Mercredi 5 janvier
2012, audience devant la chambre de l’instruction de la Cour d’Appel de DIJON
concernant un de mes clients en détention provisoire dans un dossier de vol
avec arme, présentant la particularité d’être atteint d’une maladie incurable
et irréversible , la maladie de Charcot Marie Tooth, atteignant le système
nerveux et provoquant à terme une paralysie totale.
Monsieur G. est détenu
depuis plus de deux années ; il a été incarcéré, tout d’abord, Fresnes
puis, actuellement, à la maison d’arrêt de Villepinte.
J’ai fait sa
connaissance durant l’année 2010 ; il m’a saisi, d’une part, de ses
intérêts afin d’assurer sa défense dans le cadre du dossier pénal et, d’autre
part, très combatif, afin d’engager une procédure contre l’Etat, concomitamment
à sept autres personnes handicapées, à raison de leurs conditions de détention
à Fresnes.
J’ai été stupéfié du
récit qu’il m’a fait de sa détention dans cet établissement !
Ambiance de cour des
miracles : cellule dites « handicapés », microscopiques (environ
9 m²), certes dotées de lits médicalisés, mais tellement encombrées que les
deux personnes « à mobilité réduite » ne peuvent se croiser à
l’intérieur, étant réduites à demeurer l’une au bout de la cellule, près de la
fenêtre, l’autre, près de la porte, à tel point que lorsque la première
souhaite sortir, la seconde doit appeler le surveillant (durant parfois très
longtemps) afin qu’il ouvre la porte, le sorte pour que l’autre puisse, enfin,
lui-même s’extraire de la cellule
Dès lors, s’ensuivent
des situations de conflits entre les occupants des cellules qui, face à face
dans cet univers clos er confiné, sans possibilité d’évoluer normalement, en
viennent à ne plus se supporter, la moindre peccadille devenant une
montagne !
Monsieur G me raconte
toutes ces épreuves en retenant ses larmes mais fréquemment, il craque et
s’effondre comme un enfant dans son fauteuil roulant, suppliant que je fasse
quelque chose, maudissant la terre entière et surtout la pénitentiaire qui lui
impose de telles conditions de détention, empreintes d’une immense souffrance.
Le Tribunal
Administratif de MELUN, saisi d’une requête déposée au nom de nos clients, mon
confrère Laure Heinich Luijer et moi-même, a ordonné un constat des conditions
de détention, confié à Monsieur MARTY, expert architecte.
Les opérations de
constat, très complexes, en raison du grand nombre de requérants et du nombre
de cellules, disséminées dans les trois divisions de l’établissement
pénitentiaire, ainsi qu’au C.N.O, dans lesquelles ils ont été enfermés, se sont
déroulées durant les mois d’octobre et novembre 2010, durant une journée
complète et deux demi-journées.
Monsieur MARTY, qui
rentrait pour la première fois en détention, tout en gardant un recul dû à sa
fonction d’expert, a été choqué de découvrir les conditions de détention des
requérants, d‘observer le manège des opérations de sortie des personnes en
fauteuil roulant de leur cellule (au nombre de 8 « spécialement
aménagées », sachant que plusieurs autres requérants, tout aussi
handicapés, étaient détenus, eux, dans des cellules ordinaires, c’est-à-dire,
non aménagées, ne disposant pas de lit médicalisé, ni d’équipements spécifiques
aux personnes à mobilité réduite.
Un rapport
particulièrement détaillé et critique a été déposé qui a permis de saisir le
Tribunal Administratif de MELUN de requêtes aux fins d’indemnisation du
préjudice moral subi par les requérants à raison de l’atteinte à leur dignité
née de leurs conditions de détention.
Par sept ordonnances en
date du 20 décembre 2011, la juridiction a fait Droit aux requêtes en référé et
a condamné le Garde des Sceaux à indemniser les sept requérants.
