samedi 7 janvier 2012

Monsieur G, en fauteuil roulant, en liberté...mais à quel prix !!





Mercredi 5 janvier 2012, audience devant la chambre de l’instruction de la Cour d’Appel de DIJON concernant un de mes clients en détention provisoire dans un dossier de vol avec arme, présentant la particularité d’être atteint d’une maladie incurable et irréversible , la maladie de Charcot Marie Tooth, atteignant le système nerveux et provoquant à terme une paralysie totale.

Monsieur G. est détenu depuis plus de deux années ; il a été incarcéré, tout d’abord, Fresnes puis, actuellement, à la maison d’arrêt de Villepinte.

J’ai fait sa connaissance durant l’année 2010 ; il m’a saisi, d’une part, de ses intérêts afin d’assurer sa défense dans le cadre du dossier pénal et, d’autre part, très combatif, afin d’engager une procédure contre l’Etat, concomitamment à sept autres personnes handicapées, à raison de leurs conditions de détention à Fresnes.

J’ai été stupéfié du récit qu’il m’a fait de sa détention dans cet établissement !

Ambiance de cour des miracles : cellule dites « handicapés », microscopiques (environ 9 m²), certes dotées de lits médicalisés, mais tellement encombrées que les deux personnes « à mobilité réduite » ne peuvent se croiser à l’intérieur, étant réduites à demeurer l’une au bout de la cellule, près de la fenêtre, l’autre, près de la porte, à tel point que lorsque la première souhaite sortir, la seconde doit appeler le surveillant (durant parfois très longtemps) afin qu’il ouvre la porte, le sorte pour que l’autre puisse, enfin, lui-même s’extraire de la cellule

Dès lors, s’ensuivent des situations de conflits entre les occupants des cellules qui, face à face dans cet univers clos er confiné, sans possibilité d’évoluer normalement, en viennent à ne plus se supporter, la moindre peccadille devenant une montagne !

Monsieur G me raconte toutes ces épreuves en retenant ses larmes mais fréquemment, il craque et s’effondre comme un enfant dans son fauteuil roulant, suppliant que je fasse quelque chose, maudissant la terre entière et surtout la pénitentiaire qui lui impose de telles conditions de détention, empreintes d’une immense souffrance.

Le Tribunal Administratif de MELUN, saisi d’une requête déposée au nom de nos clients, mon confrère Laure Heinich Luijer et moi-même, a ordonné un constat des conditions de détention, confié à Monsieur MARTY, expert architecte.

Les opérations de constat, très complexes, en raison du grand nombre de requérants et du nombre de cellules, disséminées dans les trois divisions de l’établissement pénitentiaire, ainsi qu’au C.N.O, dans lesquelles ils ont été enfermés, se sont déroulées durant les mois d’octobre et novembre 2010, durant une journée complète et deux demi-journées.

Monsieur MARTY, qui rentrait pour la première fois en détention, tout en gardant un recul dû à sa fonction d’expert, a été choqué de découvrir les conditions de détention des requérants, d‘observer le manège des opérations de sortie des personnes en fauteuil roulant de leur cellule (au nombre de 8 « spécialement aménagées », sachant que plusieurs autres requérants, tout aussi handicapés, étaient détenus, eux, dans des cellules ordinaires, c’est-à-dire, non aménagées, ne disposant pas de lit médicalisé, ni d’équipements spécifiques aux personnes à mobilité réduite.

Un rapport particulièrement détaillé et critique a été déposé qui a permis de saisir le Tribunal Administratif de MELUN de requêtes aux fins d’indemnisation du préjudice moral subi par les requérants à raison de l’atteinte à leur dignité née de leurs conditions de détention.

