jeudi 29 septembre 2011

Guadeloupe : Expertises des maisons d'arrêt

Nous sommes le mercredi 28 septembre, il est 22 heures, je suis en Guadeloupe depuis hier et je suis très heureux d’y être pour être franc !

Pourtant, hier, je voyais ces expertises avec une certaine angoisse !

Oui, d’une part, on a beau dire, ces procédures, toutes neuves, sont encore rares et, « quelque part », elles violent l’intimité de la pénitentiaire en l’obligeant à se dévoiler (n’est pas DSK qui veut !!) et je crains toujours la réaction du corps, inhabitué à être attaqué, qui se défend par tous les moyens ; d’autre part, comme ces procédures sont toutes neuves, les usages sont encore indéterminés et des points qui, plus tard, seront considérés comme évidents, ne le sont pas pour l’instant !
Prenons, par exemple, la question de la présence d’un requérant, anciennement détenu dans l’établissement considéré, et bien, sa présence n’est pas évidente !
Pourquoi ? parce que la pénitentiaire décide seule qui peut rentrer et qui ne le peut pas en invoquant des « raisons de sécurité » qu’elle seule peut appréhender !
On n’épiloguera pas plus sur cet exemple ; Olivier Vincent (private joke) comprendra !
Enfin, j’étais loin de mes bases, de mes repères ; en plus, on m’avait interdit la présence d’un confrère du Barreau de Pointe à Pitre (voir les réactions du corps…)
Toutes ces raisons se bousculaient dans ma tête lorsque je conduisais ma voiture vers le centre pénitentiaire de Baie Mahault ce matin.
Je connaissais le chemin ; pourquoi ? parce que je l’avais repéré la veille !

Comme je l’ai dit au chef de détention de la maison d’arrêt durant l’expertise, j’ai, incontestablement, une gueule de touriste, et les personnes, hier, auxquelles j’ai demandé de m’indiquer la route pour la prison, ont dû trouver bizarre qu’un touriste demande à voir la taule du coin !
...

En fait, toutes mes angoisses se sont vite envolées, comme à chaque fois (toujours douter, c’est comme ça que l’on progresse !!), un accueil très chaleureux du directeur (ancien DISP adjoint à Lille ! ça ne s’invente pas !) qui me connaissait bien (confer les requêtes sur la maison d’arrêt de ROUEN !) ; par ailleurs, l’Expert, comme à chaque fois ou presque, désigné pour la première fois, tâtonnant dans cet univers très particulier, demandant s’il fallait parler de prison et ce que cette notion recouvrait et auquel il a fallu expliquer la différence entre une maison d’arrêt et un centre de détention mais qui, une fois brieffé, a su poser les bonnes questions et, surtout, écouter…
Première étape, interrogation de l’expert en direction du staff de direction de Baie Mahault ; d’une part, s’agissant de la taille des cellules dans lesquelles a été incarcéré mon client, leur aménagement, les sanitaires, leur état, etc… bref, les questions posées par l’ordonnance du TA de Basse Terre.
Déjà, un premier scoop ! : Dans la mesure où les antillais, et, d’une façon plus générale les français d’outre-mer sont habitués à vivre dans des conditions plutôt précaires, j’apprends (mais je m’en doutais confusément !), que les normes d’occupation des cellules sont plus restrictives qu’en métropole !
Donc, pour une cellule de 8,70 m², on admettra deux personnes alors qu’en métropole, on n’en mettra qu’une ; de même, une cellule de 11 m², sera suffisante pour quatre personnes ! vous pensez bien ! déjà qu’à l’extérieur !!...
Je sens (je ne tombe JAMAIS dans la connivence !) que mes interlocuteurs ne partagent pas ce point de vue et semblent considérer, comme moi, que le simple fait de traverser un océan ne justifie, en aucun cas, une telle différence de traitement !
Après avoir donné à l’expert mon point de vue sur le calcul de la surpopulation vu du côté de la pénitentiaire et du mien, s’agissant de la prise en compte d’un ratio de surface par détenu ; par exemple, dans les DOM TOM 2 détenus pour 8 m² et, en métropole, 11 m² pour deux détenus, pour déterminer une capacité opérationnelle qui aboutit à minorer le taux de surpopulation alors que le ratio, selon moi, est de 7/8 m² par personne (confer, les rapports parlementaires de 2001, les préconisations du Comité Européen de Prévention de la Torture), nous avons entamé la visite des trois cellules que mon client a occupées ainsi que des parties communes qu’il a fréquentées (cours de « promenade », douches, coursives, parloirs etc…).
Première impression, en pénétrant en détention : le bruit !
Une clameur constante, prégnante, faite de musique (zouk, reggae, interpellations, échanges, appels etc…
Il n’y a aucun moment de silence à Baie Mahault !
Baie Mahault est un centre pénitentiaire construit en 1996 (Ah ! les expertises de prisons « neuves » !) ; il comprend deux quartiers maison d’arrêt où s’est déroulée l’expertise, deux quartiers centre de détention ainsi qu’un quartier maison d’arrêt des femmes et un quartier mineurs.
Au jour de l’expertise, au sein des quartiers maison d’arrêt, sont détenus 330 personnes dans 80 cellules dans le quartier 1 et 40 cellules dans le quartier 2 ; donc, au total, 120 cellules pour 330 personnes détenues (je ne compte pas le quartier d’isolement et le quartier disciplinaire) ; le calcul est simple : 330/120 = 275 % !
Le chiffre officiel est très inférieur, pourquoi ?
D’une part, parce que le taux d’occupation est calculé de façon globale en incluant les quartiers des minots et des femmes, traditionnellement non surpeuplés (fort heureusement !) mais aussi le centre de détention au sein duquel l’encellulement individuel est, pour l’instant, obligatoire.
D’ailleurs, c’est ce chiffre global qui avait été fourni à l’expert avant que j’arrive (il était encore plus en avance que moi !).
D’autre part, comme je l’ai écrit plus haut, le calcul est fait sur une base différente, prenant en compte une surface par détenu très inférieure.
Beaucoup de métal à Baie Mahault ! du galvanisé pour résister à l’humidité, à la proximité de la mangrove, des nappes phréatiques sous-jacentes qui nécessitent des drainages souterrains ainsi que des pompes de relevage pour évacuer l’eau drainée.
Du métal, donc, dans les allées menant aux différents quartiers, sur les parois, en couverture, des grillages partout, des rouleaux de concertina (les nouveaux fils de fer barbelés, affûtés comme des rasoirs) au sommet des grillages et des déchets partout…vous savez, les personnes détenues ne respectent rien, c’est bien connu ! d’ailleurs, c’est à elles qu’il appartient de nettoyer leur cellule, ma brave dame !
Pardonnez moi, mais je continuerai demain…
Vous dormez depuis longtemps lorsque j’écris ces lignes, moi, je me couche ; demain ; lever à 6 heures pour l’expertise de la maison d’arrêt de Basse Terre ! la suite, demain soi, incluant Basse Terre !




