En décembre, après une visite inopinée à la maison d’arrêt de Nouméa, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté avait dénoncé au garde des Sceaux une «violation grave des droits fondamentaux» selon une procédure d’urgence jamais utilisée (Libération du 6 décembre). Les témoignages de prisonniers reçus ces dernières semaines par l’Observatoire international des prisons (OIP) et la Ligue des droits de l’homme (LDH) de Nouvelle-Calédonie soulignent crûment la gravité de la situation. «A la maison d’arrêt de Nouméa, on vous amène de l’eau chaude et du pain vers 6 heures. Une fois que vous avez déjeuné, vous vous recouchez pour laisser la place aux autres à la table.»
L’OIP et la LDH ont lancé une vaste collecte de récits auprès des 450 détenus de la prison du Camp Est (218 places). Une centaine ont déjà répondu. Dès la semaine prochaine, ils déposeront des recours devant le tribunal administratif pour dénoncer leurs conditions de détention. La méthode a prouvé son efficacité : l’Etat a déjà été condamné par des détenus de Nantes, Rouen, Nanterre, la Santé ou Fresnes.
«Ma cellule est un peu plus large qu’un ascenseur. A long terme, on s’y fait.» Surpopulation, chaleur, humidité, la prison a été qualifiée de «bagne postcolonial». Et pas par n’importe qui : par l’avocat général de la Cour de cassation. Car le mois dernier, la Cour a été saisie d’une demande de libération d’un détenu, au motif d’un «traitement dégradant». L’homme a été débouté, malgré le sévère constat du parquet.
«Durant la nuit j’ai très mal dormi, avec la chaleur et les rats qui viennent fouiller les restes de repas dans la poubelle, j’ai été réveillé par les picotements des cafards dans mon lit.» Six détenus et un WC à la turque cohabitent dans des cellules de 12 m2, les remontées d’égouts empestent l’air, car les grilles d’aération sont souvent obstruées par les détenus pour empêcher les rats d’entrer.
«Quand les WC sont libres, vous faites vos besoins et vous en profitez pour vous laver avec un broc au-dessus du trou avec l’eau des toilettes. Vous passez le reste de votre journée allongé, à regarder la télé ou à écouter de la musique aux écouteurs, afin de vous isoler des cinq autres détenus.»
L’administration pénitentiaire, consciente de la gravité, a annoncé le 24 février un «plan d’action», avec la construction d’un nouvel établissement qui ouvrira dans huit ans et la rénovation de Camp Est.
Selon François Bès, de l’OIP, «un tiers des personnes incarcérées sont condamnées à des peines de moins d’un an et auraient pu bénéficier d’aménagements de peine. Pour eux, nous ne pouvons pas attendre huit ans et la nouvelle prison.» Les détenus ont opté pour un référé devant le tribunal administratif, une procédure d’urgence.