« Considérant que M. G
soutient, sans être contredit, être atteint d'une pathologie chronique
évolutive, se déplace exclusivement fauteuil roulant et avoir occupé pendant 25
mois la cellule 90 du grand quartier au
rez-de-chaussée de la deuxième division Sud ; qu'il ressort du rapport de
l'expertise confiée à M. Marty, architecte, missionné par le tribunal de céans,
que la cellule était occupée par deux détenus ; que la largeur du dégagement
central ne permettait pas le croisement des deux fauteuils, obligeant l'un des
occupants à sortir pour que l'autre puisse emprunter la porte ; que les
cellules médicalisées sont accessibles avec d'importantes difficultés aux
détenus en fauteuil ; que le module aménagé en pièce de toilette présente des
dispositions insuffisantes d’aération et de ventilation ; l'installation et
présente des caractéristiques en conformité avec risques d'accidents de
personnes ; que les parloirs, les locaux de soins, la bibliothèque, la salle de
lecture et les installations sanitaires complétant la salle de sports et de
détente sont inaccessibles aux détenus en fauteuil roulant ; que, dans ces
conditions, M. G. est fondé à soutenir qu'il a été détenu dans des conditions
n’assurant pas le respect de la personne humaine en méconnaissance des
dispositions de l'article D 189 du code
de procédure pénale précitée ; l'existence de l'obligation dont se prévaut M. G.n'est,
dès lors, pas sérieusement contestable et qu'il y a lieu de condamner le garde
des sceaux, ministre de la justice et des libertés au versement d'une provision
dont il sera fait juste appréciation en la fixant à 5000 € ».
S’agissant de la
procédure judiciaire, le juge d’instruction, rapidement, vers la fin de l’année
2009 (avant que je sois saisi) avait ordonné une expertise destinée à vérifier
la réalité de la maladie, une des principales questions posées à l’expert
consistant à s’assurer que Monsieur G n’était pas un simulateur.
Ce qui est
particulièrement choquant, c’est que l’expert n’a déposé son rapport, daté du
mois d’avril 2011, au greffe de l’instruction qu’au mois de juillet 2011, soit
plus de dix-neuf mois plus tard !
Pendant ce temps,
l’état de santé de Monsieur G a eu le temps de se dégrader encore plus ;
rapidement, les muscles de ses épaules ont commencé, eux aussi, à s’atrophier,
provoquant d’intenses douleurs et rendant difficile le fait de pousser seul son
fauteuil.
De plus, l’absence de
soins kiné au grand quartier de la maison d’arrêt de Fresnes ne permettait pas
de contenir un tant soit peu l’aggravation de la maladie.
Les demandes de mise en
liberté avant le dépôt du rapport d’expertise, se sont toutes heurtées aux
mêmes arguments principaux, savoir :
·
L’attente du rapport d’expertise
· Le risque d’évasion fondé sur le fait
que, plusieurs années avant, Monsieur G avait déjà tenté de s’évader alors
qu’il était sous bracelet électronique dans une précédente affaire.
·
Le risque de réitération de l’infraction
(!!)
Au mois de novembre
2011, par un arrêt avant dire Droit, la Chambre de l’Instruction, saisie d’un
appel d’une ordonnance de prolongation de la détention provisoire de Monsieur
G, a ordonné une expertise médicale destinée à vérifier la compatibilité ou non
de l’état de santé de ce dernier avec la détention provisoire dans des
conditions ordinaires.
Le rapport a été déposé
très peur de temps avant l’audience de renvoi du 4 janvier 2011.
Les conclusions de
l’expert sont formelles :
(L'état de santé de
Monsieur G) « Près de 20 ans après l'émergence déclarée des premiers symptômes, et
en fonction des antécédents rapportés, est compatible avec le diagnostic de
maladie de Charcot Marie Tooth. Il en existe plusieurs variantes… Il apparaît
que le déficit moteur, qui touche principalement les membres inférieurs est
tout à fait invalidant.
Le traitement en cours
vise principalement à agir sur les douleurs de contraintes mécaniques, musculo
articulaires et des douleurs neuropathiques associées à la maladie.
La prise en charge doit
comporter une kinésithérapie active et entretient la plus régulière possible.
L’adaptation fauteuil
roulant est acquise mais une prise en charge ergothérapie complémentaire
pourrait permettre de l'optimiser et de compenser les quelques difficultés déclarées
au niveau des membres supérieurs.
S'agissant des soins
requis, en dehors des traitements médicamenteux purement symptomatiques (il
n'existe pas de traitement curatif ou ayant un impact mesurable à ce jour sur
l'évolutivité de ce genre de maladie), on doit considérer la nécessité
impérieuse une kinésithérapie d'entretien avec un complément en ergothérapie
destinée à permettre l'autonomie maximum au fauteuil roulant et dans les actes
élémentaires de la vie quotidienne.
