°5558) que « les surveillants sont très attachés aux fouilles systématiques », non pour des « raisons de sécurité », car « si l'on introduit un gramme de cannabis ou un billet de banque dans les prisons, cela ne menace pas la sécurité. Par contre, les fouilles systématiques sont un élément essentiel pour l'autorité des surveillants ».

Pour Virginie Bianchi, « l'institution repose - et c'est d'ailleurs sa fragilité - sur un homme et sur sa personnalité ». Elle estime que Jean-Marie Delarue n'est « pas militant, mais fort investi de sa mission ». Elle souligne cependant que la fouille est « un geste très humiliant pour celui qui subit et pour celui qui fouille. Nous ne pensons pas que l'administration pénitentiaire préconise la fouille pour humilier les détenus ». Elle affirme néanmoins que les membres du CGLPL « ne peuvent s'abstraire totalement d'un regard sur la politique pénale. La manière dont cela se formule est un autre problème ».

ÉVOLUTION DU REGARD DES INSPECTEURS DES SERVICES PÉNITENTIAIRES
Paul Louchouarn décrit par ailleurs les relations de l'inspection des services pénitentiaires avec le CGLPL et leurs différences. Il indique que l'inspection « est saisie par le garde des Sceaux sur des événements particuliers. Cependant, une partie des inspecteurs, les inspecteurs territoriaux, ont un programme d'inspections libres, qu'ils font lorsqu'il ne s'est rien passé de grave, pour auditer un établissement pendant plusieurs jours et faire des préconisations ». Il souligne que « la différence essentielle est que l'inspection des services pénitentiaires est énormément centrée sur tous les aspects de sécurité du fonctionnement des établissements. Le CGLPL s'intéresse avant tout aux conditions de prise en charge des personnels »

L'inspection des services pénitentiaires « suit également les préconisations du CGLPL et doit faire des bilans à six mois » des réalisations effectuées suite au rapport des contrôleurs. Paul Louchouarn explique que lorsque des inspecteurs réalisent une visite suite au rapport du contrôleur, ils « sont obligés de s'intéresser aux conditions de prise en charge des personnes détenues. On voit alors un regard différent sur la manière dont ils apprécient le fonctionnement des établissements ». Il affirme que « cela peut avoir un impact à court ou moyen terme sur la manière même dont l'inspection construit ses audits ». Les rapports du CGLPL « oriente le travail des inspecteurs pénitentiaires d'une façon différente que celle constatée jusqu'à maintenant », précise-t-il.

Les juges des enfants soutiennent Christiane Taubira





Les professionnels de la justice des mineurs sont montés au créneau mardi pour soutenir l'intention de la garde des Sceaux Christiane Taubira de supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs et rejeter les accusations de "laxisme" lancées par la droite.
Le fait que Mme Taubira veuille respecter l'engagement de campagne de François Hollande de supprimer ces tribunaux "est pour nous un grand réconfort", a déclaré à l'AFP Catherine Sultan, présidente de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF).

C'était "espéré et attendu", rappelle également le juge Jean-Pierre Rosenczveig sur son blog (www.rosenczveig.com). "La suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs est indispensable", appuie un autre juge des enfants, Eric Bocciarelli, secrétaire national du Syndicat de la magistrature (SM, gauche).
Pour les trois magistrats, l'instauration de ces tribunaux, qui fonctionnent depuis janvier, était emblématique de la défiance de Nicolas Sarkozy à l'égard des juges des enfants qu'il trouvait trop cléments, et de la remise en cause de la spécificité de la justice des mineurs.
Une ordonnance de 1945, texte de référence maintes fois modifié mais dont l'esprit demeure, a posé comme principe que les mineurs devaient être jugés par des juridictions différentes de celles réservées aux adultes et que pour eux, l'éducatif devait primer sur le répressif.
Mais l'ancien président avait pour habitude de dire que les délinquants d'aujourd'hui n'ont plus rien à voir avec ceux de 1945, qu'ils sont plus grands, plus matures et que les plus violents d'entre eux ne devraient pas relever d'un juge des "enfants".
La loi du 10 août 2011 a donc créé les tribunaux correctionnels pour mineurs, composés de trois magistrats professionnels (un juge des enfants et deux juges non spécialisés), chargés de juger les récidivistes de 16 à 18 ans poursuivis pour des infractions passibles d'au moins trois ans de prison.
Jusqu'alors, ces jeunes, comme les autres mineurs, comparaissaient devant un tribunal pour enfants, moins solennel, comprenant un juge des enfants et deux citoyens assesseurs ayant une expérience du monde de l'enfance.
"On a franchi la ligne rouge, c'est une régression majeure", en matière de "spécialisation" des tribunaux, de connaissance des jeunes et de leur parcours, selon Eric Bocciarelli, pour qui ces tribunaux correctionnels sont de surcroît "inutiles".
La justice pénale des mineurs est "performante", juge aussi Pierre Rosenczveig. "Dans 85% des cas, les jeunes dont nous nous préoccupons comme mineurs ne sont plus délinquants une fois devenus majeurs", dit-il, ajoutant par ailleurs que "même grands physiquement, les jeunes qu'(il) côtoie sont malheureusement souvent petits dans leur tête".
Les juges se défendent de tout "angélisme" et assurent que "la priorité éducative n'exclut pas la fermeté".
Christiane Taubira a elle aussi pris soin de souligner, comme François Hollande, qu'il n'était pas question d'être indulgent à l'égard des "petits caïds" qui terrorisent les quartiers. Elle s'est néanmoins attiré de vives critiques de la droite.
"On dit qu'on renoue avec le laxisme, mais cette critique est fausse", affirme Catherine Sultan, en soulignant que "les peines et les mesures que peuvent prononcer les tribunaux correctionnels pour mineurs et les tribunaux pour enfants sont exactement les mêmes".
Et pour les quelques cas dont elle a eu connaissance depuis la création des tribunaux correctionnels pour mineurs, Mme Sultan affirme que leurs décisions ont été ni plus ni moins sévères que celles qu'aurait prises un tribunal pour enfants.

dimanche 20 mai 2012

LYON - Les UHSA, des "hôpitaux-prisons" pour des soins psychiatriques entre les murs

A quand la suspension de peine pour raison médicale pour les personnes atteintes de troubles mentaux ?


