mardi 27 mars 2018

27 mars 2018 – 27 mars 2008...dix ans déjà !


Il y a 10 ans déjà, le Tribunal Administratif de ROUEN a rendu un jugement qui, pour la première fois, condamne l’Etat à raison des conditions de détention dans une Maison d’Arrêt en l’occurrence, celle de ROUEN.

Ce jugement est à la fois l’aboutissement d’une procédure initiée dès l’année 2005 et également le point de départ d’une contestation légale, d’un combat que mèneront de plus de en plus de personnes détenues en France Métropolitaine et Outre-Mer, destinée à mettre en lumière la dignité de leurs conditions de détention dans les Maisons d’Arrêt françaises.

Dès l’année 2004, un avocat nantais, Maître Benoît ROUSSEAU, eût l’idée de demander au Tribunal Administratif de sa ville de désigner un collège d’Experts afin de se rendre au sein de la vieille Maison d’Arrêt de NANTES afin d’évaluer les conditions de détention de plusieurs de ses clients.

Par la suite, durant l’année 2005, l’idée est venue d’initier la même procédure à ROUEN.

Pour cela, il a fallu susciter l’intérêt de personnes détenues à la Maison d’Arrêt de ROUEN suffisamment combatives et courageuses pour initier une procédure qu’aucun détenu, jusqu’à présent, n’avait osé tenter.

C’est ainsi qu’après plusieurs mois de recherche, une personne détenue a manifesté son intérêt et l’a maintenu de sorte qu’il a été possible de déposer dans son intérêt une requête aux fins d’expertise de ses conditions de détention à la Maison d’Arrêt de ROUEN.

Je n’oublierai jamais la visite d’expertise des 7 cellules dans lesquelles mon client avait vécu ou vivait depuis son incarcération.

J’étais à cette occasion accompagné d’un architecte et d’un médecin-hygiéniste qui, tous deux, ont été horrifiés de constater dans quelles conditions vivait mon client.

Le médecin-hygiéniste, pour sa part, a considéré que la présence des toilettes, non séparées du reste de la cellule, constituait une véritable atteinte au Code de la Santé Publique et aux règles d’hygiène les plus élémentaires.

En effet, d’après le Médecin-Expert, à chaque utilisation par l’un des occupants de la cellule, un nuage de bactéries se répand dans l’ensemble de la cellule et se dépose sur les corps, les lits, les draps, les oreillers, la nourriture, les objets personnels, etc…

A cet égard, il faut replacer la situation des personnes détenues dans les Maisons d’Arrêts à cette époque (la situation est quasiment la même à l’heure actuelle) qui se trouvaient dans un contexte de surpopulation particulièrement critique et qui n’avait aucunement à vocation à diminuer.

Ainsi, de manière systématique, à la Maison d’Arrêt de ROUEN, à l’époque de l’expertise et même, les années qui ont suivies, les personnes détenues étaient entassées à 3 dans des cellules de 10 m²  (dimension standard des 291 cellules situées dans les trois divisions "Hommes" de la Maison d’Arrêt) dans des conditions de promiscuité et d’insalubrité qui ont été décrites par l’expertise réalisée au mois d’octobre  2005.

C’est sur la base de ce rapport d’expertise que j’ai pu, rapidement, saisir le Tribunal Administratif de ROUEN d’une requête afin d’engager la responsabilité de l’Etat à raison de l’indignité causée par les conditions de détention.

La requête initiale fût basée, d’une part, sur les textes du Code de Procédure Pénale qui sont sensées réglementer les conditions de vie dans les Maisons d’Arrêt.

De même, le Code de Procédure Pénale, à cette époque-là, comportait un texte d’une particulière humanité, l’Article D.189 qui prévoyait :

« A l’égard de toutes les personnes qui lui sont confiées par l’Autorité Judiciaire, à quelque titre que ce soit, le Service Public Pénitentiaire assure le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et prend toutes les mesures destinées à faciliter l’insertion sociale. »

Ce texte, un des rares, à utiliser le concept de dignité en prison fût abrogé par les décrets publiés à la fin du mois de décembre 2010 destinés à mettre en application la loi pénitentiaire du 23 novembre 2009.

Outre le corpus législatif, j’ai utilisé d’une façon tout à fait pragmatique, le règlement sanitaire départemental de la SEINE MARITIME qui,  à l’époque, était édicté par la Direction Régionale des Affaires Sanitaires et Sociales.

