dimanche 12 juin 2011

JUSTIN, mort en détention


Je me souviens avoir écrit ce texte, à la fin du mois de décembre 2009, afin de jeter toute mon amertume, mon chagrin et ma colère face à ce drame silencieux, survenu en détention, la mort d'un détenu qui ne pouvait pas faire parler de lui., anonyme, incapable de s'exprimer ni de hurler, je crains fort que la situation soit inchangée ! jugez en...

Il s’appelait Justin, il avait 77 ans ; il est mort, comme un chien, seul dans sa cellule du vieux centre de détention de LIANCOURT (Oise), le 26 novembre 2009 ; il a été retrouvé inanimé,
à 23 h 10, par le surveillant qui effectuait sa ronde, saignant au niveau du visage ; le décès à a été constaté à 23h30.

Justin était totalement seul dans la vie ; personne ne le pleurera.
  colère
La levée d’écrou a été effectuée à 2h14 par le premier surveillant de permanence.

Il aurait été bien préférable que cette levée d’écrou intervienne  du vivant de Justin!

Il en aurait été de la plus simple humanité !



Ce drame, c’est l’échec désastreux de tous les intervenants qui ont joué un rôle dans la procédure de suspension de peine qui devait aboutir à la remise en liberté de Justin pour raison médicale.

Ce texte, d’une humanité profonde, a été élaboré puis voté, au sein de la Loi du 4 mars 2002, dite Loi KOUCHNER, afin de permettre aux personnes détenues dont le pronostic vital est engagé ou dont l’état de santé est incompatible avec la détention, de voir la peine qu’elles purgent, suspendue pour une durée indéterminée, ce, afin de leur permettre de finir leur jours en liberté ou de se voir prodiguer des soins jusqu’à retour en meilleure santé.

Justin était âgé, malade, handicapé en fauteuil roulant, sénile ; il ne pouvait plus dire quelle peine il purgeait ; il avait du mal à reconnaître les personnes qui venaient le rencontrer ; il faut dire qu’il n’avait pas de permis de visite ou si peu ! Depuis 10 ans qu’il était détenu, il avait bourlingué entre LIANCOURT et l’Hôpital de FRESNES, compte tenu de son état de santé de plus en plus précaire.

Justin comprenait difficilement les explication que je lui donnais afin de lui expliquer que la procédure compliquée qui était en œuvre devait permettre de le remettre en liberté, chez une amie de vingt ans ; à chaque visite, il fallait le lui expliquer à nouveau et tenter que lui-même raconte, si les experts étaient passés, comment se passait sa vie en détention etc…

Justin se déplaçait, comme de nombreux autres détenus de LIANCOURT, en fauteuil roulant ; il ne marchait pratiquement plus, sinon quelques pas dans sa cellule et très lentement ; lorsqu’il éprouvait le besoin de se rendre sur les toilettes, à l’autre bout de sa cellule, généralement, il y arrivait trop tard et il appartenait aux co détenus ou aux surveillants de nettoyer.

Justin avait besoin de l’aide de co détenus pour les actes basiques de la vie quotidienne : toilette, repas, et ménage de la cellule bien sûr !

Le service médical du centre de détention de LIANCOURT avait, dans le but d’une mise en invalidité, non aboutie, fait réaliser une évaluation du niveau de dépendance ; ainsi, Justin, seul, ne pouvait plus faire sa toilette intime, assurer l’hygiène de l’élimination urinaire et fécale, se déplacer seul en détention ; il avait besoin d’aide pour tout le reste, soit le reste de la toilette, s’habiller, se déplacer à l’extérieur de sa cellule ainsi que tout ce qui concernait ses repas, à l’exception du geste consistant à porter les aliments à sa bouche ; quant aux activités de loisirs et sportives, n’en parlons même pas !

Malgré tout cela, Justin, à l’issue de l’audience du 10 juillet 2009, devant le tribunal de l’application des peines, n’a pas obtenu la suspension de peine qu’il demandait !

Ce jour là, comme cela m’arrive beaucoup trop souvent, j’ai poussé son fauteuil roulant dans la salle d’audience aménagée en détention, je l’ai installé à côté de moi ; avant l’audience, il avait fallu le rassurer, le réconforter, lui dire que les juges n’allaient pas le manger !

J’étais confiant, malgré les rapports des experts qui disaient, en substance, que tout allait bien Madame la marquise ; je me disais que les juges allaient bien voir que la place de Justin n’était pas en prison ; cette fois ci, j’avais confiance dans leur humanité, même si, déjà, ils n’avaient pas voulu « sortir » une autre personne âgée, détenue ainsi qu’une autre personne paraplégique.