LYON - Tous les matins, médecins et infirmiers franchissent un détecteur de métaux, sous l'oeil de gardiens, pour prendre leur poste à l'Unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Lyon, "hôpital-prison" où ils tentent de mener un travail de soins psychiatriques entre les murs.
Car ici, les patients sont des détenus, arrivés en état de crise le plus souvent, pour des séjours de moins de dix semaines en moyenne.
"C'est un hôpital", insiste Pierre, aide-soignant. Les gardiens ne contrôlent que l'entrée de cette structure pilote ouverte en mai 2010.
Depuis, seuls deux autres UHSA sont sortis de terre, à Toulouse et Nancy, contre neuf prévus avant 2012 par le gouvernement sortant. L'UHSA de Lyon avait suscité des critiques, Nicolas Sarkozy envenimant le débat en parlant d'hôpital-prison "pour pédophiles".
Après deux ans de fonctionnement à Lyon, Pierre Lamothe, médecin-chef du service médico-psychologique régional (SMPR) de Lyon, qui a porté le projet, défend une structure permettant d'extraire de l'univers carcéral les détenus souffrant de problèmes psychiatriques.
Ici, que ce soit lors du service des repas ou des promenades, "vous avez toujours un soignant comme interlocuteur" et non des gardiens, "et ça change tout", assure-t-il.
"C'est un outil de soins qu'on a façonné", ajoute le docteur Eve Becache, défendant un "lieu de soins, pas sécuritaire".
L'établissement propose, outre les rendez-vous avec les cinq psychiatres (pour 60 patients), différents ateliers comme l'arthérapie, dans une salle où s'accumulent les sculptures et peintures des patients.
"A la fois, on est au courant de leur histoire, pour savoir où les amener, et on doit l'oublier, parce qu'on travaille avec l'être humain, son côté sain, pas avec son crime", dit Julie Korp, l'arthérapeute américaine du centre, dont la robe jaune vif tranche avec la sobriété du lieu.
Ici, le personnel dit "patient" et non "détenu", "chambre" et non "cellule". Certains détenus ont une clef de leur chambre, avec laquelle ils peuvent sortir à heures fixes, leur porte étant fermée le reste du temps par une double-serrure.
Parmi eux, un schizophrène ayant agressé un couple et leur enfant a été transféré de la maison d'arrêt lyonnaise de Corbas. "J'étais un peu suicidaire. Là j'ai un bon médicament", explique-t-il en recevant dans sa chambre donnant sur le terrain de basket.
Une BD des Schtroumpfs traîne tandis qu'il regarde une émission de téléréalité en attendant le repas de midi, pris en chambre sauf les jours d'atelier de "repas thérapeutique", par petit groupe de quelques patients, pour réapprendre à s'investir dans un projet.
Car certains patients arrivent dans un état de grande détresse, dans cette structure qui prend notamment en charge les détenus suicidaires. A travers le hublot de surveillance des chambres, on voit des hommes prostrés sur leur lit ou faisant les cent pas, l'air hagard.
Une salle de balnéothérapie, avec un bain à bulles, est là pour leur redonner le goût de "prendre soin d'eux-mêmes", dans le cadre du projet de soins. Mais les rasoirs manuels sont interdits et les douches sans tuyau, afin d'éviter les suicides. En deux ans, un patient a réussi à se suicider.
"On ne peut pas faire un travail exhaustif, mais on peut améliorer la qualité relationnelle des patients, pour leur permettre un retour à un soin ambulatoire", en prison, explique Pierre Lamothe, se félicitant que la moitié des 60 patients de l'UHSA y soient à leur demande.
Le docteur Lamothe se dit "totalement sceptique" quant à la poursuite du projet UHSA par le nouveau gouvernement de gauche, pour des raisons "idéologiques" mais aussi budgétaires, la construction d'un UHSA coûtant 20 millions d'euros et son fonctionnement annuel huit millions d'euros, payés par le ministère de la Santé.

jeudi 17 mai 2012

« Je vais voir mon frère en prison. Je tombe sur une copine de fac... »


Décidément, la maison d'arrêt de ROUEN fait couler beaucoup d'encre et devient le lieu de récits authentiques mettant en scène tant ceux qui sont derrière les murs que ceux qui viennent les voir, le temps d'un parloir, pour tenter de nouer, renouer, prolonger des liens que la détention a interrompu !
Il faut bien se le dire, s'en convaincre, la prison crée des victimes par ricochet : les proches, les familles, les enfants, les amis...
Alors, dans ces conditions, pourquoi prolonger encore cette disposition, absurde et uniquement politique, de la Loi du 12 décembre 2005 qui prive les personnes condamnées en récidive de la possibilité de demander une libération conditionnelle pour raison familiale ?
En voilà une bonne idée de réforme, Madame le Garde des Sceaux ! (j'en ai beaucoup d'autres à votre service !)

