lundi 4 mars 2013

LA SUSPENSION DE PEINE POUR RAISON MEDICALE ET LA LIBERATION CONDITIONNELLE POUR RAISON MEDICALE


Je publie ci-dessous le texte de ma contribution au groupe de travail interministériel Santé/Justice sur les aménagements de peine pour raison médicale.



L’article 720-1-1 du code de procédure pénale, issu de la loi du 4mars 2002, dite loi KOUCHNER, voté dans un souci d’humanité, permet de suspendre une peine en cours d’exécution, dès lors que deux critères alternatifs sont remplis, savoir, soit, l’engagement du pronostic vital de la personne concernée, soit l’incompatibilité de son état de santé avec le régime ordinaire de détention.

Le texte, reproduit ci-dessous, a subi plusieurs modifications qui seront examinées en même temps que la problématique correspondante, savoir :

Loi du 12 décembre 2005 :
Examen du risque grave de renouvellement de l’infraction
Révocation de la suspension de peine en cas de non-respect des obligations fixées par le jugement
Expertise médicale semestrielle pour les condamnés à une peine criminelle, destinée à vérifier si les conditions médicales sont toujours remplies.

Loi du 24 novembre 2009 « Loi Pénitentiaire » :
Possibilité ouverte d’accorder la suspension de peine, en cas d’urgence, si le pronostic vital est engagé, au vu d’un certificat médical rédigé par le médecin chef de la structure de soins dans laquelle la personne concernée est prise en charge.

A)    Le risque grave de renouvellement de l’infraction

Cette modification, introduite par la loi du 12 décembre 2005, (un essai avait été tenté durant les débats parlementaires de la loi du 9 mars 2004, PERBEN II, consistant à prendre en compte un éventuel trouble à l’ordre public) permet de refuser la suspension de peine en cas de risque de « renouvellement grave de l’infraction ».

Ce risque est évalué par une expertise psychiatrique ordonnée par le Juge de l’Application des Peines qui instruit la requête initiale.

La rédaction même du texte (La suspension de peine « peut » être accordée….) autorisait déjà le juge à refuser, en application du principe d’opportunité, la suspension de peine.

La jurisprudence antérieure à la loi du 12 décembre 2005 ou visant des situations antérieures à celle-ci (confer crim. 12 février 2003 affaire PAPON ; crim. 15 mars 2006) refusait de prendre en compte d’autres critères que ceux d’ordre strictement médicaux..

Il est néanmoins possible de considérer que, dans la mesure où les suspensions de peine qui sont accordées, concernent des personnes très gravement malades ou handicapées, cette condition devient relativement secondaire…mais elle existe.

B)    Quelle que soit la nature de la peine ou la durée de la peine restant à subir

Toute personne, dont la condamnation est définitive, peut demander la suspension de la peine qu’elle purge, sans condition de délai.

Néanmoins, la suspension de peine, pour être utile, doit concerner des personnes condamnées, non accessibles à une mesure de libération conditionnelle médicale, soit celles qui ne sont pas encore parvenues à mi peine ou subissent une période de sûreté.

En effet, pour les autres, il est préférable de privilégier une procédure de libération conditionnelle « classique », pour raison médicale, qui évite le suivi social et judiciaire « ad vitam aeternam » et le risque, pour les personnes condamnées à une peine criminelle, de voir leur suspension de peine révoquée, à l’issue de l’expertise semestrielle.

La suspension de peine, comme son nom l’indique, suspend l’exécution de la peine qui reprend son cours lorsque les conditions ne sont plus remplies.

Vision lamartinienne de l’application des peines « ô temps, suspend ton vol… ».

Donc, autant que faire se peut, nécessité de déposer une requête aux fins de libération conditionnelle médicale (article 729 du CPP), ce, d’autant plus que la loi du 24 novembre 2009 a introduit une possibilité pour les personnes condamnées, âgées de plus de 70ans, leur permettant d’obtenir une libération conditionnelle, sans condition de délai.

La libération conditionnelle présente l’avantage d’avoir une fin, celle de la peine ou des mesures en ce qui concerne les condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité.

