On le surnomme « l’avocat pionnier des taulards » ou le « Père Noël des détenus ». Depuis près de vingt-ans, Me Etienne Noël attaque l’Etat Français pour ses conditions d’incarcération indignes.
« Aujourd’hui, il n’est pas là : il visite des détenus toute la journée, explique la secrétaire du cabinet de Rouen. Demain ? Il est à la prison de Moulins le matin et à celle de Poissy l’après-midi ». Chaque semaine, c’est la même chose : Me Etienne Noël passe de longues heures derrière les barreaux. Lorsqu’il rencontre un détenu au parloir, ce n’est pas seulement pour préparer sa défense, il prend aussi le temps de faire « un long audit de sa situation carcérale ». Convaincu que le rôle de l’avocat commence dès la garde à vue et se termine après la sortie de prison, Etienne Noël fait figure despécialiste sur un terrain quasiment inviolé par ses confrères : celui du droit pénitentiaire et de l’application des peines. « Nous ne sommes qu’une trentaine d’avocats en France à nous y intéresser, déplore-t-il Certainement parce que c’est moins prestigieux que la défense pénale. Mais je pense qu’il y a aussi un problème de formation et de rémunération ». La palmarès d’Etienne Noël a de quoi faire pâlir la République : il a fait condamner plus 200 fois l’Etat pour des conditions de détention indignes. Il a ouvert la brèche à Rouen, Lyon, Bordeaux, Strasbourg, Marseille, dans le Nord... et même en Guadeloupe. « Là-bas, à la prison de Baie-Mahault, la promiscuité est telle que les détenus cuisinent sur les toilettes ! », évoque-t-il. A présent, c’est la prison Ducos en Martinique qui est dans sa ligne de mire et pour laquelle il a déjà réuni une quinzaine de recours. Il suffit de lire le rapport de 2009 du contrôleur général des lieux de privation de liberté pour avoir un aperçu de l’enfer au soleil avec un taux d’occupation de 208%. (http://www.cglpl.fr/2011/rapport-de-visite-du-centre-penitentiaire-de-ducos-martinique/)
Inutile de traverser l’océan pour découvrir l’horreur carcérale. Dans sa ville natale, à la bien-mal nommée « Bonne Nouvelle » de Rouen, Etienne Noël ne manque pas de travail : cette maison d’arrêt surpeuplée, l’une des plus vieille et décatie de France, est marquée par de nombreux drames, suicides, meurtres et même du… cannibalisme. En janvier 2007, un homme de 35 ans a tué son codétenu et mangé un morceau de son poumon. « Les murs suintent la mort », lui a, un jour, confié un détenu. C’est ici justementqu’Etienne Noël fait la connaissance de Christian, un détenu révolté par sa misère quotidienne. Pour la première fois, le 6 mars 2008, il plaide devant le juge administratif en évoquant des conditions de détention contraires à la dignité humaine. Ce jour-là, ce n’est pas uniquement le dossier de son client qui se joue mais un procès contre l’imprenable citadelle pénitentiaire (http://www.liberation.fr/evenement/2008/04/09/l-etat-juge-coupable-de-l-etat-de-ses-prisons_69195). La décision est historique : le tribunal condamne l’Etat à verser 3 000 euros de dommages et intérêts à Christian pour «préjudice moral» lié à des conditions matérielles de détention«dégradantes». Et cela sans qu’aucun incident particulier n’ait été déploré. C’est une première en France ! « Radio prison »se charge de passer le message dans les coursives : Etienne Noël est alors sollicité par de nombreux détenus de Rouen, puis du reste de la France. Epaulé par une armée de stagiaires enthousiastes, il gère aujourd’hui des centaines de recours contre l’Etat de « façon quasi-industrielle ». Ces dossiersreprésentent autant d’accrocs à l’impunité de la pénitentiaire. En décembre, le « bras armé des taulards » plaidera pour 46 détenus car malgré un coup de peinture et de nouvelles cloisons pour séparer les toilettes, rien n’a vraiment changé. « Mais sous prétexte de ces travaux mineurs, le tribunal administratif s’est mis à rejeter mes recours », s’agace-t-il.