Lisez donc cet article de RUE 89

Hadja [le prénom a été modifié] connaît bien la prison. Pas comme détenue ou prévenue – non, elle n’a jamais eu affaire à la justice – ni comme surveillante, mais pour visiter des proches.
« Un groupe d’amis vient de tomber. Avant ça, il y a eu mon petit frère. Il y est encore. »
Elle l’a appris par un texto :
« Wech bien ou quoi ? R. est en prison. »
Elle s’arrête, reprend :
« Tu vois ? Pas de dramatisation, c’est la deuxième fois et c’est limite normal… »
Hadja hésite à témoigner, « pas envie d’être à la source d’amalgames » pourtant elle sait qu’il y a un rapport étroit, « en tout cas de là où je viens », entre quartier et prison.
Surpopulation carcérale
65 699 personnes étaient incarcérées dans les prisons françaises au 1er février pour 57 213 places disponibles. Les surveillants de prison qui dénoncent la surpopulation carcérale, bloquent des maisons d’arrêt depuis le mois dernier pour dénoncer cette surpopulation et leurs conditions de travail
« La dernière fois, je vais voir mon frère à la maison d’arrêt. Je tombe sur une copine de fac – depuis, elle a ouvert sa société. Elle venait voir son petit frère, en cellule avec…le mien. On a discuté, reparlé de nos souvenirs, de nos délires, comme si on était dans la rue, alors qu’on attendait notre parloir. »

Le parloir, glaçant et si...familial



La maison d’arrêt (Polel Barel/Rue89)

Je l’accompagne devant la maison d’arrêt, située en périphérie d’un centre-ville, à quelques encablures d’une autoroute. Des familles patientent près d’un arrêt de bus. A quelques mètres, se dressent deux grandes portes rouges. Hadja explique :
« On arrive tous à l’avance. Si t’as même une minute de retard, ton rendez-vous saute. Notre déception n’est rien comparée à celle du détenu qui se prend un parloir fantôme. »
La plupart des gens ont un sac de linge en main. Dessus est inscrit, souvent en noir et en lettres capitales, le nom, prénom et le numéro d’écrou d’un prisonnier.
« Ce sont des vêtements propres qu’on leur remet. En échange, on récupère le sale... c’est comme ça toutes les semaines. »
Un gardien de la paix ouvre une petite porte vingt minutes avant le début du premier parloir. Les visiteurs s’empressent d’entrer, s’installent sur des chaises parsemées dans une petite salle austère aux murs verts, sur lequel une horloge est accrochée. Le bruit des aiguilles résonne, mais il est vite recouvert par un brouhaha.
Une femme, bénévole dans une association qui s’occupe de l’accueil des familles propose des cafés, tandis que des enfants venus voir leur père, frère ou sœur, jouent dans un coin. Ce jour-là, l’ambiance est à la rigolade, comme souvent. Une femme « habituée des lieux », elle aussi, dit :
« T’as vu, y’a plein de nouveaux aujourd’hui. »
Puis elle lance à un gardien : « C’est une entreprise qui tourne bien », provoquant son rire et celui des visiteurs.

« Je vois pas mal de gens de mon quartier »

Un gardien, feuille sous les yeux, lance des noms. Les appelés se placent en ligne devant lui, parfois dans la confusion. Une porte s’ouvre. Je m’arrête là. Hadja raconte ce qu’il y a derrière :
« On arrive dans une petite pièce avec des casiers où l’on range nos effets personnels, genre portable, sac…On donne notre carte d’identité à un gars de la maison d’arrêt. Une fois le détecteur passé, qui sonne souvent à cause des chaussures, nos sacs de linge sont eux aussi passés au crible.
Après l’ouverture et la fermeture de plusieurs portes, nous voilà dans une longue pièce ou deux bancs marron sont installés de part et d’autre. On nous enferme. Un autre gardien arrive. Une liste dans les mains, il nous dispatche dans des pièces numérotées. De l’autre côté, les prisonniers défilent pour se rendre à leur parloir. Je vois pas mal de gens de mon quartier et des quartiers voisins.
Je me surprends à lever la main (trop) souvent, en signe de salut. Des gens que je connais de vue, mais aussi que j’ai fréquenté. Mon frère arrive :
“J’ai changé de cellule, je suis avec un untel et untel.
- Ah ouais, on était au collège ensemble, dans la même classe…
- Je sais oui, il m’a dit.”
Pendant 30 minutes, on va discuter de tout, de rien. Les surveillants gardent un œil. Il me parle de ses conditions de détention. Il me dit que ça va, qu’il n’a aucun souci, que les matons sont réglos. Le parloir s’achève. Là encore, ma main se lève (trop) souvent pour dire au revoir. »
Plus jeune, Hadja se souvient des nombreux messages radios laissés à des détenus, sur les ondes d’une station locale :
« Pendant le ramadan, nos dédicaces étaient diffusées. J’entendais pas mal de noms, de surnoms qui ne m’étaient pas inconnus, bien au contraire. Tous étaient à “Miami”, comme on disait à l’époque. Pour autant, je ne me sentais pas directement touchée. Depuis, ça a changé... »

« Un peu comme prendre une heure de colle »

Cédric, 30 ans, originaire d’une cité d’une ville du Nord a connu la prison. Aujourd’hui rangé, il fait le compte de ses amis d’enfance qui continuent les allers et retours entre le foyer des parents et la maison d’arrêt locale.
« C’est devenu banal d’aller en prison. C’est un peu comme prendre une heure de colle de nos jours. Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est rien, la prison m’a beaucoup changé, j’ai vu que la vie n’était pas un jeu ! Mais d’autres ne voient pas les choses comme moi. »
La perception de la prison a en effet évolué avec « l’explosion de la petite délinquance et le développement des trafics de drogue dans les années 90 », souligne Michel Kokoreff, sociologue des quartiers populaires et professeur de sociologie à l’université Paris VIII :
« Avant la prison était une rupture dans les trajectoires délinquantes. Mais dans les années 90, on a vu que la prison s’insère dans une trajectoire. Lors d’une étude que j’ai faite, il y avait une sorte de compétition parmi les plus jeunes : c’est celui qui avait fait le plus de GAV [garde-à-vue], de prison, à Fleury plus qu’à Nanterre car à Fleury, “c’est plus chaud”, etc.
Il y a une sorte de hiérarchie : “ Moi j’en ai fait plus que toi donc suis plus un bonhomme que toi ”. La prison s’inscrit dans une logique viriliste. C’est un élément de valorisation. Si on a été réglo, on monte d’un cran et dans l’organisation, on peut avoir un statut différent. C’est une forme de promotion sociale interne. Dans ce sens, il y a une banalisation de l’incarcération. »

