mardi 22 novembre 2011

Visite d’une prison Bouygues: REAUX (Seine et Marne)



Huit cents prisonniers sont attendus à Réau, illustration du partenariat public-privé… Reportage.

Un panneau fluo apparaît au rondpoint : "Chantier CP 77". Le visiteur, paumé, n’a plus qu’à suivre la route. Voici le centre pénitentiaire sud-francilien, inauguré le 13 septembre. La prison de Réau (Seine-et-Marne) est le dernier rejeton des PPP (partenariats public- privé). Un établissement dont la construction, la maintenance et les services à la personne (restauration, travail des détenus, accueil des familles…) ont été confiés au groupe Bouygues.
À ce jour, seule une centaine de détenus a emménagé. Mais avec ses 798 places*, Réau fait partie des prisons grand format. Ces "monstres" qui coûtent très cher, assènent les détracteurs (pour Réau, l’État versera près de 12 millions d’euros par an pendant vingtsept ans). Le directeur de la prison, Pascal Vion, lui, nous offre une visite guidée.

"On ne sait pas où l’on est"

Tout est flambant neuf : murs blancs immaculés, cellules individuelles avec douche, jeunes arbres plantés alentour. Partout, des touches de rouge, jaune, bleu. "Si on fait abstraction des barbelés, on ne sait pas où l’on est", sourit le directeur, sur la place qui dessert les différents secteurs. "Comme ils construisent cela à toute vitesse, l’État récupérera des bâtiments en ruine dans vingt-sept ans", pronostique François Korber, le responsable de l’association Robin des lois. On verra… En attendant, Thémis FM, la filiale de Bouygues qui s’occupe de Réau, a un cahier des charges très strict : pas plus d’une heure pour réparer la panne d’un projecteur de poursuite d’un mirador (sinon la pénalité peut atteindre 15.000 euros, vingt-quatre heures pour déboucher des toilettes (ou elle risque de payer 250 euros)… "La réactivité est plus rapide", se félicite le chef de détention.
D’autres semblent moins enthousiastes, rappelant qu’il a fallu patienter plusieurs jours quand les douches n’avaient pas d’eau chaude. "C’est lié à la prise en main du bâtiment", justifie le directeur, ardent VRP de ces unions publicprivé : "Si on peut me délester des problèmes de robinet qui fuit, cela me va. Je peux me recentrer sur mon coeur de métier."
La visite s’attarde quand même sur les équipements proposés aux détenus : coiffeur, bibliothèque, informatique… Pascal Vion manie la zappette pour montrer la quarantaine de chaînes télé – Canal+ compris – accessibles pour 8 euros par mois. Un détour par le gymnase où quelques détenus jouent au volley. Tous apprécient le confort. Mais certains râlent à propos de la cantine – les achats qui améliorent l’ordinaire : "À Fleury, les pâtes coûtaient 0,60 euro; ici, c’est presque 1 euro!" Ou à propos des rémunérations versées pour leur travail : "160 euros mensuels pour 35 heures par semaine!"
L’après-midi s’achève. Au centre de détention, deux détenus mitonnent un poulet au gingembre. Un autre finit sa séance de muscu : "Comme la prison vient d’ouvrir, on n’attend pas, ni pour avoir un travail, ni pour le sport." Pascal Vion plaisante : "Attention, songe à l’UVF!" L’intéressé sourit : "Mais non, je dis du bien…" Avant d’expliquer : "L’unité de vie familiale, qui permet de passer du temps avec ses enfants, c’est très important pour garder des liens."

Normes high-tech

Reste à imaginer la prison au complet. FO-Pénitentiaire estime déjà qu’il manque du personnel d’encadrement… Et Jean-Marie Delarue, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, a déjà dénoncé la taille de ces établissements dernier cri : "On a échangé le confort contre la disparition des relations humaines." Résultat: "Le taux d’agressions et de suicides y est beaucoup plus élevé."
Il faut déjà composer avec des normes de sécurité high-tech : franchir d’innombrables grilles, sonner aux interphones, attendre qu’un agent invisible actionne la gâche électrique. "Faire 200 m, cela peut prendre vingt minutes", soupire un employé. Quatre cents caméras surveillent les déplacements. Quasiment autant que le nombre d’agents pénitentiaires (418). Mais le directeur refuse de montrer le poste central d’information (PCI), point névralgique des opérations. Tout n’est pas à visiter…
* Réparties entre les quartiers de détention pour hommes, pour femmes, la maison centrale, le centre national d’évaluation.
Marie Quenet - Le Journal du Dimanche