Le 21 avril 2020, la Cour Administrative d'Appel de DOUAI a rendu une décision particulièrement intéressante dans une affaire concernant un jeune migrant Afghan, présent dans la "jungle de Calais" en 2016, qui, en juin de cette année, alors qu'il se trouvait au sein d'un groupe de réfugiés qui avait envahi l'axe routier menant au terminal trans-manche afin de tenter de pénétrer à l'arrière d'un camion ou de s'agripper au-dessous, a été atteint au visage par un projectile de flash ball tiré par les forces de Police appelées afin de rétablir l'ordre.
Saisi par la victime, et après avoir pris possession des procès verbaux établis par l'IGPN, ayant donné lieu, plusieurs années après les faits, à un classement sans suite, j'ai déposé une requête en référé devant le Tribunal Administratif de LILLE, sollicitant une expertise médicale destinée à déterminer le préjudice corporel de mon client.
Le Préfet du Nord a conclu au rejet de ma requête, invoquant l'incompétence du Juge Administratif au profit du juge judiciaire.
En effet, le Préfet a estimé que les policiers se trouvaient dans un cadre de police judiciaire puisqu'une fois arrivés sur place, ils ont constaté une infraction, savoir, l'obstruction des voies de circulation de l'axe routier.
Par voie de conséquence, selon le Préfet, les policiers se trouvaient, non sous son autorité mais sous celle du Procureur de la République.
Contre toute attente, alors que, dans notre mémoire en réponse, nous avions rappelé les déclarations des policiers concernés qui, tous, affirmaient qu'ils avaient été appelés pour maintenir l'ordre, le juge des référés, près le Tribunal Administratif de LILLE a rejeté la requête, estimant qu'effectivement, dès l'instant où une infraction avait été constatée, les policiers se trouvaient dans un régime de police judiciaire.
Un appel a été inscrit contre cette décision.
Le Préfet s'en est rapporté à ses écritures de première instance.
Le 21 avril 2020, par une Ordonnance, le Juge des référés a annulé l'ordonnance rendue en première instance, estimant :
même si l'occupation des voies publiques constitue un délit, les forces de police ont été dépêchées sur place pour rétablir l'ordre et non constater et réprimer une infraction ; dès lors, s'agissant d'une opération de police administrative, le juge administratif est compétent.
Par ailleurs, dans la mesure où nous invoquions, en première instance, mais également devant la cour, un fondement de responsabilité, basé sur l'article L 211-10 du code de la sécurité intérieure, selon lequel "l'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultants des crimes et délits commis à force ouverte ou par violence par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés contre les personnes ou les biens", le Juge des référés a estimé :
"A ce titre, le juge administratif serait compétent pour apprécier la responsabilité de l'Etat, y compris s'agissant d'un éventuel participant à l'attroupement, alors même qu'auraient été commis des crimes ou délits par les personnes s'étant attroupées".
Ainsi, le Juge considère que, dès qu'il saisi sur le fondement de l'article L 211-10 du CSI, prévoyant un régime de responsabilité sans faute, il se doit de retenir sa compétence, afin de déterminer si la victime faisait ou non partie de l'attroupement, c'est à dire si elle était ou non visée par l'opération de police, condition déterminante pour engager sans faute la responsabilité de l'Etat sur ce fondement.
Enfin, s'agissant du caractère utile de l'expertise sollicitée, le Préfet considérait, qu'il appartenait au requérant, d'une part, de former une demande indemnitaire préalable et, d'autre part, d'apporter lui-même les éléments permettant de déterminer son préjudice !
Le Juge des référés a fait litière de cet argument en considérant que les seuls moyens qui auraient permis au Préfet de s'opposer valablement à la demande d'expertise aurait de soulever l'irrecevabilité (voir ci-dessus) ou une éventuelle prescription ce qui n'était pas le cas...
Suite au débat au fond qui s'engagera postérieurement au dépôt du rapport d'expertise...
Je suis très heureux pour mon client....je pense à toutes les souffrances qu'il a endurées avant de se retrouver dans la Jungle de Calais; cette décision ne les effacera bien évidemment pas, mais, au moins, il obtiendra justice... au moins une fois...