Comme je l’examinerai plus bas, la loi du 10 août 2011 a considérablement durci la procédure de libération conditionnelle pour les personnes condamnées, soit pour une infraction pour laquelle le suivi socio judiciaire est encouru à une peine égale ou supérieure à quinze années ou pour une infraction mentionnée à l’article 706-53-13 du code de procédure pénale (nouvel article 730-2    du CPP).

Outre que cette disposition a entraîné une diminution importante du nombre de requêtes en  libération conditionnelle, elle freine, sinon supprime toute possibilité d’obtenir en urgence une libération conditionnelle médicale.
Enfin, il est possible de demander la suspension de la peine avant même sa mise à exécution !
Cette possibilité avait été ouverte (mais non exploitée) par une circulaire de la direction des affaires criminelles et des grâces, précisant que la suspension de peine visant l’incompatibilité de l’état  de santé avec la détention avait aussi pour finalité d’éviter une incarcération à ceux qui ne pourraient, d’évidence, pas la supporter.

La Chambre Criminelle de la Cour de cassation, par un arrêt du 21 février 2007 a jugé que la suspension de peine était accessible au condamné libre, quelle que soit la durée de la peine à purger.
Le juge de l’application des peines doit être saisi sur le fondement des dispositions des articles 723-15 et suivants du CPP, concernant les aménagements de peine « ab initio », même si la peine à effectuer est supérieure à deux ans ou un an,  s’agissant des personnes condamnées en récidive.

C)    Les critères de la suspension de peine

Ceux-ci doivent être établis par deux expertises aux conclusions (et non pas les constatations contenues dans le rapport ; crim. 27 juin 2007) concordantes.

La Chambre criminelle a estimé qu’il était possible de rejeter une demande de suspension de peine dès lors qu’une première expertise avait été déposée, dès lors qu’elle considérait qu’aucun critère n’était rempli. (Crim.23 juin 2004).

a)      Le pronostic vital engagé

La jurisprudence antérieure à  2005 n’exigeait pas de définir le délai de « réalisation » du pronostic vital (court, moyen ou long terme).

La chambre criminelle, par un arrêt en date du 28 septembre 2005 (AJ PENAL 2005 461), exige  désormais que le pronostic vital soit engagé à court terme. (voir aussi : crim 4 octobre 2006 AJ PENAL 2007 40).

Néanmoins, cette exigence n’est plus retenue lorsque, par ailleurs, les experts, de façon concordante, estiment que l’état de santé est incompatible avec la détention (crim. 15 mars 2006), s’agissant du second critère alternatif.
La chambre criminelle reste, en réalité, sur son exigence de l’engagement à court terme du pronostic vital et, dans l’espèce qui lui était soumise, n’a pris en compte que l’incompatibilité de l’état de santé avec la détention.
Il est important de noter que cette exigence de la chambre criminelle est « contra legem» puisque la loi elle-même n’évoque que l’engagement du pronostic vital sans plus de précision.
Il serait peut-être utile de compléter le texte en précisant « quel que soit le terme » de façon à revenir à la jurisprudence antérieure qui était celle de la Juridiction Nationale de la Libération  Conditionnelle.

b)      Incompatibilité de l’état de santé avec la détention
Ce second critère, depuis l’arrêt du 28   septembre 2005, restreignant les cas d’admission sur le fondement du premier critère, est de plus en plus souvent invoqué.

L’état de santé de la personne concernée doit être incompatible :
Ø  Durablement
Ø  Avec la détention ordinaire
Durablement : il doit s’agir de pathologies « installées »

Avec la détention ordinaire
L’état de santé de la personne condamnée doit être incompatible avec le régime de détention de l’établissement pénitentiaire où il se trouve (maison d’arrêt ou établissement pour peine), pour y purger une peine.
Ceci exclut de fait les établissements destinés à les héberger temporairement pour y recevoir des soins, tels que les U.H.S.I. !
Pourtant, de nombreuses juridictions d’application des peines rejettent des demandes de suspension de peine au motif que la proximité d’un tel établissement dans lequel la personne peut être transférée, permet de rendre son état de santé compatible !
Il est constant que les U.H.S.I ou l’hôpital pénitentiaire de FRESNES n’ont pas vocation à recevoir des condamnés pour y purger leur peine ; donc, par conséquent, ne peut être pris en compte que le régime ordinaire de détention pour déterminer la compatibilité de l’état de santé.