Par sept ordonnances en date du 20 décembre 2011, la juridiction a fait Droit aux requêtes en référé et a condamné le Garde des Sceaux à indemniser les sept requérants.
« Considérant que M. G soutient, sans être contredit, être atteint d'une pathologie chronique évolutive, se déplace exclusivement fauteuil roulant et avoir occupé pendant 25 mois  la cellule 90 du grand quartier au rez-de-chaussée de la deuxième division Sud ; qu'il ressort du rapport de l'expertise confiée à M. Marty, architecte, missionné par le tribunal de céans, que la cellule était occupée par deux détenus ; que la largeur du dégagement central ne permettait pas le croisement des deux fauteuils, obligeant l'un des occupants à sortir pour que l'autre puisse emprunter la porte ; que les cellules médicalisées sont accessibles avec d'importantes difficultés aux détenus en fauteuil ; que le module aménagé en pièce de toilette présente des dispositions insuffisantes d’aération et de ventilation ; l'installation et présente des caractéristiques en conformité avec risques d'accidents de personnes ; que les parloirs, les locaux de soins, la bibliothèque, la salle de lecture et les installations sanitaires complétant la salle de sports et de détente sont inaccessibles aux détenus en fauteuil roulant ; que, dans ces conditions, M. G. est fondé à soutenir qu'il a été détenu dans des conditions n’assurant pas le respect de la personne humaine en méconnaissance des dispositions de l'article  D 189 du code de procédure pénale précitée ; l'existence de l'obligation dont se prévaut M. G.n'est, dès lors, pas sérieusement contestable et qu'il y a lieu de condamner le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés au versement d'une provision dont il sera fait juste appréciation en la fixant à 5000 € ».

S’agissant de la procédure judiciaire, le juge d’instruction, rapidement, vers la fin de l’année 2009 (avant que je sois saisi) avait ordonné une expertise destinée à vérifier la réalité de la maladie, une des principales questions posées à l’expert consistant à s’assurer que Monsieur G n’était pas un simulateur.

Ce qui est particulièrement choquant, c’est que l’expert n’a déposé son rapport, daté du mois d’avril 2011, au greffe de l’instruction qu’au mois de juillet 2011, soit plus de dix-neuf mois plus tard !

Pendant ce temps, l’état de santé de Monsieur G a eu le temps de se dégrader encore plus ; rapidement, les muscles de ses épaules ont commencé, eux aussi, à s’atrophier, provoquant d’intenses douleurs et rendant difficile le fait de pousser seul son fauteuil.

De plus, l’absence de soins kiné au grand quartier de la maison d’arrêt de Fresnes ne permettait pas de contenir un tant soit peu l’aggravation de la maladie.

Les demandes de mise en liberté avant le dépôt du rapport d’expertise, se sont toutes heurtées aux mêmes arguments principaux, savoir :
·         L’attente du rapport d’expertise
·      Le risque d’évasion fondé sur le fait que, plusieurs années avant, Monsieur G avait déjà tenté de s’évader alors qu’il était sous bracelet électronique dans une précédente affaire.
·         Le risque de réitération de l’infraction (!!)

Au mois de novembre 2011, par un arrêt avant dire Droit, la Chambre de l’Instruction, saisie d’un appel d’une ordonnance de prolongation de la détention provisoire de Monsieur G, a ordonné une expertise médicale destinée à vérifier la compatibilité ou non de l’état de santé de ce dernier avec la détention provisoire dans des conditions ordinaires.

Le rapport a été déposé très peur de temps avant l’audience de renvoi du 4 janvier 2011.

Les conclusions de l’expert sont formelles :

(L'état de santé de Monsieur G) « Près de 20 ans après l'émergence déclarée des premiers symptômes, et en fonction des antécédents rapportés, est compatible avec le diagnostic de maladie de Charcot Marie Tooth. Il en existe plusieurs variantes… Il apparaît que le déficit moteur, qui touche principalement les membres inférieurs est tout à fait invalidant.
Le traitement en cours vise principalement à agir sur les douleurs de contraintes mécaniques, musculo articulaires et des douleurs neuropathiques associées à la maladie.
La prise en charge doit comporter une kinésithérapie active et entretient la plus régulière possible.
L’adaptation fauteuil roulant est acquise mais une prise en charge ergothérapie complémentaire pourrait permettre de l'optimiser et de compenser les quelques difficultés déclarées au niveau des membres supérieurs.
S'agissant des soins requis, en dehors des traitements médicamenteux purement symptomatiques (il n'existe pas de traitement curatif ou ayant un impact mesurable à ce jour sur l'évolutivité de ce genre de maladie), on doit considérer la nécessité impérieuse une kinésithérapie d'entretien avec un complément en ergothérapie destinée à permettre l'autonomie maximum au fauteuil roulant et dans les actes élémentaires de la vie quotidienne.
Enfin, s'agissant d'une possible simulation, il existe des éléments objectifs à l'examen clinique (ainsi que) des éléments électrologiques qui confirment une neuropathie »..
En dehors d'un amaigrissement diffus, il existe une atrophie musculaire compatible avec une neuropathie invalidante, le déficit distal associé à une dysmorphie avec pieds creux est tout à fait évocateur d’une neuropathie évoluée… Pour l'essentiel, les plaintes fonctionnelles sont corroborées par l'histoire clinique déclarée du patient et les données de l'examen ».

