Nous étions au mois de décembre 2010 ; je sortais de la Cour Administrative d’Appel de Douai, après avoir plaidé un dossier relatif aux conditions de détention à la maison d’arrêt de Rouen.
J’étais accompagné par
deux stagiaires, l’une d’entre elles étant en cours de rédaction d’une thèse
sur la dignité des personnes détenues.
Nous discutions devant
une bière sur la situation tout à fait paradoxale d’un de mes clients, détenu, sous
le régime de la détention provisoire, à la maison d’arrêt de Fresnes, atteint
d’une maladie neuro dégénérative, irréversible, qui l’avait cloué dans un
fauteuil roulant.
La situation, à mes
yeux, était d’autant plus terrible que, s’il avait été condamné, il aurait pu
bénéficier, sans nul doute, de la procédure de suspension de peine pour raison
médicale de l’article 720–1-1 du code de procédure pénale.
Dans cette mesure, aucune solution juridique, à part une demande de mise en
liberté classique, ne s’offrait à lui.
Il en était tout à
fait différemment de mes autres clients, condamnés, également détenus à la
maison d’arrêt de Fresnes, dans l’intérêt desquels j’avais obtenu une
suspension de peine pour raison médicale.
C’est ainsi qu’avec
mes deux stagiaires, nous avons discuté d’une idée, consistant à imaginer un
dispositif qui permettrait la suspension de la détention provisoire pour raison
médicale, calqué sur le régime de la suspension de peine applicable aux
condamnés.
Anne Simon, ma
stagiaire doctorante, m’a déclaré qu’elle était en mesure de me fournir une
proposition de loi, fondée sur cette idée, pour le mois de février suivant.
A l’issue de ce délai,
j’ai effectivement reçu, par mail, la mise en musique de l’idée que j’avais
soumise à Anne Simon.
Alors commençait un
travail de lobbying intense auprès des sénateurs auxquels j’ai adressé la
proposition de loi, accompagnée d’un texte explicatif, destiné à leur faire
percevoir le caractère tout à fait indispensable de cette disposition.
Comme il fallait s’y
attendre, j’ai reçu, en tout et pour tout, autant de réponses que les doigts
d’une main.
Néanmoins, l’une
d’entre elles était positive, émanant de la sénatrice du groupe Europe Ecologie,
Madame Alima Boumediene Thiery.
Celle-ci s’est déclarée extrêmement intéressée par cette proposition de loi ; après l’avoir rencontrée,
elle m’a fait part de son intention de la déposer, au nom de son groupe et,
également, d’obtenir la signature de l’ensemble des Sénateurs de gauche,
sachant, que, par ailleurs, Madame Nicole BORVO, Sénatrice communiste, s’est
proposée de la déposer, de son côté, au nom de son groupe.
C’est ainsi que,
durant une bonne partie de l’année 2011, j’ai fait la navette entre mon cabinet
et le palais du Luxembourg.
Finalement, Madame BOUMEDIENNE
a réussi l’exploit de recueillir les signatures de l’ensemble des sénateurs de
gauche, y compris celle de Monsieur Robert Badinter qu’il a fallu convaincre,
d’ailleurs, sur l’utilité du texte !
Malheureusement, dans
la mesure où, à cette époque-là, la gauche n’était pas majoritaire au Sénat,
disposait de peu de « niches » pour proposer au vote ses propositions
de loi.
Par ailleurs, au mois
de septembre 2011, les élections sénatoriales eurent lieu, Madame Boumediene,
ne se représentant pas, la proposition de loi fut mise en sommeil.
Toutefois, au début de
l’année 2014, une autre Sénatrice du même groupe, Madame Hélène LIPIETZ, après
avoir lu mon livre, a pris connaissance de la proposition de loi et s’est
proposée de la déposer à nouveau, sachant que, depuis les dernières élections
sénatoriales, la gauche, étant devenu majoritaire, disposait d’un nombre beaucoup
plus important de niches.
La proposition de loi,
une fois déposée, suivit le parcours habituel des textes législatifs, savoir,
l’examen par la Commission des lois, avant l’inscription au vote.
