Aujourd'hui, mercredi 29 avril 2020, le juge de l'application des peines de Rouen vient de rendre, dans un dossier, un jugement de suspension de peine « ab initio", en faveur d'un de mes clients, gravement malade sur le plan cardiaque, condamné en 2013 à une peine d'une année d'emprisonnement ferme.
Cette peine n'était toujours pas exécutée ni aménagée.
J'ai saisi le juge de l'application des peines, au mois de mars dernier, en sollicitant que la peine d'une année soit suspendue, compte tenu de l'état de santé particulièrement critique de mon client.
Le juge de l'application des peines, comme le texte l'exige, a ordonné une expertise médicale qui a effectivement conclu à "l'impossibilité d'une incarcération dans une maison d'arrêt en raison des soins nécessaires et du risque engendré par l'état cardiaque mais surtout par l'immunodépression liée au traitement corticoïde en rapport avec la maladie dermatologique (que présente mon client)".
De même, l'expert a considéré que "la pose d'un bracelet électronique pose également problème pour deux raisons, savoir, d'une part, le problème cutané en rapport avec la maladie dermatologique et les troubles vasculaires touchant les membres inférieurs et, d'autre part, le risque d'interférence entre le bracelet électronique et le défibrillateur implantable".
Logiquement, le juge de l'application des peines, mettant en oeuvre la jurisprudence constante de la chambre criminelle de la Cour de Cassation considérant que la suspension de peine est également applicable au condamné libre, a suspendu la peine prononcée à l'encontre de mon client.
Toutefois, la juge de l'application des peines, même si elle a suspendu la peine, ce qui est tout à fait salutaire, a néanmoins commis une erreur dans la mesure où elle a prévu que cette suspension était prononcée pour une durée de deux ans à compter de la date de la décision.
Or, comme cela relève du texte (voir ci-dessous), la suspension de peine pour raison médicale, organisée par l'article 720-1-1 du code de procédure pénale, à la différence de la « petite » suspension peine, codifié à l'article 720–1 du même code, est toujours prononcée pour une durée indéterminée.
Nul besoin d'interjeter appel puisque le jugement, étant revêtu de l'exécution provisoire de plein droit, est exécutable dès maintenant et que, par ailleurs, il conviendra de saisir à nouveau le juge de l'application des peines, d'ici une année, afin de faire bénéficier mon client du régime de la « passerelle » prévue par le dernier alinéa de l'article 729 du code de procédure pénale qui permet, au bout d'une année (Initialement trois années, cette durée ayant été ramenée à une année un par la loi du 15 mars 2019), de transformer la suspension de peine pour raison médicale en libération conditionnelle ce, même si le bénéficiaire n'est pas admissible à une telle mesure, n'étant pas arrivé à mi-peine.
Cette nouvelle procédure permettra de suppléer à l'inconvénient résultant de la décision rendue ce jour prévoyant, d'une manière erronée, une suspension de peine pour raison médicale une durée limitée.
CQFD...
Article 720-1-1 du Code de Procédure Pénale :
"Sauf s'il existe un risque grave de renouvellement de l'infraction, la suspension peut également être ordonnée, quelle que soit la nature de la peine ou la durée de la peine restant à subir, et pour une durée qui n'a pas à être déterminée, pour les condamnés dont il est établi qu'ils sont atteints d'une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé physique ou mentale est durablement incompatible avec le maintien en détention.
La suspension ne peut être ordonnée que si une expertise médicale établit que le condamné se trouve dans l'une des situations énoncées à l'alinéa précédent. Toutefois, en cas d'urgence, la suspension peut être ordonnée au vu d'un certificat médical établi par le médecin responsable de la structure sanitaire dans laquelle est pris en charge le détenu ou son remplaçant.
Lorsque la peine privative de liberté prononcée est d'une durée inférieure ou égale à dix ans ou que, quelle que soit la peine initialement prononcée en cas d'urgence ou lorsque la durée de détention restant à subir est inférieure ou égale à trois ans, cette suspension est ordonnée par le juge de l'application des peines selon les modalités prévues par l'article 712-6.
Dans les autres cas, elle est prononcée par le tribunal de l'application des peines selon les modalités prévues par l'article 712-7.
Dans les cas prévus aux troisième et quatrième alinéas du présent article, le condamné peut être régulièrement représenté par son avocat lorsque son état de santé fait obstacle à son audition ; le débat contradictoire se tient alors au tribunal judiciaire.
La juridiction qui accorde une suspension de la peine en application des dispositions du présent article peut décider de soumettre le condamné à une ou plusieurs des obligations ou interdictions prévues par les articles 132-44 et 132-45 du code pénal.
Le juge de l'application des peines peut à tout moment ordonner une expertise médicale à l'égard d'un condamné ayant bénéficié d'une mesure de suspension de peine en application du présent article et ordonner qu'il soit mis fin à la suspension si les conditions de celle-ci ne sont plus remplies. Il en est de même si le condamné ne respecte pas les obligations qui lui ont été imposées en application des dispositions de l'alinéa précédent ou s'il existe de nouveau un risque grave de renouvellement de l'infraction. La décision du juge de l'application des peines est prise selon les modalités prévues par l'article 712-6.
Si la suspension de peine a été ordonnée pour une condamnation prononcée en matière criminelle, une expertise médicale destinée à vérifier que les conditions de la suspension sont toujours remplies doit intervenir tous les six mois.
Les dispositions de l'article 720-2 ne sont pas applicables lorsqu'il est fait application des dispositions du présent article".