mardi 10 décembre 2013

Un point après le silence...

Je n'ai rien écrit depuis plusieurs mois sur ce blog.

Pourtant , ce ne sont pas les sujets qui manquent !

Les combats ont continué sur tous les fronts tant de l'application des peines que du droit pénitentiaire ainsi que sur ce nouveau terrain de lutte que constituent les armes de la police.

Les décisions rendues ont été nombreuses, souvent des succès, comme, par exemple, les multiples procédures tendant à obtenir la condamnation  de l'Etat à respecter le Décret du 23 décembre 2010 fixant les minima de rémunération des travailleurs détenus, parfois des échecs cuisants comme dernièrement, la surprise que nous a réservé le Conseil d'Etat s'agissant des immondes cellules "médicalisées" du grand quartier de Fresnes.

Parfois de succès en apparence modestes mais lourds de conséquences, en termes de liberté, pour nos clients tel cet arrêt obtenu devant la Chambre de l'Application des peines de Versailles concernant un de mes clients détenu depuis plus de 15 années...

Je vais tenter dans les prochains jours de revenir sur ces six derniers mois pour détailler et élargir mon propos...



Un serpent de mer : L'abrogation de la rétention de sûreté et de tous les avatars de la loi de février 2008

Le Conseil d'Etat, par plusieurs arrêts, rejette les pourvois que j'avais formés contre les arrêts de la CAA de PARIS rendus à propos des cellules "médicalisées" de FRESNES !

mardi 16 avril 2013

Le Monde 14.4.2013 Malades en prison : la colère du médecin de Fresnes‏




Anne Dulioust n'en peut plus et veut " alerter ceux qui ont encore la force de s'indigner ". Cette médecin de 56 ans, docteure en immunologie, est depuis début 2011 chef de pôle de l'Etablissement public de santé national de Fresnes (EPSNF, Val-de-Marne), l'un des huit hôpitaux sécurisés qui prennent en charge les détenus malades. Elle s'est scandalisée, le 27 mars, dans un courrier " aux autorités compétentes ", de " la réalité de l'état de santé des personnes âgées détenues ".
Qu'est-ce qui motive votre coup de colère ? 

Quand j'ai été chargée de redresser l'hôpital de Fresnes, j'avais la conviction que les détenus devaient bénéficier des mêmes soins qu'à l'extérieur. Je me suis rapidement rendu compte de l'ampleur de la tâche. L'hôpital est confronté à une prise en charge de patients âgés pour lesquels l'hospitalisation n'est pas la réponse.
C'est l'histoire de Michel qui m'a fait réagir. Ce patient de 68 ans, condamné pour conduite sans permis d'un véhicule volé et bris de matériel, est détenu depuis dix-huit mois. Le diagnostic de démence a été évoqué en mai 2011, dès son entrée en détention.
Il a été accueilli une première fois à l'EPSNF pour lui redonner un peu d'autonomie. Nous l'avons gardé six semaines, il allait un peu mieux, et nous avons tenté un retour en détention. On savait que ce n'était pas l'idéal, mais les places d'hospitalisation sont limitées.
Il a été rehospitalisé immédiatement dans un hôpital public, parce que le moindre changement de cadre aggrave l'état de ces personnes fragiles. Dans un hôpital psychiatrique, parce que c'est la seule réponse possible des médecins, même pour des maladies organiques qui atteignent les fonctions supérieures. Et là, après un surdosage en neuroleptiques, il est tombé dans le coma.
J'ai accepté de le prendre à nouveau en charge en octobre 2012, pour rendre service à l'hôpital public, et pour permettre de lever sa surveillance policière, jour et nuit. Il avait perdu 10 kg en six semaines. J'ai demandé à ce qu'il soit libéré pour raisons médicales.
Nous avons pris soin de lui, il est calme, il ne comprend pas ce qu'on lui dit, mais il est content. Il mange tout seul, pour le reste il est aidé. Il porte constamment des protections pour l'élimination, ce qui rend indigne un retour en détention : elles ne sont pas fournies par l'administration pénitentiaire et elles coûtent cher.
Depuis, j'essaie de le faire libérer. Son état est durablement incompatible avec la détention. Après quatre mois d'attente, il est enfin passé devant un juge, en février. Tout était prêt, il était accompagné en fauteuil roulant par un soignant. La réponse nous a consternés : la décision a été ajournée à la fin avril, parce qu'il n'avait pas d'avocat commis d'office ! C'est ce qui m'a mise en colère : il ne peut pas demander un avocat, il ne demande rien, il ne sait même pas qu'il est en prison ! Cette réponse est inacceptable pour un médecin.
Est-il difficile de trouver une place d'hébergement pour des personnes âgées dépendantes ?
Oui, c'est difficile. Un détenu ne passe jamais en priorité, quel que soit son état. Il faut lui trouver une place d'aide sociale, financée par les départements, et tout le monde se renvoie la balle. Motiver nos assistantes sociales, déjà débordées, pour trouver un lieu d'hébergement alors que les places sont rares est quasi impossible, surtout si l'on n'est pas certain de la remise en liberté. Et le juge attend parfois qu'on ait trouvé une place pour ordonner la libération : c'est le serpent qui se mord la queue. Finalement, j'ai obtenu gain de cause, la décision de mise en liberté a été prise fin mars.
Mais ce n'est pas un cas isolé. L'EPSNF dispose de 80 lits  ; 8 patients, de 68 ans en moyenne, sont atteints de démence - un jeune, qui avait une maladie très grave, une neurosarcoïdose, a été libéré dernièrement. Tous ont un état incompatible avec la détention. Deux autres patients, de 67 ans et 71 ans, présentent des insuffisances respiratoires extrêmement sévères, ils sont sous oxygène. L'un est là depuis maintenant quatorze mois, l'autre depuis trois mois. Une première expertise a conclu à une incompatibilité de son état avec la détention, mais à une " compatibilité avec la détention à l'hôpital de Fresnes " ! Or, l'EPSNF n'est pas un lieu de détention où les gens vont passer quinze ou vingt ans, mais un lieu de soins.

