jeudi 23 janvier 2014

Les prisons françaises sont-elles en surchauffe ?




De nombreux incidents ont secoué le monde carcéral ces dernières semaines. Deux visions, l'une sécuritaire, l'autre plus participative, s'opposent pour faire face aux problèmes.
Agressions envers des surveillants, prises d’otages, refus de réintégrer les cellules… La litanie des incidents dans les prisons françaises s’égraine, semaine après semaine, de Toul à Montmédy, en passant par Condé-sur-Sarthe. Cette tension apparemment grandissante se traduit-elle dans les chiffres de l’administration pénitentiaire ? Difficile de savoir, tant l’institution demeure floue sur la situation. Des chiffres internes, dont l’Observatoire international des prisons (OIP) a eu connaissance, apportent toutefois quelques éléments de réponse.
Ainsi, les huit premiers mois de 2013 ont été marqués par une augmentation sensible (+40%) des mouvements collectifs en détention par rapport à la même période en 2012. Les violences entre détenus et les agressions envers le personnel, elles, diminuent (-2,6% et -5,3%). Sollicitée par Libération, l’administration n’a pas été en mesure d’indiquer si cette tendance se poursuivait depuis. Si tel était le cas, cela relativiserait la thèse d’une surchauffe carcérale. Certes, les détenus se mobilisent, notamment en refusant de réintégrer leurs cellules, mais les violences s’atténueraient.
La diversité des prisons françaises complique la donne. Quoi de commun, en effet, entre la maison centrale d’Alençon-Condé-sur-Sarthe, qui regroupe les «pires détenus de France», et le centre de détention de Montmédy, où les prisonniers ont profité de leur relative liberté de mouvement pour tourner un Harlem Shake ? Néanmoins, les différentes parties prenantes du dossier en conviennent : la situation carcérale n’est pas reluisante, même s’ils se méfient des «emballements médiatiques» récents. Zoom sur trois points clés du débat.

La vie en prison

La surpopulation carcérale endémique est un élément clé du débat, et ce depuis plusieurs années. Au 1er décembre 2013, on comptait 67 738 prisonniers pour 57 447 places disponibles, soit un taux d’occupation de 117,91%. Tous les soirs, plus de 1 000 matelas sont déployés à même le sol pour qu’un détenu y passe la nuit. A la maison d’arrêt de Sequedin, dans le Nord, «il y a trois détenus par cellule, décrit Anne Chereul, représentante locale de l’OIP. C’est un quotidien fait de promiscuité et de frustrations, avec un exercice difficile des droits fondamentaux, par exemple pour maintenir les liens familiaux. Cela peut entraîner des réactions éruptives.» Les locaux parfois insalubres, comme aux Baumettes, n’améliorent pas les choses.

La sécurisation, une réponse insuffisante ?

Pour limiter les risques d’incidents, la piste sécuritaire semble aujourd’hui privilégiée. Christiane Taubira, la ministre de la Justice, a ainsi dévoilé un «plan de sécurisation» après la spectaculaire tentative d’évasion de Rédoine Faid. «Cela ne répond pas réellement aux besoins de sécurité, estime Antoine Danel, secrétaire national du syndicat des directeurs pénitentiaires (SNDP). La surenchère technologique, à travers des portiques de sécurité, des caméras, des miradors, n’est pas toujours adaptée. Il ne faut pas oublier que des hommes doivent porter ces enjeux.»
Le débat en devient même parfois caricatural, lorsque certains syndicats de surveillants dénoncent à longueur de communiqués le «laxisme» dont bénéficieraient les détenus et réclament, bruyamment, plus de «sécurité». Même point de crispation autour des fouilles intégrales, qui, selon la loi, doivent être l’exception et non la règle. Cela n’empêche pas FO Pénitentiaire de demander aujourd’hui leur retour.

Une piste, la sécurité dynamique ?