Ainsi, il a été possible, s’agissant d’un habitat par définition collectif, de demander aux experts de comparer les conditions de détention qu’ils ont constatées au sein de l’établissement pénitentiaire rouennais avec les règles édictées par le règlement sanitaire départemental, s’agissant, entre autres, de la présence des toilettes dans les cellules, non dépourvues d’aération autonome, ni de séparation réelle avec « la pièce à vivre » ce qui m’a amené à de très nombreuses reprises à considérer que les personnes étaient détenues dans leurs propres toilettes !

Par ailleurs, il existait déjà, à cette époque-là un certain nombre d’arrêts rendus par la Cour Européenne des Droits de l’Homme, condamnant plusieurs états européens à raison de l’indignité des conditions de détention qu’ils imposaient à leurs ressortissants (mais pas encore la France).

La requête ainsi déposée devant la Tribunal Administratif de ROUEN fut communiquée au Garde des Sceaux, qui, à cette époque, ne prit pas conscience de la vague de procédures qui la submergerait dans l’hypothèse où le Tribunal y ferait droit.

Dans son mémoire en défense, le Garde des Sceaux tenta de jeter le discrédit sur cette procédure en indiquant, d’une part, que le requérant procédait par des généralités en invoquant des grands principes qui, selon lui, ne trouvaient pas à s’appliquer en l’espèce.

Par ailleurs, le Garde des Sceaux a soutenu (et il le soutiendra dans les procédures suivantes) qu’il appartenait au requérant d’exciper d’un préjudice spécial, en l’occurrence, d’avoir contracté une quelconque maladie à raison des atteintes sanitaires décrites dans le rapport, faute de quoi il lui était impossible de prétendre à un quelconque préjudice.

Sur ce point précis, il fût aisé de répondre au Garde des Sceaux que ce qui importait en l’espèce c’était non pas d’apporter la preuve d’avoir contracté une maladie mais bel et bien de démontrer que le requérant pouvait parfaitement prétendre à être indemnisé du préjudice moral que lui causaient les conditions de détention qui lui étaient imposées depuis plus de 3 années, en application, précisément, de l’Article D.189 du Code de Procédure Pénale.

Je n’oublierai jamais l’audience du Tribunal Administratif du 8 mars 2008.

Il faut souligner le caractère particulièrement unique de cette procédure qui a mené, pour la première fois, le Tribunal Administratif à évoquer, au fond, les conditions de détention dans les Maison d’Arrêt françaises.

Pour la première fois, une personne détenue retournait contre l’Etat, l’arme du Droit.

C’est la gorge serrée que j’ai pu prendre la parole et présenter mes observations qui ne pouvaient être particulièrement longues puisque telle est la procédure devant un Tribunal Administratif.

Néanmoins, j’ai pu exposer la situation de mon client, dire dans quelles conditions d’indignité il était détenu, exposer les conclusions des experts et, en particulier, celles du médecin-hygiéniste, avant de demander l’indemnisation du préjudice moral qui était le sien.

Par la suite, le Commissaire du Gouvernement (tel était son nom à l’époque) a lu ses conclusions dont je ne connaissais pas le sens par avance.

Ma surprise fût immense de constater que, non seulement, il demandait qu’il soit fait droit à ma requête après un exposé reprenant les travaux de Michel FOUCAULT sur la notion de punition, dressa un constat particulièrement sombre des conditions de détention de la Maison d’Arrêt de ROUEN et, devant l’impossibilité, selon lui, de procéder à des travaux de rénovation, il proposa tout simplement de la détruire !

Je ne pense pas avoir jamais applaudi un Commissaire du Gouvernement au décours de la lecture de ses conclusions !

Néanmoins, nous fumes plusieurs à le faire tellement il nous a semblé qu’à ce moment-là, quelque chose avait basculé.

Les 3 semaines qui ont séparé cette audience historique de la lecture du jugement ont été un véritable supplice.

Le 27 mars 2008, j’ai appris en appelant le Greffe des Référés du Tribunal Administratif de ROUEN, (à cette époque-là, la communication électronique du jugement n’existait pas) que le Tribunal Administratif de ROUEN avait, tout en minorant le montant des dommages et intérêts octroyé à mon client, fait droit à sa requête en considérant qu’en le soumettant à des conditions de détention telles que décrites par les experts, l’Etat avait porté atteinte à sa dignité ce, en application de l’Article D.189 du Code de Procédure Pénale.

Ma joie fût immense, la joie de mon client aussi, bien évidemment.

Le Garde des Sceaux, Madame Rachida DATI, a proclamé haut et fort qu’elle allait interjeter appel de cette décision.

A cet égard, les commentateurs sont restés longtemps avec l’idée, qu’effectivement, la Cour Administratif d’Appel de DOUAI avait été saisie du litige.

En réalité, pour des raisons stratégiques ou suite à une erreur, l’appel du Garde des Sceaux fût jugé irrecevable.