D’après l’expert, l’état de santé de Monsieur G n’est pas compatible avec la détention ordinaire, à moins d’aménagements spécifiques tels qu’une tierce personne, une cellule plus vaste, dotée d’équipements tels qu’un lit médicalisé, des WC adaptés, bref, tout ce dont la maison d’arrêt de Villepinte ne dispose pas ; en effet, depuis son transfert dans cet établissement, il se trouve détenu dans une cellule « normale ».

Autre suggestion formulée par l’expert, un transfert vers l’hôpital pénitentiaire de Fresnes comme constituant un substitut adapté à la détention provisoire ordinaire.

Cette solution, qui aurait le mérite de permettre à M. G.de bénéficier de soins durant une courte période n'est en réalité pas satisfaisante.

En effet, outre le fait que l'hôpital de Fresnes n'est pas un établissement pénitentiaire au sein duquel une personne puisse être détenue, il est constant qu'une admission dans cette structure ne peut en aucun cas être pérenne et implique, un jour ou l'autre, un retour dans un établissement pénitentiaire.

Ainsi, dans l'hypothèse d'une admission à l'hôpital pénitentiaire de Fresnes, il y a tout lieu de penser que Monsieur G. se retrouverait rapidement, à nouveau admis au grand quartier de la maison d'arrêt de Fresnes au sein duquel il a été détenu durant une période dans des conditions qui ont été examinées par un expert désigné par le tribunal administratif de MELUN, rapport d'expertise ayant donné lieu à l’ordonnance de référé, rendue par cette juridiction le 20 décembre 2011, condamnant l'État à raison des conditions de détention indignes qui lui ont été imposées à la maison d'arrêt de Fresnes sachant que, précisément, dans cet établissement, M. G. était détenu dans une cellule dite « handicapé ».

La situation de Monsieur G a été évoquée à l’audience de la Chambre de l’Instruction de Dijon le 4 janvier 2012.

J’ai immédiatement ressenti de la part de la juridiction une capacité d’écoute et de compréhension inhabituelle.

Par contre, de la part du représentant du Ministère Public, j’ai compris que, soit, celui-ci faisait preuve d’une particulière mauvaise foi soit qu’il n’avait pas la moindre connaissance de l’univers pénitentiaire et du mode de fonctionnement de l’Administration Pénitentiaire !

En effet, après l’argumentation relevant des critères de la détention provisoire (risque de pressions, d’évasion, instruction terminée, renvoi à bref délai devant la Cour d’Assises etc etc…l’Avocat Général a répondu à mes arguments tendant à démonter qu’aucune structure pénitentiaire ne pouvait héberger Monsieur G.

Il a ainsi soutenu que si les conditions de détention de Monsieur G. étaient réellement indignes et inadaptées, l’administration pénitentiaire l’aurait très certainement signalé au juge d’instruction et aurait, bien évidemment pris des mesures afin de les adapter ! Bienvenue au monde des Bisounours !!)

Ensuite, il a conseillé à la juridiction de rendre une décision confirmant la prolongation de la détention provisoire tout en exigeant que la cellule de Monsieur G soit aménagée, conformément aux préconisations de l’expert et, qu’à défaut, il serait toujours temps de revoir la question de la détention !