Ils allaient bien voir que Justin était incapable d’aligner une phrase compréhensible, qu’il hochait la tête de façon …..

L’administration pénitentiaire, cette fois ci (rendons à César…), a émis un avis favorable au motif, que j’ai partagé, qu’il n’appartenait pas aux surveillants de nettoyer la cellule tous les jours après les accidents de parcours vers les toilettes.

Malgré ce tableau affligeant, d’une tristesse inouïe, le parquet s’est retranché derrière les expertises (nous en parlerons après de ces « expertises »), pour réclamer le rejet de la requête au motif que « l’âge n’est pas en soi une raison justifiant une remise en liberté et que nous étions tous soumis aux outrages du temps » !!

Je me suis battu pour que la décision soit, au mieux, l’octroi de la mesure, par simple humanité ou, une ou plusieurs contre expertises ou, au pire, un complément d’expertise.

En repartant, il a fallu, encore une fois, rassurer Justin, lui expliquer ce qu’il s’était passé, lui caresser la main pour le rassurer, le consoler, il pleurait comme un enfant ; il ne voulait pas que je parte.

Le tribunal d’application des peines, par sa décision, rendue le 7 août suivant, n’a heureusement pas rejeté la demande, mais a ordonné un complément d’expertise, confié aux mêmes experts, afin d’apprécier la compatibilité de l’état de santé de Justin avec la détention. (comme si ça ne sautait pas aux yeux !)

Ce résultat, même s’il était possible au tribunal d’accorder la mesure au vu des éléments du dossier attestant de la dépendance, est en soi une petite victoire (on apprend trop facilement à sa contenter de peu lorsqu’on est avocat, c’est un travers contre lequel il faut lutter, un mauvais pli) ; en effet, il m’est arrivé que des juges d’application des peines rejettent des demandes de contre expertises au motif que la loi sur la suspension de peine ne le prévoit pas expressément alors que cela fait partie de leurs pouvoirs généraux ; la question de la compatibilité de l’état de santé avec la détention est trop souvent vue d’une façon beaucoup trop abstraite par les magistrats qui connaissent peu ou mal la prison et les difficultés qu’y rencontrent ceux qui y vivent mal, en bonne santé, encore beaucoup plus mal lorsqu’ils sont malades, handicapés, en fauteuil roulant…

Les experts, donc, ont à nouveau été missionnés par ce jugement rendu le 7 août 2009 qui a renvoyé le dossier de Justin à l’audience du 19 octobre suivant.

Ce jour là, le dossier a, à nouveau, été renvoyé…les experts n’étaient pas passés !

Le 16 novembre 2009, lorsque je suis venu voir Justin à LIANCOURT, en même temps que plusieurs autres clients détenus dont une personne handicapée en fauteuil roulant, amputé d’une jambe… ambiance de cour des miracles…, Justin m’a dit que les docteurs n’étaient pas encore venus…en fait, il m’a dit qu’il n’avait vu personne… !!

Puis, plus aucune nouvelle jusqu’à ce que je reçoive, il y a quelques jours, mi décembre, un certificat de décès de Justin !

Personne ne m’avait prévenu qu’il était décédé depuis plus de trois semaines !

J’appelle service social de LIANCOURT (le S.P.I.P.), personne ne me répond ; je commence à maudire le travailleur social de Justin avec lequel je m’étais longuement entretenu à l’orée de la procédure, jusqu’à ce que j’apprenne qu’il avait été muté ailleurs, ce qui me rassure compte tenu des excellents rapports que j’avais entretenus avec lui ; il n’était pas en cause dans cette carence ! Il en va tout autrement de son successeur !

Il fait dire que ce silence reflète la place insignifiante de l’avocat en prison ; personne ne pense à lui et pour cause, il est (encore, mais cela ne va peut-être pas durer ?) absent, désespérément absent !

Quoiqu’il en soit, lorsqu’un avocat est présent, on ne le prévient pas, d’une part, que son client est en phase terminale (dixit les rapports de la direction de LIANCOURT), d’autre part, qu’il est mort !

J’appelle le greffe du JAP….là, on m’annonce benoîtement que Justin est décédé !

Je n’ai même pas eu le réflexe d’hurler : et pourquoi ne m’avez-vous pas prévenu ?

Même en supposant que je le savais déjà, au pire ça aurait fait double emploi ; c’était une précaution, une prévenance élémentaire, d’abord pour Justin, pour sa mémoire, ensuite, pour montrer qu’on ne se fout pas de l’avocat comme de l’an quarante !

Moyennant quoi, la greffière me relate en quelques mots la découverte de la mort de Justin, dans sa cellule, au retour d’une hospitalisation à la Pitié Salpêtrière.

