Accorder une remise de peine de quatre jours pour chaque livre lu : telle est la mesure pour le moins déroutante adoptée en juin dernier dans quatre prisons surpeuplées du Brésil. Que l’on juge cette initiative grotesque ou pleine de bon sens, force est de constater qu'elle place la lecture, mais plus généralement la culture, comme un outil de réinsertion.
Elle donne en tout cas l'occasion de faire l'état des lieux des bibliothèques en milieu carcéral, et de réfléchir à la place de la lecture dans les prisons françaises en 2012.
Pas de modèle pour les bibliothèques
Présentes dans 95% des établissements pénitentiaires, les bibliothèques sont les services culturels les plus répandus en prison. Malgré cette forte présence, leur accessibilité n’est pas totalement garantie dans les faits : en 2005, Claudine Lieber et Dominique Chavigny notaient ainsi l’existence de freins inhérents au système pénitentiaire, tels que les mesures de sécurité : "L’importance de la fréquentation(des bibliothèques) y est forcément relative, car elle ne dépend pas de la seule volonté de l’usager, mais d’un ensemble de facteurs, parmi lesquels la disponibilité du personnel de surveillance de la prison, souvent requis par de multiples tâches. Ce n'est pas non plus parce que le lieu existe que les conditions d'accès sont convenables."
Il y a généralement plusieurs bibliothèques dans un établissement pénitentiaire, afin que les ouvrages soient disponibles aux détenus de différents quartiers – femmes, hommes, mineurs, etc. L’on trouve ainsi dix bibliothèques à Fleury Mérogis, la plus grande prison d’Europe. Des dépôts de livres sont également mis à disposition des arrivants, dans les quartiers disciplinaires et la nurserie. Olwen Lesourd, le président de l’association Lire c’est vivre qui gère l’ensemble des bibliothèques de cette maison d’arrêt, nous en explique le fonctionnement :
Le cas de Fleury Mérogis est loin d'être représentatif de l'ensemble du système pénitentiaire français. Pour Olwen Lesourd, il s'agit plus "de bricolage", au cas par cas. En réalité, le fonctionnement et la qualité des bibliothèques restent tributaires d’enjeux autant pratiques que politiques. Les directeurs d’établissement ou bien les élus locaux influent, par leurs décisions et selon leur volonté, sur les bibliothèques de prison. Leur gestion quotidienne peut ainsi être confiée à « des associations, des personnels pénitentiaires – conseillers d'insertion et de probation ou surveillants –, des associations socio-culturelles qui n’ont pas de formation de bibliothécaire, … ». S’agissant des partenariats avec les collectivités locales, il n’existe ici encore pas de norme : « Dans les textes, environ 70% des bibliothèques de prison ont une convention avec une bibliothèque territoriale. Dans les faits, cela peut se traduire par un dépôt de livres, une intervention plus ou moins longue et fréquente ».
S’ajoutent à cela d’autres obstacles tels que l’implantation géographique des prisons, souvent situées à la périphérie des villes, la place initialement prévue ou aménagée pour accueillir les bibliothèques, mais aussi le type de détenus qui, selon les profils, requièrent plus ou moins de surveillance.
En prison, la lecture dans tous ses états
Si l’on sait relativement peu de choses sur les pratiques culturelles en prison, différentes études attestent que la lecture y reste une activité minoritaire. En effet, les associations admettent que la plupart des détenus ne sont pas des familiers du livre, mais le nombre de lecteurs et le volume de lecture auraient pourtant tendance à croître en prison, indépendamment de l’âge et de l’origine sociale, principalement pour ceux purgeant de longues peines. Cependant, aucun chiffre récent ne vient valider ces observations, et le nombre comme les profils de lecteurs varient, d’une prison à l’autre.
Les collections des bibliothèques de prison ne semblent quant à elles soumises à aucune contrainte juridique, les intervenants choisissant les ouvrages en fonction des budgets d’acquisition qui leur sont octroyés, ou par le biais de dons.
Dictionnaires, atlas, bandes-dessinées, périodiques, livres de philosophie, poésies, biographies ou encore ouvrages en langue étrangère figurent parmi les types de documents les plus demandés à Fleury Mérogis. Une diversité qui témoigne de multiples usages de la lecture.
Ancien détenu bibliothécaire, Christophe de La Condamine a travaillé plusieurs mois à la maison d’arrêt de Saintes où il était principalement chargé, avec une bibliothécaire bénévole, de gérer l’ensemble de prêts et de répertorier, deux fois par ans, les nouveaux livres commandés. Transféré par la suite dans d’autres prisons, il a retrouvé le statut de simple lecteur, gardant cependant un rapport privilégié au livre.
C’est en 1985 que l'écrivain Philippe Claudel découvre l'univers carcéral, dans le cadre d'un stage de professorat à la maison d'arrêt de Nancy. De 1988 à 2000, il dispense dans cette même prison, en parallèle de son travail en lycée, des cours de français, de littérature, d’écriture et parfois même d’histoire de l’art à des détenus aux âges et niveaux scolaires extrêmement divers. Si le milieu pénitentiaire a depuis considérablement évolué, pour lui « la prison n’est pas différente de l’extérieur, les choses y sont simplement amplifiées. En conséquence, le livre a le même rôle en prison qu’ailleurs, mais en plus aigu, je pense ».
Un chantier en cours
Qu'il s'agisse de l’organisation des bibliothèques de prison, des pratiques de lecture des détenus, ou même de l’offre culturelle proposée dans le milieu pénitentiaire, les situations sont inégalitaires et difficilement quantifiables. Et si dans les textes l'accès à la culture est affirmé comme droit, dans les faits rien n’est concrètement prévu pour simplifier la création de bibliothèque en milieu pénitentiaire.
Pour le secrétaire national de la section française de l’Observatoire International des Prisons(OIP), cette situation est due aux pouvoirs publics qui considèrent toujours « l’enfermement comme une punition » :
Des remises de peine supplémentaires peuvent en effet être accordées aux condamnés manifestant de « sérieux efforts de réadaptation sociale » : selon le guide Droits et devoirs de la personne détenuede la Direction de l’administration pénitentiaire, « le juge de l’application des peines (JAP) pourra aussi prendre en considération d’autres éléments [en plus des dispositifs déjà prévus - obtention d'un examen, suivi d'une thérapie, etc.], tels que le fait de travailler ou d’exercer des activités sportives ou culturelles en détention ». Une conception qui peut s'avérer problématique concernant les bibliothèques de prison.
Olwen Lesourd reste ainsi prudent quant au rôle de la lecture comme outil de réinsertion.Craignant l’instauration d’une vision utilitaire de la lecture, il tient à réaffirmer qu'elle est avant toute chose un droit :
Bref, on pourra en 2012, comme l’Association des Bibliothécaires de France, s’étonner de voir construire en France de nouvelles prisons où quelques mètres carrés seulement sont prévus pour accueillir des bibliothèques. C’est d'ailleurs dans l’espoir de se faire enfin entendre des pouvoirs publics que le groupe de travail Médiathèques/Bibliothèques d’établissements pénitentiaires, rassemblant une douzaine de bibliothécaires, a été créé l'an passé au sein de l'ABF. Ils se réuniront le 25 octobre prochain à l’occasion de leur première journée d'étude un journée d’étude "Pour des bibliothèques de qualité dans les prisons françaises".
http://www.franceculture.fr/2012-09-04-en-prison-des-bibliotheques-au-rabais