Dossier AJ Penal avril 2017, pages 166 à 169
Les délais en procédure pénale
Résumé
Les seuils de l'application des peines en pratique
Etienne Noël
Avocat au barreau de Rouen
GÉNÉRALITÉS
Etude
Il est patent que, dans la pratique quotidienne de l'avocat pénaliste, le domaine de l'application des peines est très fréquemment absent.
Les raisons en sont multiples.
D'une part, il est constant que la formation des élèves-avocats, ou même la formation continue des avocats, néglige fréquemment ce domaine essentiel du droit pénal alors qu'il constitue, selon nous, une extension considérable du champ d'intervention de l'avocat pénaliste dès l'instant où il s'intéresse à la sortie de prison et non pas au « simple » procès pénal.
L'occasion est belle, dans ce dossier consacré aux délais, de constituer une sorte de « boîte à outils » destinée aux praticiens, traitant, non pas des délais, lesquels ne sont pas véritablement présents dans le domaine de l'application des peines mais, plutôt, de la question des seuils, lesquels sont prépondérants dans la gestion de l'exécution de la peine de dizaines de milliers de personnes condamnées et détenues en France. En particulier, plutôt que de prétendre à l'exhaustivité, il sera intéressant de présenter des procédures relativement méconnues ou du moins peu usitées.
Dans le domaine de l'application des peines, la question des délais se pose surtout au sujet des délais d'appel habituels dont bénéficient à la fois le condamné et le parquet. Ce dernier dispose, en outre, de la faculté d'interjeter un appel suspensifparalysant la mise en œuvre de l'aménagement de peine accordé par les juridictions de l'application des peines, alors que le condamné ne dispose pas d'un tel pouvoir, ce qui annule véritablement, pour lui, l'intérêt d'un appel (la peine étant fréquemment purgée dans sa quasi-totalité au moment où la chambre de l'application des peines évoque l'appel). En effet, la décision du juge de l'application des peines (JAP) étant revêtue de l'exécution provisoire, le rejet d'une demande d'aménagement de peine fondée sur l'article 723-15 du code de procédure pénale donne tout pouvoir au procureur de la République de mettre à exécution la peine ferme prononcée, sans que l'appel du condamné puisse paralyser cette mise à exécution.
Indépendamment de cette question de l'appel, aucun délai particulier n'existe dans le domaine de l'application des peines ; il est beaucoup plus question de seuils en deçà desquels ou jusqu'auxquels il est possible de solliciter un aménagement de peine, avant l'incarcération ou sous écrou.
Avant l'incarcération
Les aménagements de peine avant incarcération sont généralement fondés sur l'article 723-15 du code de procédure pénale, qui prévoit que les personnes condamnées peuvent, dans une limite de deux années lorsqu'elles ne sont pas en récidive et d'une année lorsqu'elles le sont, solliciter un aménagement de peine afin de leur éviter l'incarcération. Néanmoins, certaines dispositions prévoient un aménagement même lorsque le quantum de la peine prononcée dépasse les seuils cités ci-dessus.
L'impact de la détention provisoire
S'agissant des aménagements de peine prononcés dans le cadre de l'article 723-15, la situation est différente selon que la personne a ou non purgé une partie de la peine sous le régime de la détention provisoire. En effet, en l'absence de toute période de détention provisoire, les seuils d'une ou deux années doivent être interprétés de façon stricte, en excluant le crédit de réduction de peine. À titre d'exemple, une personne condamnée à une peine de 26 mois de prison ferme ne sera pas en mesure de solliciter un aménagement de peine sur le fondement de l'article 723-15.
A contrario, dès l'instant où la personne condamnée aura purgé, ne serait-ce que deux jours de détention provisoire – ayant par exemple été placée sous mandat de dépôt par un juge des libertés et de la détention le vendredi précédant une comparution immédiate le lundi, comparution ayant abouti à une condamnation à une peine d'emprisonnement ferme, mais non assortie d'un mandat de dépôt – pourra demander qu'il soit fait application des dispositions de l'article D. 147-12 du code de procédure pénale. Ce texgte prévoit que le JAP, saisi en application de l'article 723-15, examine la situation du condamné au regard du crédit de réduction de peine, ce qui permettra, même si la peine prononcée est supérieure au seuil de deux ans (ou un an en cas de récidive), de déduire le crédit de réduction de peine. Cela pourra avoir pour effet de passer sous les seuils sus-évoqués rendant ipso facto la demande d'aménagement de peine recevable. Si l'on reprend le même exemple d'une personne condamnée à 26 mois d'emprisonnement ferme dans le cadre ci-dessus évoqué, le JAP pourra déduire de ces 26 mois le crédit de réduction de peine de cinq mois (3 mois la première année, 2 mois l'année suivante). Le « solde » sera donc de 19 mois, et la peine aménageable.
