samedi 28 janvier 2012

Les usines carcérales déshumanisent le prisonnier et le personnel pénitentiaire



Par Céline Verzéletti, secrétaire générale de la CGT Pénitentiaire
A chaque fait divers dramatique, une nouvelle loi est votée dans l’immédiateté, sans analyse et sans recul par les gouvernements de Nicolas Sarkozy. Le nouveau projet de loi 4001 dit de l’exécution des peines, est actuellement en discussion à l’Assemblée Nationale. Ce texte est dangereux et inquiétant. En effet, il va à l’encontre de la Loi pénitentiaire car il privilégie l’incarcération. Par ailleurs, il nie le rapport de la Cour des comptes publié en octobre 2011 relatif aux Partenariat Public Privé (PPP) pénitentiaires en imposant l’agrandissement du parc immobilier et la construction de méga usines carcérales en PPP et ce, malgré les préconisations de la Cour des comptes.
Effectivement, le document fait apparaître que la dépense de loyers versés aux entreprises privées devrait connaître une forte augmentation au cours des années à venir. « En euros constants (…), les dépenses de loyers correspondant aux investissements passeraient de 35 millions d'euros en 2010 à plus de 263 millions d'euros en 2017, (…) les dépenses de loyers relatives à la part d’investissement et la part de fonctionnement de 95,4 à 567,3 millions d'euros ».
Malgré tout cela, le Président de la République, avec le gouvernement, continue d’effectuer des choix dangereux et arbitraires pour l’avenir de l’état. Si le rapport cité recommande l’avis de différents acteurs concernant la construction des nouvelles prisons, l’exécutif élabore son cahier des charges de façon autoritaire.
Effectivement, l’architecture possède sa grammaire ; elle a un but et une signification. Dans les prisons dites modernes, la préoccupation première des gouvernements est la sécurité dite passive : pas de place pour l’humanité ! Les personnels sont isolés et enclavés à l’intersection de plusieurs couloirs fermés par des grilles. Pris au piège. Piège de l’isolement, de la folie, de la violence accentuée par cette architecture digne des geôles de l’état-prison que sont les Etats-Unis. Les plafonds sont bas, la luminosité artificielle agresse la rétine, les grillages cerclant les fenêtres des cellules sont immondes et ne laissent pas passer l’existence de l’autre. Vision parcellaire en schéma caillebotis. Sensations d’étouffement. Angoisses accentuées par le fait que les usines carcérales sont implantées soit dans des zones industrielles, soit isolées du reste du monde : en dehors de la vie. Structures monstrueuses de 700 ou 800 places. Détresses amplifiées et vertiges de l’anonymat. De plus, les déplacements sont ralentis par les systèmes de sécurité. Dimension hors norme du temps.
Ce n’est pas pour rien que l’administration pénitentiaire a interdit la diffusion à la télévision du documentaire « Le déménagement » . Celui-ci montre bien que nouveautés et avancées technologiques ne signifient pas forcément mieux être et progrès.
Si les anciennes prisons situées en centre ville permettent aux détenus d’être encore dans la vie et dans le temps, leurs architectures autorisent les personnels à ne pas être isolés dans leur coursive. Les collègues peuvent se voir, se parler, s’entraider rapidement en cas de problème. L’espace est ouvert. Les structures ont une taille humaine.
Ces nouvelles prisons dites modernes, dégradent les conditions de travail des personnels et les conditions de détention des personnes incarcérées. Et c’est bien dans les usines carcérales qu’il y a le plus d’agressions, de suicides : elles déshumanisent l’être et accentuent sa condition d’objet. Cela est amplifié par un management qui se mécanise. Les personnels le vivent au quotidien. Qu’ils soient surveillants, travailleurs sociaux, agents administratifs ou cadres, ils remplissent des formulaires informatisés et automatisés, qui serviront à ficher les détenus dans des profils types. La perte du sens du travail est liée, en partie, à la mécanisation des missions qui engendre des souffrances : sur-suicidité des personnels et des personnes incarcérées.
Dans la mesure où les nouvelles structures accentuent  le mal-être, elles ne peuvent être la vitrine de la modernité et du progrès. Elles sont l’image d’une société qui régresse, qui se replie sur elle-même et sur les blockhaus qu’elle érige entre les humains au son de l’hyper incarcération et de l’omnipotente politique sécuritaire au service de l’industrie qui l’accompagne. Pour la CGT Pénitentiaire, l’emprisonnement doit rester l’exception ; l’humain acteur de son projet.
Jusqu’à quand les citoyens vont-ils accepter de devenir des présumés coupables, fichés, contrôlés et surveillés en permanence, simples objets au service du marché de la peur et de « l’horreur sécuritaire »?