Il a souvent été dit que la prison était infantilisante, que les personnes détenues étaient prises en charge par l’administration pénitentiaire à tel point qu’elles en perdaient toute initiative et que, lorsque, par extraordinaire, elles en prenaient, elles risquaient de se trouver confrontées à une éventuelle violation du règlement intérieur, différent d’un établissement pénitentiaire à l’autre dont le corollaire est la mesure d’ordre intérieur, « émanation du pouvoir souverain d’appréciation du chef d’établissement », c’est-à-dire les mesures pouvant être instaurées par le chef d’établissement, insusceptibles de recours puisque sensées ne pas porter grief aux personnes détenues qui y sont soumises (confer le pouvoir disciplinaire antérieurement à l’arrêt MARIE du 17 février 1995 !).
Le Conseil d’Etat a posé une première pierre d’une réflexion sur la question de cette soumission des personnes détenues à l’administration pénitentiaire.
Par deux arrêts en date du 17 décembre 2008, la Juridiction suprême de l’Ordre Administratif a estimé qu’une personne détenue pouvait être considérée comme vulnérable puisque totalement soumise à l’administration pénitentiaire.
Il est en effet constant qu’une personne détenue (ce n’est pas qu’un « détenu ») est privée de parole, tout d’abord, individuelle puis, collective.
Plusieurs indices récents viennent confirmer cet état de fait, ce, nonobstant la volonté affichée par le Législateur, au travers de la Loi Pénitentiaire du 24 novembre 2009.
En premier lieu, l’affaire dite du « Déménagement ».
Une cinéaste a réalisé un documentaire retraçant le déménagement des personnes détenues et du personnel d’un établissement pénitentiaire Rennais vers un nouvel établissement tout neuf, nouvellement inauguré.
A cette occasion, la réalisatrice, conformément aux dispositions de l’article 41 de la Loi Pénitentiaire du 24 novembre 2009, a pris la précaution de recueillir l’accord exprès des personnes filmées, détenues ou agents de l’administration pénitentiaire, d’apparaître non floutées à l’écran.
Article 41 : « Les personnes détenues doivent consentir par écrit à la diffusion ou à l'utilisation de leur image ou de leur voix lorsque cette diffusion ou cette utilisation est de nature à permettre leur identification.
L'administration pénitentiaire peut s'opposer à la diffusion ou à l'utilisation de l'image ou de la voix d'une personne condamnée, dès lors que cette diffusion ou cette utilisation est de nature à permettre son identification et que cette restriction s'avère nécessaire à la sauvegarde de l'ordre public, à la prévention des infractions, à la protection des droits des victimes ou de ceux des tiers ainsi qu'à la réinsertion de la personne concernée. Pour les prévenus, la diffusion et l'utilisation de leur image ou de leur voix sont autorisées par l'autorité judiciaire ».
Ainsi un certain nombre de personnes détenues et de fonctionnaires de l’administration pénitentiaire ont donné leur accord.
Malgré cela, le Garde des Sceaux refuse obstinément de donner son feu vert à toute diffusion du documentaire au nom du respect de l’anonymat des personnes détenues.
Sauf à établir que la diffusion de l’image d’une personne détenue constitue, soit, un facteur de trouble à l’ordre public, soit, un risque de renouvellement de l’infraction commise par tel ou tel, soit, encore, nuit à la protection des droits des victimes ou des tiers, ce refus, outre qu’il s’oppose à la volonté expresse des personnes concernées en la considérant comme négligeable, démontre que dans l’esprit des responsables de l’administration pénitentiaire, le libre arbitre des personnes détenues, s’agissant de leur vie privée, incluant leur droit à l’image et l’usage qu’ils entendent en faire, principe pourtant rappelé depuis l’origine par l’article 9 du Code Civil, n’existe pas.
A croire, pour employer un langage usuel, que le Garde des Sceaux sait mieux que les personnes détenues ce qui est bon pour eux !
Pourtant, la loi pénitentiaire avait marqué une avancée en restaurant les détenus en tant que personnes dotées de droits ; avancée limitée mais avancée tout de même !
Sauf à supposer qu’à l’instar des personnes placées sous protection, dénuées de libre arbitre, incapables juridiquement de décider par elles-mêmes, car placées sous tutelle, les personnes détenues ne sauraient disposer de leur image, rien ne semble s’opposer à ce qu’elles puissent souhaiter apparaître dans un documentaire qui leur permet de témoigner de leurs conditions de vie.
Ainsi, la Cour Européenne des Droits de l’Homme, par un arrêt en date du 15 janvier 2009, REKLOS et DAVOURLIS c/ GRECE, a estimé, sur le fondement de l’article 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme, que « L’image d’un individu est l’un des attributs principaux de sa personnalité du fait qu’elle dégage son originalité et lui permet de se différencier de ses congénères. Le droit de la personne à la protection de son image constitue ainsi l’une des composantes essentielles de son épanouissement personnel et présuppose principalement la maîtrise par l’individu de son image. Si pareille maîtrise implique dans la plupart des cas la possibilité pour l’individu de refuser la diffusion de son image, elle comprend en même temps le droit pour lui de s’opposer à la captation, la conservation et la reproduction de celle-ci par autrui ».
A contrario, toute personne, même placée sous main de justice, peut expressément accepter que son image soit diffusée.
En second lieu, le Ministère de la Justice, a pondu une circulaire, en date du 9 juin 2011, destinée à mettre en application l’article 42 de la Loi du 24 novembre 2009, rappelé ci-dessous :
« Toute personne détenue a droit à la confidentialité de ses documents personnels. Ces documents peuvent être confiés au greffe de l'établissement qui les met à la disposition de la personne concernée. Les documents mentionnant le motif d'écrou de la personne détenue sont, dès son arrivée, obligatoirement confiés au greffe ».
Cette circulaire (type de texte que Mathias GUYOMAR, rapporteur public auprès du Conseil d’Etat, qualifie « d’infra-droit »), prévoit dorénavant qu’une personne détenue qui sollicitera la délivrance d’une fiche pénale, c’est-à-dire le document retraçant son parcours carcéral, la nature, la date, le quantum de sa (ou ses) condamnation (s), se la verra refuser au motif que ce document, présent en cellule, permettrait de porter à la connaissance de ses co détenus les raisons de son incarcération, permettant à ces derniers, dans certains cas, par exemple, s’agissant des personnes condamnées pour des infractions à caractère sexuel, d’exercer des pressions ou des représailles tellement est forte l’opprobre frappant ces condamnés.
La fiche pénale doit maintenant être consultée au greffe judiciaire sans possibilité de communication.
Même s’il est exact, d’une part, que les greffes judiciaires se montrent dorénavant plus souples pour délivrer directement aux avocats les fiches pénales et que, d’autre part, les personnes condamnées pour infractions à caractère sexuel doivent être protégées du reste de la population pénale, il n’en demeure pas moins que le caractère par trop systématique de cette mesure pose, là encore, la question du respect du libre arbitre des personnes détenues par le législateur.
En effet, une personne détenue, avertie des risques qu’elle prend à détenir un tel document en cellule, dès lors qu’elle persiste dans son intention, fait un choix libre et éclairé auquel rien ne justifie que l’on s’oppose, sauf à imaginer qu’il faille le placer sous tutelle, c’est à dire lui enlever tout capacité juridique.
Non, décidemment, les personnes détenues sont bel et bien considérées comme dépourvues de capacité juridique ; il faut d’urgence diligenter autant de mesures de mise sous protection !