29 septembre 2011, 8h45, heure locale, maison d’arrêt de
Basse Terre.
Seconde expertise du programme ; départ très matinal pour éviter les bouchons sur cette route, une des plus belles sur lesquelles il m’ait été donné de rouler : la mer des Caraïbes à ma gauche, la forêt tropicale, immense, luxuriante, faite d’espèces végétales inconnues en métropole (en tout cas de moi !), les plantations de bananiers, de canne à sucre, l’allée Dumanoir etc.…
La maison d’arrêt de Basse Terre est en
plein centre-ville, à côté du palais de justice qu’elle jouxte.
Les bâtiments d’origine, un couvent,
fondés en 1663, n’existent plus ; ils ont été rasés en 1830 pour
construire l’actuelle prison qui se trouve une des plus anciennes qu’il m’ait
été donné de visiter, excepté celle de Troyes qui, elle date bel et bien du
XVIIIe siècle.
Elle comprend trois bâtiments de
détention : A, B et C (très original non ?) ; le dernier, chouïa
plus récent, ayant été construit vers l’année 1880.
Sa capacité a fait, une nouvelle fois,
l’objet de discussions entre votre serviteur et la directrice de la maison
d’arrêt, savoir que j’ai eu, encore, confirmation, par celle-ci, sur ma demande
expresse, de ce ratio « tropical », encore inférieur à celui que la
pénitentiaire utilise en métropole.
La capacité théorique de l’établissement
est, selon la direction, de 130 places, selon les normes
« atypiques » évoquées ci-dessus.
Au jour de la visite, 155 personnes y
étaient hébergées, dans 55 cellules de tailles très variables, comprises entre
13 m² et 18-20 m², le tout, dans un état loin d'être impeccable!
Ces dernières cellules, comme à Troyes,
sont baptisées « dortoirs » ; plus loin, je raconterai cette
discussion qui s’est instaurée durant la visite, entre le chef de détention et
moi-même sur la signification du terme « dortoir » pour une personne
qui y est enfermée 22h sur 24 !
Il n’y a pas de quartier
d’isolement ; le quartier disciplinaire compte trois cellules.
Le chef de détention nous a fait la visite
après que l’expert ait listé toutes les cellules dans lesquelles les requérants
avaient été détenus et tous les travaux qui avaient été menés depuis l’année
2010, la directrice, Madame SAN NICOLAS ayant tenu à faire état de efforts
qu’elle avait déployés pour tenter d’améliorer les choses ; j’ai
simplement noté que, dès que des travaux étaient entrepris, ils concernaient,
de prime abord, les bâtiments administratifs avant la détention :
électricité, étanchéité des toits terrasses, plomberie, fuites d’eau,
sanitaires à refaire dans les cellules, diagnostic des passerelles des
bâtiments A et B ayant conduit à remplacer un escalier béton dont la ferraille
apparaissait par un escalier métallique, au bâtiment A.
En tout état de cause, la directrice nous
a fait part du projet de démolition reconstruction de la maison
d’arrêt avec une extension sur un terrain limitrophe de l’actuel édifice,
en plein centre-ville !
Voilà qui devrait faire pâlir d’envie la
chancellerie qui s’escrime à trouver un terrain ad hoc pour la future maison
d’arrêt de ROUEN : un terrain en centre-ville ! Le rêve !
(enfin, ça dépend pour qui !).
Mais, les arbitrages budgétaires, dans
l’immédiat, privilégieront certainement, d’après Madame SAN NICOLAS, le second
centre pénitentiaire dit « BAIE MAHAULT II » ; ce projet dont
nous a parlé le directeur de cet établissement le 28 septembre, devrait
augmenter la capacité du BAIE MAHAULT de 200 places !
La visite.
Contrairement à Baie Mahault, première
impression : le silence !
