samedi 19 juillet 2014

Avant tout...Avocat...! Lettre ouverte à Madame TAUBIRA



Ministère de la Justice
Madame Christiane TAUBIRA
Garde des Sceaux
1, place Vendôme
75001 PARIS



Cluny, le 18 juillet 2014


            Madame La Garde des Sceaux, chère Madame,

Au terme d’un long débat intérieur, j’ai pris la décision de vous présenter ma démission de mes fonctions au sein du Conseil National de l’Exécution des Peines.

Cette décision n’a pas été facile à prendre, loin de là.

En effet, jusqu’ à présent, je n’avais que des raisons d’être en concordance avec votre action et vos objectifs

Tout d’abord, à titre personnel, quelle n’a pas été ma joie lorsque j’ai reçu un appel téléphonique de votre Conseiller Pénitentiaire, me demandant si j’acceptais de participer à ce Conseil que vous souhaitiez créer, comprenant des personnalités prestigieuses, sachant que j’étais le seul Avocat siégeant à ce titre, mon confrère DE KERKHOVE, intervenant en qualité de Présidente de l’INAVEM.

J’étais heureux de bénéficier de la possibilité de m’investir à un autre niveau, de porter mes quelques idées avec l’espoir qu’elles soient  entendues…

Déjà, dans le cadre de la Commission Interministérielle Santé-Justice, créée à votre initiative et à celle de Madame le Ministre de la Santé et des Affaires Sociales, j’ai eu la possibilité de porter quelques idées en matière d’aménagements de peine pour raison médicale dont certaines ont été retenues par la Commission et figurent dans le rapport qui vous a été remis.


Ensuite, le 13 février 2014, je n’oublierai sans doute jamais le moment  où je vous ai vue, vous, Madame la Garde des Sceaux, monter à la tribune du Sénat pour soutenir ma proposition de Loi portant création d’une procédure de suspension de détention provisoire pour raison médicale, soumise au vote des sénateurs et adoptée à l’unanimité ce jour-là !

Pour terminer, cette même proposition de Loi, transmise à l’Assemblée Nationale, sauf erreur de ma part, a fait l’objet d’un amendement, intégré dans la réforme pénale a été adopté par les députés.

Nonobstant l’absence complète des longues peines dans la réforme pénale, au motif que cette Loi ne concerne que les courtes peines alors que certaines modifications auraient permis de « fluidifier » considérablement le flux des aménagements de peine pour les premières, (assouplissement de l’article 730-2 du CPP, s’agissant des libérations conditionnelles pour raison médicale, admission du placement extérieur au rang des conditions probatoires prévues par ce même article, réforme du dernier alinéa de l’article 729 du CPP, permettant ainsi aux personnes âgées de plus de 70 ans purgeant une peine de sûreté de bénéficier des  mêmes possibilités d’aménagements de peine que les autres, ce, conformément au souhait du législateur qui entendait que toutes les personnes âgées de plus de 70 ans puissent demander une libération conditionnelle sans condition de délai dès lors que leur prise en charge était organisée et qu’aucun risque grave de récidive n’était à craindre), je n’avais donc aucune raison d’éprouver un quelconque état d’âme.

Or, malgré tout, il demeure que je suis avant tout Avocat.

Et, en tant qu’Avocat, je ne puis qu’être profondément ému du sort qui nous est fait actuellement.

Tout d’abord, l’Aide Juridictionnelle et le combat que ma profession a mené et mènera encore afin que tous puissent accéder à une réelle défense dans des conditions dignes pour tous.

J’ai eu l’occasion de m’exprimer sur ce sujet dans le livre dont je vous ai remis un exemplaire, lors de la deuxième réunion du CNEP et dont j’ai la faiblesse de penser que vous l’avez lu.

Dans ce livre, j’ai tenté de témoigner de l’extrême fragilité de nombre de cabinets d’Avocats, écrasés par les charges, pour certains (en grand nombre) rémunérés (plutôt indemnisés) essentiellement au titre de l’aide juridictionnelle et, donc, travaillant le plus souvent à perte.

J’ai témoigné de l’indigence de l’indemnisation de certaines missions, comme, par exemple, dans le cadre de l’application des peines.

Cet exemple est topique de l’hypocrisie qui consiste, d’un côté à prétendre que l’Avocat participe à l’élaboration du projet d’aménagement de peine » (circulaire d’application de la Loi du 15 juin 2000) ce qui signifie qu’il doit (devrait) s’investir très en amont dans le processus de l’application des peines et, d’un autre côté lui dénier les moyens financiers en ne l’indemnisant qu’à hauteur de 4 unités de valeur, soit moins de 100 € !

