LA
SUSPENSION DE PEINE POUR RAISON MEDICALE
L’article
720-1-1 du code de procédure pénale, issu de la loi du 4mars 2002, dite loi
KOUCHNER, voté dans un souci d’humanité, permet de suspendre une peine en cours
d’exécution, dès lors que deux critères alternatifs sont remplis, savoir, soit,
l’engagement du pronostic vital de la personne concernée, soit
l’incompatibilité de son état de santé avec le régime ordinaire de détention.
Le
texte, reproduit ci-dessous, a subi plusieurs modifications qui seront
examinées en même temps que la problématique correspondante, savoir :
Loi du 12
décembre 2005 :
Examen
du risque grave de
renouvellement de l’infraction
Révocation
de la suspension de peine en cas de non respect des obligations fixées par le
jugement
Expertise
médicale semestrielle pour les condamnés à une peine criminelle, destinée à
vérifier si les conditions médicales sont toujours remplies.
Loi du 24
novembre 2009 « Loi Pénitentiaire » :
Possibilité
ouverte d’accorder la suspension de peine, en cas d’urgence, si le pronostic
vital est engagé, au vu d’un certificat médical rédigé par le médecin chef de
la structure de soins dans laquelle la personne
concernée est prise en charge.
A)
Le risque grave de renouvellement
de l’infraction
Cette
modification, introduite par la loi du 12 décembre 2005, (un essai avait été
tenté durant les débats parlementaires de la loi du 9 mars 2004, PERBEN II,
consistant à prendre en compte un éventuel trouble à l’ordre public) permet de
refuser la suspension de peine en cas de risque de « renouvellement grave
de l’infraction ».
Ce
risque est évalué par une expertise psychiatrique ordonnée par le Juge de
l’Application des Peines qui instruit la requête initiale.
La
rédaction même du texte (La suspension de peine « peut » être
accordée….) autorisait déjà le juge à refuser, en application du principe
d’opportunité, la suspension de peine.
La
jurisprudence antérieure à la loi du 12 décembre 2005 ou visant des situations
antérieures à celle-ci (confer crim. 12 février 2003 affaire PAPON ; crim.
15 mars 2006) refusait de prendre en compte d’autres critères que ceux d’ordre
strictement médicaux..
Il
est néanmoins possible de considérer que, dans la mesure où les suspensions de
peine qui sont accordées, concernent des personnes très gravement malades ou
handicapées, cette condition devient relativement secondaire…mais elle existe.
B)
Quelle que soit la nature de la
peine ou la durée de la peine restant à subir
Toute
personne, dont la condamnation est définitive, peut demander la suspension de
la peine qu’elle purge, sans condition de délai.
Néanmoins,
la suspension de peine, pour être utile, doit concerner des personnes
condamnées, non accessibles à une mesure de libération conditionnelle médicale,
soit celles qui ne sont pas encore parvenues à mi peine ou subissent une
période de sûreté.
En
effet, pour les autres, il est préférable de privilégier une procédure de
libération conditionnelle « classique », pour raison médicale, qui
évite le suivi social et judiciaire « ad vitam aeternam » et le
risque, pour les personnes condamnées à une peine criminelle, de voir leur
suspension de peine révoquée, à l’issue de l’expertise semestrielle.
La
suspension de peine, comme son nom l’indique, suspend l’exécution de la peine
qui reprend son cours lorsque les conditions ne sont plus remplies.
Vision
lamartinienne de l’application des peines « ô temps, suspend ton
vol… ».
Donc,
autant que faire se peut, nécessité de déposer une requête aux fins de
libération conditionnelle médicale (article 729 du CPP), ce, d’autant plus que
la loi du 24 novembre 2009 a introduit une possibilité pour les personnes
condamnées, âgées de plus de 70ans, leur permettant d’obtenir une libération
conditionnelle, sans condition de délai.
La
libération conditionnelle présente l’avantage d’avoir une fin, celle de la
peine ou des mesures en ce qui concerne les condamnés à la réclusion criminelle
à perpétuité.
Enfin,
il est possible de demander la suspension de la peine avant même sa mise à
exécution !
Cette
possibilité avait été ouverte (mais non exploitée) par une circulaire de la
direction des affaires criminelles et des grâces, signée JC MARIN (actuel
procureur de la République près le TGI de PARIS), précisant que la suspension
de peine visant l’incompatibilité de l’état
de santé avec la détention avait aussi pour finalité d’éviter une
incarcération à ceux qui ne pourraient, d’évidence, pas la supporter.
La
Chambre Criminelle de la Cour de cassation, par un arrêt du 21 février 2007 a
jugé que la suspension de peine était accessible au condamné libre, quelque
soit la durée de la peine à purger.
