jeudi 8 décembre 2011

L'enfer de la prison de Nouméa


Régulièrement pointée du doigt pour ses conditions inhumaines de détention, l'ancien bagne fait l'objet d'un rapport alarmant du contrôleur général des lieux de privation de liberté.


«La République ne doit pas s'arrêter à la porte de cette prison.» La déclaration coup de poing est à mettre au crédit d'une sénatrice écologiste, Alima Boumediene, après sa visite de l'ancien bagne de Nouméa, appelé aussi «Camp Est», en janvier 2010. Surpeuplée, insalubre, étouffante, cette prison de Nouvelle-Calédonie est toujours en aussi piteux état presque deux ans plus tard. Après une visite inopinée de quatre membres de ses services la semaine du 11 octobre, le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGPL), Jean-Marie Delarue, a décidé d'avoir recours à une procédure d'urgence pour attirer l'attention du Garde des Sceaux sur une situation «de violation grave des droits fondamentaux» des détenus. Le ministre ayant tardé à répondre à son courrier du 25 octobre, il a rendu ses observations publiques mardi dans le Journal Officiel.
Elles sont accablantes. «Au moment de la visite, 438 personnes y étaient écrouées pour un nombre théorique de 218 places», écrit-il. La suroccupation dépasse les 200% dans le centre de détention et frôle les 300% dans le quartier de la maison d'arrêt. Dans ce dernier secteur, «chaque cellule (de 12m2) comporte trois lits superposés d'un côté, deux lits superposés de l'autre côté, et souvent, entre les deux rangées de lits, un matelas posé à même un sol crasseux et humide où circulent des rats et des cafards». Soit, la plupart du temps, six personnes dans un espace où il ne devrait y en avoir que deux selon les critères définis par l'administration pénitentiaire.

La cellule inondée pour apporter de la fraîcheur

Les prisonniers tentent d'empêcher les rats de rentrer, attirés par les restes de plateaux-repas entreposés dans des meubles ouverts, en bouchant les grilles d'aération. En résulte une atmosphère «étouffante». Les remontées d'égouts sont «fréquentes et empestent l'atmosphère». Les ventilateurs, quand il y en a, ne fonctionnent plus. «Pour lutter contre la température excessive, la pratique consiste à inonder périodiquement la cellule», raconte le CGPL. Pour compléter le tableau, les conduites d'arrivée d'eau des W-C, à la turque et dans un coin de la cellule, ont été détournés pour faire des douches sommaires. Et ce «sans la moindre protection vis-à-vis des installations électriques pourtant dégradées».
Les conditions de vie dans la partie centre de détention ne sont pas meilleures. Les détenus se partagent souvent un box de 8 m2 à deux, ou une cellule de 24m2 à 7 ou 8. Les grilles d'aération ont été arrachées et servent de panier suspendu pour protéger la nourriture des rats. Le manque de meubles de rangement a pour conséquence un désordre permanent. Que ce soit le quartier ouvert, fermé, de semi-liberté ou les cellules disciplinaires, les conditions d'hygiène sont déplorables, les toilettes à la turque séparées par un simple tissu sale et miteux mis en place par les prisonniers eux-mêmes.
De manière générale, les détenus passent 22 à 23 heures dans leurs cellules, n'ont pas accès au téléphone. Les visites au parloir sont mal organisées, l'accès aux soins «très difficile». Le personnel, «remarquable de dévouement et d'investissement», est «épuisé et inquiet». Au cours de la visite des contrôleurs, un meurtre s'est produit dans une cellule. La presse fait régulièrement état de violences et de suicides. Des événements qui, selon le CGPL, sont liés aux «conséquences inéluctables que fait peser la sur-occupation de l'établissement sur les conditions de détention».

Imbroglio entre l'État et les autorités locales

Aussi catastrophique soit-il, le tableau dressé par Jean-Marie Delarue n'est pas totalement inattendu. L'observatoire international des prisons (OIP) pointe depuis des années que le «Camp Est» est «le reflet de ce qu'il y a de pire en matière de conditions de détention». François Bès, coordinateur outre-mer de l'OIP, explique le silence médiatique par l'éloignement de ces territoires. Il note d'ailleurs que la situation est tout aussi catastrophique en Polynésie, dans le centre de Faa'a Nutania ou le taux de suroccupation dépasse 400%.
En 2009, après une importante vague d'évasions, la ministre de la Justice Michèle Alliot-Marie avait pourtant promis une «restructuration lourde» de la prison de Nouméa. «Tous les crédits ont été utilisés pour renforcer la sécurité et rien n'a été alloué à l'amélioration des conditions de vie», déplore François Bès. En mai de cette année, la Chancellerie a présenté un projet de «réhabilitation et d'extension» de la prison avec «livraison de la première tranche en 2016». Mais la ville de Nouméa préfèrerait la construction d'un nouveau centre et se refuse pour le moment à délivrer le permis de construire nécessaire aux travaux de modernisation.
Pour Jean-Marc Delarue, cet «imbroglio» mettant en cause l'État et les autorités locales est inacceptable. Pour l'OIP, il faudrait commencer par faire diminuer la population carcérale. «La plupart des détenus sont des jeunes condamnés à de courtes peines pour lesquels il faudrait privilégier des peines alternatives, en partenariat avec les autorités tribales notamment», souligne François Bès. En attendant, des centaines de détenus continuent de croupir dans des conditions indignes.