«L’administration fabrique des gens dangereux en imposant des régimes de détention très sévères, affirme Anne Chereul. C’est un cercle vicieux.» Elle cite l’exemple d’un détenu qui s’est apaisé depuis que ses conditions de détention ont été améliorées. «Le rapprochement de chez lui, le vouvoiement des gardiens ont été bénéfiques», dit-elle. L’OIP demande que l’administration applique les recommandations du Conseil de l’Europe sur le concept de «sécurité dynamique». «Les miradors, barbelés et autres caméras de surveillance ne suffisent pas. Il faut un régime plus participatif afin d’obtenir de l’ordre, juge Anne Chereul. L’idée, c’est de permettre aux détenus de vivre dans des conditions les plus proches possible de l’extérieur, via des activités professionnelles ou socio-culturelles, des relations avec la famille. Bref, il faut leur offrir des perspectives de développement personnel.»
La «sécurité dynamique» prône également un dialogue plus important. «Il faut permettre aux conflits de s’exprimer autrement que par la violence. On peut imaginer des comités de détenus, un système de représentation, qui feraient remonter des revendications à l’administration», ajoute Anne Chereul, qui recommande également une meilleure formation des surveillants à la «gestion du conflit»«Certains ont des approches très sécuritaires, ce qui ne fait qu’aggraver les tensions.»
Ce syndrome du surveillant «porte-clés», se contentant d’ouvrir et fermer les portes, Thierry Cordelette le connaît très bien. Le responsable de l’Ufap-Unsa au centre pénitentiaire de Varennes-le-Grand (71) l’a longtemps expérimenté. Mais depuis septembre, un nouveau système a été mis en place, baptisé «surveillant-référent».«Chaque surveillant suit le parcours de vingt détenus de manière personnalisée, explique-t-il. Cela change la relation entre les deux parties, qui peuvent échanger lors d’entretiens réguliers et travailler ensemble à des pistes de comportement à adopter pour préparer l’après-prison.» Selon le syndicaliste, la situation s’est largement apaisée depuis cette réforme. «Il n’y a quasiment plus d’incidents, alors qu’avant on en avait un par semaine.»
Sylvain MOUILLARD

Le nombre des personnes détenues en France : toujours une tendance haussière sur une année !

PARIS, 21 jan 2014 (AFP) - Quelque 67.075 personnes étaient incarcérées en France au 1er janvier, un chiffre en baisse (-1%) par rapport à décembre mais en hausse sur un an (+0,8%), selon un communiqué publié mardi la direction par l'Administration pénitentiaire.
Toujours au 1er janvier, la capacité opérationnelle des établissements
pénitentiaires, c'est-à-dire le nombre de places disponibles, était de 57.516 places.
La taux d'occupation, soit le nombre de détenus rapporté au nombre de
places, était donc de 116,6%, en baisse par rapport à décembre (117,9%).
Parmi les personnes incarcérées, 16.622 étaient des prévenus et 50.533 des condamnés.
Outre les personnes incarcérées, 12.378 autres bénéficiaient d'un
aménagement de peine: 1.022 sous forme de placement à l'extérieur, 1.765 en semi-liberté et 9.591 équipées d'un bracelet électronique.
Les aménagements de peine sont en hausse de 5,6% sur un an et de 15,8% sur deux ans.

Détenus hors de leurs gonds à la prison d’Alençon




A la prison d'Alençon-Condé-sur-Sarthe, après une prise d'otage le 30 décembre. 

