mercredi 4 juillet 2012

Le Monde: L’Etat condamné après la mort d’un détenu à Rouen - blog de F.Johannes

http://libertes.blog.lemonde.fr/2012/07/04/letat-condamne-apres-la-mort-dun-detenu-a-rouen/


Il a appelé à l'aide, un surveillant est arrivé très vite devant la porte de la cellule et a essayé de le raisonner. Après tout, c'était la nuit du réveillon. Mais David G. a soigneusement attaché la housse de son matelas à un barreau de la fenêtre, en a éprouvé la solidité, il a fait un noeud coulant qu'il s'est passé autour du cou. Le gardien a vu les préparatifs par l'oeilleton, et l'a supplié d'arrêter.
David, 22 ans, est mort pendu, dans la nuit du 31 décembre 2009, à la maison d'arrêt de Rouen, sous les yeux horrifiés du surveillant. Le gardien n'a pas pu entrer : il n'avait pas les clés. L'Etat a été condamné le 21 juin par le tribunal administratif de Rouen à verser 8 000 euros à la mère du détenu, 4 000 à son frère. Et à rembourser les frais d'obsèques.
David G. a passé la plus grande partie de son enfance en famille d'accueil ou en foyer, il a été condamné à de courtes peines pour violences, et souffrait de troubles psychiatriques - comme un bon quart des détenus en France. Il a été hospitalisé d'office à deux reprises avant son suicide, et a ensuite été placé au service médico-psychologique régional (SMPR) de la maison d'arrêt de Rouen, avec un suivi et une surveillance renforcée : on s'inquiétait de ses comportements agressifs ou suicidaires. En quinze jours de détention, il n'a pas reçu une visite ou un courrier de sa famille.
Ce soir-là, il a appelé à l'interphone le surveillant de garde, qui lui a parlé jusqu'à ce que le gardien qui faisait l'une des douze rondes de nuit puisse passer. Le détenu a dit à l'homme de ronde qu'il « n'allait pas bien et voulait se pendre ». Le gardien a aussitôt prévenu le gradé de service, qui lui a dit de continuer sa ronde, mais il est resté, et il a parlé, parlé, avec le jeune homme. Comme les secours n'apparaissaient pas, il a rappelé le gradé de service à 1 h 30, qui est enfin arrivé avec les clés et l'équipe du piquet d'intervention cinq à sept minutes plus tard. Trop tard.
Le tribunal administratif de Rouen a estimé qu'« aucun défaut de vigilance, aucune lenteur particulière, aucune erreur de jugement ne pouvaient être imputés aux surveillants », même au gradé qu'il a fallu joindre à deux reprises.
« Obligation de sécurité »
L'homme de ronde n'avait pas les clés des cellules, « pour des raisons de sécurité », et le gradé, un major, était à l'autre bout du bâtiment, dans la salle de repos. Il lui a fallu récupérer dans son bureau la clé de la cellule, la clé de circulation et celle de l'infirmerie, soigneusement enfermées dans un coffre. Le piquet d'intervention a ensuite dû franchir les sept grilles de sécurité avant d'arriver jusqu'à la cellule.
« Cette situation, s'agissant d'un détenu signalé comme instable et atteint de troubles psychiatriques, indique le tribunal, révèle un défaut dans l'organisation et le fonctionnement du service, à l'origine du retard dans l'intervention du personnel pénitentiaire porteur des clés », et ce défaut d'organisation « est susceptible d'engager la responsabilité » de l'administration.
Le ministère de la justice avait au contraire soutenu qu'« aucun dysfonctionnement structurel n'était à noter, dans la mesure où le code de procédure pénale interdit que l'on pénètre dans les cellules la nuit, sauf péril imminent, et nécessite alors l'intervention de deux surveillants ». D'ailleurs pour la chancellerie, les agents n'ont commis aucune erreur. Me Etienne Noël, l'avocat de la famille de David G., a fermement souligné de son côté que « l'administration pénitentiaire était tenue à une obligation de sécurité à l'égard des détenus, sans qu'il soit besoin de prouver une succession de fautes ».
L'Etat a dû rembourser les 2 672 euros de frais d'obsèques. Sur justificatif.