« Personne n’est fier d’être là »

Entre les murs de la maison d’arrêt la situation reste difficile. Un détenu a accepté de s’exprimer à condition que les raisons de sa détention ne soient pas mentionnées.
« C’est plus difficile qu’on ne veut le faire croire. Devant les familles, on fait genre que tout va bien. Devant les potes, on garde cette même ligne de conduite. On veut garder l’image du mec fort, dans les faits c’est dur. Je vois beaucoup de gens du quartier. On est tous là à faire comme si la situation ne nous atteignait pas mais c’est faux. Ici, crois-moi, personne n’est fier d’être là. Si quelqu’un te dit le contraire, c’est un mytho. »
Si dans les chiffres, il est difficile de constater ce lien entre quartier et prison précise Michel Kokoreff, des élément qualitatifs permettent de l’affirmer :
« Il n’existe pas à ma connaissance de données statistiques indiquant quelle est la part de gens, en particuliers des jeunes issus des quartiers populaires, incarcérés ou sous contrôle judiciaire.
On sait que les pratiques policières et les politiques pénales sont fortement ciblées sur les habitants des quartiers populaires et les populations immigrées et/ou issues de l’immigration. C’est une façon pour les policiers de faire du chiffre et la justice suit le mouvement. Dans ces zones urbaines, l’expérience de la prison est quand même fréquente.
Plus généralement, l’histoire des statistiques pénales montre ceci : les amendes touchent plutôt les classes supérieures, la prison avec sursis les classes moyennes, la prison ferme les classes populaires. »
Pour le sociologue, il faudrait donc trouver des solutions alternatives :
« Les politiques sécuritaires et la surpénalisation des jeunes des quartiers, ça ne marche pas ! Au contraire le remède est pire que le mal. Si le but escompté est d’éviter la récidive, ça n’a pas d’efficacité, car les délinquants y retournent. Il faut envisager d’autres formes de traitement de la délinquance, s’attaquer à ses causes sociales profondes, remettre le paquet sur la prévention spécialisée, la scolarisation, parce que la prison ne résout rien. »

Gouvernement Ayrault: les défis qui attendent Christiane Taubira et son intervention lors des débats sur la Loi Pénitentiaire


La nouvelle Garde des Sceaux devra éviter un été chaud dans les prisons et s'attaquer aux problèmes budgétaires. Elle rendra aussi caduques deux réformes de Nicolas Sarkozy et mettra en oeuvre la loi sur le droit de vote des étrangers. 

Christiane Taubira a été nommée Garde des Sceaux, ministre de la Justice. Elle découvrira quelques dossiers brûlants sur son bureau de la Chancellerie. Elle devra avant tout regagner la confiance des magistrats, et même des avocats, sérieusement ébranlée depuis cinq à dix années. 
Eviter un été chaud dans les prisons
Les établissements pénitentiaires souffrent de surpopulation (11% de détenus en surnombre). Pendant la campagne présidentielle, François Hollande a répété qu'il voulait supprimer la loi de 2007 sur les peines planchers, accusée par bien des magistrats d'envoyer inutilement derrière les barreaux de petits délinquants: des toxicomanes ou des voleurs de petit calibre. Comme il ne sera pas possible de voter une nouvelle loi avant les élections législatives, la ministre de la Justice devra se contenter d'une circulaire invitant les parquets à ne pas faire appel des condamnations qui n'appliquent pas les peines planchers, en rappelant le principe de l'individualisation des peines. C'est-à-dire le contraire de la politique d'automaticité prônée pendant l'ère Sarkozy. Les alternatives à l'incarcération seront encore davantage privilégiées et des moyens dégagées pour les structures d'accueil de délinquants en milieux dits "ouverts". 
S'attaquer aux problèmes budgétaires
Christiane Taubira trouvera une situation budgétaire exécrable. En comparaison de nos voisins européens, ce secteur est globalement le parent pauvre des politiques publiques. Seules les prisons ont obtenu des coups de pouce réguliers. François Hollande s'est d'ailleurs engagé à séparer la gestion budgétaire des tribunaux et de la PJJ, par apport à celle de l'administration pénitentiaire. Les gardes des Sceaux de Nicolas Sarkozy perdaient leurs arbitrages budgétaires à Bercy, notamment face aux ministres de l'Intérieur. Nous verrons très vite si le locataire de la Place Vendôme a la voix qui porte, si son poids politique lui permet de faire de la Justice une réelle priorité, pas seulement pénitentiaire. Si le budget des prisons sera gelé, il y aura très probablement redéploiement, la gauche ayant annoncé qu'elle annulerait le programme de construction de 24 000 places. Il faudra malgré tout consacrer beaucoup d'argent afin de rénover des établissements vieillissants et développer des formes novatrices d'incarcération, comme la "prison Botton", afin que la mission légale d'aide à la réinsertion contre la récidive ne soit pas un vain mot.  
Tribunal correctionnel des mineurs et jurés citoyens: stop
Sans surprise, la ministre de la Justice rendra caduques deux réformes sarkozystes décriées par la gauche. Avant tout la création du tribunal correctionnel pour les mineurs de 16 à 18 ans, qui étaient précédemment jugées par les tribunaux pour enfants. Ensuite, l'introduction de jurys citoyens pour une partie des affaires correctionnelles sera évaluée puis certainement supprimée. La gauche n'est pas hostile au principe de cette réforme mais juge qu'elle n'est pas urgente, alors qu'elle est couteuse, et chronophage pour les magistrats. 
Réformes constitutionnelles
La garde des Sceaux, cela fait partie de ses attributions, devra porter les reformes de la Constitution, qu'il faut obtenir en réunissant trois cinquièmes des parlementaires regroupés en Congrès. A commencer par celle qui concerne directement la Justice: une nouvelle modification du Conseil supérieur de la magistrature. Les personnalités extérieures ne seront plus majoritaires et seront nommées par le Parlement, et les procureurs ne pourront plus être nommés contre son avis, comme le fut Philippe Courroye à Nanterre
Le locataire de la Place Vendôme devra aussi porter deux autres réformes constitutionnelles importantes. Le droit de vote des étrangers, question sensible qui divise les Français. Et la refonte du Conseil constitutionnel, dont les membres seraient alors nommés par le Parlement et les anciens présidents de la République exclus. Une réforme qui intéresse particulièrement le ministère de la Justice depuis que les Sages se transforment en juges suprêmes au travers de l'arrivée en masse des QPC (Questions prioritaires de constitutionalité).  

