lundi 16 mai 2011

Profil intime


Le métier d'avocat fut pour moi un merveilleux hasard. Au sortir d'une activité « alimentaire » de huit années dans la banque, il s'en est fallu de peu que je passe à côté de ce qui allait devenir l'engagement de toute une vie.

Prestation de serment mois de janvier 1993, je deviens avocat à Rouen alors que ceux de ma génération le sont depuis plusieurs années. Jeune avocat à 33 ans, je débute comme tous les confrères de ma promotion, par des commissions d’office ; le « pénal » m'intéresse déjà au plus haut point alors qu'on aurait pu me penser attiré par le droit des affaires si l'on se réfère à ma première vie.

D’emblée, la défense pénale m'a fasciné. Premier dossier d'assises, plutôt chaotique, en 1995 puis, un autre en 1996 et encore d’autres, plus nombreux chaque année…

Mais le véritable tournant, le choc, la prise de conscience de la réalité carcérale date de l'année 1995.


Deux parents me demandent d'intervenir pour leur fils, détenu à la maison d'arrêt de Rouen, qui a été violé, dans sa cellule, par ses deux co détenus.

Depuis la révélation des faits, il est terré dans une cellule du quartier des mineurs, en butte aux menaces des autres détenus qui lui reprochent d'avoir brisé l’omerta ; il ne parle plus à personne.

Ma mission va consister à l'accompagner, à le soutenir dans sa constitution de partie civile, jusqu'au procès de ses agresseurs devant la cour d'assises de Seine-Maritime.

L'instruction ouverte « au criminel » le restera et aboutira à un renvoi devant cette juridiction, au mois de juin 1997.

Au décours de ce procès, les deux accusés seront condamnés à 16 et 13 ans de réclusion criminelle.

L'étude du dossier dont j'étais totalement imprégné, au bout de deux années, fut pour moi l'occasion de la découverte de la terrible réalité du monde carcéral. Je me suis rendu compte avec une certaine honte que je ne savais absolument rien et que, bien pire, jusqu'alors, ce qui se passait derrière les hauts murs des prisons ne m'avait jusque là, absolument pas intéressé !

Honte ? Oui, bien sûr, essentiellement parce qu'à travers cette affaire de ce jeune, fragile psychologiquement, arrivé en prison presque par hasard, j'ai pris conscience que ce drame pouvait concerner chacun nous, à l'issue d'un enchaînement de circonstances, d'une descente aux enfers…

Dès lors, il est aisé de conclure que la prison fait partie intégrante de la société, concerne chacun de nous et qu'il est impossible de l'ignorer. C'est la raison pour laquelle, symboliquement, la prison doit se situer au cœur de la société et au centre de la ville, ce, non exclusivement pour des raisons de commodité mais bel et bien pour que le peuple français qui rend la justice par ses juges, voit où finissent les personnes qu'il condamne.

Il m'est apparu indispensable de rattraper le temps perdu et de mettre mon activité d'avocat au service de cette cause.

Peu de temps après le procès, je suis retourné dans le dossier avec une question en tête : les deux codétenus, condamnés, étaient-ils seuls responsables des viols commis dans la cellule, durant près de trois semaines ?

N'y avait-il pas eu une négligence, tant dans le fait d'avoir placé la victime dans cette cellule, en compagnie d'un codétenu, condamné pour des faits infiniment plus graves et présentant une tout autre dangerosité que dans le fait d'une éventuelle défaillance de la surveillance ?

En bref, l'administration pénitentiaire n’était-elle pas aussi, pour partie, responsable du cauchemar vécu par mon client ?

Je me suis ouvert de cette question dans un courrier destiné à ce dernier et à ses parents.

Immédiatement, j'ai reçu le blanc-seing d'entreprendre toute action utile, c'est-à-dire d'engager la responsabilité de l'administration pénitentiaire devant le tribunal administratif de Rouen.

Malgré une jurisprudence fondatrice du conseil d'État, datant du XIXe siècle, les décisions de condamnation de l'administration pénitentiaire étaient rares, car fondées sur la notion de faute lourde.

Deux décisions, essentielles, allaient structurer mon recours, en ce qu'elles semblaient correspondre au cas d'espèce que j'entendais soumettre au tribunal administratif

(Sanction de l'État pour faute de placement en cellule : WAECHTER 1978

Faute de surveillance imputable à l'administration pénitentiaire : DAME ZANZI 1973)

Par un jugement en date du 1999, le tribunal administratif de Rouen, retenant les deux fautes lourdes que j'invoquais, a condamné l'État, considéré comme responsable des viols à hauteur de 20 %.

D'autres décisions ont suivi, rendues par le tribunal administratif de Rouen qui, dans ce domaine particulier, a joué et joue encore un rôle novateur.

Émergence d’un nouveau droit, le droit administratif pénitentiaire, c'est-à-dire la combinaison des règles de procédure du droit public et du code de procédure pénale, permettant de faire sanctionner la violation des dispositions régissant l'exécution des peines et, également, d'engager la responsabilité de l'État dans des hypothèses de suicide, d'atteinte à l'intégrité physique des personnes détenues etc…