lundi 13 janvier 2020

Jeudi 9 janvier 2020 : expertise des conditions de détention au sein de la Maison d'Arrêt d'Évreux


Le jeudi 9 janvier dernier, je me suis rendu à la maison d'arrêt d'Évreux accompagné de ma collaboratrice, afin de participer à l'expertise de la maison d'arrêt d'Évreux, en compagnie d'un expert architecte.

En effet, le 2 octobre 2018, j'ai saisi le tribunal administratif de Rouen d'une procédure de référé expertise, sur le fondement de l'article R 532-1 du code de justice administrative, dans l'intérêt de 13 personnes qui se trouvaient détenues au sein de la maison d'arrêt d'Évreux.

La procédure ayant duré très longtemps jusqu'à ce que le tribunal administratif de Rouen, par une ordonnance du 8 octobre 2019, désigne un expert, 12 de mes clients ont été, soit remis en liberté, soit transférés vers un établissement pour peines.

Le Garde des Sceaux, d'ailleurs, a interjeté appel de cette décision et, la Cour Administrative d'Appel de Douai, par une ordonnance en date du 5 décembre 2019, a rejeté le recours du Garde des Sceaux et a simplement modifié la mission dévolue à l'expert en retranchant de sa mission la description de l'état de la cour de promenade.

La maison d'arrêt d'Évreux est un établissement pénitentiaire ancien, dont la construction s'est achevée durant l'année 1912.

Elle comprend 110 cellules réparties en trois quartiers différents, outre un quartier "arrivants", savoir, d'une part, le "petit quartier" et le "quartier Est" regroupant les personnes détenues prévenues, et, d'autre part, le "grand quartier"au sein duquel sont incarcérées les personnes détenues condamnées.

Au jour de l'expertise, 307 personnes se trouvaient détenues au sein de la maison d'arrêt d'Évreux

Le taux de personnes incarcérées en détention provisoire est très supérieur à la moyenne nationale et s'établit à 40 % du total.

A l'époque visée par la requête que j'ai déposée, soit les années 2017 et 2018, majoritairement, 347 personnes, en moyenne, y étaient détenues.

S'agissant de la taille des cellules, plus d'une centaine d'entre elles sont d'une surface de 10 m², les quelques autres sont appelées « dortoirs » et hébergent entre 6 et 8 personnes détenues (personnes plus âgées ou auxiliaires, employées au service général) ; leur surface est d'un peu plus de 20 m².

Les 13 requérants ayant été détenus dans plusieurs cellules, 40 cellules au total, dont 2, situées au quartier disciplinaire également 2, situées au sein du quartier «arrivants» ont été visitées.

La quasi-totalité des cellules « ordinaires », d'une surface de 10 m² était occupée par trois personnes détenues ; parfois même, il était constaté que des matelas se trouvaient au sol ce qui signifiait une quatrième personne détenue s'y trouvait.

La sensation qui prédomine est celle d'une promiscuité absolument intolérable, liée, bien évidemment, au nombre de personnes détenues dans chaque cellule (3, voire 4) mais aussi à la place occupée par leurs affaires qui représentent tout leur univers en détention et, pour certains d'entre, probablement, l'intégralité de leur patrimoine...

J'ai demandé à l'expert, particulièrement impliqué et motivé par sa mission, et, également, probablement, très impressionné par cet univers qu'il découvrait, de mesurer, d'une part, la surface de chaque cellule (mais, très vite, nous nous sommes rendus compte qu'elles étaient systématiquement de la même taille, à quelques centimètres près), mais, également, d'autre part, la surface des équipements de la cellule : lits superposés, généralement, à trois étages, tables, chaises, armoires, coin WC et lavabo etc...

En effet, la Cour Européenne des Droits de l'Homme, par sa jurisprudence constante, (par exemple, CANALI c/ France 25 avril 2013) considère qu'un espace individuel inférieur à 3 m² par personne détenue constitue un traitement contraire à l'article 3 de la Convention en lui-même, en d'autres termes, un traitement inhumain et dégradant.

Pour prendre en compte l'espace individuel disponible par personne, il convient de tenir compte du fait que les installations sanitaires, ainsi que les meubles de la cellule, réduisent l'espace disponible par personne détenue.

En conséquence, la surface de 3 m² par personne détenue doit être calculée, après déduction de la surface des meubles et des équipements de la cellule.

En l'espèce, sans même attendre les conclusions du rapport d'expertise, il est incontestable que chaque personne détenue au sein de la maison d'arrêt d'Évreux dispose d'une surface très largement inférieure à 3 m² pour aller dans la cellule qu'elle occupe.

Ce constat est probablement également valable, s'agissant des « dortoirs », certes, d'une surface plus importante, mais, également, accueillant un nombre encore plus élevé de personnes détenues.

Néanmoins, s'agissant de ces quelques cellules spécifiques, j'attends les chiffres précis de l'expert afin de pouvoir calculer la surface disponible par occupant.

Suite au dépôt du rapport d'expertise, dans les prochains mois, une procédure au fond sera initiée devant le Tribunal Administratif de Rouen, précédée, comme la procédure l'exige, d'une demande indemnitaire adressée directement au Garde des Sceaux.

Je n'imagine pas une seconde que celle-ci y fasse droit ; je serai donc contraint de saisir le Tribunal Administratif de Rouen d'un recours contentieux.

D'ores et déjà, de nombreuses autres personnes détenues au sein de la maison d'arrêt d'Évreux se sont manifestées pour participer à cette procédure.

Dans la mesure où un très grand nombre de cellules ont été visitées le jeudi 9 janvier dernier, il ne sera pas utile de solliciter une nouvelle expertise, celle-ci étant d'ores et déjà représentative de l'ensemble des cellules de la maison d'arrêt d'Évreux.

https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/conditions-de-detention-indignes-a-la-prison-d-evreux-un-avocat-attaque-l-etat-1578648754

Quelques plans de cellules réalisés par les requérants :




La procédure débute par l'envoi à la personne détenue qui souhaite engager un recours portant sur ces conditions de détention d'un questionnaire très complet dans lequel il lui est demandé de décrire, le plus précisément possible, là où les cellules dans lesquelle(s) il est ou a été détenu, le nombre de codétenus, l'état des murs, du plafond, des fenêtres, des toilettes, la proximité de celles-ci par rapport au lieu de prise des repas etc....

Il leur également demandé, dans la mesure du possible, de réaliser un plan ou un croquis de la cellule, comme ceux qui sont reproduits ci-dessus.

La description faite par chacun des requérants, même si elle fait apparaître certaines constantes, reflète la vision que chacun d'entre eux a de ses conditions de détention et, les points qui lui apparaissent les plus importants à souligner.

Généralement, ces témoignages sont particulièrement émouvants et font apparaître une grande souffrance.