samedi 24 décembre 2011

journal du pays basque 24 12 2011 Entretien Janine Beyrie


"Ce processus, je souhaite qu’il aille jusqu’au bout. Qu’il nous amène jusqu’à une paix juste»
Entretien avec Janine BEYRIE / Mère de Lorentxa Beyrie, prisonnière à Fresnes
Une mère comblée. C’est ainsi qu’elle se définit. Janine Beyrie, mère de trois enfants : Amaia, Xan et Lorentxa. Lorentxa, 36 ans, militante d’ETA assumée qui, une année de plus, ne passera pas Noël en Pays Basque, parmi les siens. Janine, sa mère, fera une fois de plus le trajet de 800 kilomètres pour aller voir sa fille Lorentxa, en prison depuis dix années, actuellement à Fresnes. Condamnée à 32 ans de prison, ramenés à 27 années. Sept années de préventive, des années d’instruction, une condamnation sur la base de témoignages arrachés dans l’Etat espagnol sous la torture, dira son avocate. Des témoignages réfutés ensuite devant le juge d’instruction. Pas de confusion de peines mais le maximum pour Lorentxa, originaire de Cambo où vit sa famille, dans sa maison natale. Elle fait partie des 150 prisonniers basques détenus dans l’Etat français. Des prisonniers au cœur de la résolution du conflit basque. Ils sont 686 au total, dans les Etats espagnol et français, et le 7 janvier prochain, une grande manifestation aura lieu à Bilbo afin de revendiquer comme première mesure la fin de leur dispersion et le respect de leurs droits. Janine Beyrie nous parle de sa fille. Elle parle clair. Quelques perles de larmes s’échappent furtivement de ses yeux bleu-vert. Dix années ponctuées par les visites à sa fille. Une mère comblée et fière de ses enfants. A qui elle a toujours dit de faire ce qu’ils leur semblaient juste, au moment où ils devaient le faire. “Ce qui est insupportable, c’est la souffrance de nos enfants, pas la nôtre”. Paroles de mère.
Pouvez-vous nous parler de votre fille Lorentxa et de son parcours ?
Ma fille Lorentxa est née à Cambo, nous sommes une famille euskaldun. Lorentxa, après son bac, a obtenu une licence d’ethnologie, puis était en maîtrise. Arrêtée en 2001, elle est en prison à Fresnes. Avant, elle était détenue à Fleury-Mérogis, puis au centre pénitentiaire de Joux-la-Ville. Elle s’est mariée en 2004 en prison à Poissy avec Aitzol Gogorza, militant basque emprisonné originaire d’Errenteria que l’on a extradé vers l’Etat espagnol en juin 2011 et qui purge actuellement une peine de prison à Séville. Lorentxa est très forte par rapport à la prison, elle a toujours mis une distance. Elle ne s’est jamais laissée enfermer, elle m’épate. Elle peint beaucoup. Cette année, elle a été exposée plusieurs fois dans différentes galeries du Pays Basque et également à Paris. Elle écrit aussi des contes philosophiques pour enfants qu’elle illustre. Lorsque je vais voir Lorentxa, nous sommes face à face. Il y a une table avec un mur de séparation. Je peux lui toucher ses mains. La prendre dans mes bras, par contre, est impossible. Nous parlons de tout, très peu de politique en fait !
Cela suppose beaucoup de déplacements…
Nous allons avec son père voir notre fille une vingtaine de fois par an. Vingt heures de parloir par an, cela semble peu, mais à cause de l’éloignement, une visite nécessite plus de 24 heures de trajet. Nous avons tout fait : voiture, train, bus. Lorentxa a chaque semaine un parloir avec d’autres membres de sa famille ou avec des amis. Cette semaine, son frère lui rend visite ; la semaine prochaine, ce sera notre tour. Nous allons aussi à Séville voir notre gendre Aitzol que nous considérons comme notre enfant. Tout comme les parents d’Aitzol rendent visite à Lorentxa à Fresnes. Ainsi, c’est la famille qui fait le lien entre les deux.
Tous ces voyages ont un coût. Pouvez-vous nous donner des détails…
