jeudi 21 septembre 2017

Focus sur la suspension de peine pour motif médical


Dans un contexte de vieillissement de la population carcérale, le jugement rapporté fournit un exemple de suspension de peine pour motif médical fondée sur l’article 720-1-1 du code de procédure pénale. 

par Dorothée Goetzle 21 septembre 2017

TAP Melun, 15 sept. 2017, n° 2017/112

http://www.dalloz-actualite.fr/sites/dalloz-actualite.fr/files/imagecache/page_node_illustration/images/2017/09/fl-henry-patrick-nf.jpg

La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé est la première à avoir introduit la possibilité de suspension de l’incarcération en faveur des condamnés atteints d’une pathologie engageant un pronostic vital et dont l’état de santé physique ou mental est durablement incompatible avec le maintien en détention (E. Baron, la raison médicale comme motif de mise en liberté, Dr. pénal 2015. Étude 1 ; J.-P. Céré, La loi n° 2002-1138 du 9 sept. 2002 et l’amélioration du fonctionnement et de la sécurité des établissements pénitentiaires D. 2002. 3224 http://www.dalloz-actualite.fr/sites/all/themes/dallozactu/icons/type_dalloz_fr_link.png; Le détenu malade : le traitement du droit européen, AJ pénal 2010. 325 http://www.dalloz-actualite.fr/sites/all/themes/dallozactu/icons/type_dalloz_fr_link.png; M. de Crouy-Chanel, E. Noël et O. Sannier, Les aménagements de peine pour raison médicale. Approche médico-judiciaire pour une meilleure mise en œuvre, AJ pénal 2010. 318 http://www.dalloz-actualite.fr/sites/all/themes/dallozactu/icons/type_dalloz_fr_link.png; M. Herzog-Evans, La suspension médicale de peine et la sécurité publique. État des lieux, Rev. pénit. 2005. 305 ; Ponseille, prise en considération de l’état de santé de la personne suspectée ou condamnée par la loi n° 2014-896 du 15 août 2014, RSC 2014. 729 ; M. Vella et M. Janas, Difficultés d’application de la suspension de peine médicale, Rev. pénit. 2003. 471).

Prévue par l’article 720-1-1 du code de procédure pénale, cette suspension de l’incarcération reposait à l’origine exclusivement sur des considérations humanitaires et sanitaires. Elle n’était donc pas liée à la nature de l’infraction commise ou à l’existence d’un trouble à l’ordre public (Crim. 12 févr. 2003). Cependant, depuis la loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005, la suspension médicale est devenue impossible en cas de « risque grave de renouvellement de l’infraction ». En conséquence, toute requête fondée sur l’article 720-1-1 doit nécessairement satisfaire deux types de conditions :

  • d’abord celles relatives à l’état de santé ;
  • ensuite celles concernant l’absence de risque de renouvellement de l’infraction.

En l’espèce, Patrick Henry, l’un des plus anciens détenus de France, a réussi à convaincre le tribunal de l’application des peines de Melun que ces conditions étaient réunies. Dans un jugement du 15 septembre 2017 cette juridiction a, en effet, suspendu pour motif médical la peine de réclusion que l’intéressé exécutait notamment pour des faits d’enlèvement et de meurtre d’un enfant de sept ans. Sur sa personnalité, il faut souligner que la dernière expertise psychiatrique et médico psychologique dont il a fait l’objet le 12 janvier 2015 concluait à l’existence d’une « dangerosité en milieu libre ». C’est d’ailleurs pour cette raison que sa demande de libération conditionnelle examinée par le tribunal de l’application des peines en janvier 2016 avait été rejetée au motif qu’il n’avait toujours « pas pris conscience de ses fragilités et ne manifestait pas beaucoup d’émotion à l’évocation de la victime ».

Toutefois, sa demande de suspension de peine, en ce qu’elle est fondée sur l’article 720-1-1 du code de procédure pénale, repose à présent sur d’autres critères. Le regard porté par les magistrats sur cette requête doit donc être différent de celui porté auparavant sur sa demande de libération conditionnelle. En l’espèce, pour démontrer la gravité de son état de santé, le requérant produit trois certificats médicaux qui attestent qu’il est atteint d’un cancer du poumon à un stade évolué traité par chimiothérapie. Dans ces documents, les médecins affirment que son pronostic vital est engagé a minima à moyen terme et que son état de santé est durablement incompatible avec la détention notamment en raison de douleurs thoraciques intenses. L’article 720-1-1 du code de procédure pénale prévoit que la suspension peut être ordonnée « pour les condamnés dont il est établi qu’ils sont atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé physique ou mentale est durablement incompatible avec le maintien en détention ». 

En évoquant l’incompatibilité avec le maintien en détention, le législateur souhaite garantir à la personne le respect de sa dignité humaine. Ce postulat est d’ailleurs partagé par la Cour européenne des droits de l’homme qui a déjà condamné l’Allemagne, l’Albanie ou encore l’Ukraine pour conditions de détention inappropriée avec l’état de santé ou de handicap sur le fondement de la notion de traitement dégradant (CEDH 25 oct. 2007,Yakovenko v. Ukraine, n° 15825/06, § 101 ; 18 déc. 2007, Dybeku v. Albania, n° 41153/06, § 103 ; AJDA 2008. 978, chron. J.-F. Flauss http://www.dalloz-actualite.fr/sites/all/themes/dallozactu/icons/type_dalloz_fr_link.png; 5 juin 2007, Ghosh v. Germany, n° 24017/03, § 98). Stricte sur ce point, la chambre criminelle a déjà précisé que pour bénéficier des dispositions de l’article 720-1-1, le condamné doit nécessairement avoir une pathologie qui engage son pronostic vital à court terme (Crim. 28 sept. 2005, n° 05-81.010, AJ pénal 2005. 461, obs. M. Herzog-Evans http://www.dalloz-actualite.fr/sites/all/themes/dallozactu/icons/type_dalloz_fr_link.png; RSC 2006. 423, obs. P. Poncela http://www.dalloz-actualite.fr/sites/all/themes/dallozactu/icons/type_dalloz_fr_link.png; Dr. pénal 2006. Comm. 183, obs. Maron). En l’espèce, les conditions légales étaient, sur cet aspect, réunies. 