Le
juge de l’application des peines doit être saisi sur le fondement des
dispositions des articles 723-15 et suivants du CPP, concernant les
aménagements de peine « ab initio », même si la peine à effectuer est
supérieure à un an (deux ans depuis le
24 novembre 2009).
C)
Les critères de la suspension de
peine
Ceux-ci
doivent être établis par deux expertises aux conclusions (et non pas les
constatations contenues dans le rapport ; crim. 27 juin 2007) concordantes.
La
Chambre criminelle a estimé qu’il était possible de rejeter une demande de
suspension de peine dès lors qu’une première expertise avait été déposée, dès
lors qu’elle considérait qu’aucun critère n’était rempli. (Crim.23 juin 2004).
a)
Le pronostic vital engagé
La
jurisprudence antérieure à 2005
n’exigeait pas de définir le délai de « réalisation » du pronostic
vital (court, moyen ou long terme).
La chambre
criminelle, par un arrêt en date du 28 septembre 2005 (AJ PENAL 2005 461),
exige désormais
que le pronostic vital soit engagé à court terme. (voir aussi : crim 4
octobre 2006 AJ PENAL 2007 40).
Néanmoins,
cette exigence n’est plus retenue lorsque, par ailleurs, les experts, de façon
concordante, estiment que l’état de santé est incompatible avec la détention (crim. 15 mars 2006),
s’agissant du second critère alternatif.
La
chambre criminelle reste, en réalité, sur son exigence de l’engagement à court
terme du pronostic vital et, dans l’espèce qui lui était soumise, n’a pris en
compte que l’incompatibilité de l’état de santé avec la détention.
b)
Incompatibilité de l’état de
santé avec la détention
Ce
second critère, depuis l’arrêt du 28
septembre 2005, restreignant les cas d’admission sur le fondement du premier
critère, est de plus en plus souvent invoqué.
L’état
de santé de la personne concernée doit être incompatible :
Ø Durablement
Ø Avec la détention ordinaire
Durablement : il doit s’agir de
pathologies « installées »
Avec la détention
ordinaire
L’état
de santé de la personne condamnée doit être incompatible avec le régime de
détention de l’établissement pénitentiaire où il se trouve (maison d’arrêt ou
établissement pour peine), pour y purger une peine.
Ceci
exclut de fait les établissements destinés à les héberger temporairement pour y
recevoir des soins, tels que les U.H.S.I. !
Pourtant,
de nombreuses juridictions d’application des peines rejettent des demandes de
suspension de peine au motif que la proximité d’un tel établissement dans
lequel la personne peut être transférée, permet de rendre son état de santé
compatible !
Il
est constant que les U.H.S.I ou l’hôpital pénitentiaire de FRESNES n’ont pas
vocation à recevoir des condamnés pour y purger leur peine ; donc, par
conséquent, ne peut être pris en compte que le régime ordinaire de détention
pour déterminer la compatibilité de l’état de santé.
Dans un arrêt en date du 7 janvier 2009,
concernant une demande de suspension de peine déposée par un condamné
atteint de paraplégie, dont les experts avaient considéré qu’outre l’absence
d’engagement du pronostic vital, son état de santé était compatible avec le
maintien en détention, la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation a
considéré :
« Mais attendu
qu’en se prononçant ainsi sans rechercher, comme l’y invitaient les conclusions
du demandeur, s’il ne résultait pas des deux expertises que les conditions
effectives de sa détention étaient
durablement incompatibles avec son état de santé, la chambre de
l’application des peines n’a pas justifié sa décision au regard des
dispositions de l’article 720-1-1 du code de procédure pénale ».
La question du
handicap
Un
nombre sans cesse croissant de personnes âgées (parfois très âgées) sont
détenues, souffrant de multiples
pathologies mais aussi de handicap moteur et, très fréquemment, de sénilité.
Contre
toute attente, il arrive que les experts qui les examinent, considèrent, que,
nonobstant ces handicaps, pourtant réellement invalidants, leur état de santé
est compatible avec la détention !
Solution : obtenir une contre expertise
ou un complément d’expertise, dans l’hypothèse où le juge ne l’ordonne pas lui-même.
Quid ?
Le
texte ne prévoit pas cette possibilité de droit.
Le
fondement juridique doit donc être recherché dans les pouvoirs généraux des
juridictions d’application des peines, évoqués par les articles 712-16 ou D 527 du code de procédure
pénale, relatifs aux pouvoirs des juridictions saisies ou de leurs
présidents.
Il
n’en demeure pas moins que le juge n’est pas lié par une telle demande qu’il
peut rejeter.