J’ai donc été
convoqué, par la Commission des Lois, ainsi que de nombreuses personnalités, tant
de l’Administration Pénitentiaire que du Ministère de la Justice, afin d’être
interrogé sur l’utilité du texte et sa rédaction ainsi que sur le mécanisme
juridique qu’il créait
Enfin, vint le jour
dont je me souviendrai toute ma vie, savoir, le vote par les sénateurs, en
audience publique, de la proposition de loi, fixé au 13 février 2014 !
A cette occasion-là,
j’étais présent, accompagné de deux de mes filles chéries, de la rédactrice de
la proposition de loi, Anne Simon, ainsi que d’une autre stagiaire, maintenant
Avocate au Barreau de Créteil, Maître Maud Schlaffmann.
Mon émotion fut
extrêmement intense de constater que chaque parlementaire, représentant son
groupe, dans sa prise de parole, soutenait le texte et indiquait que
l’intégralité de son groupe allait voter pour son adoption.
Comble de bonheur ( et
de fierté), la Garde des Sceaux elle-même, Madame Christiane TAUBIRA, présente
à la séance, dans un discours, sans notes, comme elle en avait l’habitude,
durant trois quarts d’heure, d’une clarté absolument limpide, soutint, au nom
du Gouvernement, la proposition de loi.
Immédiatement après
les prises de parole, le texte fut adopté à l’unanimité par les sénateurs.
Par la suite, la Proposition
Parlementaire de Loi suivi le chemin habituel, savoir, la navette, en direction
de l’Assemblée Nationale, afin d’être soumise au vote des députés.
Dans la mesure où ces derniers
étaient en cours d’examen du projet de loi de réforme de la Justice déposé par
le gouvernement, le groupe EELV inscrivit la proposition de loi en tant
qu’amendement, lequel fut adopté par l’Assemblée Nationale au sein de la loi du
15 août 2014 dite « Loi Taubira ».
Ainsi, cette
proposition loi, issue d’une idée débattue dans un bistrot Douaisien, devant
une bière, devint l’article 147-1 Code de procédure pénale ainsi rédigé :
LOI n°2014-896 du 15
août 2014 - art. 50
« En toute
matière et à tous les stades de la procédure, sauf s'il existe un risque grave
de renouvellement de l'infraction, la mise en liberté d'une personne placée en
détention provisoire peut être ordonnée, d'office ou à la demande de
l'intéressé, lorsqu'une expertise médicale établit que cette personne est
atteinte d'une pathologie engageant le pronostic vital ou que son état de santé
physique ou mentale est incompatible avec le maintien en détention. La mise en
liberté des personnes détenues admises en soins psychiatriques sans leur
consentement ne peut être ordonnée en application du présent article.
En cas d'urgence, la
mise en liberté peut être ordonnée au vu d'un certificat médical établi par le
médecin responsable de la structure sanitaire dans laquelle cette personne est
prise en charge ou par le remplaçant de ce médecin.
La décision de mise en
liberté peut être assortie d'un placement sous contrôle judiciaire ou d'une
assignation à résidence avec surveillance électronique.
L'évolution de l'état
de santé de la personne peut constituer un élément nouveau permettant qu'elle
fasse l'objet d'une nouvelle décision de placement en détention provisoire,
selon les modalités prévues au présent code, dès lors que les conditions de
cette mesure prévues à l'article 144 sont réunies ».
Je pense que cette
aventure, qui a occupé une grande partie de ma vie professionnelle, durant
trois années, restera, à jamais, comme l’un des souvenirs les plus marquants de
ma vie d’Avocat.
Aujourd’hui, 13
février 2019, cela fait maintenant cinq ans que ce texte a été adopté par les
sénateurs ; je ne saurais dire à quel point j’ai été surpris, à cette occasion,
par les capacités de réflexion et d’innovation des parlementaires du palais du
Luxembourg.
Le texte « fonctionne »,
une jurisprudence s’est créée sur son fondement, de nombreuses juridictions
l’ont adopté et ont créé une jurisprudence, en particulier, à ma connaissance,
pour l’avoir pratiquée, la chambre d’instruction près la cour d’appel de Douai,
précisément ; la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation elle-même, a
rendu un arrêt le 18 octobre 2016 (n° 16-84.764) sur le caractère obligatoire
de l’expertise médicale destinée à vérifier la compatibilité ou non de l’état
de santé du prévenu avec la détention.