Pour ordre, il est intéressant de lire cette intervention de Madame TAUBIRA lors des débats sur la Loi Pénitentiaire; c'est de bon augure !


Compte rendu intégral

Première séance du mercredi 16 septembre 2009

Mme la présidente. La parole est à Mme Christiane Taubira.
Mme Christiane Taubira. L’article 1er énonce quelques principes incontestables sur le sens de la peine et les missions du service public pénitentiaire. Mais Mme la garde des sceaux déploie déjà des ruses pour en exonérer la puissance publique. L’une des plus choquantes est l’affirmation que la plupart des détenus ne seraient pas intéressés par l’encellulement individuel, alors qu’on leur propose en fait un choix illusoire, par lequel l’État se défausse.

Les conditions de formation, d’activité, de réinsertion, de ressources minimales, de détresse des malades mentaux et d’éloignement familial réduisant les visites relèvent d’une telle indigence que les attitudes qu’elles induisent ne peuvent être comprises que comme des appels au secours. Et que dire des fouilles au corps et des aménagements de peine ! Les conditions carcérales contredisent les principes affichés dans le texte, dont les déclinaisons pratiques relèvent davantage d’un esprit de vengeance que du sens de la justice. Les pétitions de principe du Gouvernement sont également démenties par la manière dont il présente la responsabilité de l’État.
Hier, le secrétaire d’État s’est dispensé de corriger certaines affirmations erronées, voire fallacieuses sur l’action des gardes des sceaux Mme Guigou et Mme Lebranchu entre 1997 et 2002. Ainsi, loin d’inscrire votre action dans la continuité de l’État, vous la limitez au balancier des alternances partisanes. C’est probablement que la justice, comme l’éducation, sont des domaines régaliens, dans lesquels s’affrontent nettement nos différences de conception de l’homme, de son devenir, des conditions de son émancipation et de la capacité de la société à s’élever au-dessus de ses peurs et de toute forme de rancœur individuelle.
La perception que vous avez des Français dans ce domaine est profondément inexacte. Je n’ai pas le temps de rappeler votre politique de suppression des recettes des collectivités, qui limite leur possibilité de construire des écoles. Je ne peux donc pas vous renvoyer à Victor Hugo. Mais je vous assure que les Français sont infiniment plus généreux et plus mûrs que vous ne l’imaginez. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)



mardi 8 mai 2012

Le point sur la toxicité des pastilles chauffantes en cellule


Un rapport d'expertise médicale confirme la toxicité des pastilles combustibles chauffantes utilisées en cellule

Cuire des pâtes ou préparer un café en cellule peut nuire gravement à la santé. Dans bon nombre de prisons
L'administration pénitentiaire refuse d'autoriser les détenus à utiliser des plaques électriques chauffantes, notamment en raison de l'actuelle vétusté des installations électriques. Pour cuisiner, ceux-ci doivent alors « cantiner »1 des réchauds à pastilles combustibles, commercialisées généralement sous les marques Chof'vit ou Amiflam. Des produits en principe dédiés au camping, comme l'atteste la mention «ne pas utiliser dans une atmosphère confinée » qui figure sur leur emballage. La combustion de ces pastilles libère en effet des vapeurs irritantes pouvant entraîner des gênes (picotements des yeux, irritation de la gorge) et des « symptômes respiratoires (toux douloureuses, expectoration, bronchospasme) »2. Un moindre mal puisque le formaldéhyde, gaz issu de la combustion de ces pastilles, est classé comme « cancérogène avéré chez l'homme » par le Centre international de recherche sur le cancer, rattaché à l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS).

Depuis que l'administration pénitentiaire (AP) a décidé de leur mise en vente en 19963, détenus et personnels soignants s'inquiètent d'une éventuelle toxicité de ces pastilles. Les soupçonnant d'être à l'origine d'une toux chronique et de crises d'asthmes, N.M., incarcéré à Fleury-Mérogis entre décembre 2007 et février 2010, a demandé une expertise médicale. Ordonnée par le tribunal administratif de Versailles le 19 octobre 2009, remise le 10 septembre 2010, l'expertise établit clairement le lien entre la toxicité des pastilles et l'état de santé dégradé de N.M. : « Le déclenchement des symptômes respiratoires est indéniablement lié à l'utilisation des [pastilles] Amiflam », observe le médecin expert. Après avoir souligné leur caractère toxique, l'expert estime que l'utilisation de ces réchauds « devrait être proscrite » en milieu « confiné ». Ce n'est pas la première fois que des autorités sanitaires avertissent l'administration pénitentiaire de la nocivité des réchauds à pastilles combustibles.

En 2005, l'inspection générale des affaires sanitaires (IGAS), interpellée par l'OIP et des plaintes de détenus auprès des services médicaux en prison, avait interrogé l'administration pénitentiaire. En janvier 2007, le comité de coordination de toxicovigilance (CCTV), mandaté par la direction générale de la santé (DGS), observait que « ces pastilles ne devraient pas être utilisées en atmosphère confinée »4, après avoir constaté, lors d'une étude menée à la Maison d'arrêt de Strasbourg, que « neuf détenus sur dix se déclarent gênés par ces pastilles ». Pourtant, ce comité n'a pas tiré les conclusions de ces propres constatations : « il conviendrait de préconiser l'ouverture des fenêtres au moment de leur utilisation. (...) Une petite affiche pourrait être remise à chaque détenu au moment de l'achat de ces pastilles », ont avisé timidement les experts du CCTV. En clair, « une petite affiche » recommandant « l'ouverture de fenêtre » suffirait à faire disparaitre le danger !