Récemment, dans un arrêt en date du 7 janvier 2009, concernant une demande de suspension de peine déposée par un condamné atteint de paraplégie, dont les experts avaient considéré qu’outre l’absence d’engagement du pronostic vital, son état de santé était compatible avec le maintien en détention, la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation a considéré :

« Mais attendu qu’en se prononçant ainsi sans rechercher, comme l’y invitaient les conclusions du demandeur, s’il ne résultait pas des deux expertises que les conditions effectives de sa  détention étaient durablement incompatibles avec son état de santé, la chambre de l’application des peines n’a pas justifié sa décision au regard des dispositions de l’article 720-1-1 du code de procédure pénale ».

La question du handicap
Un nombre sans cesse croissant de personnes âgées (parfois très âgées) sont détenues, souffrant de   multiples pathologies mais aussi de handicap moteur et, très fréquemment, de sénilité.
Contre toute attente, il arrive que les experts qui les examinent, considèrent, que, nonobstant ces handicaps, pourtant réellement invalidants, leur état de santé est compatible avec la détention !

Solution : obtenir une contre-expertise ou un complément d’expertise, dans l’hypothèse où le juge ne l’ordonne pas lui-même.

Quid ?

Le texte ne prévoit pas cette possibilité de droit.

Le fondement juridique doit donc être recherché dans les pouvoirs généraux des juridictions d’application des peines, évoqués par les articles 712-16 ou D 527 du code de procédure pénale, relatifs aux pouvoirs des juridictions saisies ou de leurs présidents.

Il n’en demeure pas moins que le juge n’est pas lié par une telle demande qu’il peut rejeter.

Néanmoins, en cas de contradiction, même si la jurisprudence permet le rejet de la requête en suspension de peine, de nombreuses juridictions ordonnent, soit des contre expertises, soit des compléments d’expertises.

Le Juge tiendra compte de la troisième expertise ou du complément, s’il vient modifier la ou les expertises initiales et aboutit à ce qu’un ou deux critères soient remplis (crim. 14 octobre 2009 AJ PENAL 2010 42).

Le juge a aussi la possibilité de statuer outre les conclusions des expertises en se fondant sur d’autres éléments du dossier : certificats médicaux, par exemple.

La loi du 24 novembre 2009 a rajouté une possibilité d’octroi de la suspension de peine, en cas d’urgence, au vu d’un certificat médical délivré par le médecin chef de la structure dans laquelle la personne concernée est prise en charge, lorsque le pronostic vital est engagé.

Cette nouvelle possibilité, qui concernera, en réalité, les personnes arrivées à la dernière extrémité (notion d’urgence),  permet de passer outre, en théorie (nous verrons l’application qu’en feront les juridictions d’application des peines), les conclusions des expertises.

L’expérience démontre que les experts choisis, le plus souvent, raisonnent « in abstracto », sans connaître les 
conditions effectives dans lesquelles vivent les personnes qu’ils examinent ; il en résulte fréquemment des conclusions tendant  à la compatibilité de l’état de santé avec la détention au seul motif que des soins sont administrés par l’U.C.S.A. de l’établissement pénitentiaire ou au sein d’une U.H.S.I. ce qui rend possible une incarcération « pour aller au bout de la peine ».

Enfin, sont souvent désignés des experts non spécialistes des pathologies dont souffrent les personnes détenues ce qui aboutit à une minoration de la gravité des situations.

Ainsi, s’agissant des personnes âgées et/ou handicapées, il est fondamental de prendre en compte la question de la dépendance dans les actes de la vie quotidienne : toilette, préparation des repas, alimentation, déplacements en détention, fréquentation de la cour de promenade, ménage de la cellule, occupations durant la journée, aide d’un co détenu, etc…

Il est possible de demander un complément d’expertise afin de vérifier le degré de dépendance du requérant.

Il serait utile de compléter l’article 720-1-1 en prévoyant un critère supplémentaire qui serait celui de l’incompatibilité de l’état de santé avec la détention ordinaire à raison du handicap et de la dépendance du requérant.

Dans ces conditions, la mission confiée aux experts prendrait obligatoirement en compte cette évaluation.