Difficile de s’imaginer que, dans une vie antérieure, Etienne Noël a été responsable du service Bourse chez un agent de change pendant huit ans. Après son licenciement, à 31 ans, il décide, sur les conseils de sa femme, de s’inscrire en droit des affaires à la faculté de Nanterre. La suite relève tout autant duhasard: une camarade de classe retire un dossier pour préparer le concours d’avocat. Etienne Noël fait de même. Après tout, pourquoi pas ? En 1992, il endosse sa première robe noire et s’inscrit au barreau de Rouen. « Au début je mangeais du pénal à haute dose et j’allais voir mes clients sans trop me soucier de leur sort en prison », se souvient-il. Jusqu’en 1995 et sa rencontre avec Rodolphe, un détenu qui lui raconte son calvaire : il a été violé et torturé à la prison de Rouen pendant trois semaines par ses deux co-détenus. « Ses bourreaux ont été condamnés devant la cour d’assises mais je me suis dit que ce n’était pas suffisant : il fallait agir contre l’administration pénitentiaire qui n’a pas su protéger Rodolphe », poursuit Etienne Noël. A l’époque, le jeune avocat commis d’office ne dispose d’aucune jurisprudence, seulement deux vieux arrêts du Conseil d’Etat de 1973 et 1978 exhumés des archives. Il sera donc premier de cordée : « Contre toute-attente, ce fut une réussite ! En 1999, le tribunal administratif de Rouen a condamné l’Etat pour deux fautes lourdes : faute de surveillance et erreur de placement ». Rodolphe a touché 30 000 francs de dommages et intérêts. Une petite somme mais « un grand moment » pour Etienne Noël. Et le point de départ d'une carrière de bête noire de la pénitentiaire.
« Je suis entré en prison avec la ferme intention de ne plus en sortir », écrit-il dans son livre Aux côtés des détenus. Un avocat contre l'Etat, rédigé avec le journaliste Manuel Sanson. Vingt ans de combat ont progressivement transformé l’homme issu d’une famille bourgeoise et catholique pratiquante en un farouche militant de gauche et membre de l’Observatoire International des Prisons (OIP). L’expérience n’ôte rien au plaisir de défricher les terres arides du droit. « C’est une matière tout neuve, il y a beaucoup de choses à inventer », estime-t-il. Alors, dans cette guérilla juridique contre la pénitentiaire, il est sur tous les fronts. Il a obtenu une vingtaine de condamnations pour des viols, suicides ou meurtres en prison. A chaque fois, il faut éplucher le dossier, trouver la faille. « Je me souviens très bien de Patrice que l’on a avait retrouvé pendu dans sa cellule en 1999, une semaine après son incarcération provisoire », raconte Me Noël. Sur son dossier, il était écrit en rouge « risque suicidaire majeur ». « La pénitentiaire n’a pas pu prouver qu’elle avait mis en place des rondes supplémentaires et le tribunal administratif a condamné l’Etat pour faute lourde », raconte-t-il. En ce moment, sa nouvelle marotte : le travail en prison. « Une détenu doit être rémunéré selon les modalités d’un décret de 2011, détaille-t-il. Comme la pénitentiaire ne respecte jamais les barèmes, on fait la soustraction et on demande la différence à l’Etat ». Ce n’est pas tout : il a également mené avec sa consoeur Me Laure Heinich un long combat aux côtés des détenus handicapés de la prison de Fresnes et a obtenu, en 2012, une condamnation de l’Etat pour leurs conditions d’incarcération en cellules ordinaires.(http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2011/12/23/97001-20111223FILWWW00464-detenus-handicapes-l-etat-condamne.php).
Aujourd’hui, l’avocat révolté croule sous le travail. A tel point que son cabinet rouennais ne suffit pas à traiter toutes les demandes qui affluent. « Il y a une machine infernale qui s’est mise en route et il est impossible de l’arrêter. Cela devient même périlleux pour l’économie du cabinet », explique-t-il. Pourtant, son affaire la plus marquante, celle qui le hante encore n’a fait l’objet d’aucune plaidoirie, ni d’aucun recours. Le 26 novembre 2006, Justin, 77 ans « est mort, comme un chien, seul dans sa cellule du vieux centre de détention de Liancourt (Oise) », raconte-t-il avec colère et amertume sur son blog. (http://noeletienne.blogspot.fr/2011/06/justin-mort-en-detention.html). Il poursuit : « Justin était âgé, malade, handicapé en fauteuil roulant, sénile ; il ne pouvait plus dire quelle peine il purgeait ; il avait du mal à reconnaître les personnes qui venaient le rencontrer ». Malgré tout, l’homme s’était vu refuser une suspension de peine au motif qu’il était« juste » atteint de démence sénile. Son état était donc jugé compatible avec la détention... Toujours bouleversé par cette affaire, Etienne Noël voudrait déposer une proposition de loi pour raccourcir les délais d’examen d’une demande de libération conditionnelle pour raison de santé. D’autant quel’avocat a déjà oeuvré avec succès sur le terrain législatif : saproposition de loi sur la suspension de détention provisoire pour raison médicale figure dans le projet de réforme pénale de la garde des Sceaux, Christiane Taubira(http://www.senat.fr/cra/s20140213/s20140213_4.html). A l’avenir Me Etienne Noël n’espère qu’une chose : faire des émules parmi ses confrères pour que « l’avocat sorte enfin de sa bulle ».