Avez-vous d'autres cas ? 

Un patient faisait des thromboses à répétition. Il allait très mal, nous l'avions informé de l'imminence de son décès et il n'avait demandé qu'une chose : mourir libre. Quand nous avons demandé sa libération immédiate, en novembre 2011, il était dans le coma. Et le procureur, conformément à la loi, a demandé une expertise psychiatrique. Nous lui avons dit : " Mais il est dans le coma, et il va mourir dans douze heures ! " Il est mort la nuit suivante. Mais l'histoire qui m'a le plus marquée est survenue juste après mon arrivée. Un patient de 75 ans avait été hospitalisé de très nombreuses fois pour un oedème aigu du poumon. Avant son procès, son état avait été jugé incompatible avec la détention et il avait été admis en maison de retraite.
Mais, une fois condamné, il a été incarcéré malgré l'aggravation de ses symptômes. En fait, il était très malade, et il a fallu le transférer à l'EPSNF après plusieurs hospitalisations. Malgré de multiples certificats pour obtenir sa libération, il est mort au bout de six mois, toujours détenu. Il est mort le jour où il attendait la réponse à sa demande de mise en liberté. Elle était enfin positive, mais il ne l'a jamais su parce que l'administration pénitentiaire n'avait pas prévenu les médecins. Je pense qu'il s'est laissé mourir ce jour-là. Il n'a pas appelé les secours, ce qu'il faisait d'habitude. Il a été retrouvé mort au matin.


Combien de vos malades ne devraient pas être incarcérés ? 

Quinze pour cent des patients de l'EPSNF n'ont rien à faire en détention, et ce n'est pas admissible. On estime que, dans la population générale, de 2 % à 8 % des plus de 60 ans sont atteints de démence. Or, 3,5 % des détenus ont plus de 60 ans. Et on retrouve en détention la plupart des facteurs de risques qui favorisent la démence : le diabète, les maladies cardiovasculaires, le tabac, les carences nutritionnelles, l'anxiété, l'inactivité... Il y aurait ainsi en prison 200 détenus atteints de démence, qui devraient être pris en charge dans des structures spécialisées.

La loi Kouchner ne devait-elle pas s'attaquer au problème ? 

Effectivement, et elle a surtout bénéficié à Maurice Papon. La loi du 4 mars 2002 permet aux détenus dont le pronostic vital est engagé ou dont l'état de santé est incompatible avec la détention de voir leur peine suspendue, mais elle est insuffisamment appliquée. Des efforts ont été faits pour les handicapés physiques. Mais rien n'a été prévu pour les handicaps mentaux ou cognitifs.

Quel est le coût d'une hospitalisation à Fresnes ? 

Chaque patient coûte environ 800 euros par jour - c'est à peu près le tarif de l'hôpital public, mais en général on y reste peu de temps. A Fresnes, on a des patients hospitalisés depuis des années. L'un d'eux a reçu une balle dans la tête, il est dément, il ne peut pas faire plus de trois pas sans aide, mais une expertise psychiatrique n'a pas exclu un risque de récidive. On le garde donc à l'hôpital, il paraît qu'il est dangereux. Encore faudrait-il qu'il ait la capacité physique de récidiver.

Pensez-vous qu'il n'y a plus personne capable de s'indigner ? 

Quand je parle de ces cas autour de moi, les gens trouvent ça indigne. Quand je dis qu'il y a des gens de 87 ans en détention, ils n'en reviennent pas. Mais ce n'est pas un sujet porteur. Même chez les médecins.
Propos recueillis par Franck Johannès
© Le Monde

IL EXISTE PEU de données récentes sur la santé mentale en prison, la dernière enquête d'ampleur remonte à 2006 et ses résultats étaient plus qu'inquiétants : de 35 % à 42 % des détenus sont considérés comme " manifestement ou gravement malades ". Huit hommes détenus sur 10 et plus de 7 femmes sur 10 " présentent au moins un trouble psychiatrique, la grande majorité cumulant plusieurs troubles ", ont indiqué Frédéric Rouillon, Anne Duburcq, Francis Fagnani et Bruno Falissard dans leur " Etude épidémiologique sur la santé mentale des personnes détenues en prison ", pour le groupe Cemka-Eval.
Un millier de détenus ont été tirés au sort dans 23 établissements pénitentiaires (sur 191) et 998 entretiens réalisés entre juillet 2003 et septembre 2004. Les troubles anxieux sont les plus fréquents (56 % des hommes), suivis des troubles thymiques - de l'humeur, notamment la dépression - pour 47 % d'entre eux ; 38 % des détenus incarcérés depuis moins de six mois présentent une addiction à la drogue, 30 % à l'alcool. Et un quart des détenus souffrent d'un trouble psychotique (dont 9,9 % de schizophrènes, 11,4 % de psychotiques, 0,1 % de bouffées délirantes aiguës).
Mais 3 à 4 détenus sur 10 ont à la fois des troubles thymiques et anxieux et le taux de syndromes dépressifs est estimé à 35 % ou 40 % en métropole, soit 8 à 10 fois plus que dans la population générale (les dépressifs sont estimés à 21 % dans les départements d'outre-mer, moins touchés par les troubles mentaux, mais davantage par les drogues). Logiquement, un risque suicidaire est repéré pour 40 % des hommes et 62 % des femmes détenus - le taux de suicide est six à sept fois plus élevé que dans la population générale.
" Population surexposée "
Ces résultats, préviennent les auteurs, sont à interpréter avec prudence : " La perte de contact avec la réalité est un élément central de tout trouble psychotique. Or, la vie carcérale est un facteur de risque majeur de déréalisation. " Par ailleurs, l'allongement des peines et des délais de prescription entraîne mécaniquement un vieillissement de la population carcérale, plus facilement touchée par les troubles mentaux : 1,5 % des détenus avaient, au 1er janvier 1970, plus de 60 ans ; ils étaient 2 % en 1997 et 3,5 % au 1er janvier 2010.
" Force est de reconnaître que la prison est un lieu de maladies, le constat est sans appel, indiquait le député Etienne Blanc dans un rapport de 2009. Sur le plan somatique, la population carcérale française reste une population surexposée au VIH, aux hépatites et à la tuberculose, une population fortement touchée par différentes formes d'addiction et à la santé bucco-dentaire profondément dégradée. Sur le plan psychiatrique, le taux de pathologie est vingt fois supérieur en détention à celui observé en population générale et le recours aux soins de santé mentale y est dix fois supérieur. "
Christiane Taubira, la ministre de la justice, et Marisol Touraine, la ministre de la santé, ont annoncé après une visite le 1er décembre 2012 à l'hôpital de Fresnes (Val-de-Marne), la création d'un groupe de travail " santé-justice ", qui devrait rendre ses conclusions en juin.
Le groupe devrait proposer d'ouvrir les suspensions de peines aux malades mentaux, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, notamment en cas de détention provisoire, comme le souhaitait la sénatrice Nicole Borvo Cohen-Seat. Il souhaite aussi revoir la question des expertises psychiatriques et développer les hébergements pour les détenus malades.
F. J.
© Le Monde




