La nouvelle Garde des Sceaux devra éviter un été chaud dans les prisons et s'attaquer aux problèmes budgétaires. Elle rendra aussi caduques deux réformes de Nicolas Sarkozy et mettra en oeuvre la loi sur le droit de vote des étrangers.
Christiane Taubira a été nommée Garde des Sceaux, ministre de la Justice. Elle découvrira quelques dossiers brûlants sur son bureau de la Chancellerie. Elle devra avant tout regagner la confiance des magistrats, et même des avocats, sérieusement ébranlée depuis cinq à dix années.
Eviter un été chaud dans les prisons
Les établissements pénitentiaires souffrent de surpopulation (11% de détenus en surnombre). Pendant la campagne présidentielle, François Hollande a répété qu'il voulait supprimer la loi de 2007 sur les peines planchers, accusée par bien des magistrats d'envoyer inutilement derrière les barreaux de petits délinquants: des toxicomanes ou des voleurs de petit calibre. Comme il ne sera pas possible de voter une nouvelle loi avant les élections législatives, la ministre de la Justice devra se contenter d'une circulaire invitant les parquets à ne pas faire appel des condamnations qui n'appliquent pas les peines planchers, en rappelant le principe de l'individualisation des peines. C'est-à-dire le contraire de la politique d'automaticité prônée pendant l'ère Sarkozy. Les alternatives à l'incarcération seront encore davantage privilégiées et des moyens dégagées pour les structures d'accueil de délinquants en milieux dits "ouverts".
S'attaquer aux problèmes budgétaires
Christiane Taubira trouvera une situation budgétaire exécrable. En comparaison de nos voisins européens, ce secteur est globalement le parent pauvre des politiques publiques. Seules les prisons ont obtenu des coups de pouce réguliers. François Hollande s'est d'ailleurs engagé à séparer la gestion budgétaire des tribunaux et de la PJJ, par apport à celle de l'administration pénitentiaire. Les gardes des Sceaux de Nicolas Sarkozy perdaient leurs arbitrages budgétaires à Bercy, notamment face aux ministres de l'Intérieur. Nous verrons très vite si le locataire de la Place Vendôme a la voix qui porte, si son poids politique lui permet de faire de la Justice une réelle priorité, pas seulement pénitentiaire. Si le budget des prisons sera gelé, il y aura très probablement redéploiement, la gauche ayant annoncé qu'elle annulerait le programme de construction de 24 000 places. Il faudra malgré tout consacrer beaucoup d'argent afin de rénover des établissements vieillissants et développer des formes novatrices d'incarcération, comme la "prison Botton", afin que la mission légale d'aide à la réinsertion contre la récidive ne soit pas un vain mot.
Tribunal correctionnel des mineurs et jurés citoyens: stop
Sans surprise, la ministre de la Justice rendra caduques deux réformes sarkozystes décriées par la gauche. Avant tout la création du tribunal correctionnel pour les mineurs de 16 à 18 ans, qui étaient précédemment jugées par les tribunaux pour enfants. Ensuite, l'introduction de jurys citoyens pour une partie des affaires correctionnelles sera évaluée puis certainement supprimée. La gauche n'est pas hostile au principe de cette réforme mais juge qu'elle n'est pas urgente, alors qu'elle est couteuse, et chronophage pour les magistrats.
Réformes constitutionnelles
La garde des Sceaux, cela fait partie de ses attributions, devra porter les reformes de la Constitution, qu'il faut obtenir en réunissant trois cinquièmes des parlementaires regroupés en Congrès. A commencer par celle qui concerne directement la Justice: une nouvelle modification du Conseil supérieur de la magistrature. Les personnalités extérieures ne seront plus majoritaires et seront nommées par le Parlement, et les procureurs ne pourront plus être nommés contre son avis, comme le fut Philippe Courroye à Nanterre.
Le locataire de la Place Vendôme devra aussi porter deux autres réformes constitutionnelles importantes. Le droit de vote des étrangers, question sensible qui divise les Français. Et la refonte du Conseil constitutionnel, dont les membres seraient alors nommés par le Parlement et les anciens présidents de la République exclus. Une réforme qui intéresse particulièrement le ministère de la Justice depuis que les Sages se transforment en juges suprêmes au travers de l'arrivée en masse des QPC (Questions prioritaires de constitutionalité).
Pour ordre, il est intéressant de lire cette intervention de Madame TAUBIRA lors des débats sur la Loi Pénitentiaire; c'est de bon augure !
Compte rendu intégral
Première séance du mercredi 16 septembre 2009
Mme la présidente. La parole est à Mme Christiane Taubira.
Mme Christiane Taubira. L’article 1er énonce quelques principes incontestables sur le sens de la peine et les missions du service public pénitentiaire. Mais Mme la garde des sceaux déploie déjà des ruses pour en exonérer la puissance publique. L’une des plus choquantes est l’affirmation que la plupart des détenus ne seraient pas intéressés par l’encellulement individuel, alors qu’on leur propose en fait un choix illusoire, par lequel l’État se défausse.
Les conditions de formation, d’activité, de réinsertion, de ressources minimales, de détresse des malades mentaux et d’éloignement familial réduisant les visites relèvent d’une telle indigence que les attitudes qu’elles induisent ne peuvent être comprises que comme des appels au secours. Et que dire des fouilles au corps et des aménagements de peine ! Les conditions carcérales contredisent les principes affichés dans le texte, dont les déclinaisons pratiques relèvent davantage d’un esprit de vengeance que du sens de la justice. Les pétitions de principe du Gouvernement sont également démenties par la manière dont il présente la responsabilité de l’État.
Hier, le secrétaire d’État s’est dispensé de corriger certaines affirmations erronées, voire fallacieuses sur l’action des gardes des sceaux Mme Guigou et Mme Lebranchu entre 1997 et 2002. Ainsi, loin d’inscrire votre action dans la continuité de l’État, vous la limitez au balancier des alternances partisanes. C’est probablement que la justice, comme l’éducation, sont des domaines régaliens, dans lesquels s’affrontent nettement nos différences de conception de l’homme, de son devenir, des conditions de son émancipation et de la capacité de la société à s’élever au-dessus de ses peurs et de toute forme de rancœur individuelle.
La perception que vous avez des Français dans ce domaine est profondément inexacte. Je n’ai pas le temps de rappeler votre politique de suppression des recettes des collectivités, qui limite leur possibilité de construire des écoles. Je ne peux donc pas vous renvoyer à Victor Hugo. Mais je vous assure que les Français sont infiniment plus généreux et plus mûrs que vous ne l’imaginez. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)