mercredi 22 février 2012

Dunkerque : des ex-détenus font condamner l’Etat



Prison . Après l’alerte lancée par le procureur, le tribunal donne raison à d’anciens prisonniers qui dénonçaient leurs conditions de détention.


Maison d'arrêt de Dunkerque. Vue, depuis l'entrée, de la cellule des sept anciens détenus qui ont porté plainte devant la justice. Document extrait du rapport d'expertise du tribunal administratif de Lille. (Photo DR)

A six dans 22 m², c’est le lot courant des détenus à la maison d’arrêt de Dunkerque. Au point que le procureur de la ville, Philippe Muller, a voulu interrompre les incarcérations, en juillet, face au manque de places. Il s’est vite fait rappeler à l’ordre par le ministère, et sa proposition a fait long feu. Mais le tribunal administratif de Lille va dans son sens, dans une décision du 18 janvier, rendue publique seulement la semaine dernière. Saisi par sept anciens détenus, le tribunal a condamné l’Etat pour manquement au respect de la dignité humaine. Les ex-taulards recevront une indemnité d’environ 150 euros par mois de détention. «La prison de Dunkerque est avec celle d’Arras l’une des dernières à avoir des cellules communes dans la région», explique Anne Chereul, de l’Observatoire international des prisons (OIP).
A l’origine de la procédure, il y a Michel, la cinquantaine. Ce tuyauteur a été condamné à 8 mois de prison ferme pour alcool au volant. Il s’est fait attraper deux fois de suite, son sursis est tombé. «Le premier jour, je suis resté un bon quart d’heure assis sur mon lit, en me disant "comment je vais faire, c’est pas possible". Cela m’avait l’air petit, petit.»
Avec sa carrure solide, on comprend qu’il se soit senti à l’étroit. La pièce, un cube avec une seule fenêtre, contient trois lits superposés de deux places, six armoires, une petite table, une cabine de douche et des toilettes, isolées par une mince paroi. «On a été jusqu’à sept, avec un matelas par terreSur la table, on ne pouvait mettre que trois plateaux. La moitié de mes codétenus mangeaient dans leur lit.»
La gestion de l’espace était minutieuse, le moindre empiétement sur le territoire d’un autre menant à l’altercation. Michel y est resté de mars à août 2010, avec les remises de peine. Il reconnaît le bon état général de la prison : «Je ne me plains pas de la pénitentiaire», dit-il. A part ce surveillant qui l’a «menacé de transfèrement» : «Parce que je faisais du prosélytisme.» Car Michel a enclenché un mouvement : il a eu l’idée d’attaquer l’Etat après un reportage sur France 3 évoquant le cas de Rouen, où des prisonniers avaient obtenu gain de cause. Il a convaincu d’autres de le suivre. L’Etat a aussi été condamné fin janvier pour la maison d’arrêt de la Santé à Paris. L’idée pourrait faire tache d’huile : à Béthune, la prison compte 422 détenus pour 170 places. «Mais il n’y a pas de leader comme à Dunkerque, constate Anne Legras, du Snepap FSU, syndicat qui rassemble agents d’insertion et de probation. Il faudrait surtout réfléchir à la politique qui mène à cette surpopulation carcérale. Et trouver des alternatives», comme le bracelet électronique.
Pour Anne Chereul, de l’OIP, «c’est un leurre de croire qu’on va résoudre la question des conditions de détention en construisant de nouvelles prisons mastodontes». Car Dunkerque va bientôt fermer : un centre de détention de 600 places doit se construire à Saint-Venant, à 70 kilomètres. «On va rompre le lien avec l’épouse, qui ira une fois au parloir, si elle en a les moyens, puis arrêtera», estime l’avocat de Michel, Me Jean-Pierre Mougel, partisan d’une prison de proximité. Michel approuve, à condition que la détention soit décente : «J’ai eu l’impression de subir deux peines, celle de prison, et celle de la promiscuité. C’est une question de principe, que l’Etat respecte sa propre loi.»