Enfin, s'agissant d'une
possible simulation, il existe des éléments objectifs à l'examen clinique
(ainsi que) des éléments électrologiques qui confirment une
neuropathie »..
En dehors d'un
amaigrissement diffus, il existe une atrophie musculaire compatible avec une
neuropathie invalidante, le déficit distal associé à une dysmorphie avec pieds
creux est tout à fait évocateur d’une neuropathie évoluée… Pour l'essentiel,
les plaintes fonctionnelles sont corroborées par l'histoire clinique déclarée
du patient et les données de l'examen ».
D’après l’expert, l’état
de santé de Monsieur G n’est pas compatible avec la détention ordinaire, à
moins d’aménagements spécifiques tels qu’une tierce personne, une cellule plus
vaste, dotée d’équipements tels qu’un lit médicalisé, des WC adaptés, bref,
tout ce dont la maison d’arrêt de Villepinte ne dispose pas ; en effet,
depuis son transfert dans cet établissement, il se trouve détenu dans une
cellule « normale ».
Autre suggestion
formulée par l’expert, un transfert vers l’hôpital pénitentiaire de Fresnes comme
constituant un substitut adapté à la détention provisoire ordinaire.
Cette solution, qui
aurait le mérite de permettre à M. G.de bénéficier de soins durant une courte
période n'est en réalité pas satisfaisante.
En effet, outre le fait
que l'hôpital de Fresnes n'est pas un établissement pénitentiaire au sein
duquel une personne puisse être détenue, il est constant qu'une admission dans
cette structure ne peut en aucun cas être pérenne et implique, un jour ou
l'autre, un retour dans un établissement pénitentiaire.
Ainsi, dans l'hypothèse
d'une admission à l'hôpital pénitentiaire de Fresnes, il y a tout lieu de
penser que Monsieur G. se retrouverait rapidement, à nouveau admis au grand
quartier de la maison d'arrêt de Fresnes au sein duquel il a été détenu durant
une période dans des conditions qui ont été examinées par un expert désigné par
le tribunal administratif de MELUN, rapport d'expertise ayant donné lieu à l’ordonnance
de référé, rendue par cette juridiction le 20 décembre 2011, condamnant l'État
à raison des conditions de détention indignes qui lui ont été imposées à la
maison d'arrêt de Fresnes sachant que, précisément, dans cet établissement, M.
G. était détenu dans une cellule dite « handicapé ».
La situation de
Monsieur G a été évoquée à l’audience de la Chambre de l’Instruction de Dijon
le 4 janvier 2012.
J’ai immédiatement
ressenti de la part de la juridiction une capacité d’écoute et de compréhension
inhabituelle.
Par contre, de la part
du représentant du Ministère Public, j’ai compris que, soit, celui-ci faisait
preuve d’une particulière mauvaise foi soit qu’il n’avait pas la moindre
connaissance de l’univers pénitentiaire et du mode de fonctionnement de
l’Administration Pénitentiaire !
En effet, après
l’argumentation relevant des critères de la détention provisoire (risque de
pressions, d’évasion, instruction terminée, renvoi à bref délai devant la Cour
d’Assises etc etc…l’Avocat Général a répondu à mes arguments tendant à démonter
qu’aucune structure pénitentiaire ne pouvait héberger Monsieur G.
Il a ainsi soutenu que
si les conditions de détention de Monsieur G. étaient réellement indignes et
inadaptées, l’administration pénitentiaire l’aurait très certainement signalé
au juge d’instruction et aurait, bien évidemment pris des mesures afin de les
adapter ! Bienvenue au monde des Bisounours !!)
Ensuite, il a conseillé
à la juridiction de rendre une décision confirmant la prolongation de la
détention provisoire tout en exigeant que la cellule de Monsieur G soit
aménagée, conformément aux préconisations de l’expert et, qu’à défaut, il
serait toujours temps de revoir la question de la détention !
