Deux tables rondes furent
organisées, le matin, « quelles avancées pour le travail pénitentiaire ? »
et, l’après- midi, «vers des prisons
plus humaines ? ».
Il y a quelques jours,
une synthèse a été diffusée aux participants, sensée, en tout cas, j’avais la
faiblesse de le penser, refléter tant les interventions que les échanges avec
la salle qui furent riches et, parfois…houleux.
En effet, durant cette
journée, plusieurs interventions ont mis en difficulté les intervenants ce qui
n’apparaît absolument pas dans la synthèse.
A titre d’exemple, durant
la matinée, s’agissant du travail en détention, alors qu’avait été abordée la
question de l’absence d’indemnités journalières en cas d’accident du travail, j’ai
demandé au représentant de l’administration pénitentiaire, chargé de ce
secteur, s’il connaissait le taux d’accidents du travail en détention ; il
n’a pas été capable de me répondre !
Plus tard dans la
journée, Monsieur LATHOUD, Directeur de l’Administration Pénitentiaire,
intervenant dans le cadre de la seconde table ronde, est intervenu, d’une façon
plutôt…décalée, en traitant des aménagements de peine (il est vrai que faire
sortir des personnes détenues en aménagements de peine contribue à rendre les
prisons plus humaines puisqu’elles n’y sont plus !).
Le fait d’entendre le
Directeur de l’Administration Pénitentiaire traiter ce sujet pourrait donner à
penser aux profanes que c’est son administration qui gère les aménagements de
peine et non des magistrats que sont les juges de l’Application des Peines
(pour l’instant ?) qui font le travail au quotidien, en liaison, certes,
avec les Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation et qui rendent les
décisions accordant, ou non, un aménagement de peine ou une suspension de peine
pour raison médicale !
En tout état de cause,
dans l’immédiat, que chacun se rassure, la politique de l’application des
peines n’est pas définie par l’administration pénitentiaire, à l’exception des
mesures de fin de peine, récemment modifiées et amplifiées par la Loi
Pénitentiaire et de récents Décrets d’application mais encore balbutiantes dans
leur mise en œuvre, comme toujours, faute de moyens, mais faut-il s’en
plaindre ?
En tout cas, Monsieur
LATHOUD a soigneusement évité d’évoquer le milieu fermé, c’est-à-dire le thème
central de la table ronde, l’inhumanité des prisons françaises !
C’est pour tenter de
remédier à ce manque que j’ai demandé à Monsieur LATHOUD son sentiment sur les
recours initiées depuis maintenant quelques années devant les juridictions
administratives concernant les conditions de détention m’appuyant sur un
échange que j’avais eu, quelques mois plus tôt, lors de la Conférence
Semestrielle sur l’Application des Peines de la Cour d’Appel de PARIS, avec le
Directeur de la Maison d’Arrêt de FLEURY MEROGIS qui avait qualifié mes actions
de « combat d’arrière-garde », compte tenu des efforts que faisait
l’administration pénitentiaire afin de rénover des établissements comme le sien.
Monsieur LATHOUD m’a
répondu en tentant de noyer le poisson, invoquant l’usage normal des voies de
droit etc. etc…
Je l’ai interrompu en
soulignant que nous étions tous deux des juristes et que je comprenais ce qu’il
me répondait mais que ce qui m’intéressait c’était de connaître son point de
vue personnel tout comme le Directeur de FLEURY MEROGIS (présent dans la salle,
d’ailleurs) avait livré le sien !
Monsieur LATHOUD m’a
répondu en soulignant qu’il lui paraissait normal que des experts rentrent en
détention.
Alors, lui ai-je
demandé, pourquoi l’administration pénitentiaire utilise t-elle de toutes les
voies de Droit (tierce opposition, appel, des ordonnances désignant les
experts) pour s’opposer à ces procédures ; n’y a-t-il pas une opacité
voulue ?
Pas de réponse…
Enfin, comme je le lui
avais indiqué à l’orée de mon intervention, je lui ai posé une petite
devinette :
« Quelle est la
réforme que l’administration pénitentiaire pourrait mener dans ses
établissements, qui ne couterait pas un sou et qui permettrait de restaurer les
personnes détenues dans leur dignité ? »
Pas de réponse…
Réponse :
« Les appeler Monsieur ou Madame »
Lorsque j’ai ouvert le
document, je m’attendais à ce que les débats soient peu ou prou reproduits in
extenso ou, tout au moins, que la substance y soit reproduite.