Le projet de sortie

Même en supposant que les conditions médicales soient remplies, toute demande de suspension de peine doit comporter un projet de sortie, essentiellement en termes d’hébergement.

Or, le plus souvent, ce point pêche cruellement, en ce sens que les personnes condamnées, souvent âgées, n’ont aucune famille et ne peuvent plus intégrer des foyers de réinsertion qui leur sont en tout état de cause, fermés, n’étant pas conçus pour héberger des pensionnaires atteints de pathologies souvent graves ou présentant de lourds handicaps.

Le Tribunal de l’Application des Peines de CRETEIL, dont le rôle est surchargé de demandes de suspension de peine émanant, soit de l’hôpital de FRESNES, soit du Grand Quartier de la maison d’arrêt, a imaginé d’admettre les requérants au bénéfice de la suspension de peine, lorsque les conditions sont remplies,  et de suspendre la mise à exécution de celle-ci à l’obtention d’un hébergement. (TAP CRETEIL 24 octobre 2006 ; jurisprudence constante dans le ressort de cette juridiction).

Dès que la condition est réalisée, par Ordonnance, le JAP met en application la suspension de peine.

Un problème lancinant et récurrent : l’absence d’hébergement.

Un raisonnement a été tenu, consistant à invoquer le principe de continuité des soins (figurant dans le Code de la Santé Publique aux articles L 6112-1 et 2) en application duquel l’hôpital qui soigne, au sein de l’Unité de Consultation et de Soins Ambulatoires (U.C.S.A.), doit également soigner à l’extérieur les personnes qui lui sont confiées.

Devant le refus opposé par l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris à la demande d’une personne âgée détenue à Fresnes, admissible à une suspension de peine et en faveur de laquelle les experts préconisaient une admission dans une maison de retraite médicalisée, une procédure de référé suspension a été introduite devant le Tribunal Administratif de PARIS (L 521-1 du Code de justice administrative)

Par une ordonnance en date du 13 juin 2007, (AJ PENAL  le Président du Tribunal Administratif de PARIS, considérant que l’AP-HP était débitrice d’une telle obligation, lui a enjoint d’orienter le requérant vers une structure adaptée à son état de santé.
« Considérant qu’en vertu de l’article L 6112-1du code de la santé publique, le service public hospitalier assure, dans des conditions fixées par voie règlementaire, les examens de diagnostic et les soins dispensés aux détenus en milieu pénitentiaire et, si nécessaire, en milieu hospitalier, : qu’aux termes de l’article D 368 du code de procédure pénale : «  les missions diagnostic et de soins en milieu pénitentiaire et la coordination des actions de prévention et d’éducation pour la santé sont assurées par une équipe hospitalière placée sous l’autorité médicale d’un praticien hospitalier, dans le cadre d’une unité de consultation et de soins ambulatoires, conformément aux dispositions des articles R 711-7 à 711-18 du code de la santé publique. En application de l’article 711-7 du code de la santé publique, le directeur de l’Agence Régionale de l’Hospitalisation désigne, pour chaque établissement  pénitentiaire de la région, l’établissement public de santé, situé à proximité de l’établissement pénitentiaire, qui est chargé de mettre en œuvre les missions décrites au premier alinéa du présent article ».Qu’enfin, en vertu de l’article L 6112-2 du code de la santé publique, les établissements hospitaliers « sont ouverts à toute les personnes dont l’état de santé requiert leurs services. Ils doivent être en mesure de les accueillir de jour et de nuit, éventuellement en urgence, ou d’assurer leur admission dans un autre établissement…ils dispensent aux patients les soins préventifs, curatifs ou palliatifs que requiert leur état et veillent à la continuité de ces soins, en s’assurant qu’à l’issue de leur admission ou de leur hébergement, tous les patients disposent des conditions d’existence nécessaires à la poursuite de leur traitement. A cette fin, ils orientent les patients sortants ne disposant pas de telles conditions d’existence vers des structures prenant en compte la précarité de leur situation ». Que ces dispositions mettent à la charge de l’A.P.-H.P. dont dépend l’Unité de Consultation et de Soins Ambulatoires du CHU de BICETRE, chargée de soigner les détenus de la maison d’arrêt de FRESNES, l’obligation de veiller à la continuité des soins assurés à Monsieur X par cette UCSA ; que si l’AP-HP fait valoir que l’état de Monsieur X ne nécessité pas d’hospitalisation, il lui appartient néanmoins d’orienter ce patient vers une structure adaptée à son état ».