Néanmoins,
en cas de contradiction, même si la jurisprudence permet le rejet de la requête
en suspension de peine, de nombreuses juridictions ordonnent, soit des contre
expertises, soit des compléments d’expertises.
Le
Juge tiendra compte de la troisième expertise ou du complément, s’il vient
modifier la ou les expertises initiales et aboutit à ce qu’un ou deux critères
soient remplis (crim. 14 octobre 2009 AJ PENAL 2010 42).
Le
juge a aussi la possibilité de statuer outre les conclusions des expertises en
se fondant sur d’autres éléments du dossier : certificats médicaux, par
exemple.
La
loi du 24 novembre 2009 a rajouté une possibilité d’octroi de la suspension de
peine, en cas d’urgence, au vu d’un certificat médical délivré par le médecin
chef de la structure dans laquelle la personne concernée est prise en charge,
lorsque le pronostic vital est engagé.
Cette
nouvelle possibilité, qui concernera, en réalité, les personnes arrivées à la
dernière extrémité (notion d’urgence), permet de passer outre, en théorie (nous
verrons l’application qu’en feront les juridictions d’application des peines),
les conclusions des expertises.
L’expérience
démontre que les experts choisis, le plus souvent, raisonnent « in
abstracto », sans connaître les conditions effectives dans lesquelles
vivent les personnes qu’ils examinent ; il en résulte fréquemment des conclusions
tendant à la compatibilité de l’état de
santé avec la détention au seul motif que des soins sont administrés par
l’U.C.S.A. de l’établissement pénitentiaire ou au sein d’une U.H.S.I. ce qui
rend possible une incarcération « pour aller au bout de la peine ».
Enfin,
sont souvent désignés des experts non spécialistes des pathologies dont
souffrent les personnes détenues ce qui aboutit à une minoration de la gravité
des situations.
Ainsi,
s’agissant des personnes âgées et/ou handicapées, il est fondamental de prendre
en compte la question de la dépendance dans les actes de la vie
quotidienne : toilette, préparation des repas, alimentation, déplacements
en détention, fréquentation de la cour de promenade, ménage de la cellule,
occupations durant la journée, aide d’un co détenu, etc…
Il
est possible de demander un complément d’expertise afin de vérifier le degré de
dépendance du requérant.
Le projet de
sortie
Même
en supposant que les conditions médicales soient remplies, toute demande de
suspension de peine doit comporter un projet de sortie, essentiellement en
termes d’hébergement.
Or,
le plus souvent, ce point pêche cruellement, en ce sens que les personnes
condamnées, souvent âgées, n’ont aucune famille et ne peuvent plus intégrer des
foyers de réinsertion qui leur sont en tout état de cause, fermés, n’étant pas
conçus pour héberger des pensionnaires atteints de pathologies souvent graves
ou présentant de lourds handicaps.
Le
Tribunal de l’Application des Peines de CRETEIL, dont le rôle est surchargé de
demandes de suspension de peine émanant, soit de l’hôpital de FRESNES, soit du
Grand Quartier de la maison d’arrêt, a imaginé d’admettre les requérants au
bénéfice de la suspension de peine, lorsque les conditions sont remplies, et de suspendre la mise à exécution de
celle-ci à l’obtention d’un hébergement. (TAP
CRETEIL 24 octobre 2006 ; jurisprudence constante dans le ressort de cette
juridiction).
Dès
que la condition est réalisée, par Ordonnance, le JAP met en application la
suspension de peine.
Un problème
lancinant et récurrent : l’absence d’hébergement.
Un
raisonnement a été tenu, consistant à invoquer le principe de continuité des
soins (figurant dans le Code de la Santé Publique aux articles L 6112-1 et 2) en
application duquel l’hôpital qui soigne, au sein de l’Unité de Consultation et
de Soins Ambulatoires (U.C.S.A.), doit également soigner à l’extérieur les
personnes qui lui sont confiées.
Devant
le refus opposé par l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris à la demande d’une
personne âgée détenue à Fresnes, admissible à une suspension de peine et en
faveur de laquelle les experts préconisaient une admission dans une maison de
retraite médicalisée, une procédure de référé suspension a été introduite
devant le Tribunal Administratif de PARIS (L 521-1 du Code de justice
administrative)
Par une
ordonnance en date du 13 juin 2007,(AJ
PENAL le Président du Tribunal
Administratif de PARIS, considérant que l’AP-HP était débitrice d’une telle
obligation, lui a enjoint d’orienter le requérant vers une structure adaptée à
son état de santé.
