mercredi 23 mai 2012

Le CGLPL constate « une grande misère des institutions qui gèrent la privation de liberté » (Virginie Bianchi)‏



Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté constate « une grande misère des institutions qui gèrent la privation de liberté », indique Virginie Bianchi, avocate et membre duCGLPL. Elle s'exprimait lors du séminaire de recherche « Enfermements, justice et libertés dans les sociétés contemporaines » organisé par le centre d'histoire sociale du XXe siècle, mardi 15 mai 2012 à Paris. Paul Louchouarn, inspecteur des services pénitentiaires, estime pour sa part que « le changement de gouvernement et la future politique pénale aura certainement une influence sur la situation des établissements pénitentiaires, sur le programme immobilier. Il y a un vrai regard à porter sur ce que devient la prison, sur l'approche du métier de surveillant, le respect porté à la personne détenue et 'l'extension du domaine de la violence' ». 

Cet ancien directeur du centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis (Essonne) constate que « dans les établissements pénitentiaires, depuis un certain nombre d'années, il y a moins de place pour la parole. Les pratiques professionnelles laissent moins de temps aux échanges et conduisent les personnels à intervenir physiquement et à utiliser des moyens de contrainte beaucoup plus rapidement que ce [qu'il a] connu en début de carrière ». 

Il affirme que « le débat autour de la prison s'est trop concentré sur le parc immobilier, sur la surpopulation, qui sont des problèmes qu'il faudrait arriver à régler, mais qui sont artificiels ». Pour lui, « bien souvent le débat est parasité par des questions que ne devraient pas se poser ». Il donne ainsi l'exemple du centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis, qui a été en partie rénové. « On a mis des personnes détenues, hébergées dans des conditions épouvantables dans des lieux insalubres, dans les locaux neufs avec des douches en cellule… Cela ne change rien sur le fonctionnement global, le niveau de violence, d'incidents… Le problème est ailleurs. »

LEVIER D'ACTION POUR LES CHEFS D'ÉTABLISSEMENT
Interrogé sur les conséquences des rapports du CGLPL, Virginie Bianchi assure que « quel que soit le type d'établissement, ce qui est du domaine du chef d'établissement est assez rapidement suivi d'effets ». Elle remarque que « certaines revendications portées par des chefs d'établissement en matière matérielle qui sont relayées par le biais des observations du contrôleur permettent parfois de débloquer des situations ». Paul Louchouarn confirme que « la visite du contrôleur constitue un levier potentiel pour un chef d'établissement pénitentiaire ». Il pointe « les difficultés et les résistances qu'un chef d'établissement rencontre lorsqu'il souhaite faire évoluer des fonctionnements » et précise que « les constats du CGLPL peuvent aider à l'élaboration d'une feuille de route et à faire tomber un certain nombre de facteurs de résistance ». 

Jean-Michel Dejenne, secrétaire national du Syndicat national des directeurs pénitentiaires, souligne également que la visite des contrôleurs du CGLPL « permet un état des lieux externalisé qui ne coûte rien » à l'administration pénitentiaire. « Cela donne une radiographie des établissements intéressante et qui va relativement loin. C'est une opportunité nouvelle de repartir à la bataille sur des pratiques professionnelles, des instructions, des modes de fonctionnement qui ne nous satisfont pas », explique-t-il.

Virginie Bianchi pointe cependant les aspects pour lesquels « les moyens d'action [du CGLPL] sont plus limités ». Il s'agit des « problèmes de structures, parce que ce ne sont pas des problèmes matériels mais politiques : la taille des établissements, la manière dont on les organise, l'évolution du parc pénitentiaire… » Elle souligne également que « la position de la direction de l'administration pénitentiaire est très différente de celle des chefs d'établissement. Ces derniers nous accueillent sans souci, mais les relations d'institution à institution sont beaucoup plus problématiques ».

UNE INSTITUTION QUI « REPOSE SUR UN HOMME »
S'il affirme que les rapports du CGLPL « ne sont pas perçus comme une menace », Jean-Michel Dejenne regrette cependant « que la communication de l'institution soit concentrée par Jean-Marie Delarue ». Il estime en effet qu'il a « pu avoir des mots malheureux », notamment sur les fouilles, « entendus comme une mise en accusation sur une institution toute entière ». Il indique que « les déclarations de Jean-Marie Delarue ont une tonalité militante qui peut braquer une partie de l'institution qui, pourtant, a priori lui est favorable ». Un avis partagé par l'organisateur du séminaire, le directeur de recherche au CNRS Pierre-Victor Tournier pour qui Jean-Marie Delarue a fait « des déclarations foncièrement militantes qui dépassent sa fonction ».

Le contrôleur général avait notamment indiqué, lors d'une audition par la commission des Lois du Sénat en mars 2012 (AEF Sécurité globale n°5558) que « les surveillants sont très attachés aux fouilles systématiques », non pour des « raisons de sécurité », car « si l'on introduit un gramme de cannabis ou un billet de banque dans les prisons, cela ne menace pas la sécurité. Par contre, les fouilles systématiques sont un élément essentiel pour l'autorité des surveillants ».

Pour Virginie Bianchi, « l'institution repose - et c'est d'ailleurs sa fragilité - sur un homme et sur sa personnalité ». Elle estime que Jean-Marie Delarue n'est « pas militant, mais fort investi de sa mission ». Elle souligne cependant que la fouille est « un geste très humiliant pour celui qui subit et pour celui qui fouille. Nous ne pensons pas que l'administration pénitentiaire préconise la fouille pour humilier les détenus ». Elle affirme néanmoins que les membres du CGLPL « ne peuvent s'abstraire totalement d'un regard sur la politique pénale. La manière dont cela se formule est un autre problème ».

ÉVOLUTION DU REGARD DES INSPECTEURS DES SERVICES PÉNITENTIAIRES
Paul Louchouarn décrit par ailleurs les relations de l'inspection des services pénitentiaires avec le CGLPL et leurs différences. Il indique que l'inspection « est saisie par le garde des Sceaux sur des événements particuliers. Cependant, une partie des inspecteurs, les inspecteurs territoriaux, ont un programme d'inspections libres, qu'ils font lorsqu'il ne s'est rien passé de grave, pour auditer un établissement pendant plusieurs jours et faire des préconisations ». Il souligne que « la différence essentielle est que l'inspection des services pénitentiaires est énormément centrée sur tous les aspects de sécurité du fonctionnement des établissements. Le CGLPL s'intéresse avant tout aux conditions de prise en charge des personnels »

L'inspection des services pénitentiaires « suit également les préconisations du CGLPL et doit faire des bilans à six mois » des réalisations effectuées suite au rapport des contrôleurs. Paul Louchouarn explique que lorsque des inspecteurs réalisent une visite suite au rapport du contrôleur, ils « sont obligés de s'intéresser aux conditions de prise en charge des personnes détenues. On voit alors un regard différent sur la manière dont ils apprécient le fonctionnement des établissements ». Il affirme que « cela peut avoir un impact à court ou moyen terme sur la manière même dont l'inspection construit ses audits ». Les rapports du CGLPL « oriente le travail des inspecteurs pénitentiaires d'une façon différente que celle constatée jusqu'à maintenant », précise-t-il.