Toutefois, à ces conditions doit s’ajouter une absence de risque grave de renouvellement de l’infraction. Le texte précise en effet que cette suspension peut être ordonnée « sauf s’il existe un risque grave de renouvellement de l’infraction ». La jurisprudence fait preuve de rigueur dans l’appréciation de cette condition. La chambre criminelle a ainsi considéré que justifie souverainement le refus de suspension médicale de peine la CHAP qui relève notamment que l’expert notait que le condamné se retrouvait dans une situation conjugale identique à celle qui précédait le meurtre depuis son remariage et que ce retour à la situation antérieure n’excluait pas la récidive (Crim. 2 mars 2011, n° 10-81.070, AJ pénal 2011. 531, obs. M. Herzog-Evans http://www.dalloz-actualite.fr/sites/all/themes/dallozactu/icons/type_dalloz_fr_link.png). En l’espèce, le Tribunal précise avoir constaté, lors du débat contradictoire, un affaiblissement général de l’état physique de l’intéressé ainsi qu’un fort amaigrissement. Le requérant a également eu l’occasion d’évoquer son état de fatigue intense et les violentes douleurs qu’il subissait. Le tribunal en a tiré les conséquences qui s’imposaient en estimant alors que le requérant « a déjà démontré par le passé sa capacité à commettre de nouvelles infractions durant une libération conditionnelle, son état de santé qui ne peut aller qu’en se dégradant permet raisonnablement d’exclure un risque grave de renouvellement de l’infraction ». 

Les conditions légales étant toutes réunies, le tribunal s’est donc prononcé en faveur de la suspension de peine pour motif médical avec une levée d’écrou au 16 septembre 2017. En application des dispositions de l’article D. 147-2 du code de procédure pénale, la juridiction soumet toutefois le condamné à plusieurs obligations, notamment s’abstenir d’entrer en relation de quelque manière que ce soit avec les parties civiles et se soumettre à des mesures d’examen médical, de traitement ou de soins, même sous le régime de l’hospitalisation.

Il faut ajouter que les conditions matérielles de sortie proposées par l’intéressé ont également été déterminantes dans le choix opéré par le Tribunal. En effet, il faisait valoir qu’il logera dans un appartement situé à quelques kilomètres du centre hospitalier avec la présence constante de ses amis. 


mardi 5 septembre 2017

Violences conjugales : légitime défense... relaxe

 Très bel arrêt de la chambre des appels correctionnels de Rouen du 4 septembre 2017.

Ce dossier devait initialement être évoqué dans le cadre d'une Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité ; les faits relatés par la cliente m'ont amené à lui conseiller de refuser cette procédure et à faire plaider la relaxe devant le Tribunal Correctionnel.

Ma cliente était prévenue pour avoir donné un coup de couteau à son concubin qui la maltraitait depuis plusieurs mois ....condamnée à 4 mois sursis par le Tribunal ... légitime défense écartée ... absence de proportionnalité...

Par ailleurs, le Tribunal avait estimé que : 

" Loin de présenter un profil de femme battue, Madame X ... est le second élément d'un couple pathologique..."!

La cour a infirmé et relaxé en prenant en compte la différence de corpulence entre les deux protagonistes la concomitante entre les menaces et la riposte, le fait que  " l'utilisation d'un couteau en réaction à cette menace immédiate et dans les circonstances décrites, n'apparaît pas disproportionnée en raison du fait que le coup a été porté à la cuisse ..." 

La Cour a également pris en compte le comportement de ma cliente après les faits .. elle a appelé les secours, s'est présentée aux forces de l'ordre en expliquant son geste et était totalement effondrée, en pleurs ...

Ca ne vous rappelle rien ? ( toutes proportions gardées bien sûr...!)

lundi 19 juin 2017

Les seuils de l'application des peines AJ Pénal avril 2017

 

 

Dossier AJ Penal avril 2017, pages 166 à 169

Les délais en procédure pénale

Résumé

Les seuils de l'application des peines en pratique

Etienne Noël

Avocat au barreau de Rouen

GÉNÉRALITÉS

Délais de procédure
Application des peines
Seuils
Liberté conditionnelle
Aménagements de peine

Etude

Il est patent que, dans la pratique quotidienne de l'avocat pénaliste, le domaine de l'application des peines est très fréquemment absent.

Les raisons en sont multiples.

D'une part, il est constant que la formation des élèves-avocats, ou même la formation continue des avocats, néglige fréquemment ce domaine essentiel du droit pénal alors qu'il constitue, selon nous, une extension considérable du champ d'intervention de l'avocat pénaliste dès l'instant où il s'intéresse à la sortie de prison et non pas au « simple » procès pénal.

