mardi 16 octobre 2012

Journée de Formation organisée par l’E.N.M. à Aix en Provence le 5 octobre 2012.



Le point de vue de l’Avocat dans la « problématique » du contrôle des établissements pénitentiaires.

Cette journée, organisée par l’E.N.M. et la Cour d’Appel de MONTPELLIER aurait dû se dérouler en  2011 mais le très faible nombre d’inscrits tant du côté magistrat que du côté des Avocats (encore plus faible !) a entraîné son annulation ; fort heureusement, cette passionnante journée a pu être organisée, et maintenue, pour l’année 2012 et s’est déroulée le 5 octobre, à Aix en Provence.

Ce préliminaire n’est pas vain ; en effet, l’annulation, en 2011, reflète le peu d’intérêt des avocats, y compris pénalistes, pour la prison et les problématiques qui s’y rattachent, savoir, d’une part, le droit de l’application des peines et, d’autre part, le doit administratif pénitentiaire.

Je rêve d’avocats qui, combinant ces différents champs, pratiqueront ce que j’appelle la « défense pénale globale », allant de la garde à vue à la sortie de prison ; le droit pénal classique, certes, mais aussi les libérations conditionnelles ab initio ou non, le suivi de l’exécution des peines, la personne détenue face à l’administration pénitentiaire, le contentieux de la responsabilité de l’Etat dans les hypothèses de suicide en prison, d’atteintes hétéro agressives, comme on dit pudiquement pour parler des viols, des meurtres en prison etc…

Depuis plus de quinze années que je traîne mes guêtres en prison, je mesure l’immensité des champs d’action qui s’offrent aux Avocats et le rôle central qu’ils pourraient jouer en ces lieux dans lesquels ils sont les seuls à pouvoir pénétrer facilement pour rencontrer leurs clients, usagers d’un service public, le service public pénitentiaire.

Je mesure aussi l’importance de la demande d’aide et d’assistance qui émane des personnes détenues, demande non satisfaite.

S’agissant du contrôle des établissements pénitentiaires, l’Avocat a un rôle central à jouer.

J’ai pris l’habitude d’évoquer une idée, celle de renverser le panoptique, c’est-à-dire, utilisant l’invention de Monsieur Bentham, créant un modèle d’architecture permettant, à partir d’un point central, d’observer l’ensemble des cellules d’une prison, d’imaginer que ce sont maintenant les personnes détenues elles-mêmes qui surveillent l’administration pénitentiaire, qui la contrôlent !

Ce contrôle est exercé au premier chef par le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté mais pas seulement ; en effet, antérieurement à la création du Défenseur des Droits, la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité, difficile à saisir, certes, exerçait un contrôle donnant lieu à des avis allant parfois jusqu’à des propositions de sanctions disciplinaires.

Tant le CGLPL que le Défenseur des Droits, dorénavant, sont faciles à saisir par toute personne qui a connaissance, soit d’une atteinte commise dans un lieu de privation de liberté.

Les relations, qui pourraient être riches et fructueuses, entre l’Avocat et les institutions de contrôle

L’Avocat dénonce :

S’agissant de la prison, les rapports et avis des deux institutions sont une véritable mine d’or pour l’avocat qui veut s’en emparer.

Qu’on se le dise, le dernier rapport du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté fait état de ce que seulement 3,5% de ses saisines sont le fait d’Avocats ! (l’année précédente, ils étaient 7% !)

Pour ma part, j’ai déjà saisi le Contrôleur Général de plusieurs situations choquantes, révoltantes ; de même, par l’intermédiaire d’un parlementaire, j’ai pu saisir l’ancienne Commission de Nationale de Déontologie de la Sécurité.

Premier exemple : Expertise de la maison d’arrêt de Troyes, au mois d’avril 2011, saisine, le soir même, du Contrôleur Général à propos de véritables cages dans lesquelles sont enfermées, entassées, parquées, les personnes détenues en attente de parloir.

Résultat : après une visite inopinée du Contrôleur à Troyes, les cages, qui se trouvaient au nombre de trois, destinées à « réguler les flux », un peu partout dans la maison d’arrêt, ont été démontées !