Cette précaution n'a pas franchement convaincu la direction régionale des affaires sanitaires et sociales (DRASS) d'Île-de-France. Dans son rapport sur la maison d'arrêt de la Santé, remis en mars 2008, la DRASS relève l'absurdité de cette mesure : « La ventilation des cellules nécessaire à l'usage de ce mode de réchauffement est impossible à respecter dans la disposition d'une cellule »5. Aussi, la DRASS alerte sur la nécessité de changer les systèmes électriques défaillants pour proposer « des plaques chauffantes et des fours à micro-ondes ». Une recommandation identique avait été faite, dés novembre 2007, par la même DRASS, qui épinglait la « nocivité avérée »6 des pastilles utilisées à la MA de Fresnes. Une préconisation passablement ignorée par l'AP qui a préféré se conformer à celle – nettement moins contraignante - du rapport du CCTV. Plus aisé en effet pour l'administration pénitentiaire de diffuser une affiche listant des précautions aussi inapplicables soient-elles, que d'autoriser les détenus à disposer de plaques chauffantes électriques ou de micro-ondes. Équipements nécessitant d'engager de coûteux travaux de rénovation en cas de système électrique défaillant. Aussi, les personnes détenues n'ont-elles eu le droit qu'à des consignes de mise en garde étonnantes (voir les consignes diffusées à la maison d'arrêt de Villepinte).

Diffusée en avril 2008 dans l'ensemble des établissements pénitentiaires, la « notice d'information type relative aux pastilles chauffantes » recommande notamment aux détenus de « pratiquer une aération de la cellule pendant et après la combustion des pastilles ». Or, l'administration sait parfaitement que les cellules ne sauraient être aérées convenablement puisque les fenêtres, de petite taille, sont obstruées par des grillages, des barreaux ou des caillebotis de sécurité. De plus, la notice préconise de « maintenir une certaine distance » lors de l'utilisation des pastilles « afin d'éviter d'inhaler les vapeurs qui s'en dégagent ». Mais, ironise Maitre Dimitri Pincent, avocat de N.M. (lire son interview ci-dessous), « quand on est deux dans 9 m2, on voit mal comment on peut faire pour se tenir éloignés ». Certes, comme le rappelle l'administration pénitentiaire, ces pastilles doivent servir d'« appoint pour réchauffer de l'eau ou une boisson et non pour cuisiner un plat ». Dans ce cas, pourquoi l'administration pénitentiaire vend-elle des produits et plats à cuire (riz, pâtes, conserves) et des ustensiles de cuisine (poêles, casseroles) alors même qu'il n'existe que ce moyen pour les cuisiner ? (voir un bon de cantine de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis).

Le ministère de la Justice a d'ailleurs admis, en février dernier, que « ces pastilles (...) sont nécessaires pour réchauffer des boissons ou des aliments, faute de disposer d'installations électriques supportant la généralisation des plaques chauffantes ». Avant d'ajouter qu'« il n'est pas envisageable actuellement de (les) supprimer » 7. Une posture dénoncée par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) qui n'a pas manqué d'épingler la pérennisation de ce système de cuisson toxique en cellules suite à plusieurs visites d'établissements pénitentiaires, telles à Villefranche-sur-Saône, Chartres, Angers, ou Compiègne. Selon le CGLPL, autoriser les plaques électriques « permettrait de retirer de la cantine l'achat des pastilles combustibles dont l'administration pénitentiaire indique par note le risque cancérigène, ce qui, pour le contrôle général, apparaît pour le moins incohérent... 8».

D'autant que le Contrôleur a pu constater, à la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône, par exemple, que l'absence de mise à disposition de plaques chauffantes, « comme ailleurs, n'est pas due à des obstacles techniques »9, et que « le risque de saturation du réseau électrique pourrait être pris en compte en introduisant principalement des plaques à la puissance limitée ». En s'abritant derrière des consignes hypocrites, la « sensibilisation » de l'administration pénitentiaire sur ce sujet « paraît malheureusement bien factice », écrit Maître Dimitri Pincent, dans une lettre envoyée à la garde des Sceaux, le 14 octobre dernier. Courrier dans lequel il note que « l'administration pénitentiaire n'a pas daigné se déplacer à la réunion de l'expertise médicale du 4 mai 2010, la première sur cette problématique, ni même s'excuser de son absence auprès de l'expert ». Outre une demande d'indemnisation, N.M. souhaite aussi faire interdire l'utilisation de pastilles chauffantes « dans tout établissement pénitentiaire situé sur le territoire français ».



Avocat de N.M., incarcéré à la MA de Fleury-Mérogis entre décembre 2007 et février 2010, Dimitri Pincent cherche à engager la responsabilité de l'Etat pour la mise en vente aux détenus de pastilles chauffantes toxiques.

Quel est l'état de santé de N.M. depuis sa sortie de prison ?
Il souffre toujours d'une faiblesse respiratoire, il crache des déjections jaunâtres et doit suivre un traitement quotidien pour compenser sa gêne respiratoire. Dans son rapport, l'expert dit que l'état de Monsieur N.M. n'est pas a priori susceptible d'amélioration clinique. Une aggravation respiratoire est toujours possible malgré l'arrêt de l'exposition aux pastilles Amiflam. Il est énormément handicapé dans la vie courante, son état de santé n'est pas consolidé aujourd'hui. Si son état clinique devait s'aggraver, il faudrait pratiquer un scanner thoracique en coupes fines et un lavage broncho-alvéolaire, relève le médecin expert.