Bon, je ne dors pas !

S’agissant de la dégradation des cellules, due à l’incurie des occupants, j’ai fait remarquer à l’expert qu’au-delà du comportement individuel de tel ou tel, il est certain qu’une sur-occupation entraîne immanquablement une dégradation plus rapide d’un local que dans l’hypothèse d’une utilisation « normale » ; de plus, il me paraît logique que, dès lors que vous êtes aussi peu pris en considération par la pénitentiaire, vous n’ayez pas réellement envie d’entretenir un lieu dans lequel vous être, contre votre gré, entassé avec d’autres personnes !

Les cellules donc :
La première que nous avons visitée, cellule « arrivant » dans laquelle mon client a vécu juste une journée, seul, cette fois-ci.
Hier, ils étaient deux à l’intérieur, deux arrivants, sans aucune affaire personnelle, l’un assis sur son lit, immobile, l’autre allongé sur le sien, également immobile ; le premier, lorsque je lui ai expliqué pourquoi j’étais là, s’est animé, visiblement très intéressé par une telle procédure, comme allaient l’être de nombreuses personnes, rencontrées, soit, dans leur cellule, soit dans les extérieurs des bâtiments.

La seconde, 11 m², quatre personnes à l’intérieur, jeunes 25 ans max, moins de 3 m² par personne, sachant qu’il faut déduire l’emprise du mobilier et des sanitaires.

Tous les quatre nous ont accueilli, l’expert et moi-même, dans leur cellule devenue très exigüe par les lits superposés, par le fait même qu’ils étaient quatre, à se bousculer dans cet espace, sans aucune intimité, sombre, ce qui contrastait avec l’intense lumière du dehors.

Des WC sur un côté, cloisonnés de façon incomplète, et ô miracle, dotés d’une évacuation forcée de l’air débouchant sur le toit (dixit le responsable technique), mais comme il n’y pas de réelle séparation avec la cellule, celle-ci est tout de même envahie à chaque utilisation ; nous verrons ce que l’expert en dira dans son rapport.

Là encore, j’ai pu dialoguer facilement avec les occupants de la cellule auxquels j’ai exposé le but de la procédure ; c’est l’occasion, à chaque fois, même lors d’autres expertises, de parler de leur situation, même pénale, des projets d’aménagement de peine en cours, éventuellement, de les conseiller ;

C’est ainsi qu’un jeune, occupant cette cellule, m’a indiqué qu’il venait du centre pénitentiaire de Ducos, en Martinique, et que ce transfert l’avait « coupé » de sa famille qui n’a pas les moyens d’aller le voir ! Je ne suis pas parti sans lui avoir donné l’adresse de l’OIP et conseillé de s’adresser à son avocat (s’il en a un !) afin qu’il dénonce cet arbitraire.

