samedi 17 décembre 2011

"Les détentions n’ont jamais été aussi longues»


Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, sur le record d’incarcérations :
Jamais un tel chiffre n’avait été atteint : au 1er décembre, 65 262 personnes étaient incarcérées dans les prisons françaises. Pour 57 255 places. Le nombre de détenus avait pourtant baissé de 2008 à la fin 2010, preuve qu’un gouvernement de droite, peut, s’il le veut, sortir du tout carcéral (1). Pourquoi un tel sommet aujourd’hui ? Explications de Jean-Marie Delarue, contrôleur des lieux de privation de liberté.
Que dire de ce nouveau record historique ?
Revenons quarante ans en arrière : il y avait alors moins de 35 000 détenus dans les prisons françaises pour 500 000 poursuites pénales. Aujourd’hui, on compte 65 000 détenus pour environ 640 000 poursuites. Alors que les poursuites ont cru de moins d’un tiers, le nombre de détenus a augmenté de près de 100%. Si on condamnait aujourd’hui comme on le faisait dans les années 70, 45 000 personnes seraient incarcérées.
Comment l’expliquer ?
Le gonflement de la population pénale n’est pas dû à l’augmentation des faits de délinquance, mais à la manière dont on perçoit la délinquance. Des faits divers médiatisés peuvent avoir un impact, comme si les juges devenaient pendant quelque temps plus stricts. Mais il est des causes plus profondes. Les lois d’abord : plus répressives, elles amènent des condamnations plus lourdes. C’est le cas des peines plancher instaurées en 2007 [qui fixent un quantum de peines minimum en cas de récidive, ndlr] : elles majoreraient le nombre de personnes incarcérées de 10 000.
L’alourdissement des peines prononcées est d’ailleurs un phénomène relevé à l’échelle européenne, notamment après les attentats de 2001. Au final, en France, le nombre d’entrées annuelles en prison varie peu (autour de 85 000), mais la durée de l’emprisonnement augmente, que ce soit pour les condamnés ou pour les personnes en détention provisoire. Celle-ci n’a jamais été aussi longue : 25,5 mois pour les crimes.
La hausse actuelle est aussi conjoncturelle…
Depuis deux ans, un coup de projecteur a été mis sur les «peines non exécutées». Dans un rapport, l’inspection générale des services judiciaires a noté le fait qu’à un instant T, 80 000 peines (toujours courtes) sont en attente d’être exécutées [mais deux ans après avoir été prononcées, plus de 90% des peines sont exécutées]. Le président de la République a parlé de scandale et la chancellerie a demandé aux magistrats d’accélérer l’exécution : on exhume des dossiers pour aller chercher des condamnés et les enfermer. Mécaniquement, cela participe à la surpopulation.
Quels en sont les impacts ?
Entasser, dans 9 m², deux lits et un matelas génère une tension incroyable. Les détenus sont de plus en plus nombreux alors que l’activité n’augmente pas : il n’y a pas assez de cours, de travail, de salles de sport, de parloirs… La surpopulation remet en cause le fonctionnement de la prison : le dialogue entre surveillants et détenus, la qualité des repas… Et le nombre d’agressions de surveillants ne cesse d’augmenter.
Recueilli par
(1) Lire «"La prison doit changer, la prison va changer", avait-il dit…», Véronique Vasseur et Gabriel Mouesca, Flammarion.