samedi 11 juin 2011

Ca va mieux en le disant...

Le 6 mai dernier se sont tenues les 6èmes rencontres parlementaires sur les prisons, excellente initiative de Monsieur Jean-René LECERF, Sénateur du Nord et de Monsieur Serge BLISKO, Député de Paris, deux parlementaires particulièrement sensibles à la question carcérale.
Deux tables rondes furent organisées, le matin, « quelles avancées pour le travail pénitentiaire ? » et,  l’après- midi, «vers des prisons plus humaines ? ».
Il y a quelques jours, une synthèse a été diffusée aux participants, sensée, en tout cas, j’avais la faiblesse de le penser, refléter tant les interventions que les échanges avec la salle qui furent riches et, parfois…houleux.
En effet, durant cette journée, plusieurs interventions ont mis en difficulté les intervenants ce qui n’apparaît absolument pas dans la synthèse.
A titre d’exemple, durant la matinée, s’agissant du travail en détention, alors qu’avait été abordée la question de l’absence d’indemnités journalières en cas d’accident du travail, j’ai demandé au représentant de l’administration pénitentiaire, chargé de ce secteur, s’il connaissait le taux d’accidents du travail en détention ; il n’a pas été capable de me répondre !
Or, curieusement, la synthèse ne fait pas état de cet échange !