L'occasion est belle, dans ce dossier consacré aux délais, de constituer une sorte de « boîte à outils » destinée aux praticiens, traitant, non pas des délais, lesquels ne sont pas véritablement présents dans le domaine de l'application des peines mais, plutôt, de la question des seuils, lesquels sont prépondérants dans la gestion de l'exécution de la peine de dizaines de milliers de personnes condamnées et détenues en France. En particulier, plutôt que de prétendre à l'exhaustivité, il sera intéressant de présenter des procédures relativement méconnues ou du moins peu usitées.

Dans le domaine de l'application des peines, la question des délais se pose surtout au sujet des délais d'appel habituels dont bénéficient à la fois le condamné et le parquet. Ce dernier dispose, en outre, de la faculté d'interjeter un appel suspensifparalysant la mise en œuvre de l'aménagement de peine accordé par les juridictions de l'application des peines, alors que le condamné ne dispose pas d'un tel pouvoir, ce qui annule véritablement, pour lui, l'intérêt d'un appel (la peine étant fréquemment purgée dans sa quasi-totalité au moment où la chambre de l'application des peines évoque l'appel). En effet, la décision du juge de l'application des peines (JAP) étant revêtue de l'exécution provisoire, le rejet d'une demande d'aménagement de peine fondée sur l'article 723-15 du code de procédure pénale donne tout pouvoir au procureur de la République de mettre à exécution la peine ferme prononcée, sans que l'appel du condamné puisse paralyser cette mise à exécution.

Indépendamment de cette question de l'appel, aucun délai particulier n'existe dans le domaine de l'application des peines ; il est beaucoup plus question de seuils en deçà desquels ou jusqu'auxquels il est possible de solliciter un aménagement de peine, avant l'incarcération ou sous écrou.

Avant l'incarcération

Les aménagements de peine avant incarcération sont généralement fondés sur l'article 723-15 du code de procédure pénale, qui prévoit que les personnes condamnées peuvent, dans une limite de deux années lorsqu'elles ne sont pas en récidive et d'une année lorsqu'elles le sont, solliciter un aménagement de peine afin de leur éviter l'incarcération. Néanmoins, certaines dispositions prévoient un aménagement même lorsque le quantum de la peine prononcée dépasse les seuils cités ci-dessus.

L'impact de la détention provisoire

S'agissant des aménagements de peine prononcés dans le cadre de l'article 723-15, la situation est différente selon que la personne a ou non purgé une partie de la peine sous le régime de la détention provisoire. En effet, en l'absence de toute période de détention provisoire, les seuils d'une ou deux années doivent être interprétés de façon stricte, en excluant le crédit de réduction de peine. À titre d'exemple, une personne condamnée à une peine de 26 mois de prison ferme ne sera pas en mesure de solliciter un aménagement de peine sur le fondement de l'article 723-15.

A contrario, dès l'instant où la personne condamnée aura purgé, ne serait-ce que deux jours de détention provisoire – ayant par exemple été placée sous mandat de dépôt par un juge des libertés et de la détention le vendredi précédant une comparution immédiate le lundi, comparution ayant abouti à une condamnation à une peine d'emprisonnement ferme, mais non assortie d'un mandat de dépôt – pourra demander qu'il soit fait application des dispositions de l'article D. 147-12 du code de procédure pénale. Ce texgte prévoit que le JAP, saisi en application de l'article 723-15, examine la situation du condamné au regard du crédit de réduction de peine, ce qui permettra, même si la peine prononcée est supérieure au seuil de deux ans (ou un an en cas de récidive), de déduire le crédit de réduction de peine. Cela pourra avoir pour effet de passer sous les seuils sus-évoqués rendant ipso facto la demande d'aménagement de peine recevable. Si l'on reprend le même exemple d'une personne condamnée à 26 mois d'emprisonnement ferme dans le cadre ci-dessus évoqué, le JAP pourra déduire de ces 26 mois le crédit de réduction de peine de cinq mois (3 mois la première année, 2 mois l'année suivante). Le « solde » sera donc de 19 mois, et la peine aménageable.

Dans les hypothèses d'une détention provisoire plus longue, le JAP pourra également accorder au condamné des remises de peine supplémentaires, en sus du crédit de réduction de peine, ce qui permettra une réduction très sensible de la peine à purger en définitive.

Les mesures probatoires à la libération conditionnelle

L'article 723-7 du code de procédure pénale dispose : « Le juge de l'application des peines peut prévoir que la peine s'exécutera sous le régime du placement sous surveillance électronique défini par l'article 132-26-1 du code pénal soit en cas de condamnation à une ou plusieurs peines privatives de liberté dont la durée totale n'excède pas deux ans, soit lorsqu'il reste à subir par le condamné une ou plusieurs peines privatives de liberté dont la durée totale n'excède pas deux ans. Les durées de deux ans prévues par le présent alinéa sont réduites à un an si le condamné est en état de récidive légale.

Le juge de l'application des peines peut également subordonner la libération conditionnelle du condamné à l'exécution, à titre probatoire, d'une mesure de placement sous surveillance électronique, pour une durée n'excédant pas un an. La mesure de placement sous surveillance électronique peut être exécutée un an avant la fin du temps d'épreuve prévu à l'article 729 ou un an avant la date à laquelle est possible la libération conditionnelle prévue à l'article 729-3.

Lorsque le lieu désigné par le juge de l'application des peines n'est pas le domicile du condamné, la décision de placement sous surveillance électronique ne peut être prise qu'avec l'accord du maître des lieux, sauf s'il s'agit d'un lieu public. »

La rédaction de l'article susvisé n'exige pas que le condamné soit préalablement placé sous écrou,ce qui permet manifestement de faire usage de ces dispositions dans le cadre d'un aménagement de peine « 723-15 ». Ainsi, une personne ayant été condamnée à une peine de deux années d'emprisonnement parviendra à la moitié de sa peine au bout d'une année et, jusqu'à cette date, se trouvera dans la phase dite « probatoire » d'une année, ce qui correspond parfaitement aux conditions posées par l'article 723-7 du code de procédure pénale. Il lui sera donc possible de demander à exécuter sa peine de la façon suivante : la première année en mesure probatoire à la liberté conditionnelle, la seconde année moins les réductions de peine en liberté conditionnelle.