Dans les hypothèses d'une détention provisoire plus longue, le JAP pourra également accorder au condamné des remises de peine supplémentaires, en sus du crédit de réduction de peine, ce qui permettra une réduction très sensible de la peine à purger en définitive.
Les mesures probatoires à la libération conditionnelle
L'article 723-7 du code de procédure pénale dispose : « Le juge de l'application des peines peut prévoir que la peine s'exécutera sous le régime du placement sous surveillance électronique défini par l'article 132-26-1 du code pénal soit en cas de condamnation à une ou plusieurs peines privatives de liberté dont la durée totale n'excède pas deux ans, soit lorsqu'il reste à subir par le condamné une ou plusieurs peines privatives de liberté dont la durée totale n'excède pas deux ans. Les durées de deux ans prévues par le présent alinéa sont réduites à un an si le condamné est en état de récidive légale.
Le juge de l'application des peines peut également subordonner la libération conditionnelle du condamné à l'exécution, à titre probatoire, d'une mesure de placement sous surveillance électronique, pour une durée n'excédant pas un an. La mesure de placement sous surveillance électronique peut être exécutée un an avant la fin du temps d'épreuve prévu à l'article 729 ou un an avant la date à laquelle est possible la libération conditionnelle prévue à l'article 729-3.
Lorsque le lieu désigné par le juge de l'application des peines n'est pas le domicile du condamné, la décision de placement sous surveillance électronique ne peut être prise qu'avec l'accord du maître des lieux, sauf s'il s'agit d'un lieu public. »
La rédaction de l'article susvisé n'exige pas que le condamné soit préalablement placé sous écrou,ce qui permet manifestement de faire usage de ces dispositions dans le cadre d'un aménagement de peine « 723-15 ». Ainsi, une personne ayant été condamnée à une peine de deux années d'emprisonnement parviendra à la moitié de sa peine au bout d'une année et, jusqu'à cette date, se trouvera dans la phase dite « probatoire » d'une année, ce qui correspond parfaitement aux conditions posées par l'article 723-7 du code de procédure pénale. Il lui sera donc possible de demander à exécuter sa peine de la façon suivante : la première année en mesure probatoire à la liberté conditionnelle, la seconde année moins les réductions de peine en liberté conditionnelle.
Un placement extérieur ou une semi-liberté probatoire (C. pr. pén., art. 723-1) peuvent être prononcés dans les mêmes conditions.
Le « re-japage »
Par ailleurs, le code de procédure pénale prévoit une possibilité d'aménagement de peine fondée sur l'article 723-17 du code de procédure pénale lorsqu'un an s'est écoulé depuis que la peine dont l'aménagement est sollicité est devenue définitive (c'est-à-dire après expiration du délai d'appel du procureur général qui est, rappelons-le, depuis la loi du 24 novembre 2009, de 20 jours). Cette possibilité reste ouverte même si une décision de refus a été préalablement rendue par le JAP ou la chambre de l'application des peines (technique dite du « re-japage »). Cette disposition présente en outre l'immense avantage de suspendre la mise à exécution de la peine par le procureur de la République.
L'article 723-17 permet notamment de faire état d'une amélioration dans la situation personnelle de la personne condamnée, qui dispose ainsi d'une seconde chance d'aménagement de peine afin d'éviter l'incarcération.
La dispense de révocation de sursis
Dans un autre cas de figure, on se souvient que la loi du 15 août 2014, dite « loi Taubira », est revenue sur l'automaticité de la révocation d'un sursis antérieurement prononcé par une nouvelle condamnation pendant le délai d'épreuve, puisqu'il faut désormais une décision explicite du tribunal. Il est alors possible, lorsque plusieurs peines sont mises à exécution, dont certaines sont issues de sursis révoqués de plein droit par une condamnation ferme prononcée antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 15 août 2014, de demander au juge de l'application des peines de dispenser le condamné de la révocation de ces sursis afin d'envisager uniquement l'aménagement de la peine ferme révoquante. Ainsi, prenons à titre d'exemple une personne condamnée, au total, à 15 mois d'emprisonnement ferme en récidive, se décomposant en une peine de 12 mois d'emprisonnement ferme et une autre peine de 3 mois d'emprisonnement avec sursis révoquée de plein droit. Il sera possible de solliciter du JAP qu'il dispense la personne condamnée de la révocation de ce sursis simple, ce qui permettra d'atteindre le seuil de 12 mois prévu par l'article 723-15 pour ce qui concerne les récidivistes et ainsi d'aménager la peine.
