mardi 18 septembre 2012

Robert Badinter : "On fabrique un milieu criminogène en prison"

Interview réalisée par Christophe PRETEUX, pour PARIS NORMANDIE.FR


Robert Badinter inaugure l'unité d'hospitalisation de détenus au CHR du Rouvray.

L'emblématique ministre de la Justice de François  Mitterrand - qui prononça le célèbre discours pour l'abolition de la peine de mort devant l'Assemblée nationale - inlassable défenseur des droits de l'Homme et de la dignité des personnes détenues inaugure ce mardi 18 septembre au Centre hospitalier régional du Rouvray, à Sotteville-lès-Rouen, l'unité d'hospitalisation psychiatrique qui porte son nom. Entretien avec le grand avocat et ancien président du Conseil constitutionnel Robert Badinter.
Au-delà de l'honneur qui vous est fait, quel regard portez-vous sur la prise en charge et le traitement de la maladie mentale en milieu carcéral ?
« Il faut saluer la réalisation de cette unité au Centre Hospitalier du Rouvray. Je rappelle le nombre si élevé de détenus en « souffrance mentale », 16 000 selon M. Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté. Ils sont soignés avec dévouement par les personnels de l'assistance publique au sein de grands centres hospitaliers et dans des établissements pénitentiaires.
Une unité comme celle du Rouvray permettra une prise en charge intermédiaire, plus proche des conditions d'hospitalisation classiques, sans recourir systématiquement à des chambres d'isolement, tout en tenant compte des impératifs de sécurité propre à la détention. Un tel projet permet d'améliorer la prise en charge psychiatrique des détenus, qui est indispensable pour eux et pour prévenir la récidive ».

L'opinion et les partis politiques sont profondément divisés sur la finalité de la sanction pénale. Réinsérer ou écarter. Est-ce le fondement du débat ?
« Dès l'instant où un homme est condamné à une peine de détention, il est voué, sauf exception rarissime, à retrouver la société des hommes et femmes libres. La détention est en elle-même punition. Elle ne peut avoir pour finalité, compte tenu de la perspective de sortie, que de préparer celle-ci en redonnant au détenu volonté et moyens de se réinsérer. L'élimination est hors de propos dans une démocratie ».

La France compte 66 748 détenus (4,2 % de plus en un an) soit 12 230 en surnombre par rapport au nombre de places de prison. Comment lutter contre la surpopulation carcérale ?
« La surpopulation pénale, très préoccupante, concerne en réalité les maisons d'arrêt. Ni les centrales (longues peines) ni les centres de détention (pour peines de quelques années) ne connaissent de problème de surpopulation. Tout autre est le cas des maisons d'arrêts, souvent vétustes, où s'entassent des prévenus, des condamnés en instance d'appel, voire des condamnés à de courtes peines. On fabrique ainsi un milieu criminogène : rupture des liens familiaux et sociaux, impossibilité de préparer réellement la réinsertion, promiscuité entre délinquants chevronnés et primo-délinquants souvent jeunes.
Les personnels pénitentiaires ressentent de leur côté les conditions dans lesquelles ils exercent leurs fonctions. Tout ceci est bien connu des pouvoirs publics, mais les dix années écoulées témoignent d'une sorte de cécité à ces évidences. La prison, à titre préventif ou comme courte peine se révèle criminogène. Le vieil axiome « la prison est l'école du crime » n'a jamais perdu de sa force s'agissant de la récidive. A cet égard la circulaire d'action publique préparée par Madame la Garde des Sceaux va dans le bon sens ».

Christiane Taubira prévoit un audit des centres éducatifs fermés pour les adolescents. Selon la ministre, ils ne seraient pas « la solution ». Que pensez-vous de ces structures et du débat qui fait rage autour ?
« Avant de décider de l'avenir des centres éducatifs fermés, il est nécessaire de s'interroger sur leur fonctionnement et leurs résultats. Mme Taubira a raison de faire procéder à cette évaluation. D'autant qu'en matière de délinquance juvénile, un principe essentiel demeure : l'enfermement doit être un ultime recours, aussi rarement mis en œuvre que possible. C'est d'ailleurs l'inspiration de notre législation depuis 1945 et celui de la Convention internationale des droits de l'enfant ».
Quelle est votre position sur la suppression de la Cour de Justice de la République que le président Hollande appelle de ses vœux ?
« Je suis contre les juridictions d'exception. J'ai d'ailleurs défendu en 1981 la suppression de la Cour de sûreté de l'Etat et en 1983 des tribunaux militaires. Personne ne les regrette aujourd'hui. La Cour de Justice de la République n'a aucune raison de demeurer s'agissant de la responsabilité pénale des ministres. Celle-ci doit relever des juridictions de droit commun. Cependant il faudra prévoir des dispositions procédurales, pour filtrer les actions des plaignants, car certaines pourraient n'être que des prétextes pour affaiblir politiquement des ministres ».

Vous avez demandé que les anciens présidents de la République ne puissent plus siéger au Conseil constitutionnel. Pour quelle(s) raison(s) ?
« Les anciens présidents de la République n'ont aucune raison d'être membre à vie d'une institution aujourd'hui juridictionnelle. Ils n'ont pas nécessairement compétence pour ce faire et de surcroît sont affranchis de toutes les obligations de réserve qui s'imposent aux membres ».

Une exception française ?
« Il n'existe nulle part dans les démocraties d'exemple d'anciens présidents siégeant à vie dans les cours constitutionnelles. Cette exception française a été instaurée par le Général de Gaulle pour assurer au président Coty un traitement honorable que la IVe République n'accordait pas. Les temps ont changé, les conditions de retraite des anciens présidents sont avantageuses, et dès lors rien ne justifie plus leur présence de juré. Si d'aventure un ancien président avait la vocation de devenir membre du Conseil constitutionnel, il pourrait le devenir selon la même procédure que les autres membres"


propos recueillis par Christophe PRETEUX, PARIS NORMANDIE.FR

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