France Inter vendredi 12 avril dernier à propos de la sortie du livre "Aux côtés des détenus"

lundi 1 avril 2013

Le compte-rendu de visite de la maison d'arrêt de Rouen par mon ami Claude TALEB

Pour ceux que ça intéresserait, la préface et le premier chapitre de mon livre "Aux côtés des détenus" qui sort le 2 avril prochain.

27 mars 2013 : constat des conditions de détention au sein de la maison d'arrêt de Mulhouse.




Je me présente à la porte à l'heure dite; il s'agit d'un bâtiment ancien construit au XIX ème siècle, vers 1865 1870. Le grès rouge d'Alsace domine.

Je sais, pour y être déjà allé, et par la lecture du rapport du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté, que les conditions de détention y sont très difficiles voire insalubres.

Immédiatement, je reçois un accueil très chaleureux, comme rarement je n'en ai bénéficié!

Le major chargé de la visite me prend en charge, m'emmène au sein du bâtiment  administratif prendre un café en attendant l'expert qui est en retard.

Nous discutons de tout et de rien et il est vite repris par ses obligations professionnelles, des collègues lui demandant sans cesse de régler des problèmes d'effectifs, de répartition des tâches en fonction des vacances des uns et des autres...une sorte de jeu de Rubick´s cube en quelque sorte!

Alors qu'il s'est absenté quelques minutes, j'en profite pour me balader à l'étage. S'y trouvent des chambres dotées d'un lit et d'un cabinet de toilette; j'en déduis qu'il s'agit des chambres de veille affectées aux surveillants de permanence de nuit.

Au retour de mon mentor, je lui demande confirmation ce qu'il fait de bonne grâce tout en ajoutant que "le chemin est bien long jusqu'à la détention en cas d'alerte".

La maison d'arrêt de Mulhouse comprend plusieurs quartiers:

Un quartier réservé aux femmes, sur le point d'exploser en raison de son surencombrement
Un quartier réservé aux mineurs
Deux bâtiments « Hommes » : le "Dreyfus" (le capitaine Dreyfus est né à Mulhouse) dans lequel va se dérouler la majeure partie de l'expertise et l'autre : le Schuman, beaucoup plus vaste et surpeuplé.

Nous circulons de cours en cours vers le bâtiment Dreyfus en franchissant des grilles bordées de ces fameuses "Concertinas" qui n'ont semble t'il de seule utilité que d'agripper et de crever les ballons projetés hors des terrains durant les parties de foot.

Durant cette progression, je me fais la réflexion qu'une prison en ville, nonobstant la question bien réelle des nuisances sonores pour l'environnement, présente l'énorme avantage d'une vision sur l'extérieur, sur la vie ordinaire, bien plus que ces nouvelles prisons situées dans les champs, le plus possible à l'extérieur de nos cites; exclusion rajoutée à l'exclusion par-delà les murs...

Le bâtiment Dreyfus comprend 55 cellules sur quatre niveaux, dont deux cellules réservées aux personnes handicapées.

Il s'agit de cellules doubles, en fait, deux cellules réunies ensembles, un peu comme à Fresnes, dans la première partie, se trouve le lit, la table avec une chaise télé placard et, dans la seconde partie, les sanitaires :, douche handicapée, toilettés surélevées.

Ces cellules ont hébergé deux de mes trois clients dont l'un ne bougeait quasiment jamais de son lit médicalisé compte tenu de son poids très important et du handicap dont il était atteint.

Je me souviens qu'à l'époque, l'emprise du lit absorbait toute la surface disponible de la cellule, à tel point qu'il était difficile, sinon impossible, à mon client de passer dans son fauteuil roulant. Il subsiste d'ailleurs, encore des traces au mur, provoquées par le frottement du fauteuil lorsque mon client le manœuvrait.

Mon troisième client, âge de 76 ans environ, handicapé des hanches et se déplaçant à l'aide de béquilles, se trouve dans une cellule "ordinaire" de moins de 9 m².

La seule concession à son handicap consiste en un second matelas placé de façon à surélever le couchage afin qu'il puisse se coucher plus aisément.

Le reste de la cellule reste totalement conforme aux autres cellules du bâtiment, à commencer par le sol en ciment lépreux.

Même si mon client est seul en cellule, ses conditions de détention laissent rêveur !

Exiguïté de la cellule, éclairage naturel très réduit, présence de cafards, sol en ciment, source d'infections en tout genre (surtout que trois semaines plus tôt, Monsieur X a été opéré d'un orteil du pied droit!) toilettes microscopiques, non fixées au sol, sur lesquelles il ne peut s'asseoir qu'au prix de contorsions rendues d'autant plus difficiles par l'usage obligatoire des cannes anglaises.

Nous nous sommes ensuite rendus dans le bâtiment « Schuman », nettement plus important en termes de capacité.