Plus tard dans la journée, Monsieur LATHOUD, Directeur de l’Administration Pénitentiaire, intervenant dans le cadre de la seconde table ronde, est intervenu, d’une façon plutôt…décalée, en traitant des aménagements de peine (il est vrai que faire sortir des personnes détenues en aménagements de peine contribue à rendre les prisons plus humaines puisqu’elles n’y sont plus !).
Le fait d’entendre le Directeur de l’Administration Pénitentiaire traiter ce sujet pourrait donner à penser aux profanes que c’est son administration qui gère les aménagements de peine et non des magistrats que sont les juges de l’Application des Peines (pour l’instant ?) qui font le travail au quotidien, en liaison, certes, avec les Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation et qui rendent les décisions accordant, ou non, un aménagement de peine ou une suspension de peine pour raison médicale !
En tout état de cause, dans l’immédiat, que chacun se rassure, la politique de l’application des peines n’est pas définie par l’administration pénitentiaire, à l’exception des mesures de fin de peine, récemment modifiées et amplifiées par la Loi Pénitentiaire et de récents Décrets d’application mais encore balbutiantes dans leur mise en œuvre, comme toujours, faute de moyens, mais faut-il s’en plaindre ?
En tout cas, Monsieur LATHOUD a soigneusement évité d’évoquer le milieu fermé, c’est-à-dire le thème central de la table ronde, l’inhumanité des prisons françaises !
C’est pour tenter de remédier à ce manque que j’ai demandé à Monsieur LATHOUD son sentiment sur les recours initiées depuis maintenant quelques années devant les juridictions administratives concernant les conditions de détention m’appuyant sur un échange que j’avais eu, quelques mois plus tôt, lors de la Conférence Semestrielle sur l’Application des Peines de la Cour d’Appel de PARIS, avec le Directeur de la Maison d’Arrêt de FLEURY MEROGIS qui avait qualifié mes actions de « combat d’arrière-garde », compte tenu des efforts que faisait l’administration pénitentiaire afin de rénover des établissements comme le sien.
Monsieur LATHOUD m’a répondu en tentant de noyer le poisson, invoquant l’usage normal des voies de droit etc. etc…
Je l’ai interrompu en soulignant que nous étions tous deux des juristes et que je comprenais ce qu’il me répondait mais que ce qui m’intéressait c’était de connaître son point de vue personnel tout comme le Directeur de FLEURY MEROGIS (présent dans la salle, d’ailleurs) avait livré le sien !
Monsieur LATHOUD m’a répondu en soulignant qu’il lui paraissait normal que des experts rentrent en détention.
Alors, lui ai-je demandé, pourquoi l’administration pénitentiaire utilise t-elle de toutes les voies de Droit (tierce opposition, appel, des ordonnances désignant les experts) pour s’opposer à ces procédures ; n’y a-t-il pas une opacité voulue ?
Pas de réponse…
Enfin, comme je le lui avais indiqué à l’orée de mon intervention, je lui ai posé une petite devinette :
« Quelle est la réforme que l’administration pénitentiaire pourrait mener dans ses établissements, qui ne couterait pas un sou et qui permettrait de restaurer les personnes détenues dans leur dignité ? »
Pas de réponse…
Réponse : « Les appeler Monsieur ou Madame »
Lorsque j’ai ouvert le document, je m’attendais à ce que les débats soient peu ou prou reproduits in extenso ou, tout au moins, que la substance y soit reproduite.
Or, j’ai constaté que les réponses reproduites ne correspondaient pas, s’agissant des questions que j’avais posées à Monsieur LATHOUD, à ce que celui-ci m’avait répondu ! loin de là !
De même l’ignorance du responsable de l’administration pénitentiaire quant au nombre d’accidents du travail en détention n’est pas plus rapportée !
Opacité voulue ?
Certainement ; d’ailleurs, Monsieur LECERF, lors de la synthèse des débats qu’il a livrée en fin d’après-midi, a mis l’accent, entre autres, sur cette « culture, ancienne, d’opacité » de l’administration pénitentiaire, défaut constant dont celle-ci a le plus grand mal à se défaire.
Embargo ? Pensée unique ? Discours formaté ?
Cet épisode, finalement mineur, m’en rappelle un autre, plus grave, survenu au mois d’avril 2009, lors de la remise du rapport sur les suicides en prison, rédigé par le Docteur ALBRAND qui avait reçu cette mission du Gardes Sceaux de l’époque, Madame ALLIOT MARIE.
La commission ALBRAND avait demandé à des associations ou des personnes impliquées dans la problématique des prisons de formuler des propositions afin de tenter de remédier à ce fléau que représente le suicide en détention.
Un certain nombre de contributions ont été apportées dont celle de votre serviteur.
Or, au moment de déposer son rapport, le Docteur ALBRAND a eu la surprise de constater qu’il n’avait plus qu’un très lointain rapport avec celui qu’il avait rédigé, essentiellement en ce que la cause majeure d’aggravation du phénomène du suicide en détention résidait dans la surpopulation dans les établissements pénitentiaires.
Finalement, le rapport, mouture pénitentiaire, a mis l’accent, non sur ce phénomène mais sur l’impact de l’extérieur sur le moral des personnes détenues :
"Les difficultés et les angoisses de la société abondamment relatées par les media trouvent un écho en détention. Expliquer les suicides uniquement par les conditions de détention 'inhumaines et dégradées' apparaît donc particulièrement réducteur".
Il est vrai, là encore, qu’une telle présentation des choses permet de dédouaner l’administration pénitentiaire.
A noter que le niveau de surpopulation évoqué par le rapport ALBRAND en 2009 était d’environ 61000 personnes détenues et qu’au jour où j’écris ces lignes, un record vient d’être battu : 64.971 personnes sous écrou détenues au 1er juin 2011 !!
Par ailleurs, j’invite les lecteurs à visiter le site du ministère de la justice pour lire le rapport ALBRAND. (http://www.justice.gouv.fr/art_pix/rap_albrand_2009.pdf).
Vous pourrez constater que la table des matières du rapport, de la page 300 à la page 399 énumère les contributions extérieures (BAN PUBLIC, OIP etc…).
Or, pour une raison que personne n’a cherché à expliquer, celles-ci ne sont pas reprises dans le rapport qui «saute » les pages 300 à 399 !
La parole extérieure à l’administration pénitentiaire, les contributions qui proposent un regard différent ne sont pas admises ; le discours, unique, formaté, pré mâché, seul, est recevable.
Nous ne sommes pas loin d’une escroquerie intellectuelle !
Ces deux exemples, d’un niveau de gravité très différent, sont, à mon sens, symptomatiques de la volonté de l’administration pénitentiaire de tenter de maîtriser tout ce qui pourrait contribuer à mettre en péril son imperium à l’intérieur des murs.
Pourtant, ne pourrait-on imaginer une prison ouverte, d’une certaine façon, sur l’extérieur, dans laquelle, par exemple, les familles seraient plus parties prenantes dans la vie carcérale ?
L’exemple de prison imaginé par Pierre BOTTON est séduisant à cet égard ; celui du centre de détention de CASABIANDA, en Corse, basé sur la confiance, seule prison dépourvue de murs, reste unique en France alors que, très certainement, il pourrait être reproduit ailleurs.
Cela permettrait peut-être de vaincre les réticences de la population résidant aux alentours des établissements pénitentiaires ; l’exemple de la levée de boucliers face aux projets d’implantation de la future maison d’arrêt de ROUEN, critiquables pour d’autres raisons, est significatif.
Voilà, ça va mieux en le disant ; ce papier ne va rien changer mais bon…si on ne dit jamais rien….