Deuxième exemple : les rapports du Contrôleur Général recèlent des possibilités de recours ; par exemple, s’agissant des salaires versés aux personnes détenues, malgré le Décret du 23 décembre 2010, ceux-ci sont toujours inférieurs au barème édicté par ce texte.

L’avis du Contrôleur est particulièrement utile pour fonder un recours auprès du Garde des Sceaux, dans un premier temps devant le Tribunal Administratif, le cas échéant, dans un second temps, aux fins de rappels de salaires à partir du 1er janvier 2011.

Par ailleurs, s’agissant des conditions de détention en Nouvelle Calédonie, le rapport de Monsieur DELARUE, très alarmant, a d’ores et déjà servi de base à une série de recours contre l’Etat, couronnés de succès, sans qu’il ait été besoin de recourir à une expertise !

Troisième exemple : Centre Pénitentiaire de Liancourt (Oise), une altercation oppose une personne détenue à des surveillants ; ces derniers maîtrisent la première qui est blessée à cette occasion.

Après un bref passage à l’hôpital, la personne détenue est placée en prévention au quartier disciplinaire où elle se suicidera le lendemain, vers 14 heures, non sans avoir demandé de l’aide toute la matinée et entamé une grève de la faim en protestation.

La CNDS, saisie par une parlementaire, a effectué un travail énorme d’enquête, d’auditions, tant des surveillants concernés par l’altercation que des détenus témoins pour aboutir à la démonstration que riposte des surveillants avait été disproportionnée à l’énervement finalement relatif de la victime.

L’avis qui s’en suivit, très critique vis-à-vis de l’administration pénitentiaire, me fut très utile pour obtenir la condamnation de l’Etat devant la Cour Administrative d’Appel de DOUAI.

Je me souviens également avoir saisi la C.N.D.S. d’une situation particulièrement choquante, toujours à LIANCOURT (vieux CD) où onze personnes détenues avaient fait l’objet d’un fouille collective à nu dans une vaste salle de douche !


L’Avocat défend :

Protection et progression des Droits des personnes détenues :

Droit à l’image : l’affaire du film « Le Déménagement » annulation de l’interdiction par l’administration pénitentiaire, au motif non justifié de l’article 41 de la loi pénitentiaire du 29 novembre 2009, de diffusion du film retraçant l’histoire du déménagement de la vieille maison d’arrêt de Rennes vers le nouveau centre pénitentiaire de Rennes-Vezin, dans lequel les détenus, avec leur accord écrit, apparaissent non floutés.

Recul de la notion de mesure d’ordre intérieur : régression de l’emprise de l’administration pénitentiaire en matière disciplinaire, transferts, mise à l’isolement, régimes différenciés etc…

Le Droit à la dignité : expertises des établissements pénitentiaires, s’agissant des conditions de détention entraînant une multiplication des condamnations de l’Etat à raison des conditions de détention dans de nombreux établissements pénitentiaires, métropole et outre-mer :

·         Rouen
·         Nantes
·         Clermont Ferrand
·         Paris La Santé
·         Fresnes
·         Tours
·         Marseille les Baumettes
·         Remire Montjoly (Guyane)
·         Camp Est en Nouvelle Calédonie

Le concept du contrôle par les personnes détenues elles-mêmes gagne du terrain ; d’une personne en 2008, à Rouen et quatre personnes à Nantes, la même année, elles sont maintenant des centaines à oser saisir le Juge administratif aux fins de condamnation de l’Etat.

Ces procédures se sont d’ailleurs accélérées depuis la mise en œuvre, pour la première fois, en 2009, à Rouen et généralisée depuis, de procédures de référés provision, partant du principe que la demande ne peut être sérieusement contestable tant l’atteinte à la dignité est avérée.

Par ailleurs, les constats et expertises des établissements pénitentiaires présentent également l’avantage de pouvoir être utilisés dans des procédures judiciaires, telles que les suspensions de peine pour raison médicale.

En effet, quoi de mieux qu’une expertise (en l’occurrence, celle de la maison d’arrêt de Fresnes) pour démontrer à un juge de l’application des peines l’incompatibilité de l’état de santé d’une personne détenue avec les conditions de détention auxquelles elle est soumise ?