Je suis rentré dans la cour du bâtiment A
durant la promenade ; j’ai immédiatement été frappé par le calme des
personnes qui s’y trouvaient, aucune clameur, aucune musique à fond ; tout
le contraire de BAIE MAHAULT !
Il est vrai que cette maison d’arrêt est
beaucoup plus petite mais les bâtiments sont à proportion ; donc le
phénomène devrait être identique, ce, d’autant plus, que la « population
pénale » m’est apparue, là encore, très jeune, avec une moyenne d’âge,
selon moi, inférieure ou égale à 30 ans.
Plusieurs de mes clients ont évoqué la
présence de rats dans les descriptions de leurs conditions de détention ;
juste avant de pénétrer dans la cour de promenade du A, j’ai posé la question
au chef de détention qui m’a répondu qu’il y en avait effectivement mais que
des campagnes de dératisation étaient menées régulièrement et que, de toutes
façons, il en avait aussi chez lui contre lesquels il menait une lutte bien
inégale ! Nous franchissons la porte du bâtiment A et, là, dans une pelle
à poussière, une personne détenue nous montre un rat, encore chaud, qu’il vient
de tuer alors qu’il venait de surgir d’une évacuation d’eau dans la cour :
un beau Gaspard ! Drôle de coïncidence, non ? On en parle, on me
répond de façon plutôt évasive, et toc : un rat mort ! Inutile de
préciser que j’ai demandé à l’expert de prendre une photo.
L’aspect des bâtiments m’est apparu très
dégradé, aussi bien la « cour d’honneur » présentant la façade
postérieure du bâtiment administratif, totalement décrépite, noircie par l’humidité ;
idem pour les bâtiments de détention, à deux niveaux, l’accès au niveau
supérieur se faisant par une passerelle (coursive en métropole) à laquelle on
accède par ces fameux escaliers dont celui du bâtiment A a été remplacé par un
escalier métallique.
Le régime de détention, soyons clair, est
celui d’une maison d’arrêt, donc, portes fermées, à l’exception de quelques
cellules dans le bâtiment C dans lesquelles sont affectés les travailleurs.
Les cellules des bâtiments A et B sont
dénommées « dortoirs » : effectivement plus grandes (environ
18/20 m², elles comportent un grand nombre de lits superposés à deux niveaux et
peuvent héberger jusqu’à 16 personnes.
Lorsque nous les avons visitées, environ 8
détenus s’y trouvaient ; j’attends le rapport de l’expert pour préciser
mes souvenirs quant au nombre de lits, la surface des cellules et le nombre
exact d’occupants dans chacune d’elles.
Mon impression générale, quoi qu’il en
soit, est une grande vétusté, dégradations, humidité…
Les sanitaires sont, là, réellement
séparés de la pièce, d’une part, une douche par cellule, dans une petite pièce,
très réduite, dépourvue de porte, elle aussi très humide ; il est permis
de se demander quels types de bactéries ou de microbes se trouvent au fond des
évacuations d’eau.
D’autre part, à un autre angle de la
pièce, les toilettes, elles aussi dans une petite pièce séparée, munie d’une
porte battante, les WC sont dépourvus, comme partout, de couvercles rabattants.
Si ce n’était la porte battante fermant de
façon incomplète le cabinet d’aisance, on pourrait dire que celui-ci est séparé
du reste de la cellule, mais bon…tout ceci est très vétuste.
A l’intérieur des cellules, le système D
règne ! Par exemple, les grilles des ventilateurs sont toutes démontées pour
faire des corbeilles à fruits et légumes ; ces derniers sont mangés crus
en raison de l’interdiction des totos, plaques chauffantes et a fortiori, des
chauffes artisanales, en raison du risque d’incendies dû à la présence de très
nombreux textiles dans les cellules mais aussi, je pense à la vétusté du
système électrique !
S’agissant des dortoirs et de
l’encellulement collectif, il m’a été longuement expliqué que ce mode de
détention était préféré par les personnes détenues, étant plus proche de la
culture caribéenne !