Le principe est posé et peut être repris en province, à l’encontre des Agences Régionales d’Hospitalisation qui disposent du pouvoir d’orienter un malade vers un établissement de soins ou une maison de retraite médicalisée.

La révocation de la suspension de peine

Une suspension de peine, en l’état de la loi, peut être révoquée par le JAP ou le Tribunal de l’application des peines, soit dans l’hypothèse où les conditions médicales (expertise semestrielle pour les peines criminelles, à l’initiative du JAP dans les autres cas) ne seraient plus réunies soit pour manquement aux obligations fixées par le jugement d’octroi.

En aucun cas, une suspension de peine ne peut être révoquée pour mauvaise conduite ou commission d’une infraction durant la suspension.

En effet, l’article D 49-25 du CPP, relatif aux pouvoirs généraux du JAP de révoquer une mesure d’aménagement de peine, renvoie, in fine, à la procédure initialement utilisée pour octroyer la mesure

Or, cette possibilité n’est pas prévue par l’article 720-1-1 (interprétation stricte du texte).
CHAP PARIS 22 mars 2007 (CHARTIER) ; AJ PENAL 2007, 235 :
« …la mesure de suspension de peine pour raison médicale issue de la loi du 4 mars 2002, devenue l’article 720-1-1 du code de procédure pénale, ne comportait pas, à l’origine, des dispositions concernant les conditions dans lesquelles elle pouvait être retiré, la loi du 4 mars 2004, entrée ne vigueur le 1er janvier 2005, y ajoutant, a prévu que le juge de l’application des peines peut, à tout moment…ordonner qu’il soit mis fin à la suspension de peine si les conditions de celle-ci ne sont plus remplies et qu’il en est de même si le condamné ne respecte pas les obligations qui lui ont été imposées, en application des dispositions de l’article précédent ».
«…un simple décret qui est entré en vigueur en même temps que la loi ne saurait créer une condition de retrait supplémentaire, à savoir une mauvaise conduite, pour combler un soit disant vide juridique, ou une lacune de la loi »
« Dès lors, la mesure de suspension de peine ne saurait être retirée sur le fondement de l’article D49-2 du code de procédure pénale ».

Le « bug » de la loi du 24 novembre 2009

La question du vieillissement de la population carcérale a du paraître suffisamment préoccupante au législateur pour qu’il complète l’article 729 du CPP en prévoyant que la libération conditionnelle pouvait être accordée sans condition de délai aux personnes condamnées, âgées de 70 ans et plus, dès lors qu’une prise en charge était assurée et qu’il n’y avait pas de risque grave de récidive ou de trouble à l’ordre public.

Or, il s’avère que, parallèlement, le législateur n’a pas modifié l’article 720-2 du CPP qui prévoit qu’aucune mesure (permission de sortir, aménagement de peine etc…) ne peut être accordée dès lors que le condamné purge une peine de sûreté.

J’avais déposé plusieurs requêtes en libération conditionnelle dans l’intérêt de personnes remplissant les conditions posées par le texte, à ceci près qu’elles purgeaient une sûreté, le texte, selon moi, permettant d’accorder la mesure nonobstant la sûreté.

A chaque fois, le Tribunal de l’application des peines a rejeté au visa de l’article 720-2 du CPP.

Cet écueil avait été évité par la loi de mars 2002 instituant la procédure de suspension de peine pour raison médicale qui a prévu un dernier alinéa ainsi  rédigé :

« Les dispositions de l’article 720-2 ne sont pas applicables lorsqu’il est fait application des dispositions du présent article ».

Lors du dernier colloque de l’ANJAP, Monsieur Jean-René LECERF, un des « pères » de la loi pénitentiaire, durant son intervention, s’est félicité de l’avancée que constituait la possibilité, pour les condamnés, âgés de plus de 70 ans, de bénéficier d’une libération conditionnelle, « même en présence d’une période de sûreté ».