Je ne peux m’empêcher de penser qu’il s’agissait là d’une visée stratégique.

En effet, il paraissait peut-être moins dommageable pour le Garde des Sceaux que cette décision ne soit pas soumise à une Cour Administrative d’Appel ce qui, en cas de rejet de son recours, aurait crée une jurisprudence à un niveau beaucoup plus élévé qui lui aurait donné encore plus de poids.

Malgré cela, ce jugement a fait date et donna l’occasion tant à moi-même qu’à d’autres confrères de s’engoufrer dans la brèche ainsi ouverte.

Pour ma part, par la suite, j’ai initié de nombreuses procédures dans d’autres établissements pénitentiaires de métropole et d’outre-mer, ayant donné droit à des rapports d’expertise, suivis de jugements de condamnation.

Parfois même, il ne fût pas nécessaire de passer par des expertises pour obtenir des condamnations de l’Etat, s’agissant des conditions de détention dans certains établissements pénitentiaires, tant leur insalubrité et l’indignité de la situation des personnes qui y étaient détenues étaient criantes et connues de tous.

Ainsi pour la Maison d’Arrêt de la Santé, à PARIS et pour le Centre Pénitentiaire de DUCOS en MARTINIQUE, la simple évocation des rapports publiés et des travaux du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Libertés, suffit à obtenir la condamnation de l’Etat.

Par la suite, sous l’impulsion d’une jurisprudence de plus en plus fournie de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, visant les conditions de détention en France, l’argumentation s’est affinée prenant en compte la surface minimale dont chaque personne détenue doit « jouir » au sein de sa cellule.

Ainsi, la jurisprudence strasbourgeoise a jugé qu’une personne détenue devait bénéficier de 3 m2 d’espace vital dans sa cellule ce, abstraction faite de l’emprise des meubles et des équipements de la cellule.

Ainsi, à titre d’exemple, s’agissant d’une personne détenue à la Maison d’Arrêt de BASSE-TERRE, dans une cellule de 26 m2, certes, mais en compagnie de 15 autres personnes, la démonstration de la surface utile par détenu, abstraction faite de l'emprise des meubles et des équipements de la cellule, aboutit à ce que chacun d’entre eux bénéficie de 0,45 M2 pour évoluer dans la cellule.

Autant dire qu'ils passent leur journée sur leur lit, sans pouvoir sortir de la cellule car, comme dans toute maison d'arrêt, la porte de la cellule est fermée.

Un autre exemple, celui des cellules, dite « médicalisées », situées au sein de l'aile sud de la deuxième division de la maison d'arrêt de Fresnes.

Ces cellules, destinées à « accueillir » deux personnes handicapées sont équipées, certes, d'un lit médicalisé par personne ; toutefois, l'emprise des deux lits est telle, rajoutée à celle des autres équipements de la cellule, qu'il est impossible aux occupants de celle-ci, circulant en fauteuil roulant, de se croiser en leur sein.

Lors de l'expertise réalisée au sein de la maison d'arrêt de Fresnes, dans cette partie de l'établissement, j'ai pu montrer à l'expert architecte la manoeuvre consistant à extraire le détenu qui se trouvait le plus près de la porte de façon à permettre à celui qui se trouvait du côté de la fenêtre de sortir de la cellule !

Malgré cela, après que le Tribunal Administratif de Melun nous ait donné satisfaction et ait condamné l'État à raison de l'indignité des conditions de détention imposée à ces personnes handicapées, la Cour Administrative d'Appel de Paris, saisie d'un recours du garde des sceaux, a annulé les ordonnances rendues par le juge des référés de Melun, le Conseil d'État rejetant mes recours.

Le combat n’est jamais terminé.

La jurisprudence, depuis, s’agissant de la Maison d’Arrêt de ROUEN s’est retournée, le Tribunal Administratif considérant que nous ne trouvions plus dans les termes de l’expertise réalisée en 2005, les conditions de détention s’étant améliorées jusqu’à devenir «  à peu près acceptable ».

Néanmoins, ROUEN, plus de 260 personnes ont obtenu la condamnation de l’Etat à raison de leurs conditions de détention.

Cette procédure ainsi que toutes les autres qui ont été menées en France depuis le jugement du 27 mars 2008 a conduit à la création d’un véritable flux financier inédit venant de l’Etat, à destination des usagers contraints d’un service public que sont les personnes détenues.

Ainsi, grâce à ces procédures, un nouveau type de contrôle des établissements pénitentiaires s'est instauré, parallèlement à celui qu'exercent, à la fois, le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté et le Défenseur des Droits, savoir un contrôle par les détenus eux-mêmes de leurs propres conditions de détention !