Dans ce bâtiment, tout est différent à part la taille des cellules : nombre de cellules nettement plus important en corrélation avec le nombre de personne qui y sont détenues…le nombre de suicide est aussi plus important même si la maison d’arrêt de Mulhouse connaît un taux relativement faible par rapport aux autres établissements pénitentiaires français (surtout Corbas !).

Un de mes clients, celui actuellement détenu au Dreyfus, y a vécu quelques semaines.

J’ai du mal à imaginer comment il faisait pour gravir l’important escalier de fer menant à la promenade, (les cellules du niveau inférieur sont en sous-sol, les fenêtres des cellules sont situées au sommet des murs et débouchent au ras du sol) compte tenu de ses prothèses aux hanches l’obligeant à utiliser des cannes anglaises !

J'ai l'habitude des expertises de prisons mais celle-ci s'est déroulée très différemment "grâce" à l'expert !

En effet, celui-ci, très sympa par ailleurs, outre son retard, est arrivé sans le moindre matériel, sans la moindre « boîte à outils » !

Il a fallu que ce soit le représentant de la pénitentiaire qui lui prête un méchant mètre ruban d'un mètre pour qu'il puisse mesurer les cellules carreaux par carreaux (quand il y en avait au sol!), quant aux photos, faute d'appareil digne de ce nom, il a dû aller récupérer son I Phone à l'accueil pour être en mesure d'en prendre!

Enfin, tout comme le major qui nous cornaquait, l'expert ignorait tout du déroulement d'une telle expertise; c'est donc moi, dans la mesure où j'ai déjà participé à une dizaine d'expertises d'établissements pénitentiaires, (Rouen, Marseille, Melun, Troyes deux fois, Fresnes, Baie Mahault, Basse Terre, Tours, Joux la Ville) ait dirigé les opérations et donné la marche à suivre, à commencer par la réunion traditionnelle dans les locaux administratifs afin de préciser le contour de la mission, l'historique de l'établissement étudié, sa capacité, les effectifs au jour du constat, les cellules dans lesquelles les requérants ont été détenus, le nombre de cooccupants par cellule...ce, avant toute visite de cellules.

A ce propos, quelques chiffres au jour de l’expertise :

Effectif détenu : 398 dont 30 femmes (dans quinze cellules), 17 mineurs et 313 hommes, outre 14 personnes en placement extérieur, comptées dans les effectifs mais non présentes dans l’établissement ainsi que 23 personnes en semi-liberté (idem).

60 hommes sont détenus au « Dreyfus » doté de 55 cellules et 253 au « Schuman» lequel comprend 160 cellules dont 158 à deux lits

L'éducation des experts est importante à ce premier stade; en effet̀ très souvent, ils ignorent tout de l'organisation du système pénitentiaire: maison d'arrêt, centre de détention, maison centrale; centres pénitentiaires etc... Encellulement individuel ou collectif, portes ouvertes ou fermées.

De plus, la plupart du temps, ils rentrent en prison pour la première fois de leur vie.

Ces informations, données contradictoirement à l'expert par l'avocat et la pénitentiaire, seront importantes voire déterminantes dans les conclusions de l'expertise sachant que la jurisprudence actuelle se base avant tout sur la problématique de la surpopulation pour déterminer s'il y a ou non atteinte à la dignité à raison des conditions de détention dans les maisons d'arrêt françaises.

Ce matin-là, donc, j'ai eu un véritable travail de pédagogie à mener auprès de l'expert avant que nous partions, tous les trois visiter les cellules de la maison d'arrêt de Mulhouse.

Ce dernier, avec un matériel des plus réduits, a procédé, a visité les différentes cellules dans lesquelles mes trois clients ont été détenus et que j’ai évoquées ci-dessus.

En ressortant, il m’a fait part de sa surprise par rapport à ce qu’il avait vu et qu’il ne soupçonnait pas. Jamais il n’aurait imaginé que des êtres humains, handicapés, malades, âgés, puissent être détenus dans de telles conditions. Préalablement, il avait pris connaissance du rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté, joint à ma requête ; il avait déjà une vague idée mais rien ne remplacera jamais une visite, une descente dans les entrailles d’une prison…Le Contrôleur décrit les bruits mais il faut les entendre pour se rendre compte…Le Contrôleur décrit aussi les odeurs, mais il faut les sentir pour se rendre compte…L’exiguïté des cellules ressort aussi des descriptions chiffrées du rapport mais il suffit de rentrer dans l’une d’elles pour se sentir immédiatement oppressé par la proximité immédiate des quatre murs  ce, même si la personne détenue est seule en cellule…alors, imaginez à trois !

Nous nous séparons avec la promesse d’un pré-rapport qui me permettre de présenter des observations complémentaires…J’attends.

mercredi 20 mars 2013

Toilettes en prison : les témoignages des détenus




Maître Etienne Noël nous a ouvert les portes de son cabinet et nous a permis de lire les questionnaires que les détenus ont remplis pour étayer la plainte contre l’Etat concernant les conditions de détention. La place des toilettes dans les cellules y est centrale


http://www.grand-rouen.com/toilettes-en-prison-les-temoignages-des-detenus/societe/32846

lundi 4 mars 2013

LA SUSPENSION DE PEINE POUR RAISON MEDICALE ET LA LIBERATION CONDITIONNELLE POUR RAISON MEDICALE


Je publie ci-dessous le texte de ma contribution au groupe de travail interministériel Santé/Justice sur les aménagements de peine pour raison médicale.



L’article 720-1-1 du code de procédure pénale, issu de la loi du 4mars 2002, dite loi KOUCHNER, voté dans un souci d’humanité, permet de suspendre une peine en cours d’exécution, dès lors que deux critères alternatifs sont remplis, savoir, soit, l’engagement du pronostic vital de la personne concernée, soit l’incompatibilité de son état de santé avec le régime ordinaire de détention.

Le texte, reproduit ci-dessous, a subi plusieurs modifications qui seront examinées en même temps que la problématique correspondante, savoir :

Loi du 12 décembre 2005 :
Examen du risque grave de renouvellement de l’infraction
Révocation de la suspension de peine en cas de non-respect des obligations fixées par le jugement
Expertise médicale semestrielle pour les condamnés à une peine criminelle, destinée à vérifier si les conditions médicales sont toujours remplies.