Un placement extérieur ou une semi-liberté probatoire (C. prpén., art. 723-1) peuvent être prononcés dans les mêmes conditions.

Le « re-japage »

Par ailleurs, le code de procédure pénale prévoit une possibilité d'aménagement de peine fondée sur l'article 723-17 du code de procédure pénale lorsqu'un an s'est écoulé depuis que la peine dont l'aménagement est sollicité est devenue définitive (c'est-à-dire après expiration du délai d'appel du procureur général qui est, rappelons-le, depuis la loi du 24 novembre 2009, de 20 jours). Cette possibilité reste ouverte même si une décision de refus a été préalablement rendue par le JAP ou la chambre de l'application des peines (technique dite du « re-japage »). Cette disposition présente en outre l'immense avantage de suspendre la mise à exécution de la peine par le procureur de la République.

L'article 723-17 permet notamment de faire état d'une amélioration dans la situation personnelle de la personne condamnée, qui dispose ainsi d'une seconde chance d'aménagement de peine afin d'éviter l'incarcération.

La dispense de révocation de sursis

Dans un autre cas de figure, on se souvient que la loi du 15 août 2014, dite « loi Taubira », est revenue sur l'automaticité de la révocation d'un sursis antérieurement prononcé par une nouvelle condamnation pendant le délai d'épreuve, puisqu'il faut désormais une décision explicite du tribunal. Il est alors possible, lorsque plusieurs peines sont mises à exécution, dont certaines sont issues de sursis révoqués de plein droit par une condamnation ferme prononcée antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 15 août 2014, de demander au juge de l'application des peines de dispenser le condamné de la révocation de ces sursis afin d'envisager uniquement l'aménagement de la peine ferme révoquante. Ainsi, prenons à titre d'exemple une personne condamnée, au total, à 15 mois d'emprisonnement ferme en récidive, se décomposant en une peine de 12 mois d'emprisonnement ferme et une autre peine de 3 mois d'emprisonnement avec sursis révoquée de plein droit. Il sera possible de solliciter du JAP qu'il dispense la personne condamnée de la révocation de ce sursis simple, ce qui permettra d'atteindre le seuil de 12 mois prévu par l'article 723-15 pour ce qui concerne les récidivistes et ainsi d'aménager la peine.

L'article 53 de la loi du 15 août 2014 a néanmoins vocation à n'être qu'une disposition transitoire ; en effet, il n'existera bientôt plus de sursis révoqués de plein droit. Il appartient donc aux avocats de plaider, durant l'audience du tribunal correctionnel, sur la dispense de révocation expresse du sursis.

Il existe d'autres possibilités d'aménagement de peine avant incarcération peu usitées et, pourtant parfaitement efficaces.

La conversion de peine

Lorsque la peine prononcée n'excède pas 6 mois, il est tout d'abord possible de solliciter du JAP qu'il convertisse celle-ci, soit en peine de sursis assortie d'un travail d'intérêt général, soit en peine de jours-amende.

La libération conditionnelle « parentale »

De plus, l'article 729-3 du code de procédure pénale prévoit un régime de libération conditionnelle pour raison parentale permettant aux personnes condamnées à une peine jusqu'à 4 années d'emprisonnement (même en récidive, cette exclusion ayant été supprimée par la loi du 15 août 2014) ou dont le reliquat de peine est de 4 années maximum, de solliciter l'octroi de la libération conditionnelle dès lors qu'elles sont parents d'un enfant de moins de 10 ans sur lequel elles exercent l'autorité parentale et qui réside à leur domicile. Cette mesure d'aménagement de peine peut parfaitement être accordée  ab initiopar la juridiction de jugement ou bien par le JAP ; elle échappe alors aux seuils de l'article 723-15 du code de procédure pénale. Dès lors que la personne concernée a purgé une partie de sa peine sous le régime de la détention provisoire, rappelons qu'il est de plus possible de faire application de l'article D. 147-12 ci-dessus évoqué.

La suspension de peine pour motif médical

Même si cela n'est pas réellement une procédure d'aménagement de peine, le bénéfice de la suspension de peine pour raison médicale fondée sur l'article 720-1-1 du code de procédure pénale peut être sollicité avant toute incarcération, dès lors que la personne présente un état de santé manifestement incompatible avec la détention ou lorsque son pronostic vital est engagé.

Cette disposition avait été en premier lieu envisagée par une circulaire du 7 mai 2004 rédigée par le directeur des affaires criminelles et des grâces de l'époque, qui indiquait que, dès qu'une personne condamnée présentait, au vu, à l'époque de deux expertises (aujourd'hui d'une seule), un état de santé incompatible avec la détention, il apparaissait inutile d'envisager son incarcération. Par la suite, la Chambre criminelle de la Cour de cassation, par un arrêt en date du 21 février 2007, a considéré qu'il était possible d'accorder le bénéfice de la suspension de peine pour raison médicale à une personne condamnée à une peine de 41 mois de prison ferme présentant un état de santé incompatible avec la détention.