S'agissant de la maison d'arrêt de Rouen, j'ai bien cru que les procédures diligentées pour des dizaines de personnes, à cette époque-là, aboutiraient à un résultat totalement inespéré.

En effet, le 1er avril 2010, un ami journaliste m'a annoncé que la maison d'arrêt de Rouen allait fermer !

Compte tenu de la date à laquelle il m'a annoncé cette nouvelle, j'ai d'abord cru un poisson d'avril !

En réalité, il n'en était rien et, effectivement, en plein coeur d'une procédure concernant 65 personnes détenues à la maison d'arrêt de Rouen, la chancellerie a bel et bien rajouté celle-ci sur la liste des établissements vétustes voués à la démolition.

Malheureusement, lorsqu'il s'est agi de rechercher un terrain suffisamment vaste pour accueillir un nouvel établissement pénitentiaire, le Préfet s'est adressé aux maires des municipalités de la proche agglomération rouennaise qui se sont tous opposés catégoriquement à ce qu'un établissement pénitentiaire soit implanté sur le territoire, liguant au surplus, leurs administrés contre ce projet pour toutes sortes de raisons, oubliant, manifestement, le fait qu'un établissement pénitentiaire, malgré tout, héberge des personnes, certes réprouvées, mais ayant toutes vocation, un jour ou l'autre, à se réinsérer.

Certains esprits chagrins me demandent encore à quoi servent ces procédures.

En effet, il est constant, à part des modifications marginales (peinture des cellules, installation de cloisons destinées à isoler, tant que faire se peut, les toilettes du reste de la cellule) aucune amélioration particulièrement notable n’a été apportée dans les conditions de vie des personnes détenues dans les maisons d’arrêt.

A ces personnes là, je réponds qu’au-delà de la question des modifications matérielles des conditions de détention, ce qui importe avant tout c’est la restauration de l’image que la personne détenue a d’elle-même au travers de la condamnation qu’il obtient et la satisfaction d’avoir « présenté la facture » au Garde des Sceaux à raison des conditions de détention épouvantables qui lui ont été imposées.

S’il n’y avait qu’un seul résultat, qu’un seul bénéfice à ce type de procédure, c’est bien celui-là !

Voilà maintenant 10 ans que ce jugement que le journal Libération a qualifié d'historique a été rendu.

Depuis 10 ans, de multiples expertise établissements pénitentiaires ont été réalisées ; de très nombreux jugements de condamnation de l'État ont été rendus ; un certain nombre de jugements de rejet ont également été rendus, preuve que le combat n'est jamais terminé.

En tout état de cause, la question des droits des personnes détenues à survivre dans les établissements pénitentiaires dans des conditions minimales de dignité est devenue centrale.

La réponse ne réside aucunement dans la construction de toujours plus de places de prison mais bel et bien dans la nécessité absolue de faire décroître le nombre de personnes détenues en France qui, à l'heure actuelle, (curieusement nous ne disposons plus de chiffres actualisés depuis maintenant plusieurs mois) atteint peu ou prou le chiffre aberrant de 70.000 personnes sous écrou incarcérées

La solution réside, certes, dans la suppression des peines d'emprisonnement courtes, jusqu'à six mois, mais, également, dans le maintien des possibilités actuelles d'aménagement des peines afin que la grande majorité des peines prononcées, jusqu'à une année d'emprisonnement ferme lorsque la personne se trouve en état de récidive et jusqu'à deux années d'emprisonnement ferme lorsque la personne ne l'est pas, puisse être aménagée afin d'être purgées et, exécutées mais sous un autre régime que celui de l'incarcération brutale.

En cela, le Président de la République part dans une mauvaise direction lorsqu'il proclame que : « toute peine prononcée doit être exécutée… » ; en effet, dans son esprit, ( sa pensée complexe) cela signifie « exécutée en détention » alors qu'en réalité, une peine, même aménagée, est bel et bien exécutée sachant, au surplus, qu'en cas de mauvaise conduite ou, a fortiori, de commission d'une nouvelle infraction, l'aménagement de peine est retiré et la personne part en détention.

Alors oui, toute peine prononcée doit être exécutée mais pas obligatoirement en milieu fermé.

À cet égard, le projet de réforme des seuils d'aménagement de peine « ab initio » est tout à fait critiquable en ce qu'il supprime la possibilité de tels aménagements au-delà d'une année de prison ferme.

En effet, cela entraînera automatiquement une augmentation importante du nombre de personnes incarcérées et aboutira, au final, un résultat contraire à ce que proclame le Président de la République qui souhaite désengorger les maisons d'arrêt.

Non, le combat n'est pas terminé ; il ne le sera jamais…