L'article 53 de la loi du 15 août 2014 a néanmoins vocation à n'être qu'une disposition transitoire ; en effet, il n'existera bientôt plus de sursis révoqués de plein droit. Il appartient donc aux avocats de plaider, durant l'audience du tribunal correctionnel, sur la dispense de révocation expresse du sursis.
Il existe d'autres possibilités d'aménagement de peine avant incarcération peu usitées et, pourtant parfaitement efficaces.
La conversion de peine
Lorsque la peine prononcée n'excède pas 6 mois, il est tout d'abord possible de solliciter du JAP qu'il convertisse celle-ci, soit en peine de sursis assortie d'un travail d'intérêt général, soit en peine de jours-amende.
La libération conditionnelle « parentale »
De plus, l'article 729-3 du code de procédure pénale prévoit un régime de libération conditionnelle pour raison parentale permettant aux personnes condamnées à une peine jusqu'à 4 années d'emprisonnement (même en récidive, cette exclusion ayant été supprimée par la loi du 15 août 2014) ou dont le reliquat de peine est de 4 années maximum, de solliciter l'octroi de la libération conditionnelle dès lors qu'elles sont parents d'un enfant de moins de 10 ans sur lequel elles exercent l'autorité parentale et qui réside à leur domicile. Cette mesure d'aménagement de peine peut parfaitement être accordée ab initiopar la juridiction de jugement ou bien par le JAP ; elle échappe alors aux seuils de l'article 723-15 du code de procédure pénale. Dès lors que la personne concernée a purgé une partie de sa peine sous le régime de la détention provisoire, rappelons qu'il est de plus possible de faire application de l'article D. 147-12 ci-dessus évoqué.
La suspension de peine pour motif médical
Même si cela n'est pas réellement une procédure d'aménagement de peine, le bénéfice de la suspension de peine pour raison médicale fondée sur l'article 720-1-1 du code de procédure pénale peut être sollicité avant toute incarcération, dès lors que la personne présente un état de santé manifestement incompatible avec la détention ou lorsque son pronostic vital est engagé.
Cette disposition avait été en premier lieu envisagée par une circulaire du 7 mai 2004 rédigée par le directeur des affaires criminelles et des grâces de l'époque, qui indiquait que, dès qu'une personne condamnée présentait, au vu, à l'époque de deux expertises (aujourd'hui d'une seule), un état de santé incompatible avec la détention, il apparaissait inutile d'envisager son incarcération. Par la suite, la Chambre criminelle de la Cour de cassation, par un arrêt en date du 21 février 2007, a considéré qu'il était possible d'accorder le bénéfice de la suspension de peine pour raison médicale à une personne condamnée à une peine de 41 mois de prison ferme présentant un état de santé incompatible avec la détention.
Cette procédure présente l'important avantage d'être accessible ab initio à toute personne condamnée à une peine correctionnelle quel que soit son quantum. Il existe néanmoins une distorsion extrêmement préoccupante avec les personnes renvoyées devant une cour d'assises. En effet, à l'issue du procès devant la juridiction criminelle, quel que soit l'état de santé de la personne concernée ou l'éventuel engagement de son pronostic vital, cette dernière est automatiquement incarcérée dès lors d'une peine de prison ferme est prononcée. Il n'est pas possible de solliciter ab initio la suspension de sa peine. Donc toute personne condamnée à une peine criminelle doit obligatoirement être placée sous écrou avant d'envisager une demande de suspension de peine pour raison médicale. Il en est bien entendu autrement d'une personne condamnée à une peine correctionnelle, celle-ci pouvant, à l'audience, lorsqu'un mandat de dépôt est requis, demander à être laissée en liberté afin de pouvoir présenter une demande de suspension de peine « en 723-15 » ou, dans l'hypothèse où aucun de mandat de dépôt ne serait prononcé, saisir le JAP d'une telle demande.
En cas d'incarcération
S'agissant des personnes placées sous écrou et incarcérées, le processus d'aménagement de peine se déroule nécessairement en milieu fermé.
La libération conditionnelle probatoire
L'article 729 du code de procédure pénale prévoit qu'une demande de libération conditionnelle peut être déposée dès l'instant où la personne a purgé une peine au moins équivalente à celle qu'il lui reste à exécuter (soit, à mi-peine), sous réserve de la présence d'une période de sûreté. En toute hypothèse, il est toutefois possible de solliciter un aménagement de peine un an avant la date de mi-peine. En effet, les articles 723-1 et 723-7 du code de procédure pénale déjà évoqués, qui prévoient la possibilité d'un placement probatoire, soit sous le régime de la semi-liberté, soit du placement extérieur soit, encore, d'un placement sous surveillance électronique un an avant la fin du temps d'épreuve s’appliquent bien entendus lorsque la personne est incarcérée. La notion de mi-peine devient donc beaucoup plus relative et on peut parfois envisager des aménagements de peine très tôt dans le processus d'exécution d'une peine lorsque celle-ci n'est pas trop longue – voire, comme il a été dit, avant même toute incarcération.