Cette procédure présente l'important avantage d'être accessible ab initio à toute personne condamnée à une peine correctionnelle quel que soit son quantum. Il existe néanmoins une distorsion extrêmement préoccupante avec les personnes renvoyées devant une cour d'assises. En effet, à l'issue du procès devant la juridiction criminelle, quel que soit l'état de santé de la personne concernée ou l'éventuel engagement de son pronostic vital, cette dernière est automatiquement incarcérée dès lors d'une peine de prison ferme est prononcée. Il n'est pas possible de solliciter ab initio la suspension de sa peine. Donc toute personne condamnée à une peine criminelle doit obligatoirement être placée sous écrou avant d'envisager une demande de suspension de peine pour raison médicale. Il en est bien entendu autrement d'une personne condamnée à une peine correctionnelle, celle-ci pouvant, à l'audience, lorsqu'un mandat de dépôt est requis, demander à être laissée en liberté afin de pouvoir présenter une demande de suspension de peine « en  723-15 » ou, dans l'hypothèse où aucun de mandat de dépôt ne serait prononcé, saisir le JAP d'une telle demande.

En cas d'incarcération

S'agissant des personnes placées sous écrou et incarcérées, le processus d'aménagement de peine se déroule nécessairement en milieu fermé.

La libération conditionnelle probatoire

L'article 729 du code de procédure pénale prévoit qu'une demande de libération conditionnelle peut être déposée dès l'instant où la personne a purgé une peine au moins équivalente à celle qu'il lui reste à exécuter (soit, à mi-peine), sous réserve de la présence d'une période de sûreté. En toute hypothèse, il est toutefois possible de solliciter un aménagement de peine un an avant la date de mi-peine. En effet, les articles 723-1 et 723-7 du code de procédure pénale déjà évoqués, qui prévoient la possibilité d'un placement probatoire, soit sous le régime de la semi-liberté, soit du placement extérieur soit, encore, d'un placement sous surveillance électronique un an avant la fin du temps d'épreuve s’appliquent bien entendus lorsque la personne est incarcérée. La notion de mi-peine devient donc beaucoup plus relative et on peut parfois envisager des aménagements de peine très tôt dans le processus d'exécution d'une peine lorsque celle-ci n'est pas trop longue – voire, comme il a été dit, avant même toute incarcération.

Concernant les longues peines au contraire, la procédure d'application des peines a été considérablement durcie par la loi du 10 août 2011 instituant la procédure d'examen de dangerosité de l'article 730-2 du code de procédure pénale. Cette procédure concerne, outre les personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité, celles condamnées une peine égale ou supérieure à 15 années pour une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru (infractions sexuelles et atteintes volontaires à la vie) ou celles condamnées à une peine égale ou supérieure à 10 années pour une infraction prévue à l'article 706-53-13 du code de procédure pénale, c'est-à-dire les crimes aggravés commis sur une personne mineure ou sur une personne majeure, incluant l'infraction de séquestration aggravée. Pour ces infractions, aucune demande d'aménagement de peine ne peut être présentée avant la mi-peine entendue strictement, ce qui exclut toute mesure probatoire antérieure.

Certaines infractions criminelles échappent néanmoins à cette procédure d'examen de dangerosité. Il s'agit essentiellement du crime de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, prévu par les articles 222-7 et suivants du code pénal (pas de suivi socio-judiciaire encouru), ainsi que du crime de vol avec arme prévu par les articles 311-8 et suivants du code pénal.

Il reste la question des périodes de sûreté, tant de plein droit que votées par le jury d'une cour d'assises.

Les requêtes doubles

L'article 132-23 du code pénal prévoit qu'en cas de condamnation à une peine privative de liberté non assortie du sursis dont la durée est égale ou supérieure à 10 ans, prononcée pour les infractions spécialement prévues par la loi, une période de sûreté de la moitié de la peine s'applique de plein droit. D'autre part, le même article prévoit qu'en cas de condamnation à une peine privative de liberté d'une durée supérieure à cinq ans non assortie du sursis, la juridiction peut fixer une période de sûreté ne pouvant excéder les deux tiers de la peine prononcée, ou de 22 ans en cas de condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité.

Il est en principe impossible de solliciter un aménagement de peine tant que la période de sûreté n'est pas expirée. Toutefois, plusieurs juridictions d'application des peines ont été saisies, depuis 2005, de « requêtes doubles ». Le raisonnement est le suivant : dès l'instant où une personne condamnée, nonobstant la période de sûreté qu'elle doit purger, a d'ores et déjà exécuté la moitié de sa peine en tenant compte du crédit de réduction de peine et des réductions supplémentaires de peine, ou/et lorsqu'elle se trouve dans les délais permettant, si l'infraction l'autorise, de solliciter un aménagement de peine précédé d'une mesure probatoire (articles 723-1 ou 723-7) et qu'elle peut justifier d'un projet de sortie structuré, il est possible de solliciter, dans une même requête, à la fois, le relèvement de la période de sûreté et l'octroi de la libération conditionnelle. Le tribunal de l'application des peines saisi examine alors en premier lieu, dans son délibéré, la requête en relèvement de période de sûreté et, si il y fait droit, le requérant devient ipso facto admissible à une mesure de libération conditionnelle, la juridiction examinant ainsi « dans la foulée » la seconde partie de la requête développant le projet de sortie et les gages de réinsertion proposés par l’intéressé.

Cette procédure inédite a été utilisée à plusieurs reprises s'agissant de condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité qui avaient purgé leur temps d'épreuve et auxquels il restait une durée importante de période de sûreté à exécuter. Il est clair que ces « doubles requêtes » ont été compliquées par la procédure « d'examen de dangerosité », impliquant un passage de six semaines au centre national d'évaluation puis un examen des synthèses établies par celui-ci par une commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, laquelle est supposée rendre ses avis dans un délai de six mois, sachant qu'en réalité,les délais sont infiniment plus longs, compte tenu de la surcharge de travail des commissions pluridisciplinaires qui ont vu leurs missions et leurs compétences considérablement alourdies depuis leur création par la loi du 12 décembre 2005.