« Considérant
qu’en vertu de l’article L 6112-1du code de la santé publique, le serive public
hospitalier assure, dans des conditions fixées par voie règlementaire, les
examens de diagnostic et les soins dispensés aux détenus en milieu
pénitentiaire et, si nécessaire, en milieu hospitalier, : qu’aux termes de
l’article D 368 du code de procédure pénale : « les missions
diagnostic et de soins en milieu pénitentiaire et la coordination des actions
de prévention et d’éducation pour la santé sont assurées par une équipe
hospitalière placée sous l’autorité médicale d’un praticien hospitalier, dans
le cadre d’une unité de consultation et de soins ambulatoires, conformément aux
dispositions des articles R 711-7 à 711-18 du code de la santé publique. En
application de l’article 711-7 du code de la santé publique, le directeur de
l’Agence Régionale de l’Hospitalisation désigne, pour ch aque établissement
pénitentiaire de la région, l’établissement public de santé, situé à
proximité de l’établissement pénitentiaire, qui est chargé de mettre en œuvre
les missions décrites au premier alinéa du présent article ».Qu’enfin, en
vertu de l’article L 6112-2 du code de la santé publique, les établissements
hospitaliers « sont ouverts à toute les personnes dont l’état de santé
requiert leurs services. Ils doivent être en mesure de les accueillir de jour
et de nuit, éventuellement en urgence, ou d’assurer leur admission dans un
autre établissement…ils dispensent aux patients les soins préventifs, curatifs
ou palliatifs que requiert leur état et veillent à la continuité de ces soins,
en s’assurant qu’à l’issue de leur admission ou de leur hébergement, tous les
patients disposent des conditions d’existence nécessaires à la poursuite de
leur traitement. A cette fin, ils orientent les patients sortants ne disposant
pas de telles conditions d’existence vers des structures prenant en compte la
précarité de leur situation ». Que ces dispositions mettent à la charge de
l’A.P.-H.P. dont dépend l’Unité de Consultation et de Soins Ambulatoires du CHU
de BICETRE, chargée de soigner les détenus de la maison d’arrêt de FRESNES,
l’obligation de veiller à la continuité des soins assurés à Monsieur X par
cette UCSA ; que si l’AP-HP fait valoir que l’état de Monsieur X ne
nécessité pas d’hospitalisation, il lui appartient néanmoins d’orienter ce
patient vers une structure adaptée à son état ».
La
situation a pu ainsi, être débloquée et la personne accueillie dans une maison
de retraite, sachant que l’exécution de la décision a été « biaisée »
par les travailleurs sociaux de l’AP-HP qui ont renvoyé vers leur homologue de
l’hôpital de FRESNES qui a finalement trouvé une place.
Néanmoins,
le principe est posé et peut être repris en province, à l’encontre des Agences
Régionales d’Hospitalisation qui disposent du pouvoir d’orienter un malade vers
un établissement de soins.
La révocation de
la suspension de peine
Une
suspension de peine, en l’état de la loi, peut être révoquée par le JAP ou le
Tribunal de l’application des peines, soit dans l’hypothèse où les conditions
médicales (expertise semestrielle pour les peines criminelles, à l’initiative
du JAP dans les autres cas) ne seraient plus réunies soit pour manquement aux
obligations fixées par le jugement d’octroi.
En
aucun cas, une suspension de peine ne peut être révoquée pour mauvaise conduite
ou commission d’une infraction durant la suspension.
En
effet, l’article D 49-25 du CPP, relatif aux pouvoirs généraux du JAP de
révoquer une mesure d’aménagement de peine, renvoie, in fine, à la procédure
initialement utilisée pour octroyer la mesure
Or,
cette possibilité n’est pas prévue par l’article 720-1-1 (interprétation
stricte du texte).
CHAP PARIS 22
mars 2007 (CHARTIER) ; AJ PENAL 2007, 235 :
« …la
mesure de suspension de peine pour raison médicale issue de la loi du 4 mars 2002,
devenue l’article 720-1-1 du code de procédure pénale, ne comportait pas, à
l’origine, des dispositions concernant les conditions dans lesquelles elle
pouvait être retiré, la loi du 4 mars 2004, entrée ne vigueur le 1er
janvier 2005, y ajoutant, a prévu que le juge de l’application des peines peut,
à tout moment…ordonner qu’il soit mis fin à la suspension de peine si les
conditions de celle-ci ne sont plus remplies et qu’il en est de même si le
condamné ne respecte pas les obligations qui lui ont été imposées, en
application des dispositions de l’article précédent ».
«…un
simple décret qui est entré en vigueur en même temps que la loi ne saurait
créer une condition de retrait supplémentaire, à savoir une mauvaise conduite,
pour combler un soit disant vide juridique, ou une lacune de la loi »
« Dès
lors, la mesure de suspension de peine ne saurait être retirée sur le fondement
de l’article D49-2 du code de procédure pénale ».