Un voyage en voiture à Paris coûte 140 euros (gasoil) plus 120 euros de péage, sans compter l’hébergement et la nourriture (150 euros). Lorsque nous partons à Séville, nous prenons le bus des familles de prisonniers. Cela coûte 140 euros par personne. Nous partons le vendredi à 17 heures de Donostia, puis nous arrivons à Séville vers 5h30 du matin, le samedi, où l’on nous laisse devant un arrêt de bus. Dans ce bus de ligne régulière, nous traversons Séville, puis nous montons dans un autre bus durant une heure qui nous dépose dans le dernier village avant la prison. Et là, nous prenons un taxi à quatre, pendant un quart d’heure. Taxi qui nous mène devant la prison. Il est à peu près 9 heures du matin, nous avons la visite à 11 heures. Visite qui dure 40 minutes. Puis nous retournons dans le bus initial qui a amené entre-temps des familles dans d’autres prisons comme Puerto. Ce bus nous prend à 22h15 à Séville et nous arrivons à Donostia le dimanche matin entre 9 et 10 heures. Et ce type de voyages, des familles le font depuis plus de 20 ans.
Comment se concrétise la solidarité entre les familles ?
Personnellement, je suis une privilégiée, mais je pense aux femmes seules avec des enfants. D’ailleurs, quand nous recevons des dons, nous mutualisons pour que cela serve à tout le monde. Je suis membre d’Etxerat qui organise ces bus, et c’est vrai que la question financière est très importante. En dix ans, on mange ce que l’on a et ce que l’on n’a pas ! Et l’on ne remerciera jamais assez les gens qui régulièrement nous aident financièrement. Les gens qui donnent ne mesurent pas l’importance de leur geste.
Que ressentez-vous face à la nouvelle donne politique avec l’annonce de l’arrêt définitif des activités armées d’ETA ?
Nous prenons les nouvelles, comme nous avons pris les coups et continuons à essayer de nous protéger. Le “lâcher-prise”, ce n’est pas encore pour nous. Comme tout le monde, nous espérons que les choses évolueront dans le bon sens. Cela va être long. Il y a des prises de positions et des déclarations qui sont douloureuses pour nous. Ce processus, je souhaite qu’il aille jusqu’au bout. Qu’il nous amène jusqu’à une paix juste. J’entends par paix juste, le droit du peuple basque à exister en tant que tel. Ce qui se passe aujourd’hui et toutes les mobilisations qu’il y a nous parlent de la lutte du peuple basque depuis des décennies. ETA est la partie la plus visible, parce que la plus violente. Mais les militants d’ETA sans soutien politique et le travail accompli ne pourraient pas exister. Les résultats électoraux de Bildu et d’Amaiur qui ont dans leur programme le droit du peuple basque à exister en tant que tel prouvent que cette idée et ce combat ne sont pas minoritaires. Je crois beaucoup à l’implication de la communauté internationale et à la mobilisation de tous.
Qu’évoquent pour vous les mots réconciliation et la reconnaissance des victimes des deux camps ?
La réconciliation se fera lorsque l’on aura obtenu une paix juste. Il y a quand même l’oppresseur et l’opprimé. Nous, nous ne sommes pas partis conquérir l’Andalousie ou l’Estrémadoure, Il doit y avoir la reconnaissance du conflit. Est-elle effective ? Mes enfants ne sont pas des malfaiteurs, ce sont des militants qui ont fait le choix de la lutte armée pour défendre le pays. Ce sont des résistants. Et pour moi, une chose est inacceptable et inconcevable : que l’on demande aux militants de se repentir d’avoir été, et d’être des résistants.

Manifestation à Bilbo le 7 janvier

“Pour le retour de nos 686 otages et des exilés”. C’est l’appel lancé par Etxerat, appel soutenu par de nombreuses organisations. La manifestation aura lieu à 17 heures à Bilbo le 7 janvier. Dans un premier temps, Etxerat demande le rapprochement et le regroupement des prisonniers en Pays Basque, la libération de celles et ceux gravement malades, la possibilité de bénéficier de libérations conditionnelles et l’abrogation des lois d’exception comme la doctrine Parot. Des bus partiront du Pays Basque Nord. Inscriptions au 06 11 36 21 53 ou par courriel à l’adresse     iehpreso7@gmail.com.

Béatrice MOLLE