En outre, et de façon récurrente, reste à régler la question du montant même de l’Unité de Valeur…
Ayant participé à la manifestation nationale du 7 juillet dernier, au milieu de milliers de mes confrères, à Paris, j’ai ressenti ce sentiment d’unité qui nous relie tous quelle que soit notre ancienneté, Avocats de base comme moi-même, Bâtonniers, tous unis par un même serment dont vous connaissez parfaitement les termes.

Or, à peine rentrés dans nos cabinets, nous avons entendu Monsieur Montebourg s’exprimer pour fustiger certaines professions du Droit, dites réglementées, accusées par lui de « capter » la fortune des français !

Selon lui, ces professions, dont les Avocats, seraient en situation de monopole et en profiteraient pour s’enrichir sur le dos de nos compatriotes !
Comme vous le savez parfaitement, la profession d’Avocat ne bénéficie en aucune façon d’une situation de monopole ! L’accès  à la profession ne fait l’objet d’aucun numerus clausus et, d’ailleurs, personne n’a jamais songé sérieusement à en instaurer un.

Nul besoin d’un Décret pour créer un cabinet d’Avocat.

Nos honoraires ne sont pas soumis à un tarif et la concurrence est bien réelle…

Nos clients, d'ailleurs, le savent très bien qui, très fréquemment, changent d'Avocat comme de chemise et n'hésitent souvent pas à consulter l'un d'entre nous pour contrôler le travail de leur propre conseil!

Qui, ne serait-ce qu’une seconde, songerait à critiquer les médecins et à les accuser de profiter d’une situation de monopole ?

Comme le médecin soigne, l’Avocat, après une formation longue et pointue, dans le strict respect de son serment, « Je jure, comme Avocat, d’exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité », conseille, favorise, grâce à ses compétences, l’accès au juge. Il exerce les Droits de la Défense, principe à valeur constitutionnelle, le tout dans des conditions économiques le plus souvent précaires….

Et l’on ose parler de captation ?

Lorsque je me rends une journée entière dans un établissement pénitentiaire, où que ce soit en France, pour rencontrer des clients détenus, je n’ai pas le sentiment de capter leur richesse !

Lorsque mes confrères, partout en France, interviennent quotidiennement dans le cadre de permanences pénales, le plus souvent au titre de l’aide juridictionnelle, je ne pense pas qu’il soit possible de les soupçonner de vouloir s’enrichir et de peser sur le patrimoine des Français !

Compte tenu de ce débat toujours d’actualité, tant qu’une solution pérenne et acceptable par tous n’aura pas été dégagée, à propos de l’aide juridictionnelle, le fait de nous accuser de capter les revenus des français relève de la plus flagrante injustice, voire d’une opération de pure démagogie !

De très nombreux confrères se sont élevés contre ces accusations, manifestement infondées et d’autant plus injustes qu’elles proviennent de quelqu'un qui a été un de nos confrères !

Personnellement, j’ai été atterré par ces propos, réitérés le lendemain sur une radio publique et, paraît-il, étayés par un rapport émanant du ministère des finances dont personne, parmi les principaux intéressés, n’a eu connaissance !

Mais, finalement, ce qui m’a le plus choqué, c’est, sauf erreur de ma part,  l’absence totale de soutien de la part de la Chancellerie !

Vous êtes, après tout, notre Ministre !

Qu’avons-nous entendu, provenant de la Place Vendôme ?

Là encore, sauf erreur de ma part, rien !

C'en est trop!

Voilà ici, résumées, les raisons pour lesquelles je vous présente ma démission.

Je ne sais si ce courrier que j’ai rédigé sous la forme d’une lettre ouverte, vous sera remis ;  je l’espère sincèrement afin que vous puissiez prendre connaissance du témoignage qu’il contient, celui d’un Avocat ordinaire, dépendant pour une part non négligeable de l’aide juridictionnelle et révolté par les accusations dont fait l’objet sa profession qui procède de plus en plus du sacerdoce.

Oserais-je espérer une réponse ?

Dans cette attente, malgré tout,

Je vous prie d’agréer, Madame la Garde des Sceaux, l’expression de mes sentiments respectueux.



                                                           Etienne NOËL