Néanmoins, le principe de la requête double demeure valide, même si un léger décalage dans le temps sépare l'audience de relèvement de période de sûreté de celle au cours de laquelle est évoquée la demande de libération conditionnelle, dans l'hypothèse où l'avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté ne serait pas parvenu à la juridiction suffisamment à temps pour pouvoir évoquer l'intégralité de la requête double lors de la première audience.

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vendredi 7 avril 2017

Le rapport du CPT sur La France

https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=0900001680707074

Vivonne

Rentrer dans un établissement penitentiaire n'est jamais un acte anodin... on change de monde ...les codes sont différents ... on sent immédiatement ce que représente la notion d'enfermement, d'une façon très concrète ..à l'entrée, fréquemment, le surveillant, pour des raisons de sécurité, tente de t'imposer de prendre une alarme portative individuelle, qu'il faut se battre pour refuser, parfois, en vain, objet hautement compromettant à mes yeux, comme si je devais me méfier de mes clients....les serrures, électriques ou manuelles ... les attentes à chaque porte ...entre chaque client ...lorsqu'ils sont devant soi, ils déversent leurs Peines, leurs difficulté de vivre dans cet environnement anormal, souvent hostile...leurs attentes...souvent, leurs souffrances devant l'immensité de la peine restant à accomplir, pour beaucoup d'entre eux.
Depuis 25 ans que je rentre en prison, c'est toujours la même appréhension... je me garde un temps avant de me présenter à la porte ...je repasse dans ma tête qui je vais voir .. combien de nouveaux ...et surtout... serais je en mesure de répondre à leurs attentes ...?
Et puis quand il faut y aller, faut y aller et finalement, ca se passe bien ...les rencontres sont souvent riches ...et on ressort avec du boulot par-dessus la tête.

mardi 28 mars 2017

Etienne Noël : « Un avocat efficace sera toujours un avocat révolté »


« Avocat-pionnier des taulards » ou « Père Noël des détenus » selon d’autres, Etienne Noël est également un avocat contre l’État. Une trajectoire de presque vingt ans d’engagement qu’il raconte, avec le journaliste Manuel Sanson, dans « Aux côtés des détenus », paru en avril. Entretien.

La rédaction : Pourquoi avoir écrit « Aux côtés des détenus » maintenant ?
Etienne Noël : Je pense depuis longtemps à écrire ce livre. Au départ, j’avais envisagé d’écrire un mémento sur l’application des peines ou quelque chose dans le genre. Mais il suffisait que j’y pense pour ne plus en avoir envie… Sans compter que j’ai de moins en moins de temps pour faire autre chose que mon travail, avec les déplacements et les audiences. Le projet est donc resté à l’état de fantasme jusqu’à ce que Manuel Sanson me propose de m’aider. C’était l’occasion rêvée. J’ai déjà envie de remettre ça.

La rédaction : Ce livre est plein d’espoir mais il est également très oppressant. Cette lutte quotidienne pour la condition des détenus semble obsessionnelle. On se demande comment vous n’êtes pas encore devenu fou.
Etienne Noël : J’y pense tout le temps, c’est vrai. Il y a d’abord la question de l’exutoire : lorsque je vais voir des gens en prison, je vis une épreuve car ils se déversent, même s’ils ne parlent pas forcément beaucoup. Leur situation est « angoissogène ». Quand vous rendez visite à une dizaine de détenus dans la même journée, le soir, vous avez envie de vous pendre. Il y a aussi des procédures, des situations, des problèmes matériels auxquels je pense en permanence. Et je ne peux pas passer ma vie à me déverser à mon tour sur ma famille. C’est dur. J’essaie de courir, mais bon… L’autre question est celle des conseils. Je ne peux demander conseil à personne. Avec ces procédures-là, j’ai personne, aucun confrère vers qui me tourner pour m’aider. Quand j’ai à décider de former un pourvoi ou de faire appel parce que je viens de me faire jeter sur des conditions d’incarcération, par exemple, je n’ai personne à qui demander. En revanche, l’inverse est vrai. Ca fait un peu vieux con sur son rocher ! Par exemple, là, nous venons de faire 29 pourvois sur les conditions d’incarcération à Rouen. J’ai à peu près entre 80 et 100 requêtes pendantes devant le TA , qui vont probablement être rejetées assez rapidement, et il faudra donc faire appel etc. donc il y a une gestion de masse des procédures assez délicate.

La rédaction : Finalement, un métier toujours solitaire…
Etienne Noël : Je demande conseil à mes stagiaires et surtout à ma collaboratrice qui a une connaissance de la prison et un raisonnement juridique inouïs. Elle a passé un an chez le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Ma source de conseils et de renseignements, je la trouve en interne.