Dans la mesure où, à l’extérieur, les
caribéens vivent, de préférence, en collectivité, il vaut mieux les détenir
dans les mêmes conditions et c’est ce qui expliquerait l’absence de suicide à
BASSE TERRE depuis de très nombreuses années.
J’ai été prévenu, dès l’instant où un
système d’encellulement individuel sera mis en place, il y aura des
suicides ! Qu’on se le dise !
A BAIE MAHAULT, le responsable de la
maison d’arrêt m’a donné une autre explication : l’antillais aime son
corps et il n’y touchera jamais ; à BAIE MAHAULT non plus, d’après lui, il
n’y a pas de suicide, même si une cellule est prévue pour y mettre un détenu en
crise afin qu’il soit surveillé de façon très étroite par le SMPR.
J’ai discuté sur cette notion et celle de
dortoirs : comment voulez-vous que les personnes détenues aient le
choix ? bien sûr, il est très possible qu’ils préfèrent l’encellulement
collectif mais dans quelles conditions ? Dans celles qu’offre la maison
d’arrêt de Basse Terre ? Sous prétexte que leurs conditions de vie sont
précaires à l’extérieur, il n’est pas choquant de les enfermer dans un endroit
manifestement insalubre ?
De même, cette notion de dortoir, ne
parlait on pas de cités dortoirs pour évoquer ces villes nouvelles on ne
faisait que dormir entre deux journées passées au boulot ?
Or, en l’espèce (comme à Troyes, j’avais
eu la même discussion à ce sujet) les personnes sont enfermées H 24 dans le
dortoir ; non seulement, ils y dorment, mais, aussi, ils y vivent,
cuisinent, bougent, tentent d’avoir un tout petit peu d’intimité ; ce
n’est donc plus un dortoir que l’on peut quitter à sa guise, mais bel et bien
une cellule où sont enfermées un grand nombre de personnes !
La différence sémantique est de taille
mais elle sert à masquer une réalité beaucoup plus gênante!
En tout état de cause, même si le discours
officiel tend à nous faire croire que la culture caribéenne convient à ce type
d’enfermement, les quelques personnes à qui j’ai parlé hier ont toutes dénoncés
leurs conditions d’enfermement comme étant indignes !
Les deux autres cellules visitées, dans le
bâtiment C, construit en 1880, à l’écart des deux autres bâtiments, puisque
séparé par un bâtiment « intermédiaire » dans lequel se trouvent les
services généraux et l’UCSA, sont d’une surface de 14,30 m² pour 8 détenus et
de 13,03 m² pour quatre détenus.
L’expert a surtout été frappé par la
vétusté de l’installation électrique, la rareté des prises obligeant les
utilisateurs à effectuer des branchements pirates pour le ventilateur (d’un
modèle ancien, faisant apparaître le moteur, généralement placé au bout du
lit), la radio etc...
Il a évoqué un risque immédiat nécessitant
une intervention en urgence.
Les sanitaires, dans ces cellules, ne sont
pas séparés de celles-ci, cloisonnés dans l’une d’entre elles, par un muret à
l’ancienne.
Et surtout, pour des surfaces plutôt
modestes, elles possèdent, l’une quatre lits superposés et l’autre, deux ce qui
permet de se convaincre d’un réel entassement !
Au premier étage de ce bâtiment, l’expert
et moi-même avons été frappé par des traces d’humidité dans l’escalier, dues à
la douche qui le jouxte, dans un état épouvantable de dégradation :
moisissures, fuites, salpêtre, eau partout, utilisée depuis peu : un savon
mouillé traînait par terre.
Enfin, j’ai pu rencontrer un de mes
clients, le seul à être encore détenu à Basse Terre ; on m’a prévenu, il
s’agit d’un des derniers amérindiens, d’avant la colonisation ; originaire
de la Dominique, il ne parle qu’anglais et ne sait ni lire ni écrire, comme un
fort pourcentage des personnes détenues à Basse Terre, d’ailleurs.