Que pensez-vous des mises en garde formulées par l'administration pénitentiaire, qui conseille notamment une « aération » lors de l'utilisation de ces pastilles en cellule ? Faut-il comprendre que les détenus doivent ouvrir les barreaux ? 
On en arrive à un principe de bon sens : on ne fait pas de barbecue dans une cuisine ! La marque Amiflam apparaît dans des marchés publics qui ont été lancés par le ministère de la Défense pour les légionnaires ou militaires en opération spéciale. C'est du matériel de camping. C'est parfait pour dehors, mais à l'intérieur, c'est complétement fou, a fortiori dans une cellule. Dans sa notice d'utilisation, l'administration pénitentiaire recommande aussi de veiller « à maintenir une certaine distance lors de l'utilisation de ces pastilles afin d'éviter d'inhaler les vapeurs qui s'en dégagent ». Mais quand on est deux dans 9 m2, on voit mal comment on peut faire pour se tenir éloignés de la flamme d'un réchaud ? L'Etat semble ainsi considérer que le matériel de cuisson des militaires en plein air peut aussi servir aux détenus en milieu confiné.

Quelles actions avez-vous engagé et quelles suites allez-vous donner à cette affaire ?
Avant le rapport d'expertise médicale, j'avais fait une demande indemnitaire, que l'Etat a rejetée. J'ai ensuite saisi le tribunal administratif de Versailles pour demander la condamnation de l'Etat à des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par mon client. Sans attendre le résultat définitif qui prendra du temps, je vais demander une provision en référé10 sur la base du rapport d'expertise, qui met en lumière, dans mon opinion, une faute grossière de l'administration. En effet, cette dernière a vendu une marchandise qui est nocive pour la santé des détenus. Et cela a causé un préjudice pour mon client. Celui-ci souhaite faire interdire la commercialisation de pastilles chauffantes dans tout établissement pénitentiaire situé sur le territoire français. Si l''Etat ne faisait pas droit à cette demande officielle, je présenterai cette demande en justice au nom de cet ancien détenu qui peut personnellement témoigner de la nocivité de ces produits.

1. c'est à dire acheter par le biais d'un système géré par l'administration pénitentiaire ou délégué à une entreprise privée
2. Rapport d'expertise médicale de Monsieur N.M., 10 septembre 2010, remis au Tribunal administratif de Versailles suite à son ordonnance du 19 octobre 2009
3. Mis en vente depuis une circulaire du 10 mai 1996, ces pastilles à réchauds visent à remplacer les « comprimés d'alcool gélifié vendus en cantine comme combustible à réchauds ». Détournés de leur utilisation, ces comprimés pouvaient parfois servir de base pour fabriquer des « breuvages alcoolisés ». Face à la « recrudescence d'incidents provoqués par des détenus en état d'ébriété », la direction de l'administration pénitentiaire les à remplacer « par un produit de substitution solide et non alcoolisé, utilisé notamment par l'armée de terre pour les rations de survie ».
4.Evaluation des risques liés à l'utilisation de l'hexaméthylènetètramine, combustible utilisé en milieu pénitentiaire. CCTV. Janvier 2007.
5.Recommandation 12. Rapport d'inspection sanitaire de la maison d'arrêt de la Santé. Mars 2008.
6. Recommandation 11. Rapport d'inspection sanitaire DRASS de Fresnes, novembre 2007.
7. Réponse du Garde des Sceaux à une question écrite du député Manuel Aeschlimann (UMP), publiée au J.O. le 02/02/2010 p.1170
8. Rapport de visite de la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône, effectuée du 23 au 25 septembre 2008
9.« L'argument avancé parfois par les personnels, selon lequel une plaque chauffante constituerait potentiellement une arme par destination entre les mains des détenus, ne paraît pas devoir être retenu », écrit le Contrôleur lors de sa visite à la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône. A la maison d'arrêt d'Angers, le contrôleur avait noté que « l'absence de plaques chauffantes est en partie justifiée selon la direction par le fait que les détenus s'en serviraient de mode de chauffage en hiver. »
10. « Le référé provision permet de demander une provision (c'est-à-dire une avance) sur une somme due par l'administration. Il faut que l'existence de cette créance ne soit pas sérieusement contestable ». (Source : Ministère de la Justice)