Interrogé par votre serviteur, Monsieur LECERF, d’une part, a confirmé que l’intention du législateur était d’étendre le bénéfice de la libération conditionnelle sans délai particulier à toutes les personnes âgées de plus de  70 ans, même en présence d’une sûreté, et, d’autre part, a admis que la loi pénitentiaire n’avait pas « verrouillé » le dispositif en prévoyant de « neutraliser » l’article 720-2 du CPP dans cette hypothèse.

Entendu par la commission d’évaluation de la loi pénitentiaire, j’ai préconisé d’utiliser le même dispositif que la loi instituant la suspension de peine pour raison médicale, savoir : « Les dispositions de l’article 720-2 ne sont pas applicables lorsqu’il est fait application des dispositions de l’alinéa précédent».

C’est ce que le rapport final a retenu.

Il serait donc utile de compléter dans ce sens l’article 729 du CPP.

Le « détricotage » opéré par la loi du 10 août 2011

La loi du 10 août 2011, généralisant la procédure d’évaluation de dangerosité, alors « réservée » aux personnes condamnées à perpétuité qui demandaient une libération conditionnelle (article 12 de la loi de février 2008) a considérablement durci la procédure de libération conditionnelle (« stage de six semaines au CNE, mesures probatoires) pour un grand nombre d’infractions et pour des peines à partir de dix années.

L’effet immédiat a été de rendre impossible l’octroi rapide d’une libération conditionnelle pour raison médicale.

De même, le caractère systématique des mesures probatoires (d’où le placement extérieur est bizarrement exclu) semble exagéré, voire inutile, s’agissant d’un grand nombre de condamnés, âgés et/ou malades.

Il serait nécessaire, voire urgent, de modifier la loi du 10 août 2011 (déjà considérablement amendée !) en restreignant le caractère obligatoire de la procédure d’évaluation de dangerosité et en permettant au juge de l’application des peines de passer outre dans les situations d’urgence, dès lors que le fondement de la demande est d’ordre médical ou même, s’agissant des personnes âgées de plus de 70 ans dès lors que l’expertise psychiatrique ordonnée par le JAP conclut à l’absence ou à une faible dangerosité criminologique et un risque faible ou inexistant de récidive.

La confusion des critères

Très fréquemment, les juridictions de l’application des peines, selon moi, utilisent, lorsqu’elles sont saisies d’une demande de libération conditionnelle pour raison médicale, le critère de la compatibilité de l’état de santé avec la détention, voire, celui de l’engagement ou non du pronostic vital, pour accorder ou non le bénéfice de la mesure sollicitée.

Il s’agit là, à mon sens, d’une confusion.

En effet, l’article 729 du CPP, prévoyant les critères d’octroi de la libération conditionnelle, vise le fait de justifier « …de la nécessité de suivre un traitement médical »

Le texte ne prévoit aucunement la condition que ce traitement ne soit pas administré en détention ni même que l’état de santé soit incompatible avec la détention.

Il est évident que l’hypothèse de l’incompatibilité de l’état de santé avec la détention vient conforter le bien-fondé de la demande mais l’inverse ne doit pas être considéré comme déterminant pour refuser l’octroi de la mesure dès lors qu’il est justifié de la nécessité du suivi d’un traitement médical.

Or, bien souvent, le juge, saisi d’une demande de libération conditionnelle pour raison médicale, ordonne deux expertises et demande aux experts, comme s’il s’agissait d’une demande de suspension de peine pour raison médicale, de déterminer l’existence de l’un ou l’autre ou des deux critères de cette procédure qui est spécifique et différente de la procédure de libération conditionnelle.

Le caractère systématique de l’ordonnance de prise de corps entraînant incarcération immédiate du condamné dont l’état de santé apparaît incompatible avec la détention.

Alors que la suspension de peine peut être prononcée ab initio, et qu’il est possible d’obtenir du tribunal correctionnel qu’il ne prononce pas de mandat de dépôt, l’ordonnance de prise de corps revêt un caractère systématique qui aboutit à ce que des personnes dont l’état de santé est incompatible avec la détention ou dont le pronostic vital serait engagé, soient incarcérées les privant de la possibilité de solliciter ab initio la suspension de leur peine lorsque l’arrêt criminel devient définitif.

Il s’agit là d’une grave rupture d’égalité qu’il convient de corriger en ôtant son caractère systématique à l’ordonnance de prise de corps.