mardi 14 juillet 2015

La première femme à diriger Fleury-Mérogis, la plus grande prison d’Europe, voudrait rendre l’incarcération plus humaine.

http://www.liberation.fr/societe/2015/07/13/la-gardienne-des-cles_1347367


Note personnelle : J'ai connu Nadine PICQUET alors qu'elle était directrice de la maison centrale de Poissy ; j'ai apprécié son accessibilité et ses capacités d'écoute lorsque je venais lui soumettre les difficultés de mes clients (nous sommes presque jumeaux).


«Elle tenait à son potager. Je la revois descendre en bottes en caoutchouc dans la cour, suivie par ces minots délinquants et commencer à planter des carottes avec eux.» Ce jour de 1985, Jean-Marc Chauvet, directeur de la prison de Bois-d’Arcy, a halluciné. Nadine Picquet a 26 ans, elle est la première femme à obtenir le poste de sous-directrice de cette maison d’arrêt. Aujourd’hui la Mosellane, cheveux grisonnant coupés courts, reconnaît : «J’étais rebelle, je jouais le rôle de la grande sœur auprès des jeunes détenus.» Trente ans après avoir frayé sa route dans les arcanes de l’administration pénitentiaire, cette quinquagénaire élancée n’a rien perdu de son aplomb. A la tête de Fleury-Mérogis depuis mars, plus grande prison d’Europe, «un paquebot», Nadine Picquet jure, en souriant, s’être assagie. Pudique, elle avoue que ses débuts n’ont pas été simples : «Je n’ai pas été accueillie avec un bouquet de roses. Au contraire, j’avais les épines, pas les fleurs.» Jeune et femme : deux critères suffisants dans l’institution carcérale pour qu’on lui en fasse baver. «Les surveillants me testaient. Je n’aimais pas la vue du sang. Quand j’étais de permanence et que des détenus s’automutilaient, ils m’appelaient. Une fois, deux fois, trois fois», mais il en faut plus pour décourager la «bleue» à la gouaille de l’Est qui a grandi entre Nancy et Sarreguemines.
Marquée par une éducation catholique - le régime concordataire d’Alsace-Moselle rend obligatoire l’enseignement religieux de la primaire au collège -, Nadine Picquet assume ses origines modestes et son identité régionale. Ses parents, «des Français de l’intérieur», lui transmettent une certaine idée de l’intérêt général. Son père, salarié de la SNCF, et sa mère, sans emploi, la poussent à s’élever. Lycéenne turbulente au parcours scolaire chaotique, la jeune femme se range à son arrivée à la fac de Nancy et se passionne pour les sciences sociales et la psychologie. Pugnace, l’étudiante en licence «administration économique et sociale» passe régulièrement la frontière allemande pour un petit boulot de serveuse dans un restaurant autoroutier. Après avoir envisagé de devenir assistante sociale, elle abandonne quand elle réalise que cela implique de commencer un nouveau cursus : «Je ne pouvais pas me le permettre financièrement, je devais entrer dans la vie active.»
Avant d’obtenir sa maîtrise, elle réalise quelques stages auprès de toxicomanes et de malades alcooliques, un déclic. Sans conviction, sinon celle de «servir l’Etat», la jeune femme s’inscrit aux concours de la fonction publique et tente, pour la forme, l’examen du Trésor. Mais le seul que l’étudiante bosse sérieusement, c’est celui de l’administration pénitentiaire. Ses efforts paient. Elle arrive première au concours et surprend au passage ses parents et son frère. Quelques mois plus tard, Nadine Picquet quitte le cocon familial et débarque au volant de sa voiture à la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy en région parisienne : «Je ne connaissais rien au monde carcéral mais je ne me suis posé aucune question, j’y suis allée.» A son arrivée, son patron l’interroge sur ses motivations, sa vision du métier, immédiatement, la réponse fuse : «La seule chose que je veux, c’est le trousseau de clés.»
Cette indépendance, la directrice va se battre pour l’obtenir et la conserver. Victime d’un grave problème de santé au milieu des années 2000, elle insiste pour conserver son poste à la tête de la prison de Poissy : «J’ai eu droit à des témoignages de soutien de détenus, de leurs familles, du personnel. Je n’oublierai jamais.» Michel Saint-Jean, un ancien collègue, se souvient d’une«femme forte, tenace, parfois têtue». Nadine Picquet ne cache pas son engagement féministe : «La prison est un lieu où le pouvoir phallique s’exerce particulièrement, ça m’a toujours débectée.» Plus habile pour tisser des liens avec les détenus que pour susciter l’approbation du personnel surveillant, la fonctionnaire dit avoir souffert des mots, parfois rudes, de ses collègues masculins.
Pour faire face, l’administratrice fan de rock dont la silhouette élancée trahit son passé de danseuse - «des années de modern jazz» - s’accroche à un projet. Convaincue de la nécessité d’ouvrir la prison et les détenus au monde extérieur, la directrice est la première à faire entrer à Poissy des chevaux dans une cour de promenade pour une initiation à l’équitation. A Fresnes, elle fait des parloirs sur rendez-vous son combat : «Les familles faisaient la queue pendant des heures, parfois pour rien, parfois sous la pluie pour voir leurs proches, ça n’était pas possible.» Celle qui ne revendique aucune couleur politique met un point d’honneur à lutter contre les dérives du système carcéral et se dit consciente de la déshumanisation qui peut s’opérer dans les coursives. Les batailles permanentes avec sa hiérarchie ou les syndicats, qu’elle peine à entendre, la violence et la misère sociale finissent par l’épuiser.
Divorcée, la quinquagénaire reconnaît que ses proches ont pu souffrir de sa profession : «Mes enfants ont grandi à côté des maisons d’arrêt, j’avais du mal à me détacher de la prison. Lorsque je rencontrais des difficultés, ça influait sur mon comportement à la maison.» A neuf ans, sa fille aînée assiste depuis la maison familiale à diverses évasions : «Elle a été un peu traumatisée par le bruit des hélicos. Elle a eu peur pour moi.»
Fatiguée, la directrice intègre au milieu des années 90 les ressources humaines de la pénitentiaire, une «aventure humaine exceptionnelle», qu’elle quitte au bout de sept ans. Le besoin de retrouver les couloirs de la détention s’impose et la propulse à la tête de Poissy qui accueille des détenus condamnés à de longues peines. Par modestie, elle réfute le terme «ambitieuse».Blandine Froment, procureure générale passée par l’administration pénitentiaire, abonde : «Peu de directeurs restent si longtemps à ce poste. Ils finissent par partir à l’inspection ou ailleurs. Elle a du mérite plus que de l’ambition.»
Sans dévoiler sa rémunération, Nadine Picquet assure vivre «correctement». Plus de 4 000 euros par mois selon la grille de salaire en vigueur mais rien dans son apparence ne laisse transparaître un confort financier. Son bureau dépouillé est installé dans un Algeco à quelques mètres de l’entrée de la prison pour hommes de Fleury. Entre gérer les 4 100 détenus, coordonner le déménagement lié aux travaux ou encore endiguer la radicalisation des prisonniers, les enjeux ne manquent pas. Son nouveau poste l’a fait changer de dimension. Dans ses poches, seul le trousseau est resté.
12 janvier 1959 Naissance à Metz septembre. 1983 Sous-directrice de la maison d’arrêt Bois-d’Arcy. Juillet 1989 Arrivée à la maison d’arrêt de Fresnes. 1991 Naissance de son premier enfant.1994 Naissance de son second enfant. Mars 2015 Nommée directrice de Fleury-Mérogis.
Par Hélène Sergent Photo Rémy Artiges