jeudi 8 décembre 2011

Interview de Marie Cretenot, responsable des enquêtes à l'Observatoire international des prisons, qui vient de publier son rapport.




Après avoir mené l'enquête pendant 6 ans, l'Observatoire international des prisons (OIP) publie mercredi 7 décembre son troisième rapport qui révèle notamment "une dégradation des conditions de détention dans toutes les thématiques, notamment le délaissement de plus en plus conséquent de l'ensemble de la mission de réinsertion" explique Marie Cretenot, responsable des enquêtes à l'OIP, juriste et rédactrice du rapport.
"Le Nouvel Observateur" l'a interrogée.
Où en est la mission de réinsertion ?
- Alors que la population carcérale augmente, on fait face à une baisse continue des crédits alloués à la formation professionnelle, et à une stagnation des moyens affectés aux unités d'enseignement. Seul un détenu sur onze peut accéder aux formations professionnelles. Certaines sont qualifiantes, dans les domaines des espaces verts ou du bâtiment par exemple, d'autres consistent davantage en des remises à niveau scolaire et s'inscrivent aussi dans la lutte contre l'illettrisme. Depuis 2005, les crédits ont été coupés, des formations ont été arrêtées et des cursus non renouvelés. Les professeurs des unités d'enseignement sont affectés par l'Education nationale. Leur nombre a un peu augmenté, mais sans suivre l'évolution de la population carcérale. Il y a aujourd'hui de moins de moins de profs et de plus en plus de détenus.
Qu'en est-il, alors, de la lutte contre la récidive mise en avant par le gouvernement ?
- Au fil du temps, le terme même de "réinsertion" s'est effacé au profit de l'expression "prévention de la récidive". Cette dernière peut comprendre la notion de réinsertion, mais s'oriente en fait davantage vers une logique de contrôle et de surveillance. Les moyens financiers sont essentiellement consacrés au développement des bracelets électroniques ou des dispositifs de sécurité de plus en plus importants. Pourtant, les évasions n'augmentent pas. Les services d'application des peines et ceux d'insertion et de probation sont surchargés. Les conseillers d'insertion et de probation gèrent en moyenne entre 80 et 150 dossiers en même temps. Ils n'ont pas les moyens d'assurer leur mission d'accompagnement des personnes à l'extérieur. Or, un des meilleurs moyens pour lutter contre la récidive est l'aménagement de peine en milieu ouvert accompagné d'un suivi personnalisé. L'augmentation du parc pénitentiaire et du nombre de places de prison est également prioritaire en terme de budget. Le dernier projet s'élève à 4 milliards d'euros, dont 3,8 milliards ne sont pas encore payés, et on vient d'annoncer un nouveau projet. On mise tout sur la garde et le contrôle au détriment de l'accompagnement et des moyens pour les services dont le but est de résoudre des problématiques individuelles.
Quelles conséquences génère en prison cet abandon de la réinsertion ?
- Cela génère de l'oisiveté, de la promiscuité, de la surpopulation, des tensions entre détenus et entre personnel et détenus, et du temps mort. Certains détenus sont seuls en cellule 22h/24, et cela pose la question du sens de la peine. Les personnes sortent de prison plus brisées et réduites qu'elles ne l'étaient en y entrant.
Cela explique-t-il au moins partiellement la hausse du taux de suicides ?
- Plusieurs facteurs peuvent expliquer l'augmentation du taux de suicide : les conditions de détention, la rupture des liens familiaux ou le mauvais accueil des familles, l'aggravation de la pauvreté à l'intérieur de la prison, le fait, pour certains, de vouloir retourner contre soi la violence quotidienne, le désespoir, et divers facteurs individuels et circonstanciels... Les droits du détenu n'ont pas beaucoup évolué non plus depuis notre dernier rapport en 2005, malgré la loi pénitentiaire. La notion de 'détenu citoyen' édictée par des règles européennes n'a été suffisamment mise en avant. Elle consiste à dire que la vie en détention doit être la plus proche possible de la vie en liberté et, qu'en conséquence, les droits des détenus doivent être les plus proches possibles de ceux d'un citoyen à l'extérieur. On en est très loin, notamment concernant le travail.
Où en est le travail en prison ?
- Le droit du travail n'est toujours pas appliqué en prison. Les détenus n'ont pas droit au SMIC ni aux indemnités en cas de chômage technique, arrêt maladie ou accident de travail, et ne savent pas à l'avance combien de jours ou d'heures ils vont travailler. En termes de droits, les conditions de travail en prison sont dignes du 19e siècle. En terme de nature des tâches également : les travaux proposés consistent le plus souvent en le pli de prospectus, la mise en boîte d'objets,...
De quelle manière s'illustre l'aggravation de la pauvreté, à laquelle vous venez de faire référence ?
- En 2004, selon les chiffres de l'administration pénitentiaire, un détenu sur six vivait avec moins de 45 euros par mois. Si l'on prend en compte l'augmentation du nombre de détenus, nous faisons face aujourd'hui à un doublement du nombre de détenus vivant avec moins de 45 euros par mois. Or, si l'on veut vivre décemment, le coût de la vie en prison tourne autour de 200 euros par mois .
Comment ce coût est-il calculé ?
- Il est essentiellement calculé sur l'économie de la prison : l'achat de cartes téléphoniques, la location de la télévision –42 euros par mois dans certains établissements-, du réfrigérateur, l'achat de produits d'entretien et d'hygiène –certains sont distribués par l'administration, mais en nombre insuffisant pour une hygiène correcte. S'ajoute à cela l'achat de nourriture en plus des repas. Le milieu carcéral est tellement infantilisant que le simple fait d'acheter la nourriture que l'on choisit procure un sentiment de liberté. Mais la plupart des produits sont vendus en moyenne 17% de plus qu'à l'extérieur. Vient enfin le tabac.
L'OIP a déjà, par le passé, pointé du doigt l'impossibilité pour les détenus de contester une décision de l'administration. Cela a-t-il évolué ?
- Il est désormais possible de contester les décisions dans certaines conditions, comme un licenciement par exemple. Mais l'administration pénitentiaire décide toujours seule des affectations des détenus dans tel ou tel régime, qui a une incidence considérable sur leur quotidien. Certains peuvent travailler et participer, d'autres non, sans que les détenus ne sachent pourquoi ni ne puissent le contester.
Interview de Marie Cretenet, juriste, responsable des enquêtes à l'OIP et rédactrice du rapport 2001, par Céline Rastello - Le Nouvel Observateur
(le mercredi 7 décembre 2011)