Les prisonniers peuvent-ils apparaître à visage découvert dans un documentaire à la télévision ou faut-il les protéger contre eux-mêmes ? La question est désormais tranchée. Le tribunal administratif de Paris a jugé, vendredi 13 juillet, que les prisonniers avaient le droit de figurer à l'écran sans aucun couvert d'anonymat, annulant l'interdiction de diffusion du documentaire Le Déménagement décidée par l'administration pénitentiaire. Une décision qui constitue une avancée dans le droit d'expression des personnes détenues.
Le film, réalisé par Catherine Rechard et produit par Candela productions, montre le transfèrement en mars 2010 des détenus de la vieille maison d'arrêt Jacques-Cartier de Rennes vers le nouveau centre de détention de Vezin-le-Coquet, situé en périphérie de la ville. Les prisonniers ayant donné leur accord écrit, ils y témoignent à visage découvert.
Entre les deux établissements, le contraste est saisissant. A Jacques-Cartier, les locaux s'effritaient mais les prisonniers pouvaient passer du temps à la fenêtre, voir un peu la vie dehors et échanger dans les couloirs. A Vezin, prototype des prisons modernes, les cellules sont propres mais les couloirs quadrillés de grillages empêchant toute communication. " Dans les anciennes prisons, celui qui avait un mal-être avait toujours quelqu'un à qui parler ", reconnaît un surveillant. " Ici, il y a un joli petit confort, dit un détenu. Mais le confort, on peut s'en passer. On ne peut pas se passer de contact. "
En montrant Vezin, ce beau reportage, sobre et sans commentaire, a dérangé. La projection du film avait été autorisée dans le cadre de festivals et de projections privées mais interdite à la télévision, l'administration pénitentiaire invoquant le " droit à l'oubli " des personnes condamnées. Elle s'appuyait sur l'article 41 de la loi pénitentiaire de 2009 qui dispose que l'administration peut refuser la diffusion " de l'image ou de la voix " d'un condamné dès lors que " cette restriction s'avère nécessaire à la sauvegarde de l'ordre public, à la prévention des infractions, à la protection des droits des victimes ou de ceux des tiers ainsi qu'à la réinsertion des personnes concernées ". Saisi d'un recours hiérarchique, l'ex-garde des sceaux Michel Mercier avait confirmé en 2011 cette décision.
Absence de motivation
Cela faisait des mois que la réalisatrice Catherine Rechard et le producteur rennais Franck Delaunay contestaient cette interdiction et criaient à la censure. Lors de l'audience devant le tribunal administratif, le 5 juillet, le rapporteur public leur avait donné raison en critiquant l'absence de motivation du refus de diffusion : il soulignait que le ministère n'avait pas indiqué " pour quelle raison précise " la diffusion du documentaire contrevenait aux exigences de la loi. " Les décisions attaquées doivent être annulées ", concluait-il. Le tribunal a suivi ses conclusions.
Pour Me Etienne Noël, avocat des requérants, cette décision rend aux détenus " un visage et une volonté ". " Il faut que l'administration pénitentiaire se mette dans la tête qu'elle vit dans un monde de droit et motive ses décisions ", conclut-il.