La réforme pénale controversée de Christiane Taubira entre en grande partie en vigueur mercredi, 1er octobre mais des voix dans le monde judiciaire s'inquiètent de l'absence de moyens et d'une certaine précipitation.
Sur 56 dispositions de la "loi relative à la prévention de la récidive et à l'individualisation des peines", seules cinq ne seront pas appliquées le 1er octobre, selon la Chancellerie.
Il s'agit notamment de deux mesures destinées à éviter les "sorties sèches"de prison, c'est-à-dire sans aucune mesure d'accompagnement et qui représentent aujourd'hui 80% des sorties: l'examen automatique de la situation du condamné aux deux tiers de la peine et la libération sous contrainte,réservée aux peines inférieures ou égales à cinq ans d'emprisonnement.
Deux autre mesures sont différées: la transaction pénale, qui doit permettre à un officier de police judiciaire de fixer des obligations qui mettront fin aux poursuites. Les discussions se poursuivent avec le ministère de l'Intérieur sur son application, alors que le syndicat majoritaire chez les officiers de police en demande le report. La suppression de l'automaticité de la révocation du sursis simple nécessite quant à elle une adaptation du système informatique.
Deux mesures phares du texte s'appliqueront par contre, la nouvelle peine de "contrainte pénale", inspirée des dispositifs de probation, et la suppression des peines plancher.
Mais de nombreuses voix s'inquiètent d'un manque de moyens et critiquent une impréparation, alors que les circulaires détaillant les modalités d'application n'ont été envoyées que vendredi par la Chancellerie.
- "Usine à gaz" -
"Il n'y a aucune précision pratique, c'est une usine à gaz," déplore Christophe Régnard, le président de l'Union syndicale des magistrats (USM), largement majoritaire dans la profession, qui pourtant n'est pas opposée au fond du texte.
"La réalité c'est qu'au 1er octobre on nous demande de mettre en oeuvre cette réforme à moyens constants", dénonce-t-il.
"Une impréparation totale", renchérit Céline Parisot de l'USM, qui dénonce notamment la multiplication des réunions de suivi imposée aux services de probation et juges d'application des peines dans des délais impossibles à tenir, selon le syndicat. "On se demande si ces gens-là sont déjà allés en juridiction, ça n'est tout simplement pas envisageable", affirme-t-elle.
Le ministère met lui en avant les efforts de recrutement, le gouvernement ayant promis la création d'un millier de postes dans les services de probation jusqu'en 2016.
Mais les premiers - un peu moins de 400 -, en formation, seront "opérationnels dans deux ans seulement," souligne Jean-François Forget, le secrétaire général de l'UFAP-Unsa, premier syndicat pénitentiaire, lui non plus pas opposé au fond des nouvelles mesures.
Evoquant aussi une "usine à gaz", il estime que le projet crée "une surcharge de travail et s'assoit sur les difficultés actuelles" des services de probation, dont les conseillers gèrent en moyenne une centaine de dossiers chacun.
Quant à l'application de la nouvelle peine, il sent les magistrats "sceptiques" devant un processus "assez fastidieux". Christophe Régnard fait écho, craignant "très fort que la mesure ne soit pas prononcée", jugée trop complexe à mettre en oeuvre.
"Ça n'est pas si compliqué que cela", tempère Dominique Raimbourg, député PS et rapporteur de la loi à l'Assemblée. Défendant un "premier pas vers une simplification de notre chaîne pénale", il juge "mesuré" l'effort représenté par le maximum de 20.000 contraintes pénales annuelles pronostiqué par l'étude d'impact gouvernementale, sur plus de 600.000 condamnations chaque année pour délits. Et s'il reconnaît un effort "réel mais pas suffisant" sur les postes, il plaide aussi pour que certains délits, notamment routiers, soient contraventionnalisés pour réduire l'engorgement des tribunaux.
Pour Alexandre Giuglaris, délégué général de l'Institut pour la justice (IPJ), le gouvernement impose au contraire à la hâte un projet auquel s'est opposée cette association classée à droite. "La prochaine fois qu'il y aura un fait divers terrible, on dira que c'est la faute de la justice, alors qu'il
s'agira d'une question de moyens".