Face à de si belles perches, j’ai pu répondre ceci :

1)   L’administration pénitentiaire ne communique JAMAIS sur les conditions de détention, tout du moins, spontanément ; elle ne le fait que lorsqu’elle y est contrainte par le Juge Administratif dans le cadre de procédures que des personnes détenues qui se plaignent de leurs conditions de détention initient. Il est évident que si l’administration pénitentiaire communiquait et faisait preuve de coopération sans s’opposer bec et ongles aux procédures d’expertise, sans user de toutes les voies de recours imaginables, la situation serait toute différente ! Là, je perçois parfaitement à quel point les magistrats ignorent la situation véritable dans les établissements pénitentiaires, ne cherchent pas à connaître réellement quelles souffrances peuvent endurer les personnes détenues, a fortiori celles qui sont en situation de handicap, celles qui sont les plus vulnérables parmi les vulnérables (dixit le Conseil d’Etat aux termes de deux arrêts en date du 17 décembre 2008).

2)   Le conseil d’assortir un arrêt de confirmation d’exigences de mise en conformité est un vœu pieux qui resterait lettre morte en raison, d’une part de l’inertie de l’administration pénitentiaire mais aussi de l’impossibilité dans laquelle elle se trouve de modifier les choses de façon profonde.

En tout état de cause, le problème posé à la chambre de l’instruction de Dijon le 4 janvier 2012 est celui, plus global de l’enfermement des personnes handicapées : jusqu’où peut-on leur imposer de telles souffrances ?

Est-il légitime de prolonger une détention provisoire ou une peine coûte que coûte jusqu’au bout ultime sans prendre en compte la notion de la souffrance, de la perte de dignité, pour une personne comme Monsieur G qui ne peut même plus pousser seul son fauteuil roulant ?

Est-il légitime de créer des prisons spécialisées pour les malades mentaux alors que ceux-ci auraient leur place au sein d’établissements spécialisés ?

Je suis ressorti de l’audience avec un fol espoir, celui d’être entendu !

Bien m’en a pris !

Par un arrêt (béni !) en date du 6 janvier 2012, la Chambre de l’Instruction a remis Monsieur G. en liberté sous contrôle judiciaire, aux motifs suivants :
« Attendu qu’au vu des éléments déjà évoqués dans l’arrêt avant dire Droit, de l’expertise médicale et de ces pièces (celles que j’ai versé aux débats, savoir, essentiellement, l’Ordonnance de référé  du Tribunal Administratif de MELUN du 20 décembre), il apparaît manifeste que l’adaptation des conditions de détention telles que suggérées serait très difficilement réalisable et auraient déjà été mises en œuvre par l’administration pénitentiaire si elle en avait eu la possibilité, s’agissant de préconisations qui étaient déjà largement celles du médecin attaché à l’administration pénitentiaire mais non mises en œuvre ; qu’il n’y a pas de possibilité de détention pérenne à l’Hôpital de la maison d’arrêt de Fresnes ».

Même si cet arrêt dénote une méconnaissance du fonctionnement réel, par exemple, d’un Unité de Consultation et de Soins Ambulatoires d’un établissement pénitentiaire (il n’y a pas de médecin attaché à l’administration pénitentiaire depuis la loi de janvier 1994, les praticiens sont liés à l’hôpital qui les emploie et non cette dernière) ; il n’y a pas d’hôpital à la maison d’arrêt de Fresnes mais un Etablissement Public  National de Santé de Fresnes, (qui a, d’ailleurs changé de nom récemment) établissement indépendant, même de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris), cette décision est très importante ; enfin, des magistrats ont considéré qu’une personne handicapée ne pouvait demeurer détenue et que, comme je le soutenais, il n’existe pas structure pénitentiaire susceptible d’accueillir Monsieur G.

Pour terminer, cet arrêt tord le cou à une légende consistant à croire qu’il existe des hôpitaux prisons (hors le cas des sinistres UHSA, bien sûr !) et qu’une personne hospitalisée dans une structure hospitalière comme l’Hôpital de Fresnes ou une Unité Hospitalière Sécurisée Interrégionale, retourne fatalement en détention ordinaire.

Pour le moment, l’histoire de Monsieur G se termine bien mais si, un jour, une Cour d’Assises rend une décision de condamnation, il sera urgent, à nouveau, d’agir afin d’obtenir la suspension de cette peine ; là, la situation est différente, il existe une Loi….

A suivre….