Jean-Marie Delarue, contrôleur des lieux de privation de liberté, publie ce mercredi état des lieux très critique des prisons françaises.
Jean-Marie Delarue, contrôleur des lieux de privation de liberté, publie ce mercredi un état des lieux très critique des prisons françaises. Il revient pour L'Express sur ses inquiétudes concernant cette institution.
Prisons trop grandes et "inhumaines", manque de travail, droits sociaux a minima... Dans son rapport annuel publié ce mercredi, le contrôleur des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, dresse un nouvel état des lieux très critique des prisons françaises. Selon lui, leur modernisation s'est s'accompagné d'un appauvrissement des contacts humains, pourtant nécessaires à la réinsertion des détenus dans la société. Entretien.
Vous dénoncez dans votre rapport une organisation des établissements pénitentiaires plus fondée sur l'efficacité de la gestion que sur les contacts humains. La prison a-t-elle encore un visage humain?
La prison fait partie de la société urbaine mais aujourd'hui on fait tout pour ne plus la voir. Ce n'est pas la prison qui est en cause, mais les gens qui sont dedans. La société ne veut plus reconnaître ses enfants ratés. Auparavant, les maisons d'arrêt classiques étaient des établissements d'environ 100-130 personnes, situés dans la ville. Mais aujourd'hui, les nouvelles prisons mettent de la distance entre les détenus et la société. Elles sont de plus en plus souvent au milieu des champs et on compte en moyenne 690 détenus par établissement. Certes, chaque cellule est pourvue d'une douche. Mais ce confort, s'est fait au détriment du bien-être. Avant, la prison était un lieu où l'on pouvait se déplacer, travailler. Dans les établissements modernes, les détenus se sentent anonymisés et encore plus isolés. On a d'ailleurs remarqué au cours de nos entretiens, que tous sans exception demande à retourner dans les anciennes maisons d'arrêts, qu'ils jugent plus humaines.
Est-ce que justement ce sentiment de déshumanisation dans les nouvelles prisons peut expliquer la récidive?
Depuis l'ordonnance de 1945, la prison a deux objectifs, punir et réinsérer. Une fois leur peine purgée, qui sont généralement de courte durée [ndlr: 9,7 mois en moyenne], les détenus doivent reprendre leur place dans la société. Pour ce faire, ils doivent être soutenus et encadrés par l'institution pénitentiaire. Mais dans ces nouvelles prisons, ils subissent une série de frustrations qui se mue en agressivité puis en violence. Les courriers se perdent beaucoup plus souvent, ils sont en retard au parloir ou ratent un rendez-vous chez le médecin car aucun surveillant n'est venu les chercher... Forcément au bout d'un moment, cela créé du ressenti à l'égard de la société. Et un type qui sort dans cet état là, ne va pas se réconcilier avec les flics, les juges, les institutions... On perd ainsi les chances de le faire vivre avec les autres.
Selon vous aujourd'hui on condamne au nom de la morale et on surveille au nom du risque. Qu'est ce que cela signifie ?
Jusqu'à présent les peines étaient proportionnelles au degré de gravité de l'infraction. Mais aujourd'hui, c'est le degré de risque qui prime. Il faut maintenir le prisonnier à l'écart tant qu'on le juge dangereux. La loi de rétention de sûreté de 2009, qui permet de maintenir dans un lieu fermé, une personne que l'on ne juge pas apte à se réinsérer, en est un bon exemple. Le problème, c'est que la notion de dangerosité s'est fortement étendue au cours des dernières années. Aujourd'hui, on essaye même de l'évaluer scientifiquement, en s'inspirant de ce qui se fait au Canada ou aux Etats-Unis. On sait très bien que certains facteurs extérieurs favorisent la délinquance, mais dans la dynamique actuelle, on prétend que des caractéristiques propres à la personne permettent de prévoir son comportement. Selon ce système d'évaluation, dit actuariel, si vos parents étaient divorcés ou alcooliques ou par exemple si vous avez fumé des joints pendant votre adolescence, les risques de récidiver son plus importants... C'est complètement absurde de croire qu'on peut prédire la récidive en se basant sur des traits de personnalité.
Peut-on faire le lien entre cette évolution du concept de dangerosité et la surpopulation carcérale?
L'un et l'autre ne sont pas directement liés. Mais ces deux phénomènes émanent du contexte sécuritaire qui consiste à réprimer plus durement le crime et à préserver la société de tout danger. On punit différemment d'il y a quarante ans. On a alourdi les peines pour les mêmes crimes, certains d'entre eux sont désormais passibles de prison ferme alors que c'était inimaginable il y a quelques années. C'est notamment le cas pour les violences routières ou conjugales. Je ne juge pas, mais c'est un constat. Si on condamnait aujourd'hui comme en 1972, on aurait 30 000 personnes derrière les barreaux. Il y en a aujourd'hui 65 000.