Décidément, la maison d'arrêt de ROUEN fait couler beaucoup d'encre et devient le lieu de récits authentiques mettant en scène tant ceux qui sont derrière les murs que ceux qui viennent les voir, le temps d'un parloir, pour tenter de nouer, renouer, prolonger des liens que la détention a interrompu !
Il faut bien se le dire, s'en convaincre, la prison crée des victimes par ricochet : les proches, les familles, les enfants, les amis...
Alors, dans ces conditions, pourquoi prolonger encore cette disposition, absurde et uniquement politique, de la Loi du 12 décembre 2005 qui prive les personnes condamnées en récidive de la possibilité de demander une libération conditionnelle pour raison familiale ?
En voilà une bonne idée de réforme, Madame le Garde des Sceaux ! (j'en ai beaucoup d'autres à votre service !)
Lisez donc cet article de RUE 89
Lisez donc cet article de RUE 89
Hadja [le prénom a été modifié] connaît bien la prison. Pas comme détenue ou prévenue – non, elle n’a jamais eu affaire à la justice – ni comme surveillante, mais pour visiter des proches.
« Un groupe d’amis vient de tomber. Avant ça, il y a eu mon petit frère. Il y est encore. »
Elle l’a appris par un texto :
« Wech bien ou quoi ? R. est en prison. »
Elle s’arrête, reprend :
« Tu vois ? Pas de dramatisation, c’est la deuxième fois et c’est limite normal… »
Hadja hésite à témoigner, « pas envie d’être à la source d’amalgames » pourtant elle sait qu’il y a un rapport étroit, « en tout cas de là où je viens », entre quartier et prison.
Surpopulation carcérale
65 699 personnes étaient incarcérées dans les prisons françaises au 1er février pour 57 213 places disponibles. Les surveillants de prison qui dénoncent la surpopulation carcérale, bloquent des maisons d’arrêt depuis le mois dernier pour dénoncer cette surpopulation et leurs conditions de travail
« La dernière fois, je vais voir mon frère à la maison d’arrêt. Je tombe sur une copine de fac – depuis, elle a ouvert sa société. Elle venait voir son petit frère, en cellule avec…le mien. On a discuté, reparlé de nos souvenirs, de nos délires, comme si on était dans la rue, alors qu’on attendait notre parloir. »
Le parloir, glaçant et si...familial
La maison d’arrêt (Polel Barel/Rue89)
Je l’accompagne devant la maison d’arrêt, située en périphérie d’un centre-ville, à quelques encablures d’une autoroute. Des familles patientent près d’un arrêt de bus. A quelques mètres, se dressent deux grandes portes rouges. Hadja explique :
« On arrive tous à l’avance. Si t’as même une minute de retard, ton rendez-vous saute. Notre déception n’est rien comparée à celle du détenu qui se prend un parloir fantôme. »
La plupart des gens ont un sac de linge en main. Dessus est inscrit, souvent en noir et en lettres capitales, le nom, prénom et le numéro d’écrou d’un prisonnier.
« Ce sont des vêtements propres qu’on leur remet. En échange, on récupère le sale... c’est comme ça toutes les semaines. »
Un gardien de la paix ouvre une petite porte vingt minutes avant le début du premier parloir. Les visiteurs s’empressent d’entrer, s’installent sur des chaises parsemées dans une petite salle austère aux murs verts, sur lequel une horloge est accrochée. Le bruit des aiguilles résonne, mais il est vite recouvert par un brouhaha.
Une femme, bénévole dans une association qui s’occupe de l’accueil des familles propose des cafés, tandis que des enfants venus voir leur père, frère ou sœur, jouent dans un coin. Ce jour-là, l’ambiance est à la rigolade, comme souvent. Une femme « habituée des lieux », elle aussi, dit :
« T’as vu, y’a plein de nouveaux aujourd’hui. »
Puis elle lance à un gardien : « C’est une entreprise qui tourne bien », provoquant son rire et celui des visiteurs.
« Je vois pas mal de gens de mon quartier »
Un gardien, feuille sous les yeux, lance des noms. Les appelés se placent en ligne devant lui, parfois dans la confusion. Une porte s’ouvre. Je m’arrête là. Hadja raconte ce qu’il y a derrière :
« On arrive dans une petite pièce avec des casiers où l’on range nos effets personnels, genre portable, sac…On donne notre carte d’identité à un gars de la maison d’arrêt. Une fois le détecteur passé, qui sonne souvent à cause des chaussures, nos sacs de linge sont eux aussi passés au crible.
