Prisons
L’État mis à l’amende pour ses prisons
Détenus ou anciens détenus, ils sont de plus en plus nombreux à obtenir réparation pour leurs conditions de vie en prison. Au cœur de ce mouvement, Bonne-Nouvelle, la tristement célèbre maison d’arrêt de Rouen. Reportage. Rouen, envoyée spéciale.
Quand il était à la maison d’arrêt de Rouen, entassé avec deux autres détenus dans 9 m2, Christian D. avait une obsession : faire savoir ce qu’il vivait. Son idée : « utiliser un mobile-home pour reconstituer (sa) cellule et inviter les journalistes à venir voir la saleté, les murs noircis par la suie de “la chauffe” utilisée pour cuisiner, la peinture en décomposition qui se décroche et tombe dans les assiettes ». Et, « le pire », les toilettes à peine séparées du reste de la pièce par un muret de 90 cm, la fenêtre trop petite et trop haute pour aérer quoi que ce soit. Ni intimité, ni hygiène. Assisté de l’avocat Étienne Noël (lire page 3), Christian D. a finalement attaqué l’État en justice pour conditions de détention dégradantes. Trois ans de procédure, une condamnation et 3 000 euros d’indemnisation. À l’époque, c’est une première en France. Qui a ouvert un boulevard : le cabinet d’Étienne Noël reçoit deux ou trois lettres par jour de détenus de tout le pays, qui veulent eux aussi faire connaître leur situation.
Au cours du mois écoulé, le tribunal administratif de Rouen a ainsi condamné l’État à indemniser 100 autres détenus de la maison d’arrêt de Rouen pour un montant total de 134 425 euros – le garde des Sceaux a fait appel comme c’est systématiquement le cas. À Bois-d’Arcy (Yvelines) et à Nanterre (Hauts-de-Seine), deux autres condamnations, basées sur la jurisprudence de Rouen, ont également débouché sur des indemnisations (500 euros).
Traités « comme des animaux »
Depuis, Christian D. est dehors, mais il entretient des liens épistolaires avec d’anciens collègues de détention. « Je leur souhaite du courage, il faut de la force pour vivre ça. Quand j’y étais, on entendait régulièrement des détenus craquer, à côté de ma cellule par exemple, il y avait un petit jeune qui pleurait, tapait les murs, il pétait les plombs, ce n’était pas sa place. » Depuis, quelques aménagements ont été faits : un peu de peinture aussitôt défraîchie, des téléphones dans les couloirs pour appeler les familles, des cloisons de séparation entre les toilettes et le reste des cellules. « Mais avec un vide en bas et en haut. La table du repas, elle, est toujours à moins d’un mètre des toilettes… » précise Daniel (1), qui fait partie de la deuxième vague d’indemnisation. Aujourd’hui installé dans une maison coquette et soignée, il tient à témoigner sur ce qu’il a vécu pendant les deux années et demi passées à trois dans une cellule de 12 m2. Par solidarité avec les suivants et par reconnaissance pour le travail de son avocat. « Après un an de détention à Rouen, j’en avais tellement marre que quand
j’ai appris la victoire de Christian D. dans le Paris Normandie, j’ai écrit une lettre de six pages à Étienne Noël : il m’a répondu tout de suite », se souvient-il. Daniel embarque alors dans l’affaire un contremaître et un jeune détenu. « On ne voulait pas être trop nombreux pour que notre action ne soit pas considérée comme un acte de rébellion. »
Résultat des courses : « On a tous gagné 3 000 euros et la décision a été confirmée le 30 juin 2009 en appel. » À titre individuel, une réhabilitation. Et plus largement, un pas de plus pour « faire connaître ce qui se passe dans les prisons françaises et faire bouger les choses ». Sur la prison de Rouen, le diagnostic de Daniel est sans appel : les prisonniers y sont traités « comme des animaux ». Une situation d’autant plus intolérable qu’il sait que la prison peut être autre chose. Condamné à quatorze ans de détention par la cour d’assises de Toulouse pour coups ayant entraîné la mort sans intention de la donner (« une bagarre entre clochards », se souvient-il), il a passé huit ans au centre de détention de Muret dans les années 1990, « à une époque où on mettait beaucoup d’argent pour la réinsertion ». C’est là, par exemple, qu’il a appris à parler un français si précis que seule une pointe d’accent laisse deviner que ce n’est pas sa langue maternelle. Et développé les compétences en informatique qui sont la base de son métier actuel. Dans ce centre pour longues peines, les cellules étaient individuelles, ouvertes plusieurs heures par jour, sans qu’il n’y ait jamais « ni bagarre ni insulte ». Au bout de huit ans, Daniel saisit l’opportunité d’une permission et s’enfuit. Il voyage, revient en France, se fait arrêter lors d’un contrôle. Et atterrit à Rouen pour y finir sa peine. « J’avais l’expérience d’une prison humaine et je tombe dans une taule d’où les gens ressortent avec plus de haine que quand ils sont rentrés. Alors, j’ai voulu changer les choses. »
L’objectif est peut-être atteint : prochainement, la si mal nommée prison Bonne-Nouvelle, tristement connue pour avoir été le théâtre de faits de cannibalisme en 2007, doit être rasée et reconstruite « pour mettre l’établissement aux normes », détaille Bruno Badré, porte-parole du garde des Sceaux (2), reconnaissant implicitement ses dysfonctionnements.
À cayenne, on n’est pas loin du bagne
En tête du classement des prisons les plus dures à vivre, celles des territoires et départements d’outre-mer. En témoigne, entre autres, une ordonnance rendue le 28 octobre dernier par le tribunal administratif de Cayenne en Guyane, condamnant l’État à indemniser à hauteur de 14 000 euros un ancien détenu qui a séjourné pendant trois ans au centre pénitentiaire Remire-Montjoly. L’ordonnance se fonde sur le récit du détenu appuyé par un rapport d’expertise. Après avoir partagé 10,35 m2 avec trois codétenus dont deux dormaient sur un matelas posé à terre, puis dans une cellule « où il a eu la chance de dormir dans un lit », il s’est ensuite retrouvé dans une cellule « très sale », où faute d’équipements suffisants, « il a dormi par terre 12 mois sur 23 ». Côté équipements collectifs, pas mieux : « trois douches pour 74 détenus », installées dans la cour au mépris de toute intimité... Construite en 1998, cette prison a déjà été agrandie une première fois en 2008, et connaît une seconde vague de travaux pour augmenter encore sa capacité d’ici à 2012.
(1) Le prénom a été modifié.
(2) Contactée, l’administration pénitentiaire n’a pas donné suite.