Il semblerait que, sous prétexte de désencombrer Ducos, de nombreux transferts comme celui-ci soient organisés, sans, manifestement, penser aux conséquences sur les relations familiales de ceux qui les subissent.

A chaque fois, ces rencontres sont riches et je déteste le moment où je sors de la cellule et que le surveillant referme la porte sur eux, comme une frontière devenue infranchissable !

La dernière cellule ; était-ce une cellule ? Plutôt un placard à balais ! 8,72 m², c’est officiel ; à l’intérieur, deux personnes dont on se demande comment elles parviennent à survivre dans un espace aussi petit ! Ce, d’autant plus qu’un bon tiers de la surface est bouffé par l’emprise des sanitaires, (WC et lavabo), situés à main droite en rentrant,  cloisonnés de façon incomplète, avec une porte battante, constamment ouverte.

Au fond à gauche, les lits superposés, en face, l’ouverture ; ah oui ! Nous sommes sous les tropiques, il n’y a pas de fenêtres dans les cellules : une ouverture, dotée de barreaux et un volet anticyclonique que les détenus ferment, en cas d’alerte ou la nuit, s’ils le souhaitent...ou lorsqu’il pleut !

Justement, une question, lorsqu’il pleut et, durant la période de juillet à décembre, c’est très fréquent, pour éviter que la cellule soit inondée, le seul moyen, c’est de fermer le volet,  donc on y voit plus rien dans la cellule et, même en plein jour, il faut allumer la lumière ?

Cette cellule, puisque c’en est une, a été photographiée sous tous les angles par l’Expert ; elle est si petite que ç’a été très rapide !

Là encore, les occupants de cette cellule comme de la première ont accepté d’en sortir pour permettre à l’expert de prendre des photos, ce qu’il aurait refusé de faire en leur présence, ne voulant pas violer leur intimité ; je pense qu’ils étaient heureux de pouvoir, même quelques minutes, aller prendre l’air.

L’expertise s’est poursuivie par les parloirs, nickels, très propres mais souffrant d’un inconvénient majeur : l’absence totale d’intimité ; en effet, les familles et leur proche détenu, sont regroupés à plusieurs dans des salles parloirs d’une vingtaine de m², autour d’une petit table, sans aucune séparation.

Pour le moment, il n’y a pas d’Unité de Vie Familiale à Baie Mahault mais il paraît qu’il est projeté d’en construire 3, indifféremment pour les quartiers maison d’arrêt et centre de détention.

Pour terminer, j’ai pu rencontrer avec l’expert, un de mes clients concerné par l’expertise de la maison d’arrêt de Basse Terre, transféré au Centre de Détention de Baie Mahault pour y purger sa peine.

Il a pu s’exprimer sur ses conditions de vie  en maison d’arrêt ; il a demandé une permission de sortir au JAP local ; la demande avait été examinée la veille, rien ne lui a encore été notifié. Il est donc probable qu’il ne pourra pas être présent tout à l’heure à Basse Terre !

Mon client, fonctionnaire d’Etat, doté d’un remarquable sens d’analyse, a fait remarquer à l’expert que le rapport qu’il allait déposer sur Basse Terre aboutirait, certainement, d’après lui,  à la fermeture de cet établissement très ancien, datant du XVIIe siècle, dont la fermeture serait envisagée depuis de nombreuses années.

L’expert lui a rétorqué qu’il n’imaginait pas que ses conclusions aboutiraient à un tel résultat, tellement, d’après lui, la situation est connue sans que personne ne fasse quoi que ce soit.

J’ai pris la parole pour lui citer l’exemple de la maison d’arrêt de ROUEN dont la fermeture, au beau milieu d’un de mes procédures, au mois d’avril 2010, a finalement été décidée par la chancellerie !

Et, au-delà de ça, même s’il n’y avait pas de fermeture, le plus important n’est-il pas de permettre de restaurer les requérants dans leur dignité, de leur permettre de retourner l’arme  du droit contre l’Etat, lui qui l’utilise souvent contre eux ?

En conclusion, cette expertise a été particulièrement intéressante car elle a visé un établissement récent, dont l’aspect extérieur n’appelle aucun commentaire particulier mais dont l’état des cellules apparaît déjà très dégradé, du fait de la surpopulation, et, finalement, c’est ça le plus important, les endroits où vivent les personnes détenues, ces usagers d’un service public !