Maison d'arrêt de Fleury-Mérogis (91): La toxicité des pastilles chauffantes vendues par l'administration pénitentiaire de nouveau mise en cause 
 La section française de l'OIP informe des faits suivants:
Incarcéré à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis depuis le 13 décembre 2007, M. Nasser MOSTEFA a développé courant 2008 une pathologie broncho-pulmonaire pour laquelle il est suivi et traité médicalement. Il soupçonne les pastilles chauffantes, unique moyen de cuisson vendu par l'administration pénitentiaire, d'être à l'origine de sa pathologie.
Il a saisi le tribunal administratif de Versailles d'une demande d'expertise à caractère médical et chimique afin d'obtenir confirmation de l'imputabilité de sa pathologie à l'utilisation de ces pastilles chauffantes en cellule. Il projette de mettre en cause la responsabilité de l'Etat et de solliciter la réparation de son préjudice. Il a également, par la voix de son avocat, enjoint la direction de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis de cesser immédiatement la commercialisation de ces pastilles destinées à l'origine à une utilisation en plein air. 
class="texte">Dès 2005, sollicité par l'unité de consultation et de soins ambulatoires (UCSA) de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, le centre anti-poison de Paris avait pointé la dangerosité du formaldéhyde, gaz issu de la combustion de ces pastilles et à l'origine ''d'eczéma, d'urticaire, de rhino-conjonctivite et d'asthme allergique''. Une substance que le centre international de recherche sur le cancer juge cancérigène, mutagène et reprotoxique. En janvier 2007, l'Institut national de veille sanitaire, saisi par la Direction générale de la santé, estimant que ces pastilles pouvaient présenter un risque majeur pour la santé (dégageant en outre de l'ammoniac, des oxydes d'azote et de carbone), avait conclu que « ces pastilles ne devraient pas être utilisées en atmosphère confinée ». 
Le caractère dangereux de ces pastilles a également été constaté par le service médical de la maison d'arrêt de Fresnes (94), qui, dans son rapport d'activité 2007, déplore que « les repas arrivent souvent froids en cellule du fait de l'éloignement des cuisines et de l'étroitesse des couloirs qui ne permet pas le passage de chariots chauffants », ce qui contraint les détenus à utiliser, la vétusté du système électrique de la maison d'arrêt ne permettant pas les plaques électriques, « des pastilles AMIFLAM qui en se consumant, dégagent du Formaldéhyde » ce qui « pose problème, en particulier, pour les détenus atteints de pathologies pulmonaires ».
Cependant, l'administration pénitentiaire (AP) continue de vendre ces réchauds à pastilles toxiques aux personnes détenues dans de nombreux établissements pénitentiaires français dont les systèmes électriques insuffisants et vétustes ne permettent pas l'utilisation de plaques chauffantes électriques. En avril 2008, elle s'est contentée de diffuser une note d'information rappelant la nécessité de n'utiliser ces pastilles que comme « appoint pour réchauffer de l'eau ou une boisson et non pour cuisiner un plat, de faire un usage modéré de ces pastilles en cellule, de pratiquer une aération de la cellule pendant et après la combustion, de veiller à maintenir une certaine distance lors de l'utilisation de ces pastilles afin d'éviter d'inhaler les vapeurs que s'en dégagent, et de se laver les mains après toute utilisation ». 
Pourtant, l'administration sait parfaitement que les cellules ne sauraient être aérées convenablement: fenêtres de petite taille obstruées par des grillages ou des caillebotis de sécurité dans bon nombre d'établissements, ou ne pouvant qu'être entrouvertes comme à la maison d'arrêt des femmes de Fleury-Mérogis. L'administration sait également que les détenus continuent d'utiliser ces pastilles pour cuisiner et non pas seulement pour réchauffer des liquides. Elle vend d'ailleurs toujours aux détenus des produits et plats à cuire (riz, pâtes, conserves) ainsi que des ustensiles de cuisine (poêles, casseroles) alors même qu'il n'existe que ce moyen pour les cuisiner. 

L'OIP rappelle:
– l'article L.1110-1 du Code de la santé publique : « Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous les moyens disponibles au bénéfice de toute personne »;
– l'article D.349 du Code de procédure pénale: « L'incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d'hygiène et de salubrité (...) »;
– l'article D.351 du Code de procédure pénale: « Dans tout local où les détenus séjournent, les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que ceux-ci puissent lire et travailler à la lumière naturelle. L'agencement des fenêtres doit permettre l'entrée d'air frais (...). »

Quelques chiffres récents à propos de la "densité carcérale en Île de France

Le 7 mai 2012, les 16 établissements pénitentiaires d'Ile-de-France présentent au total une "capacité opérationnelle" de 9380 places. 13005 personnes y sont incarcérées (dont 456 femmes et 187 mineurs). Le taux moyen de surpopulation est de 139% (+ 13% par rapport au 1er janvier 2012 - 11957 personnes étaient incarcérées pour 9468 places).

Paris (75):

Maison d'arrêt de la Santé
Quartier Maison d'arrêt: 582 détenus, 433 places, taux d'occupation: 134,4%
Quartier semi-liberté: 102 détenus, 50 places, 204%

Seine-et-Marne (77):
Centre de semi-liberté de Melun58 détenus, 40 places, 145%

Centre pénitentiaire de Meaux-ChauconinQuartier Centre de détention: 181 détenus, 192 places, 94%
Quartier Maison d'arrêt: 703 détenus, 386 places, 182%
Quartier semi-liberté: 48 détenus, 30 places, 160%
Quartier Centre pour peines aménagées: 24 détenus, 30 places, 80%

Centre pénitentiaire de RéauQuartier Centre de détention: 407 détenus, 451 places, 90%
Quartier Maison centrale: 17 détenus, 28 places, 61%
Quartier CNE + UAT: 218 détenus, 230 places, 95%

Centre de détention de Melun284 détenus, 308 places, 92%

Yvelines (78):
Maison d'arrêt de Bois d'Arcy
808 détenus, 501 places, 161%

Maison d'arrêt de VersaillesQuartier maison d'arrêt (femmes): 57 détenues, 58 places, 98%
Quartier semi-liberté (femmes): 2 détenues, 4 places, 50%
Quartier semi-liberté (hommes): 77 détenus, 76 places, 101%

Maison centrale de Poissy223 détenus, 235 places, 95%

Établissement pour mineurs de Porcheville53 détenus, 60 places, 88%

Essonne (91):
Centre de semi-liberté de CorbeilQuartier semi-liberté (femmes): 10 détenues, 12 places, 83%
Quartier semi-liberté (hommes): 82 détenus, 65 places, 126%

Maison d'arrêt de Fleury-MérogisMaison d'arrêt des hommes: 3554 détenus, 2563 places, 139%
Maison d'arrêt des femmes: 296 détenues, 259 places, 114%

Hauts-de-Seine (92):
Maison d'arrêt de Nanterre901 détenus, 593 places, 152%

Seine-Saint-Denis (93):
Centre de semi-liberté de Gagny
110 détenus, 48 places, 229%

Maison d'arrêt de villepinte959 détenus, 588 places, 163%

Val-de-Marne (94):
Centre pénitentiaire de FresnesQuartier maison d'arrêt (hommes): 2183 détenus, 1348 places, 162%
Quartier maison d'arrêt (femmes): 91 détenues, 96 places, 95%
Quartier semi-liberté de Villejuif: 120 détenus, 76 places, 158%
Quartier pour peines aménagées de Villejuif: 36 détenus, 40 places, 90%

Val d'Oise (95):
Maison d'arrêt d'Osny819 détenus, 580 places, 141%