Quelques jours plus tard après plusieurs rappels…mais vous pensez bien on n’a pas que ça à faire!, j’obtiens les PV relatant les circonstances du décès de Justin.

J’apprends qu’il était en phase terminale, en surveillance spéciale depuis le 15 novembre, qu’il saignait de la bouche depuis quelques jours avant son décès, qu’un surveillant, la nuit de celui-ci, vers 20h20, l’a vu allongé sur son lit, a bien vérifié qu’il respirait toujours, avant de le retrouver, à 23h 05, par terre, inanimé, ne ventilant plus.



Phase terminale ?

Qu’en ont pensé les experts qui ont examiné Justin dans le cadre de la procédure de suspension de peine ?

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils ont totalement failli à leur mission ! A moins qu’ils aient vu une autre personne ?

Non, la principale carence des experts médicaux (on fait avec ceux qui sont sur la liste, tant pis s’ils sont nuls !), c’est qu’ils ne connaissent pas la prison et les conditions tout à fait particulières de vie de ceux qui utilisent ce service public.

Et puis aussi, les experts sont rassurés parce que d’autres (« chers ») confrères prennent en charge les détenus au sein des unités de consultation et de soins ambulatoires et qu’en cas d’urgence, l’hôpital local est tout proche et, bien sûr, les détenus peuvent y être admis rapidement pour y être soignés avant d’être ramenés en détention !

Erreur !

Les Unités de consultation et de soins ambulatoires, comme leur nom l’indique, ne peuvent prodiguer que des soins réduits, basiques, quelque soit le dévouement du personnel qui y travaille.

Les admissions à l’hôpital sont contingentées en raison de la nécessité d’une escorte pour l’extraction, de chambres dotées de gardes statiques, police ou gendarmerie, pour les hospitalisations qui dépassent une journée.

En cas d’urgence, la nuit, les surveillants ne peuvent réagir que durant les rondes, parfois beaucoup trop tard, le temps que le SAMU parvienne sur place, et, très fréquemment, le pire est arrivé.

La plupart des experts ignore donc tout de la réalité carcérale ; de plus, des médecins généralistes sont souvent désignés pour examiner des personnes détenues porteurs de pathologies spécifiques, rendant indispensable la désignation de spécialistes ; conséquence, ils passent à côté d’un diagnostic qui aurait modifié totalement les conclusions de leur rapport.

Oh, bien sûr ! il sera facile de me dire que je me trompe que les médecins savent ce qu’ils font que je n’y connais rien, moi, pauvre avocat, face à la Faculté de médecine !

Ce que je sais, c’est que, souvent, les rapports que j’ai lus, dans de telles procédures qui engagent le reste de la vie d’un Homme, ne dépassaient pas une page, à  peine plus longs qu’une ordonnance pour un rhume !

Concernant Justin, il y a eu un expert pour affirmer que le pronostic vital n‘était pas engagé et que son état de santé était compatible avec la détention ! Tu parles !

Et la dépendance ?

En tout état de cause, les experts, le 26 novembre 2009, n’étaient pas revenus voir Justin et n’avaient pas déposé leur complément d’expertise qui leur avait été demandé, pourtant, le 7 août précédent, soit près de quatre mois plus tôt !

Quel mépris de la personne humaine !

Autre exemple, une personne, atteinte de myopathie depuis de nombreuses années, bénéficiaire d’une suspension de peine, subit, comme le texte le prévoit depuis décembre 2005, une expertise semestrielle, destinée à vérifier si les conditions de la suspension de peine sont toujours remplies.

Chacun sait que la myopathie est une maladie implacable dont l’issue est toujours fatale ; le Téléthon est là pour nous le rappeler chaque année dès fois qu’on vivrait, nous aussi, sur une autre planète !

Or, il a existé un expert pour estimer que cette personne manifestement allait mieux, qu’elle simulait et exagérait la gravité de son état de santé… « …c’est de bonne guerre, il ne veut pas retourner en prison », que la nécessité permanente du port d’un respirateur autonome (en raison d’une aggravation de la maladie postérieure à l’octroi de la suspension de peine) n’était qu’un épiphénomène et qu’une réincarcération était possible, l’état de santé étant redevenu compatible avec la détention !

Il s’est aussi trouvé un juge d’application des peines, malgré mes efforts, à l’audience, en rappelant que cette maladie, même si elle connaît des rémissions, n’autorise aucune amélioration, pour ordonner la réincarcération de cette personne qui a été priée de se présenter à la porte de la maison d’arrêt munie de son respirateur portatif !