Une quinzaine d’incidents majeurs, selon les syndicats, ont eu lieu en six mois dans ce centre pénitentiaire ultrasécurisé inauguré en avril.
Elle était présentée comme la prison «la plus sécurisée de France». Avec sa double enceinte de béton, ses miradors et ses caméras, le centre pénitentiaire d’Alençon-Condé-sur-Sarthe, dans l’Orne, devait accueillir les détenus les «plus durs» du pays. «Ceux dont on ne veut pas ailleurs», comme le résume Philippe Devique, secrétaire régional de l’Ufap-Unsa, le principal syndicat de surveillants pénitentiaires. Mais depuis son ouverture il y a huit mois, le lieu collectionne prises d’otages, agressions et incidents violents. Il est devenu l’incarnation d’une certaine vision carcérale, hypersécuritaire, dont le modèle semble aujourd’hui à bout de souffle. Chose rare, l’administration pénitentiaire reconnaît à demi-mots avoir fait fausse route.
Condé-sur-Sarthe, «c’est la lie de la population carcérale», raconte Alexis Grandhaie, élu de la CGT pénitentiaire dans le Grand-Ouest «On n’a eu de cesse d’alerter contre ce projet né il y a dix ans, qui associe des longues peines - donc des gens qui n’ont rien à perdre -, avec des profils psychologiques. Bref, les cas les plus complexes.» Les syndicats ont recensé une quinzaine d’incidents majeurs au cours des six derniers mois. L’hiver a été particulièrement tendu.
Le 10 janvier, le directeur adjoint de la maison centrale est blessé à la tête par un détenu armé d’un pic aiguisé. Fin décembre, un surveillant est retenu en otage quelques heures par deux prisonniers demandant leurs transfèrements dans un autre établissement. Un chantage plutôt efficace : les intéressés ont depuis été affectés à Rennes et Rouen, non sans avoir écopé de huit ans de prison supplémentaires. Peu importe, ils n’ont pas grand-chose à perdre.
C’est ce qui ressort des témoignages reçus par l’Observatoire international des prisons (OIP). «C’est une centrale extrêmement sécuritaire qui fait péter les plombs, car on nous traite comme dans les prisons américaines, explique un détenu. C’est vraiment inhumain. Moi, si je ne suis pas transféré rapidement, je vais faire une prise d’otage pour parler aux médias de notre détention très difficile […]. S’il vous plaît, aidez-nous.» Un autre appuie : «La direction nous pousse à commettre des actes car Condé-sur-Sarthe est un QHS amélioré [quartier de haute sécurité, un système supprimé en 1981, ndlr]. On est tout le temps en cellule, on n’a pas beaucoup d’activité. C’est pour ça qu’il y a des mouvements et la prise d’otage. Moi, je suis déterminé à ne pas me laisser faire. Car pour le système de Condé, on est des cobayes. Si je dois prendre des années pour être transféré ou pour faire respecter mes conditions de détention, je le ferai sans hésiter.»
Désœuvrement. Outre sa population particulièrement difficile, la prison de Condé cumule plusieurs handicaps. «Le travail préalable à l’ouverture, notamment la mise en place d’un comité de pilotage, n’a pas été correctement réalisé. Tout s’est fait à marche forcée», déplore Philippe Devique. L’encadrement est insuffisant. Sur les 180 surveillants, la moitié sont stagiaires. Des jeunes, qui n’ont pas l’expérience requise. L’établissement n’a même pas de psychiatre à plein-temps.
Autre problème : la configuration des lieux. «Ce type de prison demande d’importants effectifs pour les postes de sécurité, miradors, portes d’entrée, postes de surveillance de la promenade, décrit Philippe Devique. Résultat : les agents ne sont pas tous au contact de la population pénale. Et ceux qui le sont se retrouvent isolés.» Et Alexis Grandhaie d’appuyer : «Or, on ne peut pas travailler sans lien humain.»
L’isolement géographique n’arrange pas les choses. Les détenus, qui viennent de partout en France, se retrouvent très loin de leurs familles. Le désœuvrement pèse aussi sur le quotidien. Même si, pointe Jean-Michel Dejenne, responsable du SNDP, seconde organisation chez les directeurs de prisons, Condé-sur-Sarthe est plutôt«dans une bonne moyenne» en terme d’activité professionnelle : «Sur les 67 détenus, 41 travaillent.»
Confrontée à ce constat d’échec, l’administration pénitentiaire (AP) commence à bouger. Aucune nouvelle affectation de détenus ne sera effectuée tant que la situation ne sera pas «stabilisée». Le profil des prisonniers devrait changer. «Condé continuera à accueillir des détenus difficiles car c’est aussi la vocation de cet établissement, mais on va affecter des gens qui ont des profils plus diversifiés», a indiqué vendredi dernier Bruno Clément, sous-directeur de l’état-major de sécurité de l’AP. L’homme a aussi reconnu que le pari de la «sécurité maximum» n’était pas suffisant : «Au-delà des équipements, il faut qu’on travaille beaucoup plus sur la relation entre les personnels et ces détenus.» Les surveillants devraient être formés en conséquence, et les prisonniers bénéficier d’un suivi «individualisé». Un revirement qui devrait ravir l’OIP. L’association milite de longue date pour une plus grande implication des personnels pénitentiaires. Ce concept, baptisé «sécurité dynamique», prône un régime carcéral plus participatif, et pas uniquement basé sur la dissuasion.
Parole.L’OIP relativise par ailleurs l’impression de surchauffe carcérale qu’ont donnée de multiples incidents - à Condé-sur-Sarthe, mais aussi à Toul, ou encore aux Beaumettes à Marseille. Ainsi, les onze premiers mois de 2013 ont été marqués par une diminution de 6,1% des agressions contre le personnel. En revanche, les mouvements collectifs, comme les refus de réintégrer les cellules, par exemple, explosent (+ 33,67%). Pour Anne Chereul, représentante de l’OIP dans le Nord-Pas-de-Calais, cela illustre la nécessité de sortir d’une vision uniquement sécuritaire : «Il faut donner des possibilités d’expression aux détenus à travers des groupes de parole par exemple. Et permettre aux conflits de s’exprimer autrement que par la violence.»
Par SYLVAIN MOUILLARD (Libération)