La rédaction : Pour être un bon avocat humaniste – puisque vous vous définissez en partie ainsi -, il faut aussi être un bon avocat tout court. Cela implique, par exemple, d’avoir une connaissance sans faille de la procédure. Vous le racontez, vous vous êtes plongé dans cette jungle procédurale inconnue. Vous parlez d’ailleurs d’une « méthode » que vous appliquez. Vous pouvez nous raconter ?
Etienne Noël : Ca, c’est le côté laboratoire qui m’intéresse beaucoup. Quand on invente une procédure à partir de rien, il n’y a rien de plus jouissif, surtout lorsque cela fonctionne. Il y en a quelques-unes, dont on parle dans le livre : la requête double, la levée de sûreté et de la conditionnelle… Il faut sortir des œillères classiques de l’avocat pénaliste. Il plaide, mais pas seulement. Le rôle de l’avocat est tellement plus vaste. Pour moi, le 

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cantonner à sa robe, c’est très réducteur. Sortir des sentiers battus, c’est aller chercher à gauche et à droite, devant le tribunal administratif par exemple pour débloquer des procédures judiciaires. En matière de suspension de peines, c’est extrêmement clair : vous allez devant le tribunal administratif pour faire condamner l’Assistance publique, pour faire obtenir un logement pour que le juge de l’application des peines puisse mettre votre client dehors, en suspension de peine. Cela demande effectivement un travail de romain et de connaître par cœur toutes les procédures d’application des peines, de manier tous les outils administratifs – référé-provision, référé-suspension -… Mais ça, je l’ai appris sur le tas, je n’ai aucune formation en droit public !

La rédaction : Un autre aspect encore de votre livre est celui qui touche à la politique, à l’avocat politique. Vous dites qu’un avocat doit avoir une certaine conscience politique. Et c’est Rodolphe, le premier détenu dont vous vous êtes occupé, qui a été un électrochoc pour vous. 
Etienne Noël : Dans le domaine précis du droit pénal de la prison et de l’application des peines, il me semble qu’un avocat efficace sera toujours un avocat révolté. Quand je dis « politique », je ne fais pas référence à tel ou tel parti, mais au sens large. Il faut replacer la prison dans la cité de façon à mobiliser – peut-être suis-je grandiloquent – les consciences pour que la prison redevienne l’affaire de chacun et qu’on cesse de percevoir les détenus comme des pestiférés. Ca vous oblige à vous engager pour que les choses bougent. L’engagement politique de l’avocat, c’est d’abord être force de propositions. C’est ce que je m’efforce de faire. Lorsque j’ai commencé à aller en prison, à partir de 1995, pour autre chose que mes commissions d’office, ça a provoqué chez moi une prise de conscience – avant je n’avais aucune notion politique, j’étais très classiquement à droite – et un glissement à gauche très prononcé.

La rédaction : Les avocats pénalistes le sont-ils suffisamment ? Dans votre livre, vous êtes assez sévère avec certains de vos confrères. « Aujourd’hui, je suis en rogne (…) mes confrères m’exaspèrent, ils manquent à leurs obligations » ou « Je ne supporte plus certains d’entre eux ».
Etienne Noël : Certains considèrent comme négligeable de s’investir dans l’application des peines. Pour des pénalistes, je trouve ça dramatique. Evidemment, c’est une pratique qui est moins rémunératrice que d’autres… Mais il y a également une ignorance complète. L’application des peines, ce n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît – surtout avec toutes les lois qui s’accumulent depuis 2005 -, il y a donc une absence de formation. Mais aussi une absence de travail de recherche, d’investissement qui manque aux avocats, même connus. Et puis, il y a aussi le côté méprisant entre l’or de la cour d’assises et le travail de soute de l’application des peines. Attention, il y a beaucoup d’avocats qui ne sont pas comme ça.

La rédaction : Après les conditions de détention, vous vous êtes attaqué à la cause des détenus handicapés. Là encore, vous découvrez un monde insupportable, notamment à Fresnes.
Etienne Noël : Oui, ça fait du bien de pouvoir l’écrire. Pour Fresnes, j’ai été infirmé en appel et ça, ça me fout les boules. Rien n’est jamais gagné. Je serai à la retraite d’ici 10 à 12 ans, je pense que je continuerai à me battre jusqu’au bout pour que la jurisprudence arrive à se stabiliser. Pour les personnes handicapées, c’est de loin ce que j’ai vu de plus 

 

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atroce. Je parle dans le livre de Justin : c’est de loin la situation la plus pathétique que j’ai vue de ma vie. Je n’ai jamais pu parler clairement avec lui, il ne comprenait pas ce qu’on lui disait, on ne comprenait pas plus ce qu’il voulait dire… Il savait vaguement que j’étais son avocat. Que faisait-il là ? Et il n’y a aucun juge pour le sortir.

La rédaction : La situation des détenus handicapés s’est-elle améliorée depuis la « création » de contentieux ?
Etienne Noël : Pas vraiment. Depuis 15 ans, il y a en plus l’accroissement de l’âge moyen des détenus, les lois sur la prescription faisant que l’on condamne de plus en plus âgé et les longues peines sont de plus en plus lourdes. L’état de santé moyen des détenus, compte tenu de leur âge et de leurs pathologies, n’est pas prêt de s’améliorer. Ensuite, les vieilles prisons restent des vielles prisons, sans cellules pour handicapés ou alors c’est du bricolage comme à Fresnes. Mais une cellule de 8m2 avec deux lits médicalisés, sans pouvoir se déplacer ou se croiser sur sa chaise roulante, vous ne pouvez décemment pas appeler ça une cellule pour handicapé. Et il s’agit de situations anciennes, pérennes donc. J’ai été infirmé à Paris sur la question. Pour le moment, c’est le statu quo. Dans les prisons neuves, le nombre de cellules pour handicapés est limité, il y a donc des gens en situation de handicap qui sont dans des cellules ordinaires. Je ne vois pas où ça s’améliore. La suspension de peine pour raison médicale, c’est effectivement un plus depuis 2002. Certains détenus ont pu en bénéficier. Il y a un coefficient d’accord par rapport au nombre de requêtes déposées qui est très supérieur à 50 %. Mais je suis absolument certain que certaines personnes pourraient bénéficier de cette suspension de peine, mais qui ne déposent pas de requête parce qu’ils sont seuls ou grabataires.