Or, j’ai constaté que
les réponses reproduites ne correspondaient pas, s’agissant des questions que
j’avais posées à Monsieur LATHOUD, à ce que celui-ci m’avait répondu !
loin de là !
De même l’ignorance du
responsable de l’administration pénitentiaire quant au nombre d’accidents du
travail en détention n’est pas plus rapportée !
Opacité voulue ?
Certainement ;
d’ailleurs, Monsieur LECERF, lors de la synthèse des débats qu’il a livrée en
fin d’après-midi, a mis l’accent, entre autres, sur cette « culture,
ancienne, d’opacité » de l’administration pénitentiaire, défaut constant
dont celle-ci a le plus grand mal à se défaire.
Embargo ? Pensée
unique ? Discours formaté ?
Cet épisode, finalement
mineur, m’en rappelle un autre, plus grave, survenu au mois d’avril 2009, lors
de la remise du rapport sur les suicides en prison, rédigé par le Docteur
ALBRAND qui avait reçu cette mission du Gardes Sceaux de l’époque, Madame
ALLIOT MARIE.
La commission ALBRAND
avait demandé à des associations ou des personnes impliquées dans la
problématique des prisons de formuler des propositions afin de tenter de
remédier à ce fléau que représente le suicide en détention.
Un certain nombre de
contributions ont été apportées dont celle de votre serviteur.
Or, au moment de
déposer son rapport, le Docteur ALBRAND a eu la surprise de constater qu’il
n’avait plus qu’un très lointain rapport avec celui qu’il avait rédigé,
essentiellement en ce que la cause majeure d’aggravation du phénomène du
suicide en détention résidait dans la surpopulation dans les établissements
pénitentiaires.
Finalement, le rapport,
mouture pénitentiaire, a mis l’accent, non sur ce phénomène mais sur l’impact
de l’extérieur sur le moral des personnes détenues :
"Les difficultés
et les angoisses de la société abondamment relatées par les media trouvent un
écho en détention. Expliquer les suicides uniquement par les conditions de
détention 'inhumaines et dégradées' apparaît donc particulièrement
réducteur".
Il est vrai, là encore,
qu’une telle présentation des choses permet de dédouaner l’administration
pénitentiaire.
A noter que le niveau
de surpopulation évoqué par le rapport ALBRAND en 2009 était d’environ 61000
personnes détenues et qu’au jour où j’écris ces lignes, un record vient d’être
battu : 64.971 personnes sous écrou détenues au 1er juin
2011 !!
Par ailleurs, j’invite
les lecteurs à visiter le site du ministère de la justice pour lire le rapport
ALBRAND. (http://www.justice.gouv.fr/art_pix/rap_albrand_2009.pdf).
Vous pourrez constater
que la table des matières du rapport, de la page 300 à la page 399 énumère les
contributions extérieures (BAN PUBLIC, OIP etc…).
Or, pour une raison que
personne n’a cherché à expliquer, celles-ci ne sont pas reprises dans le
rapport qui «saute » les pages 300 à 399 !
La parole extérieure à
l’administration pénitentiaire, les contributions qui proposent un regard
différent ne sont pas admises ; le discours, unique, formaté, pré mâché,
seul, est recevable.
Nous ne sommes pas loin
d’une escroquerie intellectuelle !
Ces deux exemples, d’un
niveau de gravité très différent, sont, à mon sens, symptomatiques de la
volonté de l’administration pénitentiaire de tenter de maîtriser tout ce qui
pourrait contribuer à mettre en péril son imperium à l’intérieur des murs.
Pourtant, ne pourrait-on
imaginer une prison ouverte, d’une certaine façon, sur l’extérieur, dans
laquelle, par exemple, les familles seraient plus parties prenantes dans la vie
carcérale ?
L’exemple de prison
imaginé par Pierre BOTTON est séduisant à cet égard ; celui du centre de
détention de CASABIANDA, en Corse, basé sur la confiance, seule prison
dépourvue de murs, reste unique en France alors que, très certainement, il
pourrait être reproduit ailleurs.
Cela permettrait
peut-être de vaincre les réticences de la population résidant aux alentours des
établissements pénitentiaires ; l’exemple de la levée de boucliers face aux
projets d’implantation de la future maison d’arrêt de ROUEN, critiquables pour
d’autres raisons, est significatif.
Voilà, ça va mieux en
le disant ; ce papier ne va rien changer mais bon…si on ne dit jamais rien….