Loi du 24 novembre 2009 « Loi Pénitentiaire » :
Possibilité ouverte d’accorder la suspension de peine, en cas d’urgence, si le pronostic vital est engagé, au vu d’un certificat médical rédigé par le médecin chef de la structure de soins dans laquelle la personne concernée est prise en charge.

A)    Le risque grave de renouvellement de l’infraction

Cette modification, introduite par la loi du 12 décembre 2005, (un essai avait été tenté durant les débats parlementaires de la loi du 9 mars 2004, PERBEN II, consistant à prendre en compte un éventuel trouble à l’ordre public) permet de refuser la suspension de peine en cas de risque de « renouvellement grave de l’infraction ».

Ce risque est évalué par une expertise psychiatrique ordonnée par le Juge de l’Application des Peines qui instruit la requête initiale.

La rédaction même du texte (La suspension de peine « peut » être accordée….) autorisait déjà le juge à refuser, en application du principe d’opportunité, la suspension de peine.

La jurisprudence antérieure à la loi du 12 décembre 2005 ou visant des situations antérieures à celle-ci (confer crim. 12 février 2003 affaire PAPON ; crim. 15 mars 2006) refusait de prendre en compte d’autres critères que ceux d’ordre strictement médicaux..

Il est néanmoins possible de considérer que, dans la mesure où les suspensions de peine qui sont accordées, concernent des personnes très gravement malades ou handicapées, cette condition devient relativement secondaire…mais elle existe.

B)    Quelle que soit la nature de la peine ou la durée de la peine restant à subir

Toute personne, dont la condamnation est définitive, peut demander la suspension de la peine qu’elle purge, sans condition de délai.

Néanmoins, la suspension de peine, pour être utile, doit concerner des personnes condamnées, non accessibles à une mesure de libération conditionnelle médicale, soit celles qui ne sont pas encore parvenues à mi peine ou subissent une période de sûreté.

En effet, pour les autres, il est préférable de privilégier une procédure de libération conditionnelle « classique », pour raison médicale, qui évite le suivi social et judiciaire « ad vitam aeternam » et le risque, pour les personnes condamnées à une peine criminelle, de voir leur suspension de peine révoquée, à l’issue de l’expertise semestrielle.

La suspension de peine, comme son nom l’indique, suspend l’exécution de la peine qui reprend son cours lorsque les conditions ne sont plus remplies.

Vision lamartinienne de l’application des peines « ô temps, suspend ton vol… ».

Donc, autant que faire se peut, nécessité de déposer une requête aux fins de libération conditionnelle médicale (article 729 du CPP), ce, d’autant plus que la loi du 24 novembre 2009 a introduit une possibilité pour les personnes condamnées, âgées de plus de 70ans, leur permettant d’obtenir une libération conditionnelle, sans condition de délai.

La libération conditionnelle présente l’avantage d’avoir une fin, celle de la peine ou des mesures en ce qui concerne les condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité.

Comme je l’examinerai plus bas, la loi du 10 août 2011 a considérablement durci la procédure de libération conditionnelle pour les personnes condamnées, soit pour une infraction pour laquelle le suivi socio judiciaire est encouru à une peine égale ou supérieure à quinze années ou pour une infraction mentionnée à l’article 706-53-13 du code de procédure pénale (nouvel article 730-2    du CPP).

Outre que cette disposition a entraîné une diminution importante du nombre de requêtes en  libération conditionnelle, elle freine, sinon supprime toute possibilité d’obtenir en urgence une libération conditionnelle médicale.
Enfin, il est possible de demander la suspension de la peine avant même sa mise à exécution !
Cette possibilité avait été ouverte (mais non exploitée) par une circulaire de la direction des affaires criminelles et des grâces, précisant que la suspension de peine visant l’incompatibilité de l’état  de santé avec la détention avait aussi pour finalité d’éviter une incarcération à ceux qui ne pourraient, d’évidence, pas la supporter.

La Chambre Criminelle de la Cour de cassation, par un arrêt du 21 février 2007 a jugé que la suspension de peine était accessible au condamné libre, quelle que soit la durée de la peine à purger.
Le juge de l’application des peines doit être saisi sur le fondement des dispositions des articles 723-15 et suivants du CPP, concernant les aménagements de peine « ab initio », même si la peine à effectuer est supérieure à deux ans ou un an,  s’agissant des personnes condamnées en récidive.

C)    Les critères de la suspension de peine

Ceux-ci doivent être établis par deux expertises aux conclusions (et non pas les constatations contenues dans le rapport ; crim. 27 juin 2007) concordantes.

La Chambre criminelle a estimé qu’il était possible de rejeter une demande de suspension de peine dès lors qu’une première expertise avait été déposée, dès lors qu’elle considérait qu’aucun critère n’était rempli. (Crim.23 juin 2004).

a)      Le pronostic vital engagé

La jurisprudence antérieure à  2005 n’exigeait pas de définir le délai de « réalisation » du pronostic vital (court, moyen ou long terme).

La chambre criminelle, par un arrêt en date du 28 septembre 2005 (AJ PENAL 2005 461), exige  désormais que le pronostic vital soit engagé à court terme. (voir aussi : crim 4 octobre 2006 AJ PENAL 2007 40).

Néanmoins, cette exigence n’est plus retenue lorsque, par ailleurs, les experts, de façon concordante, estiment que l’état de santé est incompatible avec la détention (crim. 15 mars 2006), s’agissant du second critère alternatif.
La chambre criminelle reste, en réalité, sur son exigence de l’engagement à court terme du pronostic vital et, dans l’espèce qui lui était soumise, n’a pris en compte que l’incompatibilité de l’état de santé avec la détention.
Il est important de noter que cette exigence de la chambre criminelle est « contra legem» puisque la loi elle-même n’évoque que l’engagement du pronostic vital sans plus de précision.
Il serait peut-être utile de compléter le texte en précisant « quel que soit le terme » de façon à revenir à la jurisprudence antérieure qui était celle de la Juridiction Nationale de la Libération  Conditionnelle.

b)      Incompatibilité de l’état de santé avec la détention
Ce second critère, depuis l’arrêt du 28   septembre 2005, restreignant les cas d’admission sur le fondement du premier critère, est de plus en plus souvent invoqué.