Face à de si belles
perches, j’ai pu répondre ceci :
1) L’administration pénitentiaire ne
communique JAMAIS sur les conditions de détention, tout du moins, spontanément ;
elle ne le fait que lorsqu’elle y est contrainte par le Juge Administratif dans
le cadre de procédures que des personnes détenues qui se plaignent de leurs
conditions de détention initient. Il est évident que si l’administration pénitentiaire
communiquait et faisait preuve de coopération sans s’opposer bec et ongles aux
procédures d’expertise, sans user de toutes les voies de recours imaginables,
la situation serait toute différente ! Là, je perçois parfaitement à quel
point les magistrats ignorent la situation véritable dans les établissements
pénitentiaires, ne cherchent pas à connaître réellement quelles souffrances
peuvent endurer les personnes détenues, a fortiori celles qui sont en
situation de handicap, celles qui sont les plus vulnérables parmi les
vulnérables (dixit le Conseil d’Etat aux termes de deux arrêts en date du 17
décembre 2008).
2) Le conseil d’assortir un arrêt de
confirmation d’exigences de mise en conformité est un vœu pieux qui resterait
lettre morte en raison, d’une part de l’inertie de l’administration
pénitentiaire mais aussi de l’impossibilité dans laquelle elle se trouve de
modifier les choses de façon profonde.
En tout état de cause, le
problème posé à la chambre de l’instruction de Dijon le 4 janvier 2012 est
celui, plus global de l’enfermement des personnes handicapées : jusqu’où
peut-on leur imposer de telles souffrances ?
Est-il légitime de
prolonger une détention provisoire ou une peine coûte que coûte jusqu’au bout
ultime sans prendre en compte la notion de la souffrance, de la perte de
dignité, pour une personne comme Monsieur G qui ne peut même plus pousser seul
son fauteuil roulant ?
Est-il légitime de
créer des prisons spécialisées pour les malades mentaux alors que ceux-ci
auraient leur place au sein d’établissements spécialisés ?
Je suis ressorti de
l’audience avec un fol espoir, celui d’être entendu !
Bien m’en a pris !
Par un arrêt
(béni !) en date du 6 janvier 2012, la Chambre de l’Instruction a remis
Monsieur G. en liberté sous contrôle judiciaire, aux motifs suivants :
« Attendu qu’au vu
des éléments déjà évoqués dans l’arrêt avant dire Droit, de l’expertise
médicale et de ces pièces (celles que j’ai versé aux débats, savoir,
essentiellement, l’Ordonnance de référé
du Tribunal Administratif de MELUN du 20 décembre), il apparaît
manifeste que l’adaptation des conditions de détention telles que suggérées
serait très difficilement réalisable et auraient déjà été mises en œuvre par
l’administration pénitentiaire si elle en avait eu la possibilité, s’agissant de
préconisations qui étaient déjà largement celles du médecin attaché à
l’administration pénitentiaire mais non mises en œuvre ; qu’il n’y a pas
de possibilité de détention pérenne à l’Hôpital de la maison d’arrêt de Fresnes ».
Même si cet arrêt
dénote une méconnaissance du fonctionnement réel, par exemple, d’un Unité de
Consultation et de Soins Ambulatoires d’un établissement pénitentiaire (il n’y
a pas de médecin attaché à l’administration pénitentiaire depuis la loi de janvier
1994, les praticiens sont liés à l’hôpital qui les emploie et non cette
dernière) ; il n’y a pas d’hôpital à la maison d’arrêt de Fresnes mais un
Etablissement Public National de Santé
de Fresnes, (qui a, d’ailleurs changé de nom récemment) établissement
indépendant, même de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris), cette
décision est très importante ; enfin, des magistrats ont considéré qu’une
personne handicapée ne pouvait demeurer détenue et que, comme je le soutenais,
il n’existe pas structure pénitentiaire susceptible d’accueillir Monsieur G.
Pour terminer, cet
arrêt tord le cou à une légende consistant à croire qu’il existe des hôpitaux
prisons (hors le cas des sinistres UHSA, bien sûr !) et qu’une personne
hospitalisée dans une structure hospitalière comme l’Hôpital de Fresnes ou une
Unité Hospitalière Sécurisée Interrégionale, retourne fatalement en détention
ordinaire.
Pour le moment,
l’histoire de Monsieur G se termine bien mais si, un jour, une Cour d’Assises
rend une décision de condamnation, il sera urgent, à nouveau, d’agir afin
d’obtenir la suspension de cette peine ; là, la situation est différente,
il existe une Loi….
A suivre….