La rédaction : Vous en voulez aux juges parfois ? 
Etienne Noël : J’ai de temps en temps des envies de meurtre face à l’inhumanité et au mépris de certains juges. A côté, il y a des juges absolument géniaux, notamment chez les juges de l’application des peines. Heureusement qu’ils existent, pour redonner confiance.

La rédaction : Après les conditions de détention, les handicapés, vous vous concentrez sur le contentieux de l’application des peines. C’est devenu votre cœur de métier… « Maintenir éternellement des individus en détention n’a aucun sens, ça s’apparente à une vengeance d’État infinie », dites-vous.
Etienne Noël : D’un point de vue purement utilitaire, il faut que les gens sortent en aménagement de peine parce qu’on s’est rendu compte, statistiques officielles à l’appui, que le taux de récidive, s’agissant des personnes sorties en libération conditionnelle – et je parle en particulier des détenus condamnés pour crime - , est microscopique. Quoiqu’en disent les journaux à chaque fois qu’il y a un fait divers. C’est dans l’intérêt de la société de les faire sortir. Depuis que je fais de l’application des peines, depuis 2001, j’ai fait sortir plus de 250 personnes, majoritairement des longues peines, et je n’ai jamais été ressaisi par eux dans le cadre d’une révocation de conditionnelle. C’est énorme ! Pour moi, c’est une belle idée de ne pas les condamner à vie. On ne peut imaginer laisser quelqu’un toute sa vie en prison.

La rédaction : Vous non, mais d’autres oui…
Etienne Noël : Je suis absolument désolé mais je pense qu’il ne faut pas trop demander leur avis aux gens. Je crois qu’il y a des principes qui surplombent tout ça, liés à la dignité humaine, au fait qu’on ne peut pas réduire les hommes à l’état d’animal. La société n’a pas le droit d’infliger à ses condamnés le même sort que ces derniers ont infligé à leurs 

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victimes. C’est là que je parle de vengeance de l’Etat, c’est quasiment du « œil pour œil ». Infliger à quelqu’un la souffrance d’une peine de 40 ans de prison, c’est monstrueux. Dans mon livre, je parle de deux de mes clients – dont un qui est en taule depuis 1972 - qui sont devenus fous en prison. On ne sait même pas ce que l’on va faire d’eux.

La rédaction : Le mot-clé dans votre livre, c’est la réinsertion de ces détenus. On découvre d’ailleurs que vous prenez beaucoup de temps pour vous assurer qu’ils auront un travail, une vie après la prison. Vous palliez l’indifférence de l’État, en somme… Est-ce à l’avocat de faire ce travail ?
Etienne Noël : Bien sûr que oui. Quel est le rôle de l’avocat alors ? A nous, avocats, de mettre le gars sur les rails. Le rôle de l’avocat, tel que je le conçois, est d’élaborer le projet de sortie du détenu. Évidemment, avec 4 UV, même pas 100 €, ça n’est pas évident. On se fout de notre gueule. Mais je refuse de m’asseoir devant un TAP ou un JAP ou une juridiction de libération conditionnelle pour ânonner un dossier dans lequel je n’aurais eu aucun rôle. Nous sommes donc une interface idéale pour mettre les gens en relation les uns avec les autres, pour essayer de construire un projet de sortie.

La rédaction : Comme vous le dites dans le livre, vous êtes « un travailleur social ».
Etienne Noël : Mais oui, l’avocat est idéal pour ça. Nous n’avons aucune hiérarchie au-dessus de nous, aucun compte à rendre…C’est la clé pour que le détenu sorte. Ca, l’avocat peut le faire. Malheureusement, aujourd’hui, on constate un tarissement des possibilités d’accueil et de logement de réinsertion absolument dramatique. Mais nous n’avons aucune prise sur le milieu de la réinsertion en tant que tel. Quand le milieu ne va pas bien, tout le monde en subit les conséquences. Le problème numéro un en ce moment est la question de l’accueil des personnes handicapées, en suspension de peine, surtout lorsqu’ils ont plus de 60 ans. J’ai énormément de mal à trouver des hébergements.

La rédaction : Il y a un autre mot qui revient souvent, c’est celui de « fierté ». Vous êtes fier de ce que vous avez accompli, de ce que vous faites. Dans beaucoup de livres d’avocats, le mot n’est pas utilisé, sous couvert de modestie, mais difficile d’y croire. Là, vous l’écrivez franchement.
Etienne Noël : Il y a beaucoup d’orgueil. J’ai trouvé ma place par rapport à avant, lorsque j’étais chez un agent de change, je maniais du vent. Depuis 20 ans, depuis ma reconversion, c’est vrai que je me sens très très bien là où je suis. Parfois moins quand mon banquier m’appelle. Mais à part ça, ça va. Sortir un perpète’, c’est monter l’Annapurna sans bouteille, c’est un tel sentiment de bonheur. L’autre jour, par exemple, j’étais à l’instruction, ma stagiaire m’a envoyé un mail pour m’annoncer une nouvelle condamnation de l’État que je venais d’obtenir concernant la prison des Baumettes, à Marseille. J’étais comme un fou. Dans ces cas-là, je mesure 4 mètres de haut !

Propos recueillis par Marine Babonneau

« Aux côtés des détenus - Un avocat contre l’Etat », par Etienne Noël et Manuel Sanson, François Bourin Editeur, avril 2013.