L’état de santé de la personne concernée doit être incompatible :
Ø  Durablement
Ø  Avec la détention ordinaire
Durablement : il doit s’agir de pathologies « installées »

Avec la détention ordinaire
L’état de santé de la personne condamnée doit être incompatible avec le régime de détention de l’établissement pénitentiaire où il se trouve (maison d’arrêt ou établissement pour peine), pour y purger une peine.
Ceci exclut de fait les établissements destinés à les héberger temporairement pour y recevoir des soins, tels que les U.H.S.I. !
Pourtant, de nombreuses juridictions d’application des peines rejettent des demandes de suspension de peine au motif que la proximité d’un tel établissement dans lequel la personne peut être transférée, permet de rendre son état de santé compatible !
Il est constant que les U.H.S.I ou l’hôpital pénitentiaire de FRESNES n’ont pas vocation à recevoir des condamnés pour y purger leur peine ; donc, par conséquent, ne peut être pris en compte que le régime ordinaire de détention pour déterminer la compatibilité de l’état de santé.

Récemment, dans un arrêt en date du 7 janvier 2009, concernant une demande de suspension de peine déposée par un condamné atteint de paraplégie, dont les experts avaient considéré qu’outre l’absence d’engagement du pronostic vital, son état de santé était compatible avec le maintien en détention, la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation a considéré :

« Mais attendu qu’en se prononçant ainsi sans rechercher, comme l’y invitaient les conclusions du demandeur, s’il ne résultait pas des deux expertises que les conditions effectives de sa  détention étaient durablement incompatibles avec son état de santé, la chambre de l’application des peines n’a pas justifié sa décision au regard des dispositions de l’article 720-1-1 du code de procédure pénale ».

La question du handicap
Un nombre sans cesse croissant de personnes âgées (parfois très âgées) sont détenues, souffrant de   multiples pathologies mais aussi de handicap moteur et, très fréquemment, de sénilité.
Contre toute attente, il arrive que les experts qui les examinent, considèrent, que, nonobstant ces handicaps, pourtant réellement invalidants, leur état de santé est compatible avec la détention !

Solution : obtenir une contre-expertise ou un complément d’expertise, dans l’hypothèse où le juge ne l’ordonne pas lui-même.

Quid ?

Le texte ne prévoit pas cette possibilité de droit.

Le fondement juridique doit donc être recherché dans les pouvoirs généraux des juridictions d’application des peines, évoqués par les articles 712-16 ou D 527 du code de procédure pénale, relatifs aux pouvoirs des juridictions saisies ou de leurs présidents.

Il n’en demeure pas moins que le juge n’est pas lié par une telle demande qu’il peut rejeter.

Néanmoins, en cas de contradiction, même si la jurisprudence permet le rejet de la requête en suspension de peine, de nombreuses juridictions ordonnent, soit des contre expertises, soit des compléments d’expertises.

Le Juge tiendra compte de la troisième expertise ou du complément, s’il vient modifier la ou les expertises initiales et aboutit à ce qu’un ou deux critères soient remplis (crim. 14 octobre 2009 AJ PENAL 2010 42).

Le juge a aussi la possibilité de statuer outre les conclusions des expertises en se fondant sur d’autres éléments du dossier : certificats médicaux, par exemple.

La loi du 24 novembre 2009 a rajouté une possibilité d’octroi de la suspension de peine, en cas d’urgence, au vu d’un certificat médical délivré par le médecin chef de la structure dans laquelle la personne concernée est prise en charge, lorsque le pronostic vital est engagé.

Cette nouvelle possibilité, qui concernera, en réalité, les personnes arrivées à la dernière extrémité (notion d’urgence),  permet de passer outre, en théorie (nous verrons l’application qu’en feront les juridictions d’application des peines), les conclusions des expertises.

L’expérience démontre que les experts choisis, le plus souvent, raisonnent « in abstracto », sans connaître les 
conditions effectives dans lesquelles vivent les personnes qu’ils examinent ; il en résulte fréquemment des conclusions tendant  à la compatibilité de l’état de santé avec la détention au seul motif que des soins sont administrés par l’U.C.S.A. de l’établissement pénitentiaire ou au sein d’une U.H.S.I. ce qui rend possible une incarcération « pour aller au bout de la peine ».

Enfin, sont souvent désignés des experts non spécialistes des pathologies dont souffrent les personnes détenues ce qui aboutit à une minoration de la gravité des situations.

Ainsi, s’agissant des personnes âgées et/ou handicapées, il est fondamental de prendre en compte la question de la dépendance dans les actes de la vie quotidienne : toilette, préparation des repas, alimentation, déplacements en détention, fréquentation de la cour de promenade, ménage de la cellule, occupations durant la journée, aide d’un co détenu, etc…

Il est possible de demander un complément d’expertise afin de vérifier le degré de dépendance du requérant.

Il serait utile de compléter l’article 720-1-1 en prévoyant un critère supplémentaire qui serait celui de l’incompatibilité de l’état de santé avec la détention ordinaire à raison du handicap et de la dépendance du requérant.

Dans ces conditions, la mission confiée aux experts prendrait obligatoirement en compte cette évaluation.

Le projet de sortie

Même en supposant que les conditions médicales soient remplies, toute demande de suspension de peine doit comporter un projet de sortie, essentiellement en termes d’hébergement.

Or, le plus souvent, ce point pêche cruellement, en ce sens que les personnes condamnées, souvent âgées, n’ont aucune famille et ne peuvent plus intégrer des foyers de réinsertion qui leur sont en tout état de cause, fermés, n’étant pas conçus pour héberger des pensionnaires atteints de pathologies souvent graves ou présentant de lourds handicaps.

