mardi 8 janvier 2013

Quelques observations suite au drame de Joux la Ville

La semaine dernière, je ne me souviens pas bien de la date, une femme, âgée de 73 ans s'est suicidée en s'immolant  par le feu, au centre de détention de Joux la Ville, dans l'Yonne.

Elle devait être au fond du désespoir pour en arriver là!

Les premiers commentaires ont pointé les conditions de détention.

Je ne crois pas qu'il s'agisse là de la bonne piste, dans ce cas précis.

Pour avoir réalisé un constat des conditions de détention dans cet établissement en 2010, certes, du côté des hommes, je puis affirmer qu'elles sont plutôt meilleures qu'ailleurs dans cette prison, construite vers 1992.

Non, au-delà de cet acte atroce, la situation de cette dame pose une série de questions dans plusieurs directions.

Tout d'abord, s'agissant de la responsabilité de l'administration pénitentiaire. En effet, il paraît inimaginable que la victime ait été en mesure de se procurer la quantité de produit inflammable pour parvenir à ses fins, sachant qu'il me paraît peu probable qu'elle ait pu consumer ses vêtements sans l'aide d'un tel produit.

Ce constat me renvoie à un autre que j'ai fait, il y a quelques temps, d'un accroissement sensible, dans mon cabinet du nombre de dossiers de personnes détenues décédées par overdose d'héroïne. Rien à voir me direz vous ? moi, je pense qu'il y a un lien, celui de la responsabilité de l'Administration Pénitentiaire, incapable d'empêcher l'introduction en détention, de produits éminemment dangereux alors qu'elle use et abuse de fouilles tatillonnes, répétées, aléatoires ou non, pour un oui ou pour un non, preuve de leur inutilité!

Il faut savoir que l'administration pénitentiaire a été condamnée pour n'avoir pu empêcher l'introduction en détention de produits stupéfiants. 

Le Tribunal Administratif de Strasbourg (14 mai 2009 n° 0601253) motive ainsi sa décision: "La carence de l'administration pénitentiaire à éviter la circulation de substances stupéfiantes illicites au sein de la maison d'arrêt constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat".

Par ailleurs, qu'en est'il de la prise en compte du risque suicidaire présenté par cette dame qui aurait déjà au moins une fois tenté de se suicider en sautant par dessus une coursive ?

Un recours devant le TA d'Auxerre par des ayants droits de cette malheureuse personne aurait toute les chances d'aboutir à une condamnation de l'Etat pour faute!

Ensuite, il est important de relever deux éléments supplémentaires : D'une part, la victime était âgée de 73 ans; d'autre part, elle avait été condamnée pour tentative assassinat.

S'agissant de son âge, elle aurait été en mesure de bénéficier de la réforme de l'article 729 du code de procédure pénale, introduite par la Loi Pénitentiaire du 24 novembre 2009, permettant d'accorder le bénéfice de la libération conditionnelle aux personnes âgées de plus de 70 ans,sans condition de délais, dès lors qu'une prise en charge est possible et qu'il n'y a pas de risque grave de renouvellement de l'infraction ni de trouble grave à l'ordre public.

S'agissant de cette personne, aucun de ces risques ne semblait constitué, a priori.

Sauf que, comme elle purgeait une peine pour des faits de tentative d'assassinat, elle devait purger une peine de sûreté de plein droit, automatique pour certaines infractions dont l'assassinat!

Et, comble de malchance pour elle, cette peine de sûreté, par un bug de la loi pénitentiaire, empêchait qu'elle puisse bénéficier de la réforme visée ci-dessus!

Pourquoi ?

Tout simplement, parce que le législateur a oublié de modifier un article, l'article 720-2 du code de procédure pénale qui interdit de prononcer tout aménagement lorsqu'une peine de sûreté est en cours d'exécution!

Il est clair que telle n'était pas l'intention du législateur dont le but premier était de vider les prisons des personnes âgées!

La lettre de la Loi n'a pas traduit son esprit; notez bien que cela n'est pas la première fois compte tenu du caractère pour le moins imprécis de la rédaction de ces textes qui s'empilent, se chevauchent sans cohérence!

Cela est ressorti des déclarations de Monsieur Jean René LECERF, lors du dernier colloque de l'Association Nationale des Juges de l'Application des Peines (ANJAP) qui, abordant ce sujet, s'est félicité que toutes les personnes âgées de plus de 70 ans puissent bénéficier d'une libération conditionnelle "même en présence d'une sûreté" a t'il ajouté.

Votre serviteur, prenant la parole, lui a fait remarquer ce "bug" de la loi, prenant exemple de jugements de rejets sur le fondement de l'article 720-2, et a proposé de compléter l'article 729 sur le modèle de ce que le législateur avait imaginé pour élaborer le dernier alinéa de l'article 720-1-1 créant la procédure de suspension de peine pour raison médicale qui prévoit : "Les dispositions de l'article 720-2 ne sont pas applicables lorsqu'il est fait application des dispositions du présent article"

La commission sénatoriale d'évaluation de la loi pénitentiaire, constituée du même JR LECERF et de Madame Nicole BORVO COHEN SEAT alors sénatrice de Paris, après audition, toujours de votre serviteur, a fait figurer dans son rapport, entre autres propositions, la modification suggérée de l'article 729.

Voilà pourquoi, cette réforme n'étant pas encore votée, cette dame ne pouvait, malgré l'esprit de la loi qui lui était favorable, obtenir une libération conditionnelle, la lettre de cette même loi lui étant défavorable.

Voilà probablement pourquoi les médias annoncent, sans vraiment savoir pour quelle raison, elle ne pouvait pas sortir de détention avant ses 80 ans; il s'agissait probablement de la fin de sa peine de sûreté!

Voilà probablement une des raisons qui l'a poussée au plus immense désespoir au point de mettre fin à ses jours après au moins une tentative (elle aurait déjà, en effet, tenté de franchir la barrière d'une coursive).

En tout état de cause, même à supposer que la loi ait été modifiée, la procédure, pour elle, n'aurait pas été de tout repos!

En effet, une loi postérieure, celle du 10 août 2011, est venue détricoter tout ce que la loi pénitentiaire avait laborieusement tenté de mettre en place en étendant à toutes une série d'infractions (dont l'assassinat) et aux condamnations supérieures ou égales à 15 années ou, pour certaines infractions, égales ou supérieures à 10 années, la procédure d'examen de dangerosité prévue initialement pour les condamnés à perpétuité par la loi du 25 février 2008.

Madame X, dans l'hypothèse où elle aurait déposé une demande de libération conditionnelle, malgré son âge, aurait été contrainte de se soumettre a cette procédure d'évaluation de dangerosité, durant 6 semaines, au sein du Centre National d'Evaluation de FRESNES (ou celui de REAU, fraîchement inauguré à grands renforts de publicité par notre ancien Président) et d'attendre, durant des mois, que la Commission Pluridisciplinaire des Mesures de Sûreté (la fameuse CPMS) rende un avis, souvent élaboré à l'aune du principe de précaution.

Par dessus le marché, toute mesure de libération conditionnelle doit dorénavant être précédée d'une période probatoire de placement sous surveillance électronique ou de semi-liberté, pour une durée de 1 à 3 ans.

Madame X ne pouvait échapper à ces mesures, même âgée de plus de 70 ans et même si sa dangerosité aurait été considérée comme nulle.

On le voit, Madame X avait vraiment de quoi désespérer!