Avec l’expert, nous lui avons demandé s’il
avait des observations supplémentaires à formuler : il connaît bien Basse
Terre, il y est depuis 5 ans !
Pour terminer, réunion de synthèse dans
les locaux (climatisés) de la direction ; là, j’ai assisté à une
magnifique séance de remontage de bretelles de la direction de la maison
d’arrêt de la part de l’expert ! Moi, dans mon coin, je comptais les
points !
Voilà comment ça s’est passé :
Tout d’abord, l’expert attire l’attention
de la directrice et du chef de détention, seuls présents, sur l’urgence à
effectuer des travaux d’électricité dans les cellules visitées dans le bâtiment
C (vous savez, les branchements pirates !) compte tenu du risque permanent
d’atteinte à la sécurité des personnes détenues ; il a, alors, demandé si
un plan du réseau électrique de la maison d’arrêt existait.
La directrice, après avoir répondu par la
négative, a avancé que des travaux seront réalisés précisément dans ces deux
cellules et sur tout l’étage pour que les détenus bénéficient du nombre de
prises voulu.
L’expert demande à la directrice si elle a
fait appel à un bureau d’études ou à un maître d’ouvrage qui coordonne les
travaux et les planifie.
Madame SAN NICOLAS répond que, dans la
mesure où l’APAVE (organisme de contrôle) inspecte chaque année l’établissement
et émet des recommandations sur les travaux à réaliser, il suffit de demander à
l’entreprise qui aura remporté l’appel d’offre de tenir compte de ces
recommandations, l’APAVE étant interrogée, par la suite, quant à la conformité
des travaux réalisés.
Selon elle, cela suffit, ce, d’autant plus
que, depuis l’année 2011, l’équipe de direction de la maison d’arrêt s’est
enrichie d’un responsable technique disposant des compétences suffisantes pour
évaluer la conformité des devis et des travaux réalisés.
Face à ce discours, l’expert a, alors,
parlé de naïveté en soulignant que l’APAVE n’est qu’un organisme de contrôle
qui ne peut, en aucune façon, remplacer un bureau d’études qui, lui, agit en
amont en organisant les travaux et en les planifiant, tant sur le plan
économique que sur le plan financier ; il a ainsi abordé l’exemple des
douches du bâtiment C, évoqué ci-dessus, qui ont été refaites il y a pourtant
un an et qui se trouvent à nouveau, dans un état de dégradation très avancé.
Selon lui, les travaux ont été réalisés en
dépit du bon sens et devraient faire l’objet d’une mise en cause de la
responsabilité de l’entrepreneur, sauf que…l’état est son propre assureur et ne
prend jamais aucune assurance dommages ouvrages ou décennale !
L’expert a étendu son raisonnement à
d’autres administrations pour conclure que celles-ci ou le ministère de la
justice marchaient à « côté de leurs pompes » et perdaient des
millions d’euros en réfections de malfaçons suite à des projets mal conçus, mal
réalisés, mal coordonnés…
En conclusion, ce constat a, une fois de
plus, mis en lumière ce qui pourrait, après vérification, être considéré comme
une discrimination entre la métropole et l’outre-mer, s’agissant de la
détermination de la capacité théorique des établissements pénitentiaires, en
admettant un ratio m²/détenu inférieur à celui de la métropole, en prenant
comme prétexte la « culture caribéenne » pour définir un mode de
détention (encellulement collectif dans des « dortoirs »).
Oui, pourquoi ne pas imaginer que, comme
le souligne l’administration pénitentiaire, l’encellulement individuel puisse
être mal ressenti par certaines personnes, issues, par exemple, de la culture
caribéenne ; dans ces conditions, il est impératif que celles-ci puissent
bénéficier de conditions de détention dignes, dans des locaux suffisamment
vastes, respectant un ratio de surface par personne respectant leur personne :
tout ceci n’est pas incompatible !