Le Tribunal de l’Application des Peines de CRETEIL, dont le rôle est surchargé de demandes de suspension de peine émanant, soit de l’hôpital de FRESNES, soit du Grand Quartier de la maison d’arrêt, a imaginé d’admettre les requérants au bénéfice de la suspension de peine, lorsque les conditions sont remplies,  et de suspendre la mise à exécution de celle-ci à l’obtention d’un hébergement. (TAP CRETEIL 24 octobre 2006 ; jurisprudence constante dans le ressort de cette juridiction).

Dès que la condition est réalisée, par Ordonnance, le JAP met en application la suspension de peine.

Un problème lancinant et récurrent : l’absence d’hébergement.

Un raisonnement a été tenu, consistant à invoquer le principe de continuité des soins (figurant dans le Code de la Santé Publique aux articles L 6112-1 et 2) en application duquel l’hôpital qui soigne, au sein de l’Unité de Consultation et de Soins Ambulatoires (U.C.S.A.), doit également soigner à l’extérieur les personnes qui lui sont confiées.

Devant le refus opposé par l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris à la demande d’une personne âgée détenue à Fresnes, admissible à une suspension de peine et en faveur de laquelle les experts préconisaient une admission dans une maison de retraite médicalisée, une procédure de référé suspension a été introduite devant le Tribunal Administratif de PARIS (L 521-1 du Code de justice administrative)

Par une ordonnance en date du 13 juin 2007, (AJ PENAL  le Président du Tribunal Administratif de PARIS, considérant que l’AP-HP était débitrice d’une telle obligation, lui a enjoint d’orienter le requérant vers une structure adaptée à son état de santé.
« Considérant qu’en vertu de l’article L 6112-1du code de la santé publique, le service public hospitalier assure, dans des conditions fixées par voie règlementaire, les examens de diagnostic et les soins dispensés aux détenus en milieu pénitentiaire et, si nécessaire, en milieu hospitalier, : qu’aux termes de l’article D 368 du code de procédure pénale : «  les missions diagnostic et de soins en milieu pénitentiaire et la coordination des actions de prévention et d’éducation pour la santé sont assurées par une équipe hospitalière placée sous l’autorité médicale d’un praticien hospitalier, dans le cadre d’une unité de consultation et de soins ambulatoires, conformément aux dispositions des articles R 711-7 à 711-18 du code de la santé publique. En application de l’article 711-7 du code de la santé publique, le directeur de l’Agence Régionale de l’Hospitalisation désigne, pour chaque établissement  pénitentiaire de la région, l’établissement public de santé, situé à proximité de l’établissement pénitentiaire, qui est chargé de mettre en œuvre les missions décrites au premier alinéa du présent article ».Qu’enfin, en vertu de l’article L 6112-2 du code de la santé publique, les établissements hospitaliers « sont ouverts à toute les personnes dont l’état de santé requiert leurs services. Ils doivent être en mesure de les accueillir de jour et de nuit, éventuellement en urgence, ou d’assurer leur admission dans un autre établissement…ils dispensent aux patients les soins préventifs, curatifs ou palliatifs que requiert leur état et veillent à la continuité de ces soins, en s’assurant qu’à l’issue de leur admission ou de leur hébergement, tous les patients disposent des conditions d’existence nécessaires à la poursuite de leur traitement. A cette fin, ils orientent les patients sortants ne disposant pas de telles conditions d’existence vers des structures prenant en compte la précarité de leur situation ». Que ces dispositions mettent à la charge de l’A.P.-H.P. dont dépend l’Unité de Consultation et de Soins Ambulatoires du CHU de BICETRE, chargée de soigner les détenus de la maison d’arrêt de FRESNES, l’obligation de veiller à la continuité des soins assurés à Monsieur X par cette UCSA ; que si l’AP-HP fait valoir que l’état de Monsieur X ne nécessité pas d’hospitalisation, il lui appartient néanmoins d’orienter ce patient vers une structure adaptée à son état ».

Le principe est posé et peut être repris en province, à l’encontre des Agences Régionales d’Hospitalisation qui disposent du pouvoir d’orienter un malade vers un établissement de soins ou une maison de retraite médicalisée.

La révocation de la suspension de peine

Une suspension de peine, en l’état de la loi, peut être révoquée par le JAP ou le Tribunal de l’application des peines, soit dans l’hypothèse où les conditions médicales (expertise semestrielle pour les peines criminelles, à l’initiative du JAP dans les autres cas) ne seraient plus réunies soit pour manquement aux obligations fixées par le jugement d’octroi.

En aucun cas, une suspension de peine ne peut être révoquée pour mauvaise conduite ou commission d’une infraction durant la suspension.

En effet, l’article D 49-25 du CPP, relatif aux pouvoirs généraux du JAP de révoquer une mesure d’aménagement de peine, renvoie, in fine, à la procédure initialement utilisée pour octroyer la mesure

Or, cette possibilité n’est pas prévue par l’article 720-1-1 (interprétation stricte du texte).
CHAP PARIS 22 mars 2007 (CHARTIER) ; AJ PENAL 2007, 235 :
« …la mesure de suspension de peine pour raison médicale issue de la loi du 4 mars 2002, devenue l’article 720-1-1 du code de procédure pénale, ne comportait pas, à l’origine, des dispositions concernant les conditions dans lesquelles elle pouvait être retiré, la loi du 4 mars 2004, entrée ne vigueur le 1er janvier 2005, y ajoutant, a prévu que le juge de l’application des peines peut, à tout moment…ordonner qu’il soit mis fin à la suspension de peine si les conditions de celle-ci ne sont plus remplies et qu’il en est de même si le condamné ne respecte pas les obligations qui lui ont été imposées, en application des dispositions de l’article précédent ».
«…un simple décret qui est entré en vigueur en même temps que la loi ne saurait créer une condition de retrait supplémentaire, à savoir une mauvaise conduite, pour combler un soit disant vide juridique, ou une lacune de la loi »
« Dès lors, la mesure de suspension de peine ne saurait être retirée sur le fondement de l’article D49-2 du code de procédure pénale ».

