LYON - Tous les matins, médecins et infirmiers franchissent un détecteur de métaux, sous l'oeil de gardiens, pour prendre leur poste à l'Unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Lyon, "hôpital-prison" où ils tentent de mener un travail de soins psychiatriques entre les murs.
Car ici, les patients sont des détenus, arrivés en état de crise le plus souvent, pour des séjours de moins de dix semaines en moyenne.
"C'est un hôpital", insiste Pierre, aide-soignant. Les gardiens ne contrôlent que l'entrée de cette structure pilote ouverte en mai 2010.
Depuis, seuls deux autres UHSA sont sortis de terre, à Toulouse et Nancy, contre neuf prévus avant 2012 par le gouvernement sortant. L'UHSA de Lyon avait suscité des critiques, Nicolas Sarkozy envenimant le débat en parlant d'hôpital-prison "pour pédophiles".
Après deux ans de fonctionnement à Lyon, Pierre Lamothe, médecin-chef du service médico-psychologique régional (SMPR) de Lyon, qui a porté le projet, défend une structure permettant d'extraire de l'univers carcéral les détenus souffrant de problèmes psychiatriques.
Ici, que ce soit lors du service des repas ou des promenades, "vous avez toujours un soignant comme interlocuteur" et non des gardiens, "et ça change tout", assure-t-il.
"C'est un outil de soins qu'on a façonné", ajoute le docteur Eve Becache, défendant un "lieu de soins, pas sécuritaire".
L'établissement propose, outre les rendez-vous avec les cinq psychiatres (pour 60 patients), différents ateliers comme l'arthérapie, dans une salle où s'accumulent les sculptures et peintures des patients.
"A la fois, on est au courant de leur histoire, pour savoir où les amener, et on doit l'oublier, parce qu'on travaille avec l'être humain, son côté sain, pas avec son crime", dit Julie Korp, l'arthérapeute américaine du centre, dont la robe jaune vif tranche avec la sobriété du lieu.
Ici, le personnel dit "patient" et non "détenu", "chambre" et non "cellule". Certains détenus ont une clef de leur chambre, avec laquelle ils peuvent sortir à heures fixes, leur porte étant fermée le reste du temps par une double-serrure.
Parmi eux, un schizophrène ayant agressé un couple et leur enfant a été transféré de la maison d'arrêt lyonnaise de Corbas. "J'étais un peu suicidaire. Là j'ai un bon médicament", explique-t-il en recevant dans sa chambre donnant sur le terrain de basket.
Une BD des Schtroumpfs traîne tandis qu'il regarde une émission de téléréalité en attendant le repas de midi, pris en chambre sauf les jours d'atelier de "repas thérapeutique", par petit groupe de quelques patients, pour réapprendre à s'investir dans un projet.
Car certains patients arrivent dans un état de grande détresse, dans cette structure qui prend notamment en charge les détenus suicidaires. A travers le hublot de surveillance des chambres, on voit des hommes prostrés sur leur lit ou faisant les cent pas, l'air hagard.
Une salle de balnéothérapie, avec un bain à bulles, est là pour leur redonner le goût de "prendre soin d'eux-mêmes", dans le cadre du projet de soins. Mais les rasoirs manuels sont interdits et les douches sans tuyau, afin d'éviter les suicides. En deux ans, un patient a réussi à se suicider.
"On ne peut pas faire un travail exhaustif, mais on peut améliorer la qualité relationnelle des patients, pour leur permettre un retour à un soin ambulatoire", en prison, explique Pierre Lamothe, se félicitant que la moitié des 60 patients de l'UHSA y soient à leur demande.
Le docteur Lamothe se dit "totalement sceptique" quant à la poursuite du projet UHSA par le nouveau gouvernement de gauche, pour des raisons "idéologiques" mais aussi budgétaires, la construction d'un UHSA coûtant 20 millions d'euros et son fonctionnement annuel huit millions d'euros, payés par le ministère de la Santé.