lundi 1 avril 2013

27 mars 2013 : constat des conditions de détention au sein de la maison d'arrêt de Mulhouse.




Je me présente à la porte à l'heure dite; il s'agit d'un bâtiment ancien construit au XIX ème siècle, vers 1865 1870. Le grès rouge d'Alsace domine.

Je sais, pour y être déjà allé, et par la lecture du rapport du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté, que les conditions de détention y sont très difficiles voire insalubres.

Immédiatement, je reçois un accueil très chaleureux, comme rarement je n'en ai bénéficié!

Le major chargé de la visite me prend en charge, m'emmène au sein du bâtiment  administratif prendre un café en attendant l'expert qui est en retard.

Nous discutons de tout et de rien et il est vite repris par ses obligations professionnelles, des collègues lui demandant sans cesse de régler des problèmes d'effectifs, de répartition des tâches en fonction des vacances des uns et des autres...une sorte de jeu de Rubick´s cube en quelque sorte!

Alors qu'il s'est absenté quelques minutes, j'en profite pour me balader à l'étage. S'y trouvent des chambres dotées d'un lit et d'un cabinet de toilette; j'en déduis qu'il s'agit des chambres de veille affectées aux surveillants de permanence de nuit.

Au retour de mon mentor, je lui demande confirmation ce qu'il fait de bonne grâce tout en ajoutant que "le chemin est bien long jusqu'à la détention en cas d'alerte".

La maison d'arrêt de Mulhouse comprend plusieurs quartiers:

Un quartier réservé aux femmes, sur le point d'exploser en raison de son surencombrement
Un quartier réservé aux mineurs
Deux bâtiments « Hommes » : le "Dreyfus" (le capitaine Dreyfus est né à Mulhouse) dans lequel va se dérouler la majeure partie de l'expertise et l'autre : le Schuman, beaucoup plus vaste et surpeuplé.

Nous circulons de cours en cours vers le bâtiment Dreyfus en franchissant des grilles bordées de ces fameuses "Concertinas" qui n'ont semble t'il de seule utilité que d'agripper et de crever les ballons projetés hors des terrains durant les parties de foot.

Durant cette progression, je me fais la réflexion qu'une prison en ville, nonobstant la question bien réelle des nuisances sonores pour l'environnement, présente l'énorme avantage d'une vision sur l'extérieur, sur la vie ordinaire, bien plus que ces nouvelles prisons situées dans les champs, le plus possible à l'extérieur de nos cites; exclusion rajoutée à l'exclusion par-delà les murs...

Le bâtiment Dreyfus comprend 55 cellules sur quatre niveaux, dont deux cellules réservées aux personnes handicapées.

Il s'agit de cellules doubles, en fait, deux cellules réunies ensembles, un peu comme à Fresnes, dans la première partie, se trouve le lit, la table avec une chaise télé placard et, dans la seconde partie, les sanitaires :, douche handicapée, toilettés surélevées.

Ces cellules ont hébergé deux de mes trois clients dont l'un ne bougeait quasiment jamais de son lit médicalisé compte tenu de son poids très important et du handicap dont il était atteint.

Je me souviens qu'à l'époque, l'emprise du lit absorbait toute la surface disponible de la cellule, à tel point qu'il était difficile, sinon impossible, à mon client de passer dans son fauteuil roulant. Il subsiste d'ailleurs, encore des traces au mur, provoquées par le frottement du fauteuil lorsque mon client le manœuvrait.

Mon troisième client, âge de 76 ans environ, handicapé des hanches et se déplaçant à l'aide de béquilles, se trouve dans une cellule "ordinaire" de moins de 9 m².

La seule concession à son handicap consiste en un second matelas placé de façon à surélever le couchage afin qu'il puisse se coucher plus aisément.

Le reste de la cellule reste totalement conforme aux autres cellules du bâtiment, à commencer par le sol en ciment lépreux.

Même si mon client est seul en cellule, ses conditions de détention laissent rêveur !

Exiguïté de la cellule, éclairage naturel très réduit, présence de cafards, sol en ciment, source d'infections en tout genre (surtout que trois semaines plus tôt, Monsieur X a été opéré d'un orteil du pied droit!) toilettes microscopiques, non fixées au sol, sur lesquelles il ne peut s'asseoir qu'au prix de contorsions rendues d'autant plus difficiles par l'usage obligatoire des cannes anglaises.

Nous nous sommes ensuite rendus dans le bâtiment « Schuman », nettement plus important en termes de capacité.