Après l’ouverture et la fermeture de plusieurs portes, nous voilà dans une longue pièce ou deux bancs marron sont installés de part et d’autre. On nous enferme. Un autre gardien arrive. Une liste dans les mains, il nous dispatche dans des pièces numérotées. De l’autre côté, les prisonniers défilent pour se rendre à leur parloir. Je vois pas mal de gens de mon quartier et des quartiers voisins.Je me surprends à lever la main (trop) souvent, en signe de salut. Des gens que je connais de vue, mais aussi que j’ai fréquenté. Mon frère arrive :“J’ai changé de cellule, je suis avec un untel et untel.- Ah ouais, on était au collège ensemble, dans la même classe…- Je sais oui, il m’a dit.”Pendant 30 minutes, on va discuter de tout, de rien. Les surveillants gardent un œil. Il me parle de ses conditions de détention. Il me dit que ça va, qu’il n’a aucun souci, que les matons sont réglos. Le parloir s’achève. Là encore, ma main se lève (trop) souvent pour dire au revoir. »
Plus jeune, Hadja se souvient des nombreux messages radios laissés à des détenus, sur les ondes d’une station locale :
« Pendant le ramadan, nos dédicaces étaient diffusées. J’entendais pas mal de noms, de surnoms qui ne m’étaient pas inconnus, bien au contraire. Tous étaient à “Miami”, comme on disait à l’époque. Pour autant, je ne me sentais pas directement touchée. Depuis, ça a changé... »
« Un peu comme prendre une heure de colle »
Cédric, 30 ans, originaire d’une cité d’une ville du Nord a connu la prison. Aujourd’hui rangé, il fait le compte de ses amis d’enfance qui continuent les allers et retours entre le foyer des parents et la maison d’arrêt locale.
« C’est devenu banal d’aller en prison. C’est un peu comme prendre une heure de colle de nos jours. Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est rien, la prison m’a beaucoup changé, j’ai vu que la vie n’était pas un jeu ! Mais d’autres ne voient pas les choses comme moi. »
La perception de la prison a en effet évolué avec « l’explosion de la petite délinquance et le développement des trafics de drogue dans les années 90 », souligne Michel Kokoreff, sociologue des quartiers populaires et professeur de sociologie à l’université Paris VIII :
« Avant la prison était une rupture dans les trajectoires délinquantes. Mais dans les années 90, on a vu que la prison s’insère dans une trajectoire. Lors d’une étude que j’ai faite, il y avait une sorte de compétition parmi les plus jeunes : c’est celui qui avait fait le plus de GAV [garde-à-vue], de prison, à Fleury plus qu’à Nanterre car à Fleury, “c’est plus chaud”, etc.Il y a une sorte de hiérarchie : “ Moi j’en ai fait plus que toi donc suis plus un bonhomme que toi ”. La prison s’inscrit dans une logique viriliste. C’est un élément de valorisation. Si on a été réglo, on monte d’un cran et dans l’organisation, on peut avoir un statut différent. C’est une forme de promotion sociale interne. Dans ce sens, il y a une banalisation de l’incarcération. »
« Personne n’est fier d’être là »
Entre les murs de la maison d’arrêt la situation reste difficile. Un détenu a accepté de s’exprimer à condition que les raisons de sa détention ne soient pas mentionnées.
« C’est plus difficile qu’on ne veut le faire croire. Devant les familles, on fait genre que tout va bien. Devant les potes, on garde cette même ligne de conduite. On veut garder l’image du mec fort, dans les faits c’est dur. Je vois beaucoup de gens du quartier. On est tous là à faire comme si la situation ne nous atteignait pas mais c’est faux. Ici, crois-moi, personne n’est fier d’être là. Si quelqu’un te dit le contraire, c’est un mytho. »
Si dans les chiffres, il est difficile de constater ce lien entre quartier et prison précise Michel Kokoreff, des élément qualitatifs permettent de l’affirmer :
« Il n’existe pas à ma connaissance de données statistiques indiquant quelle est la part de gens, en particuliers des jeunes issus des quartiers populaires, incarcérés ou sous contrôle judiciaire.On sait que les pratiques policières et les politiques pénales sont fortement ciblées sur les habitants des quartiers populaires et les populations immigrées et/ou issues de l’immigration. C’est une façon pour les policiers de faire du chiffre et la justice suit le mouvement. Dans ces zones urbaines, l’expérience de la prison est quand même fréquente.Plus généralement, l’histoire des statistiques pénales montre ceci : les amendes touchent plutôt les classes supérieures, la prison avec sursis les classes moyennes, la prison ferme les classes populaires. »
Pour le sociologue, il faudrait donc trouver des solutions alternatives :
« Les politiques sécuritaires et la surpénalisation des jeunes des quartiers, ça ne marche pas ! Au contraire le remède est pire que le mal. Si le but escompté est d’éviter la récidive, ça n’a pas d’efficacité, car les délinquants y retournent. Il faut envisager d’autres formes de traitement de la délinquance, s’attaquer à ses causes sociales profondes, remettre le paquet sur la prévention spécialisée, la scolarisation, parce que la prison ne résout rien. »