Concernant les longues peines au contraire, la procédure d'application des peines a été considérablement durcie par la loi du 10 août 2011 instituant la procédure d'examen de dangerosité de l'article 730-2 du code de procédure pénale. Cette procédure concerne, outre les personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité, celles condamnées une peine égale ou supérieure à 15 années pour une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru (infractions sexuelles et atteintes volontaires à la vie) ou celles condamnées à une peine égale ou supérieure à 10 années pour une infraction prévue à l'article 706-53-13 du code de procédure pénale, c'est-à-dire les crimes aggravés commis sur une personne mineure ou sur une personne majeure, incluant l'infraction de séquestration aggravée. Pour ces infractions, aucune demande d'aménagement de peine ne peut être présentée avant la mi-peine entendue strictement, ce qui exclut toute mesure probatoire antérieure.
Certaines infractions criminelles échappent néanmoins à cette procédure d'examen de dangerosité. Il s'agit essentiellement du crime de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, prévu par les articles 222-7 et suivants du code pénal (pas de suivi socio-judiciaire encouru), ainsi que du crime de vol avec arme prévu par les articles 311-8 et suivants du code pénal.
Il reste la question des périodes de sûreté, tant de plein droit que votées par le jury d'une cour d'assises.
Les requêtes doubles
L'article 132-23 du code pénal prévoit qu'en cas de condamnation à une peine privative de liberté non assortie du sursis dont la durée est égale ou supérieure à 10 ans, prononcée pour les infractions spécialement prévues par la loi, une période de sûreté de la moitié de la peine s'applique de plein droit. D'autre part, le même article prévoit qu'en cas de condamnation à une peine privative de liberté d'une durée supérieure à cinq ans non assortie du sursis, la juridiction peut fixer une période de sûreté ne pouvant excéder les deux tiers de la peine prononcée, ou de 22 ans en cas de condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité.
Il est en principe impossible de solliciter un aménagement de peine tant que la période de sûreté n'est pas expirée. Toutefois, plusieurs juridictions d'application des peines ont été saisies, depuis 2005, de « requêtes doubles ». Le raisonnement est le suivant : dès l'instant où une personne condamnée, nonobstant la période de sûreté qu'elle doit purger, a d'ores et déjà exécuté la moitié de sa peine en tenant compte du crédit de réduction de peine et des réductions supplémentaires de peine, ou/et lorsqu'elle se trouve dans les délais permettant, si l'infraction l'autorise, de solliciter un aménagement de peine précédé d'une mesure probatoire (articles 723-1 ou 723-7) et qu'elle peut justifier d'un projet de sortie structuré, il est possible de solliciter, dans une même requête, à la fois, le relèvement de la période de sûreté et l'octroi de la libération conditionnelle. Le tribunal de l'application des peines saisi examine alors en premier lieu, dans son délibéré, la requête en relèvement de période de sûreté et, si il y fait droit, le requérant devient ipso facto admissible à une mesure de libération conditionnelle, la juridiction examinant ainsi « dans la foulée » la seconde partie de la requête développant le projet de sortie et les gages de réinsertion proposés par l’intéressé.
Cette procédure inédite a été utilisée à plusieurs reprises s'agissant de condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité qui avaient purgé leur temps d'épreuve et auxquels il restait une durée importante de période de sûreté à exécuter. Il est clair que ces « doubles requêtes » ont été compliquées par la procédure « d'examen de dangerosité », impliquant un passage de six semaines au centre national d'évaluation puis un examen des synthèses établies par celui-ci par une commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, laquelle est supposée rendre ses avis dans un délai de six mois, sachant qu'en réalité,les délais sont infiniment plus longs, compte tenu de la surcharge de travail des commissions pluridisciplinaires qui ont vu leurs missions et leurs compétences considérablement alourdies depuis leur création par la loi du 12 décembre 2005.
Néanmoins, le principe de la requête double demeure valide, même si un léger décalage dans le temps sépare l'audience de relèvement de période de sûreté de celle au cours de laquelle est évoquée la demande de libération conditionnelle, dans l'hypothèse où l'avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté ne serait pas parvenu à la juridiction suffisamment à temps pour pouvoir évoquer l'intégralité de la requête double lors de la première audience.