Dans ce bâtiment, tout est différent à part la taille des cellules : nombre de cellules nettement plus important en corrélation avec le nombre de personne qui y sont détenues…le nombre de suicide est aussi plus important même si la maison d’arrêt de Mulhouse connaît un taux relativement faible par rapport aux autres établissements pénitentiaires français (surtout Corbas !).

Un de mes clients, celui actuellement détenu au Dreyfus, y a vécu quelques semaines.

J’ai du mal à imaginer comment il faisait pour gravir l’important escalier de fer menant à la promenade, (les cellules du niveau inférieur sont en sous-sol, les fenêtres des cellules sont situées au sommet des murs et débouchent au ras du sol) compte tenu de ses prothèses aux hanches l’obligeant à utiliser des cannes anglaises !

J'ai l'habitude des expertises de prisons mais celle-ci s'est déroulée très différemment "grâce" à l'expert !

En effet, celui-ci, très sympa par ailleurs, outre son retard, est arrivé sans le moindre matériel, sans la moindre « boîte à outils » !

Il a fallu que ce soit le représentant de la pénitentiaire qui lui prête un méchant mètre ruban d'un mètre pour qu'il puisse mesurer les cellules carreaux par carreaux (quand il y en avait au sol!), quant aux photos, faute d'appareil digne de ce nom, il a dû aller récupérer son I Phone à l'accueil pour être en mesure d'en prendre!

Enfin, tout comme le major qui nous cornaquait, l'expert ignorait tout du déroulement d'une telle expertise; c'est donc moi, dans la mesure où j'ai déjà participé à une dizaine d'expertises d'établissements pénitentiaires, (Rouen, Marseille, Melun, Troyes deux fois, Fresnes, Baie Mahault, Basse Terre, Tours, Joux la Ville) ait dirigé les opérations et donné la marche à suivre, à commencer par la réunion traditionnelle dans les locaux administratifs afin de préciser le contour de la mission, l'historique de l'établissement étudié, sa capacité, les effectifs au jour du constat, les cellules dans lesquelles les requérants ont été détenus, le nombre de cooccupants par cellule...ce, avant toute visite de cellules.

A ce propos, quelques chiffres au jour de l’expertise :

Effectif détenu : 398 dont 30 femmes (dans quinze cellules), 17 mineurs et 313 hommes, outre 14 personnes en placement extérieur, comptées dans les effectifs mais non présentes dans l’établissement ainsi que 23 personnes en semi-liberté (idem).

60 hommes sont détenus au « Dreyfus » doté de 55 cellules et 253 au « Schuman» lequel comprend 160 cellules dont 158 à deux lits

L'éducation des experts est importante à ce premier stade; en effet̀ très souvent, ils ignorent tout de l'organisation du système pénitentiaire: maison d'arrêt, centre de détention, maison centrale; centres pénitentiaires etc... Encellulement individuel ou collectif, portes ouvertes ou fermées.

De plus, la plupart du temps, ils rentrent en prison pour la première fois de leur vie.

Ces informations, données contradictoirement à l'expert par l'avocat et la pénitentiaire, seront importantes voire déterminantes dans les conclusions de l'expertise sachant que la jurisprudence actuelle se base avant tout sur la problématique de la surpopulation pour déterminer s'il y a ou non atteinte à la dignité à raison des conditions de détention dans les maisons d'arrêt françaises.

Ce matin-là, donc, j'ai eu un véritable travail de pédagogie à mener auprès de l'expert avant que nous partions, tous les trois visiter les cellules de la maison d'arrêt de Mulhouse.

Ce dernier, avec un matériel des plus réduits, a procédé, a visité les différentes cellules dans lesquelles mes trois clients ont été détenus et que j’ai évoquées ci-dessus.

En ressortant, il m’a fait part de sa surprise par rapport à ce qu’il avait vu et qu’il ne soupçonnait pas. Jamais il n’aurait imaginé que des êtres humains, handicapés, malades, âgés, puissent être détenus dans de telles conditions. Préalablement, il avait pris connaissance du rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté, joint à ma requête ; il avait déjà une vague idée mais rien ne remplacera jamais une visite, une descente dans les entrailles d’une prison…Le Contrôleur décrit les bruits mais il faut les entendre pour se rendre compte…Le Contrôleur décrit aussi les odeurs, mais il faut les sentir pour se rendre compte…L’exiguïté des cellules ressort aussi des descriptions chiffrées du rapport mais il suffit de rentrer dans l’une d’elles pour se sentir immédiatement oppressé par la proximité immédiate des quatre murs  ce, même si la personne détenue est seule en cellule…alors, imaginez à trois !

Nous nous séparons avec la promesse d’un pré-rapport qui me permettre de présenter des observations complémentaires…J’attends.