Heureusement, il s’est aussi trouvé une cour d’appel pour, six mois plus tard, infirmer ce jugement et ordonner la remise en liberté au motif que la réincarcération de cette personne constituait un traitement inhumain.

Moyennant quoi, mon client aura tout de même purgé six mois de détention, prostré dans sa cellule,  ne pouvant ni marcher ni s’allonger au risque de s’étouffer en raison de l’atrophie quasi-totale des muscles de sa cage thoracique.

Sur quelle planète vit le juge qui a ordonné la réincarcération de cet être humain ?

Sur quelle planète vit le juge qui refuse une permission de sortir à un détenu afin d’assister à la naissance programmée de son enfant au motif que l’on ne connaît pas le jour de la naissance (les lectrices comprendront…) ?

Sur quelle planète et de quel droit un juge refuse t’il une permission de sortir au seul motif que la fin de peine est trop éloignée, à un détenu qui se trouve dans les délais pour solliciter une telle mesure ?

Sur quelle planète vit le juge qui, présidant une cour d’assises, indique à ses assesseurs et aux jurés que l’accusé, dans sa cellule, n’a qu’à déplacer son assiette de quelques centimètres afin de ne pas être incommodé par la puanteur des toilettes alors que celle-ci envahit l’ensemble de l’espace (très réduit) de la cellule !

Sur quelle planète vit le juge qui refuse une suspension de peine à une personne atteinte du  SIDA au seul motif que les victimes ne comprendraient pas alors que d’autres juges, quelques mois plus tard, à l’hôpital de FRESNES, infiniment plus humains, l’accorderont alors qu’il est définitivement condamné à mourir ?

Ces mêmes juges, quelques mois auparavant, auront, au terme d’une procédure d’une semaine, suspendu la peine d’une autre personne atteinte du SIDA au décours d’une audience tenue autour du lit de celle-ci.

Exemples qui autorisent l’espoir mais exemples rares, encore une fois !

Ainsi, on en est réduit, lorsqu’un détenu sollicite nos conseils pour demander un transfert, à préconiser un établissement pour peine, en fonction, soit de la personnalité du juge de l’application des peines, soit des qualités de la chambre de l’application des peines ou du parquet général, avant même de s’interroger sur l’encombrement ou l’état de l’établissement pénitentiaire lui-même !

Enfin, d’une façon plus générale, il convient de s’interroger sur l’absurdité des lois sensées lutter contre la récidive.

Un exemple : Pourquoi priver de la libération conditionnelle parentale les condamnés en récidive, sinon pour les saquer encore et toujours ?

En agissant ainsi, on crée des victimes par ricochet parmi les familles qui subissent elles aussi les effets de la loi.

En outre, cette attitude évite de s’interroger sur les causes de la récidive, qui sont multiples, sociales, économiques, psychologiques avant d’être liées au facteur de la criminalité viscérale cher à notre président ; on évite également de s’interroger réellement sur l’indigence des moyens alloués à la réinsertion durant l’exécution de la peine, sur le nombre astronomique des sorties sèches de condamnés qui sortent de prison dans le même état, sinon en pire, que celui dans lequel ils étaient à leur entrée en détention ?

Sans aller jusqu’à évoquer un réel déterminisme, il est sûr que l’absence de prise en charge des condamnés en fin de peine par les S.P.I.P (services pénitentiaires d’insertion et de probation), alors que les textes existent, constitue un réel risque de récidive.

Il est permis de parler, ici, de perte de chance de réinsertion.

On truque les chiffres de la récidive en exagérant à l’excès le taux de la grande récidive criminelle qui est et restera extrêmement faible et encore plus réduit lorsque le condamné bénéficie d’une libération conditionnelle, tout ceci dans le but d’entretenir la peur de l’autre.

En réalité, le taux de récidive, qui a été mis en avant pour justifier le vote de la Loi du 12 décembre 2005, (30% mais 30 % de quoi ?) est gonflé par les très petites infractions, sanctionnées par de courtes peines qui seront automatiquement augmentées, en application de la loi d’août 2007, instaurant les peines plancher diminuant d’autant, à chaque réincarcération, les chances de réinsertion.

Voilà, je ne sais comment intituler ce texte ni quel est réellement son but ; peut-être déverser un trop plein d’amertume, suite au décès de Justin, un élément de plus qui entretient ma révolte et qui m’a poussé à jeter, un peu en vrac, ce que j’ai sur le cœur et qui s’accumule depuis plus de douze années que je passe mes journées en prison  ; je le dois à Justin, à Jeff, à Christian, à Jacky, aux deux Thierry, à Jean François, à Idir, à Malik, à Nordine, et à tous les autres qui sont sortis de prison en bon ou mauvais état, ou…morts.