Le « bug » de la loi du 24 novembre 2009

La question du vieillissement de la population carcérale a du paraître suffisamment préoccupante au législateur pour qu’il complète l’article 729 du CPP en prévoyant que la libération conditionnelle pouvait être accordée sans condition de délai aux personnes condamnées, âgées de 70 ans et plus, dès lors qu’une prise en charge était assurée et qu’il n’y avait pas de risque grave de récidive ou de trouble à l’ordre public.

Or, il s’avère que, parallèlement, le législateur n’a pas modifié l’article 720-2 du CPP qui prévoit qu’aucune mesure (permission de sortir, aménagement de peine etc…) ne peut être accordée dès lors que le condamné purge une peine de sûreté.

J’avais déposé plusieurs requêtes en libération conditionnelle dans l’intérêt de personnes remplissant les conditions posées par le texte, à ceci près qu’elles purgeaient une sûreté, le texte, selon moi, permettant d’accorder la mesure nonobstant la sûreté.

A chaque fois, le Tribunal de l’application des peines a rejeté au visa de l’article 720-2 du CPP.

Cet écueil avait été évité par la loi de mars 2002 instituant la procédure de suspension de peine pour raison médicale qui a prévu un dernier alinéa ainsi  rédigé :

« Les dispositions de l’article 720-2 ne sont pas applicables lorsqu’il est fait application des dispositions du présent article ».

Lors du dernier colloque de l’ANJAP, Monsieur Jean-René LECERF, un des « pères » de la loi pénitentiaire, durant son intervention, s’est félicité de l’avancée que constituait la possibilité, pour les condamnés, âgés de plus de 70 ans, de bénéficier d’une libération conditionnelle, « même en présence d’une période de sûreté ».

Interrogé par votre serviteur, Monsieur LECERF, d’une part, a confirmé que l’intention du législateur était d’étendre le bénéfice de la libération conditionnelle sans délai particulier à toutes les personnes âgées de plus de  70 ans, même en présence d’une sûreté, et, d’autre part, a admis que la loi pénitentiaire n’avait pas « verrouillé » le dispositif en prévoyant de « neutraliser » l’article 720-2 du CPP dans cette hypothèse.

Entendu par la commission d’évaluation de la loi pénitentiaire, j’ai préconisé d’utiliser le même dispositif que la loi instituant la suspension de peine pour raison médicale, savoir : « Les dispositions de l’article 720-2 ne sont pas applicables lorsqu’il est fait application des dispositions de l’alinéa précédent».

C’est ce que le rapport final a retenu.

Il serait donc utile de compléter dans ce sens l’article 729 du CPP.

Le « détricotage » opéré par la loi du 10 août 2011

La loi du 10 août 2011, généralisant la procédure d’évaluation de dangerosité, alors « réservée » aux personnes condamnées à perpétuité qui demandaient une libération conditionnelle (article 12 de la loi de février 2008) a considérablement durci la procédure de libération conditionnelle (« stage de six semaines au CNE, mesures probatoires) pour un grand nombre d’infractions et pour des peines à partir de dix années.

L’effet immédiat a été de rendre impossible l’octroi rapide d’une libération conditionnelle pour raison médicale.

De même, le caractère systématique des mesures probatoires (d’où le placement extérieur est bizarrement exclu) semble exagéré, voire inutile, s’agissant d’un grand nombre de condamnés, âgés et/ou malades.

Il serait nécessaire, voire urgent, de modifier la loi du 10 août 2011 (déjà considérablement amendée !) en restreignant le caractère obligatoire de la procédure d’évaluation de dangerosité et en permettant au juge de l’application des peines de passer outre dans les situations d’urgence, dès lors que le fondement de la demande est d’ordre médical ou même, s’agissant des personnes âgées de plus de 70 ans dès lors que l’expertise psychiatrique ordonnée par le JAP conclut à l’absence ou à une faible dangerosité criminologique et un risque faible ou inexistant de récidive.

La confusion des critères

Très fréquemment, les juridictions de l’application des peines, selon moi, utilisent, lorsqu’elles sont saisies d’une demande de libération conditionnelle pour raison médicale, le critère de la compatibilité de l’état de santé avec la détention, voire, celui de l’engagement ou non du pronostic vital, pour accorder ou non le bénéfice de la mesure sollicitée.

Il s’agit là, à mon sens, d’une confusion.

En effet, l’article 729 du CPP, prévoyant les critères d’octroi de la libération conditionnelle, vise le fait de justifier « …de la nécessité de suivre un traitement médical »

Le texte ne prévoit aucunement la condition que ce traitement ne soit pas administré en détention ni même que l’état de santé soit incompatible avec la détention.

Il est évident que l’hypothèse de l’incompatibilité de l’état de santé avec la détention vient conforter le bien-fondé de la demande mais l’inverse ne doit pas être considéré comme déterminant pour refuser l’octroi de la mesure dès lors qu’il est justifié de la nécessité du suivi d’un traitement médical.

Or, bien souvent, le juge, saisi d’une demande de libération conditionnelle pour raison médicale, ordonne deux expertises et demande aux experts, comme s’il s’agissait d’une demande de suspension de peine pour raison médicale, de déterminer l’existence de l’un ou l’autre ou des deux critères de cette procédure qui est spécifique et différente de la procédure de libération conditionnelle.

Le caractère systématique de l’ordonnance de prise de corps entraînant incarcération immédiate du condamné dont l’état de santé apparaît incompatible avec la détention.

Alors que la suspension de peine peut être prononcée ab initio, et qu’il est possible d’obtenir du tribunal correctionnel qu’il ne prononce pas de mandat de dépôt, l’ordonnance de prise de corps revêt un caractère systématique qui aboutit à ce que des personnes dont l’état de santé est incompatible avec la détention ou dont le pronostic vital serait engagé, soient incarcérées les privant de la possibilité de solliciter ab initio la suspension de leur peine lorsque l’arrêt criminel devient définitif.

Il s’agit là d’une grave rupture d’égalité qu’il convient de corriger en ôtant son caractère systématique à l’ordonnance de prise de corps.